Le Baiser et la quittance, ou Une aventure de garnison

Le Baiser et la quittance, ou Une aventure de garnison, opéra comique en 3 actes, de Picard, Longchamps et Dieulafoy, musique de Boieldieu, Kreutzer, Méhul et Nicolo Isouard, 28 prairial an 11 [17 juin 1803].

Théâtre de l’Opéra-Comique, rue Faydeau.

Titre :

Baiser (le) et la quittance, ou une Aventure de garnison

Genre

opéra comique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

28 prairial an 11 [17 juin 1803]

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique

Auteur(s) des paroles :

Picard, Longchamps et Dieulafoy

Compositeur(s) :

Boieldieu, Kreutzer, Méhul et Nicolo Isouard

Courrier des spectacles, n° 2296 du 30 prairial an 11 [19 juin 1803], p. 2-3 :

[La pièce du Théâtre Feydeau a été donné le même soir que la Griselda, ou la Vertu à l'épreuve de Paer. La lutte était entre musique italienne et musique française, et les compositeurs de la pièce française n'ont pas à prendre à leur compte les sifflets qui ont salué non leur musique, mais « un poëme au-dessous du médiocre ». C'est l'occasion pour le critique de défendre le droit de siffler, seul moyen de faire connaître un autre avis que celui des amis des auteurs. Après avoir critiqué le titre (il ne fallait pas employer le terme « quittance », jugé impropre), c'est à l'analyse qu'il se consacre, en doutant d'ailleurs qu'elle soit possible. Le sujet n'est pas neuf, et se résume à une histoire de garnison, et de ruse pour obtenir un baiser accompagné d'une preuve écrite de ce baiser, histoire aussi invraisemblable que compliquée, qui finit par le mariage attendu. Une fois le billet attestant du baiser obtenu, le mariage est décidé, et le critique ne dit rien ni de la musique, ni des acteurs, ni des auteurs.]

Théâtre Feydeau.

Première Représentation du Baiser et la Quittance,
ou Une Aventure de Garnison.

Paris offroit hier une véritable lutte entre la musique française et la musique italienne. Tandis qu’on jouoit â l'Opéra-Buffa le chef-d’œuvre,du célèbre Per, on représentoit à Feydeau un ouvrage de la composition de trois de nos plus célèbres musiciens ! C’est presque les nommer, et nous nous rappelons qu’ils ont voulu garder l’anonyme. Mais si, comme on n’en peut douter, les sifflets les ont empêchés de se faire connoître, il est de la justice de dire que ce n’étoit point à eux qu’ils s’adressoient. On doit regretter que le même jour que nos musiciens rivalisoient avec ceux de l'Italie, nos poëtes (car on dit qu’ils sont plusieurs) aient également voulu se montrer sur la même ligne que les poëtes Transalpins. Rendons graces à ceux qui, malgré les opposans, ont eu le courage de siffler un poëme au-dessous du médiocre. S’il en étoit autrement, en pareil cas, et si, comme quelques personnes le disoient, les improbateurs se contentoient de garder le silence, que deviendroit l’art ? Les applaudissemens amicaux feroient réussir les plus mauvais ouvrages. Les journalistes, dira-t-on, sont-là ; mais, ces mêmes messieurs qui ne veulent pas que le public siffle, ne voudroient-ils pas aussi que les journalistes se contentassent de faire connoitre l’opinion publique, c’est-à-dire, les applaudissemens des billets donnés ?

Nous ne sommes pas tout-à-fait de cette opinion. Nous dirons donc que le Baiser a été mal reçu, examinerons-nous d’abord le titre ? Le Baiser, ou la Quittance. On ne donne quittance que d’une somme due : ce mot n’est pas applicable aux marchandises que Laure a reçues ; le mot propre seroit reconnaissance. Passons à l’analyse, si nous pouvons.

