La Chaumière des Alpes

La Chaumière des Alpes, comédie en un acte & en prose, mêlée de vaudevilles ; par M. Théodore, 17 septembre 1793.

Théâtre de Louvois.

A ne pas confondre avec la Chaumière au pied des Alpes, de Théodore [Maillard] et B*** [Brazier], « prologue ajouté au Passage du Mont Saint-Bernard, joué aux Jeux Gymniques le 24 mai 1810.

Titre :

Chaumière des Alpes (la)

Genre

comédie mêlée de vaudevilles

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

17 septembre 1793

Théâtre :

Théâtre de Louvois

Auteur(s) des paroles :

M. Théodore

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 10 (octobre 1793), p. 333-338 :

[La pièce de M. Théodore a droit à un fort long compte rendu, qui n’est donc pas en rapport avec son importance. Cette histoire un peu embrouillée n’a pas convaincu le critique. Après l’avoir longuement résumée, il donne son sentiment sur elle : il reconnaît qu’elle a eu du succès, mais il ne ménage pas ses reproches. D’abord, « les accessoires étouffent le principal » : l’unité d’action n’y est pas respectée, et les intrigues secondaires prennent le pas sur l’essentiel. Puis, «  cette piece offre des négligences dans le style, qu'il est nécessaire de faire disparoître », et il en donne une série d’exemples, qui nous permettent de mieux comprendre ce qu’il entend par « négligences dans le style » : emploi d’amener là où il faudrait emmener, complément trop éloigné de ce qu’il complète (« Séparé, dit Alphonse, d'une amante que j'adorais, par l'ordre inhumain de son pere... »), emploi de séjour associé au verbe partir : on ne par pas d’un séjour ; erreur dans une idée : les épines ne succèdent pas aux fleurs... Remarques tout à fait fondamentales en effet. Sans en dire plus sur la pièce, le critique règle en une phrase le sort de l’interprétation « avec beaucoup d’ensemble »), et celle de la mise en scène (« fort bien mise »). Il pourrait être plus précis.]

THÉATRE DE LOUVOIS.

La Chaumiere des Alpes, comédie en un acte & en prose, mêlée de vaudevilles ; par M. Théodore.

C'est dans l'extrait du roman d'Enguerrand, par Mme. Riccoboni, que l'auteur a puisé le sujet de la Chaumiere, ou bien plutôt de l'Hermitage des Alpes.

Le sire de Montfort ayant vu avec beaucoup de peine, qu'un chevalier, qui avoit beaucoup moins de fortune que de renom, aimoit sa fille Adélaïde, qui le payoit d'un tendre retour, refusa non-seulement de consentir à son mariage, mais le chassa de chez lui. Accablés sous le poids de leur chagrin, & ne sachant que devenir, Alphonse & son écuyer prirent le parti de se réfugier dans les Alpes, chez un vieil hermite ; & Adélaïde & sa suivante Isaure, se travestissant en chevaliers, partirent pour aller par monts & par vaux, sur les pas de leurs tendres amans.

Depuis cinq ans Alphonse cherche en vain dans la solitude à oublier son Adélaïde ; mais hélas ! quelle retraite peut faire oublier l'amour ? Le sien, bien loin de diminuer, augmente chaque jour, & il ne lui faut, pour le soutenir, que la vue du portrait de sa maîtresse, qu'il porte toujours sur son cœur. Olivier, comme de raison, se console plus aisément, & se laisse même distraire par les bachelettes du village où il va chercher les provisions. Ah ! dit-il, sur l'air de Jupiter un jour en fureur.

Dans le village, le matin,
Dès que j'entre, aussitôt les filles
Les plus jeunes, les plus gentilles
Viennent toutes d'un air lutin.
L'une me frappe sur l'épaule,
Je souris ; l'autre sans façon
Me tire par mon cordon :
Vraiment rien n'est plus drôle.

Le paysan André, qui vient de la ville chercher des écus pour son mariage, interrompt les agréables rêveries d'Olivier, qui, pour s'amuser, lui donne quelques inquiétudes sur le compte de sa Claudine ; mais André croit être aussi sûr d'elle, que du sac d'argent qu'il tient sur ses épaules ; ce qui lui fait dire, sur l'air des Dettes.

Dans 1' cœur d'eun' femme bien souvent,
    Sur-tout au siecle présent,
Gn'ia plus d'un locataire !
Mais Claudin' n'agit pas ainsi,
Et j'gag' que du sien dieu merci,
J'suis seul propriétaire !

André est si fatigué, si excédé, qu'il ne peut résister à l'envie de se reposer. Il s'assied, & s'endort en rêvant à sa maîtresse : par malheur pour lui, deux voleurs qui passent par-là , ne dorment pas, & n'ont rien de plus pressé que de lui enlever le sac qui lui sert d'oreiller. Ah ! dit-il alors, à demi-réveillé: Finissez donc mamzelle Claudine, vous me chatouillez.

Avant d'appercevoir André , les deux voleurs s'étoient, pendant quelques instans, entretenus ensemble, & l'un d'eux avoít même formé le dessein de devenir honnête homme ; son camarade avoit trouvé cela un peu fort, & le premier lui avoit répondu sur l'air, du serin qui te fait envie.

