Comique larmoyant

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Comique larmoyant.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 282285 :

Comique larmoyant. C’est le nom qu'on donne à des Piéces d'un genre qui tient le milieu entre la Tragédie & la Comédie. Ce nom lui fut d'abord donné, en dérision, par des ennemis de cette espéce de Comique. Mais le Public ayant paru adopter ce genre, le nom de Comique Larmoyant est devenu une dénomination simple, à laquelle il semble qu'on n'attache plus de ridicule.

On a écrit plus d'une fois, que ce genre étoit nouveau, quoiqu'il remonte à la plus haute antiquité. Voyez Rhintoniae et Hilaro-Tragedia. On peut citer pour preuve l'Andrienne de Térence, où l'on pleure dès la premiere Scène, & les Captifs de Plaute, Piéce imitée du Théâtre Grec, & qui est absolument dans ce goût. Le Poëte s'y propose moins de faire rire, que d'intéresser ; moins de combattre nos ridicules, que nos vices ; & de représenter plutôt des modèles de vertu, que des caractères Comiques. Ce sont, en un mot, des Romans mis en action, & assujettis aux régles du Théâtre. L'intérêt doit être pressant, les incidens bien ménagés & frappans, les situations attendrissantes, les mœurs & les caractères des Personnages soutenus & dessinés avec choix d'après nature. On doit aussi, se proposer une vertu, qui forme le nœud de l'action, & le principe de l'intérêt. II faut la représenter persécutée, malheureuse , toujours agissante , toujours ferme; enfin triomphante & couronnée.

Quelques Auteurs ont essayé d'exciter les ris, après avoir fait répandre des larmes. Mais les Personnages Bouffons paroissent, à côté du Pathétique, froids & d'un mauvais Comique. Le rire est déplacé à côté des pleurs. D'ailleurs il arrête ici l'impression de l'intérêt ; & ces divers sentimens s'affoiblissent l'un l'autre : telles sont les régles générales ; mais le succès de plusieurs Scènes de Nanine & de l'Enfant Prodigue, prouvent qu'elles ne sont pas sans exception. Ce genre a plusieurs écueils ; comme il n'est point soutenu par la grandeur des objets, & qu'il doit être à la fois familier & intéressant, on est sans cesse en danger d'être froid ou romanesque, c'est la simple nature qu'il faut saisir ; & c'est le dernier effort de l'Art, d'imiter la simple nature.

Plusieurs ennemis redoutables se sont élevés contre le Comique attendrissant. On peut citer à la tête M. de Voltaire. Voici ce qu'il en dit :

Celui qui ne peut faire, ni une vraie Tragédie, ni une vraie Comédie, tâche d'intéresser par des aventures bourgeoises attendrissantes. II n'a pas le don du Comique ; il cherche à y suppléer par l'intérêt. Il ne peut s'élever au Cothurne ; il réchauffe un peu le brodequin. Il peut arriver sans doute des aventures très-funestes, à de simples citoyens ; mais elles sont bien moins attachantes que celle des Souverains, dont le sort entraîne celui des Nations. Un Bourgeois peut être assassiné comme Pompée ; mais la mort de Pompée fera toujours un tout autre effet que celle d'un Bourgeois. Si vous traitez les intérêts d'un Bourgeois dans le style de Mithridate, , il n'y a plus de convenance : si vous représentez une aventure terrible d'un homme du commun, en style familier, cette diction familiere, convenable au Personnage, ne l’est plus au sujet. II ne faut point transposer les bornes des Arts. La Comédie doit s'élever, & la Tragédie doit s'abaisser à propos ; mais ni l'une ni l'autre ne doit changer de nature.

On répond à ces reflexions, qu'elles n'ont point empêché l'Auteur de faire l'Enfant Prodique. On convient que la qualité des Personnages ajoute beaucoup à l'importance du sujet ; mais on croit qu'un simple Citoyen peut se trouver dans une situation plus intéressante que ne l'est la mort de Pompée, même dans la Tragédie de ce nom. L'Enfant Prodigue aux pieds de sa Maîtresse, & Darviane dans Mélanide, proposant le duel à son pere qu'il ne connoît pas, arrache peut-être autant de larmes que Cornelie. Il seroit bien étonnant qu’on ne pût se former un style convenable à la fois au Personnage & au sujet. Si le style de la Chaussée étoit un peu plus fort & plus soutenu, il seroit un modèle en ce genre. On convient que le Comique attendrissant est au-dessous du grand Tragique, & du Comique véritable ; mais il paroît qu'il ne faut pas proscrire un genre adopté par le Public, où l'on peut représenter les hommes tels que nous les avons sous nos yeux, & des événemens qui sont plus près de nous, que les malheurs des Héros. En un mot,on peut conclure, en opposant M. de Voltaire à lui-même, que tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux.

Références :

Pièces :

Nivelle de La Chaussée (Pierre-Claude), Mélanide (1741), exemple de comique larmoyant.

Plaute, les Captifs, dans le goût du comique larmoyant, qui existait donc dans l’Antiquité.

Térence, l’Andrienne, qui fait pleurer dès la première scène : c’est la preuve que le comique larmoyant existait dans l’Antiquité.

Voltaire, l’Enfant prodigue : exemple de mélange réussi de rire et de pleurs dans une pièce.

Voltaire, Nanine : exemple de mélange réussi de rire et de pleurs dans une pièce.

Critique littéraire :

Voltaire, par exemple dans la préface de Nanine, condamne le comique attendrissant (les aventures bourgeoises sont toujours inférieures à celles des grands hommes. Mais cela ne l’a pas empêché de le pratiquer.

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×