La capitaine Édouard Rieberg a été, d’après les intentions de son père, destiné à épouser Laure, nièce du major Delorbel ; mais le Capitaine est un garçon fort circonspect. Il a mis deux ans à réfléchir sur ce mariage, et ce n’est qu’après ce tems qu’il s’est déterminé à se présenter chez son futur beau-père. Delorbel, non moins prudent que le Capitaine, a cru devoir cacher sa niece aux yeux des jeunes officiers de son corps, et sur-tout à Edouard Fonrose. Ce jeune étourdi a appris ce secret de la bouche même de Risberg, qui vraisemblablement, dans cette circonstance, n'a pas assez réfléchi, sur - tout lorsqu’il a laissé entre les mains d’un jeune Capitaine étourdi, le portrait de sa future. Édouard Fonrose veut punir Delorbel de sa discrétion. Il commence par le railler, le force à convenir qu’il a une charmante nièce, et à accepter un pari qu’avant un mois non-seulement il la verra, mais lui donnera un baiser et s’en fera donner quittance. Le pari de ruse contre ruse a de grands avantages sur celui-ci ; entr’autres, d’être beaucoup mieux conduit. Fonrose emploie les secours du chef de musique de son régiment : ce dernier obtient du Major un laissez-passer pour lui et son garçon, comme ouvriers dans la citadelle ; et à l’aide de cette pièce, ils s’introduisent dans la maison et près de Laure sous l’habit de marchands. Déjà, sous le prétexte invraisemblable d'une romance, à la fin de laquelle il faut donner un baiser, notre garçon marchand croit toucher de ses lèvres le front de Laure, lorsque c’est son oncle qui reçoit le baiser. Raillé par son supérieur, le jeune Fonrose, qui a bien ses intentions, mais qui n’en est pas plus excusable, l’appelle en duel. Delorbel l’accepte ; mais Fonrose a bien autre chose à taire. Pendant que son chef est allé l’attendre à deux lieues pour se,battre, il prend l’habillement de son propre oncle, commandant de la place, s’introduit de nouveau près de Laure, et après avoir feint de consentir, par égard pour cette jeune personne, à dispenser Fonrose et monsieur Delorbel lui-même d’aller aux arrêts, et l’avoir amené à signer une reconnaissance, appelée quittance, des marchandises qu’elle a reçues, à la suite desquelles on ajoute : Et un baiser. Le prétendu oncle le lui donne en effet, et vient bientôt après fournir la preuve qu'il a gagné son pari. A l’égard du capitaine Risberg qui, par suite de ses réflexions, n’est pas très-porté à épouser Laure, il consent volontiers qu’elle soit libre. La demoiselle n’en est nullement fâchée, devenant par ce moyen maîtresse de donner sa main à Fonrose.

Courrier des spectacles, n° 2297 du 1er messidor an 11 [20 juin 1803], p. 3 :

[L'abonné, fictif ou réel, qui voit sa lettre publiée est choqué qu'on ait jugé aussi sévèrement une œuvre dont certes le livret est d'une grande faiblesse, mais dont il s'attache à défendre la musique de cet opéra, et plus encore un des compositeurs dont il a reconnu le style et dont il tient à souligner la qualité, aucunement inférieure à la musique venue d'Italie et qui est si appréciée sur les scènes françaises (l'éternelle rivalité entre musique italienne et musique française) . Il met également en avant le talent de deux interprètes (il ne risque pas grand chose, ce sont des vedettes indiscutables de la scène lyrique du temps). Tout le monde avait reconnu « l'auteur du chef-d'œuvre lyrique de ce théâtre », et souhaite qu'une aussi belle musique ait l'ocasion de trouver à s'exercer sur « un sujet digne des grands maîtres à qui elle devoit le jour ».]

AU RÉDACTEUR.

Paris, 30 Prairial.          

Le Baiser et la quittance ne devoit point obtenir de succès sur nos théâtres, puisque l'on juge avec autant de sévérité un opéra-bouffon qu'un chef-d’œuvre de la scène française ; cette convention établie, on a en raison de siffler cette bouffonnerie écrite certainement dans le seul dessein d’offrir à nos plus grands maîtres dans l’art musical les moyens de rivaliser entr'eux d'efforts, de talens et de succès ; l'article de votre journal, Monsieur, est juste-selon la sévérité nécessaire, selon nous, à exercer même à 1'égard d’un opéra-comique, qui devroit, ce me semble, trouver grâce devant le public, quand il seroit sauvé par une musique charmante ; d'où vient que l’Italie est si féconde en chefs-d'œuvres ? Pourquoi y tolère-t-on les plus grandes latitudes ? D’où vient qu’en France même elles seules ont le privilège d’y être écoutées , N'est-ce point la musique qui couvre tant d’inepties ? Aussi un compositeur s’y livre sans crainte à son génie, et ses productions sont remplies d'idées les plus gracieuses, que produisent la certitude et l’assurance du succès.