Mon ami rien n'est si facile
Que d'être homme de probité !
Seulement íl faut être habile ;
C'est l'unique difficulté.
Il en est plus d'un qu'on renomme,
Pour ses mœurs & pour ses vertus ;
Et qui cependant d'honnête homme
N 'a que le nom & rien de plus.

Cela a été dit mille fois, sans doute ; mais c'est encore piquant dans la bouche d'un voleur. André se réveille bientôt ; il crie au secours, & deux aimables chevaliers surviennent ; il les supplie de courir après les brigands, pour lui faire rendre son sac ; ils y réussissent, & le paysan se confond en remerciemens.

Or, nos deux gentils chevaliers ne sont autre chose qu'Adélaïde & Isaure. Où trouveront-elles les doux objets de leur tendresse ? à qui peuvent-elles les demander? Elles ont déjà fatigué, par leurs plaintes, tous les échos d'alentour.

Alphonse & Olivier paroissent ; ils trouvent les deux chevaliers bien jeunes pour la profession qu'ils ont embrassée ; ils leur font l'accueil le plus gracieux, & leur proposent de se rafraîchir, & de prendre quelques instans de repos dans leur hermitage ; ils acceptent. La tristesse qui regne sur le visage d'Alphonse, & le chagrin & la fatigue qui ont altéré sans doute les traits d'Adélaïde, empêchent ces deux amans de se reconnoître bien plus peut-être que leur travestissement en hermite & en chevalier ; mais ils s'inspirent mutuellement le plus vif intérêt, & ils se racontent leurs aventures en prenant un repas frugal.

A peine Adélaïde a-t-elle dit qu'elle est une fille infortunée, que de cruels parens séparerent de tout ce qu'elle aimoit ; à peine Alphonse a-t-il parlé du fameux tournois, où il fut couronné par la fille du sire de Montfort, que la reconnoissance la moins attendue a lieu, & que nos deux amans, ainsi qu'Olivier & lsaure, se réunissent pour toujours. Alors les paysans du village arrivent, on se réjouit, & l'on chante sur l'air du vaudeville des Visitandines.

Messieurs, l'auteur de cet ouvrage,
Tremblant de ne pas réussir,
Attend ici dans l'hermïtage,
Incertain s'il doit en sortir.
Car, Messieurs, si la réussite
Ne couronne pas son espoir,
Il a juré que, dès ce soir,
On le verroit se faire hermite.

Le public ne fut pas de cet avis, parce qu'il considéra sans doute que M. Théodore, qui manifeste de tems-en-tems des intentions comiques, & donne des espérances dans la carriere du vaudeville, ne devoit pas se séquestrer de la société, à laquelle il pourroit être un jour fort agréable. Aussi le demanda-t-on à grands cris, après avoir fait répéter le couplet que nous venons de transcrire, comme on avoit fait répéter tous ceux que nous avons précédemment cités.

Cependant, comme la critique doit être motivée en raison du plus ou moins grand degré d'intérêt que l'on prend à un auteur, nous dirons à M. Théodore que, dans la Chaumiere des Alpes, les accessoires étouffent le principal ; & c'est sans doute un défaut qu'il faudroit corriger, ou tout au moins un peu plus dissimuler. Nous ajouterons que cette piece offre des négligences dans le style, qu'il est nécessaire de faire disparoître. Nous allons en indiquer quelques unes.

André dit aux chevaliers : si vous voulez venir au village qui est à trois quarts de lieues d'ici, je vous amenerons chez nous. II faut nécessairement emmenerons. On peut avoir amené quelqu'un au lieu où l'on est ; mais on l'emmene de ce lieu dans un autre. Nous relevons cette faute, parce qu'elle est aujourd'hui très-commune, de même que le janotisme suivant.

Séparé, dit Alphonse, d'une amante que j'adorais, par l'ordre inhumain de son pere.... Cette tournure est d'autant plus vicieuse, qu'elle donne lieu à un contre-sens. Ce n'est point par l'ordre inhumain du pere d'Adélaïde, que ce chevalier adorait son amante; mais seulement qu'il en fut séparé. L'hermite dit encore : partons dès demain de ce séjour; mais n'auroit-il pas dû observer que l'on quitte un séjour & qu'on n'en part pas ? Nous ne pousserons pas plus loin ces remarques grammaticales, celles-ci doivent suffire pour rappeller à M. Théodore, & a beaucoup d'autres écrivains non moins exercés que lui, qu'ils doivent se piquer, sur toutes choses, de respecter la langue & de mettre de la justesse dans l'expression de leurs pensées ; si l'auteur, dont il est question ici, se l'étoit rappellé ce précepte, il n'auroit pas fait dire à un de ses personnages, pourquoi faut-il que toujours à la fleur succede l'épine ? Car le fruit seul succede à la fleur ; l'épine existe en même-tems qu'elle.

La Chaumiere des Alpes a été jouée avec beaucoup d'ensemble, & cette piece est fort bien mise,

César : vaudeville en 1 acte, d'auteur inconnu. Première le 17 septembre 1793. 13 représentations jusqu'au 29 novembre 1793.

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