Au reste , monsieur, mon dessein n’est point de m’elever en censeur contre le jugement du public, ni de heurter une opinion reçue, mais seulement de vous prier de ne pas laisser confondre les musiciens avec les auteurs du poëme, et de distinguer les morceaux vraiment délicieux de, cet opéra ; s’il est entendu encore quelquefois du public, je recommanderois à son attention particulière l'introduction charmante digne des grands maîtres d'Italie, et qui fait bien connoître son auteur ; comme le chant le plus agréable se marie avec art à la confusion bien conçue des fifres, du tambour, de la marche des soldats, de la gaîté du jeune officier, etc. ! ce morceau mérite d’être entendu plus d’une fois pour être apprécié à sa juste valeur. L’ouverture rappelle bien l'exécution brillante d’un artiste distingué par de jolies productions Les premiers couplets de Martin n’ont-ils pas été couverts d’applaudissemens, ainsi que l’air d’Elleviou, qui respire la grace et la fraîcheur ? Le final du premier acte n’a-t-il point étonné par la richesse de sa composition, sa variété, son style original et gracieux, comme toutes les productions admirables de l’artiste qui illustre sans cesse nos théâtres, par de nombreux chefs d’œuvre ? Mais ce qui à mon avis décèle entièrement une touche savante de l’esprit, et une parfaite entente de la scène, est le duo entre la nièce et sa gouvernante. Que l'orchestre est soigné ! quelle aimable variété dans les accompagnemens !

Apres avoir entendu ensuite le dernier final, le public n’a pu ignorer long-tems l’auteur de ces trois derniers morceaux, et le nom de l’auteur du chef-d’œuvre lyrique de ce théâtre étoit dans toutes les bouches. Pour terminer enfin, Monsieur, l’éloge que l’on doit à cette charmante production musicale, il suffira de rappeler aux amateurs de musique qu’on entendoit généralement regretter qu'une aussi jolie musique ne fût pas soutenue par un sujet digue des grands maîtres à qui elle devoit le jour.

Salut et considération.

Un de vos abonnés.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, opéra-comique, 9e année, 1803, tome II, p. 121 :

[Opposition entre un livret « pitoyable » (le mot est fort) et la musique, qui méritait manifestement un meilleur sort. On n’en saura pas plus.]

THÉATRE FEYDEAU.

Le Baiser et la Quittance.

Cinq ou six musiciens se sont réunis pour travailler sur un poëme pitoyable, qui a été sifflé malgré la plus jolie musique. Aucun des auteurs n’a été nommé.

La Décade philosophique, littéraire et politique, onzième année de la République, 4me trimestre, n° 28, 10 messidor p. 51-54 :

[Autant le Magasin encyclopédique était bref, autant la Décade philosophique est prolixe : d’abord une mise en condition du lecteur, soulignant l’étrangeté du titre et évoquant les rumeurs ayant précédé la représentation, puis le rapprochement précis avec une autre pièce, Guerre ouverte (une comédie de Dumaniant de 1786), pour souligner l’infériorité de la pièce nouvelle, dont le fonds est aussi invraisemblable qu'inconvenant (et ces deux défauts sont graves). On arrive ensuite au résumé de l’intrigue, dont le critique souligne l’invraisemblance (aucun major ne ferait la gageure que la pièce montre, peut-on donner quittance d’un baiser ? « A-t-on jamais basé une intrigue de comédie sur un fond aussi bizarre ? » Ce « premier oubli des convenances » n’est pas racheté dans la suite, vaste tissu d’invraisemblance dont le critique s’étonne. La fin est celle qu’on attend : gageure perdue pour le major, et mariage des jeunes gens. Un tel poème ne serait tolérable que s’il était d’un jeune homme : « trop médiocre » pour des auteurs chevronnés. Et cela ramène le critique à des considérations générales du plus haut intérêt : il rappelle que l’opéra comique ne l’emporte sur l’opera buffa italien que par « du bon sens et de l'intérêt dans les poëmes » (on sait que les critiques condamnent l’opera buffa italien pour ses livrets sans valeur). Il faut empêcher l’opéra comique de descendre au niveau de livrets italiens. Un paragraphe sur la musique : de beaux « morceaux de concert », mais pas d’« unité de coloris », ni d’« harmonie [...] entre la couleur du poëme et celle de la musique ». La musique n’a pas d’unité. Si cet opéra comique n’a pas complètement échoué, c’est que les « gens un peu sensés », qui ont « manifesté leur mécontentement à plusieurs reprises » ont été mis en échec par « une armée formidable » au service des « sept auteurs célèbres » de la pièce. Finalement, jugement équilibré : « ni cet excès d'honneur, ni cette indignité ». La pièce peut être sauvée, par « des retranchements, et par certains de ses morceaux de musique comme par la qualité des interprètes : elle « peut très-bien s'écouter comme tant d'autres » (quel compliment !), et elle a été victime de la réputation de ses auteurs « dont on espérait davantage » et qu’on ne nomme pas.

La note finale est également très intéressante, puisqu’elle fait reproche à la pièce d’être très proche de la violation de l’unité de temps : la limite de 24 heures est mise à mal par la durée prévue de la gageure, un mois. Impossible de réduire le délai à un jour, par décence. Impossible de faire durer la gageure plus d’un jour, sous peine de « faute dramatique » ; il y a donc l'« inconvenance extrême de la gageure », auquel s’ajoute cette « petite indécence ».]

Théâtre de l’Opéra-Comique, rue Faydeau.

Le Baiser et la Quittance, ou une Aventure de garnison.

La singularité du titre, certain bruit répandu que cette pièce était l'ouvrage d'une association réellement imposante de talens connus, avaient attiré l'affluence. Hélas ! hélas ! rien n'est plus fâcheux que l'espérance trompée à ce point. Plus on attendait, plus on s'est fâché de trouver si peu de choses pour tant de coopérateurs.

Cette aventure de garnison n'est qu'une contre-épreuve assez faible de Guerre ouverte, avec cette différence que la gageure de Guerre ouverte a une sorte de vraisemblance, et que dans l'imitation la gageure est de la plus bizarre inconvenance, et de la part de celui qui la propose, et de la part de celui qui l'accepte.

Dans Guerre ouverte, l'attaque et la défense se balancent tour à tour par des ruses ingénieuses, et produisent un intérêt assez soutenu de curiosité ; ici le personnage qui perd la gageure fait, je crois, exprès de la perdre par le peu de précautions qu'il prend, et celui qui la gagne ne mérite guères son succès.

Un jeune capitaine, fort léger et fort étourdi, en garnison à Phalsbourg , piqué contre le major Dorbel de ce qu'il dérobe inhumainement sa nièce aux regards du régiment, ose parier avec lui que non-seulement il s'introduira chez cette nièce, mais même qu'il en obtiendra un baiser et qu'il lui en montrera la quittance. Quel est de bonne foi le major assez patient pour entendre de sang-froid une pareille proposition et assez insensé pour admettre la gageure ? Qu'est-ce que c'est encore qu'un baiser dont on donnera quittance ? A-t-on jamais basé une intrigue de comédie sur un fond aussi bizarre ?

Par malheur, les moyens employés pour nouer l'action ne dédommagent nullement de ce premier oubli des convenances, qu'on pardonne quelquefois lorsqu'il en résulte des effets neufs ou plaisans.

Le jeune Edouard Fonrose, aidé d'un fourbe adroit, nommé Laquinte, fifre d'un régiment d'infanterie en garnison aussi dans Phalsbourg, s'introduit d'abord ,déguisé en marchand, dans la maison de Dorbel, qui a la bonté plus qu'imprévoyante de signer un laissez passer indéfini à ce Laquinte, sans soupçonner qu'il faut se méfier de tout dans la position où il s'est placé lui-même.

Cette première tentative de Fonrose ne lui réussit pourtant pas : quoiqu'il se soit introduit chez la nièce à l'aide de son déguisement, le concierge , plus méfiant que le major, court chercher son maître qui arrive tout juste et tout à point pour empêcher le baiser d'être surpris. Mais le jeune homme ne se tient pas pour battu : il suscite une altercation assez vive au major pour le forcer à se fâcher et à proposer un cartel : c'est au bois Saint-Laurent que se donne le rendez-vous.

Dorbel, plus délicat sur l'honneur militaire que soigneux de l'intérêt de sa gageure, se rend au bois sans emmener son aggresseur. Celui-ci, profitant des facilités que lui donne son adversaire, sans calculer l'effet de son. extravagante conduite, s'introduit de nouveau dans la maison du major absent, sous le travestissement du vieux commandant de la place. Grace à une large redingotte, à son ample perruque, à son bandeau noir sur l'œil, à un ton de voix renforcé, il en impose à la jeune personne qui ne le reconnaît pas du tout, quoique sa première visite ait déjà fait quelque impression sur elle.

Fonrose prend le ton sévère d'un oncle irrité : il vient lui-même s'informer des torts de son neveu, en faire des excuses, en offrir des réparations, annoncer que le coupable est aux arrêts ; la sensibilité de Laure s'émeut, elle plaint le jeune étourdi, sollicite sa grace. Le faux oncle feint d'abord quelque résistance , puis se laisse fléchir par les grâces de l'aimable solliciteuse, et finit l'entretien par demander le baiser de paix que l'ingénue accorde sans peine au vieillard supposé : mais comment obtenir la fatale quittance ? par un moyen d'une invention assez bizarre : la marchande du second acte a laissé des marchandises que Laure a reçues ; il en faut un récépissé pour que le major les puisse payer. Laure signe bien vite le mémoire qu'on lui présente, sans se donner la peine de l'examiner, et ne voit pas qu'au nombre des articles livrés on a introduit celui d'un baiser. Par cette ruse, l'oncle Dorbel, à son retour du bois Saint-Laurent, trouve sa nièce presque séduite et sa gageure perdue ; mais tout cela s'arrange, et finit par le mariage de Laure et de Fonrose qui, dans le court espace des deux entrevues, ont pris de l'attrait l'un pour l'autre : tous deux ont été vite en besogne.

Si ce poëme était d'un jeune débutant dans la carrière , on pourrait en concevoir quelques espérances , et remarquer à travers de grandes inconvenances quelques lueurs de talent dramatique ; mais pour des plumes exercées , pour des hommes accoutumés aux faveurs de Thalie, c'est un ouvrage beaucoup trop médiocre. Ce qui peut seul donner à nos opéras-comiques quelque prééminence sur les opéras-buffas italiens, c'est du bon sens et de l'intérêt dans les poëmes : du moment où l'on voudra accoutumer la France à s'en passer comme l'Italie, l'opéra-buffa reprendra certainement beaucoup de supériorité sur les nôtres, et ce n'était pas à des talens distingués comme les auteurs réunis de cet opéra-comique à donner l'exemple de cette dégradation.

Quant à la musique, à ne la considérer qu'isolément, on y trouve des morceaux de concert, des finales très-agréables ; mais l'effet inévitable de ces sortes d'associations, c'est de détruire l'unité de coloris, et l'harmonie nécessaire entre la couleur du poëme et celle de la musique, sans lesquelles l'ouvrage n'est plus que du placage et de la marquetterie.

Les gens un peu sensés ont partagé cette opinion et ont manifesté leur mécontentement à plusieurs reprises ; mais on conçoit que sept auteurs célèbres réunis doivent avoir dans le parterre une armée formidable à leurs ordres, aussi les applaudissemens et les sifflets ont-ils quelque tems lutté les uns contre les autres.

On pourrait dire, pour être juste, que la pièce n'avait mérité ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. C'est un ouvrage médiocre qui, avec des retranchement, grace à quelques morceaux de musique et à la réunion de Martin, d'Elleviou, de Gavaudan, de Chenard et de Mme Saint-Aubin, peut très-bien s'écouter comme tant d'autres, et qu'on n'a sans doute jugé aussi sévèrement que par rapport aux noms celèbres dont on espérait davantage.                  L. C.

Nota. Les auteurs ont été bien embarrassés pour concilier la règle de l'unité de tems et la gageure sur laquelle ils ont basé leur pièce. Le jeune Fonrose n'ose pas parier qu'il ne lui faudra qu'un jour pour obtenir son baiser et sa quittance. Il prend un mois, et l'on sent bien que ceci est pour la décence; mais il en résulte cette faute dramatique que la pièce pourrait durer un mois au lieu de vingt-quatre heures. Or dans l'inconvenance extrême de la gageure même, cette petite indécence de plus n'était pas assez sensible pour exiger ce palliatif maladroit.

D'après Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, , p. 153, le Baiser et la quittance ou Une aventure de garnison est un opéra en 3 actes, livret de Louis-Benoît Picard, Michel Dieulafoy et Charles de Longchamps, musique d'Etienne-Nicolas Méhul, François-Adrien Boieldieu, Rodolphe Kreutzer et Nicolas Isouard. Le livret est inspiré d'une nouvelle d'Isabelle de Montolieu, l'Heureuse gageure. La pièce a connu 5 représentations.

Répartition des morceaux entre les compositeurs :

  • Kreutzer : l'ouverture, les n° 6 et 9 (?) 

  • Nicolo Isouard : les n° 1, 3 et 4 ;

  • Boieldieu : les n° 2, 7 et 11 ;

  • Méhul : les n° 5, 8 et 10.

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