Le Camp de Sobieski ou le Triomphe des femmes

Le Camp de Sobieski, ou le Triomphe des femmes, opéra-comique en deux actes, paroles de M. Dupaty, musique de M. Kreutzer ; 19 avril [1813].

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

Camp de Sobieski (le) ou le Triomphe des femmes

Genre

opéra comique (comédie mêlée de chants)

Nombre d'actes :

2

Vers ou prose ?

en vers

Musique :

oui

Date de création :

19 avril 1813

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Emmanuel Dupaty

Compositeur(s) :

Rodolphe Kreutzer

La date indiquée est celle que donnent Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 288. Date confirmée par le Journal de Paris. Pièce jouée jusqu’en 1814.

Almanach des Muses 1814.

Sujet si léger, qu'il se refuse presqu'à l'analyse.

Des vers heureux, et une musique fraîche et brillante, ont mérité à cet ouvrage un succès agréable.

Sur la page de titre de la brochure,Paris, chez Mme Masson, 1815 :

Le Camp de Sobieski, ou le Triomphe des femmes, comédie en deux actes et en vers, mêlée de chants ; Par M. Emmanuel Dupaty, Musique de M. R. Kreutzer. Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Impérial de l'Opéra-Comique, par les Comédiens ordinaires de S. M. l'Empereur et Roi, le 21 Avril 1813.

Le critique du Journal de Paris, le 20 avril, a été confronté à un terrible dilemme : il lui fallait choisir entre deux premières dans deux théâtres importants, celle de Ninus II de Briffaut et celle du Camp de Sobieski. Il a choisi la neutralité, et il a fait un article composé seulement des bruits qu'il a pu recueillir en se plaçant à égale distance des deux théâtres. Le résultat est plutôt amusant, et semble marquer nettement sa préférence pour Ninus II, même si le Camp de Sobieski n'a pas été mal accueilli.

Journal de Paris,, n° 112 du 22 avril 1813, p. 2-3 :

[Après un article amusant, un article sérieux, entièrement dédié à la pièce de Dupaty et Kreutzer. Elle a connu le succès, mais ce succès aurait été bien plus net si Dupaty n'avait pas été obligé de transposer en Moldavie son intrigue. La confusion avec un bon mot de Charles XII de Suède oblige à faire de Sobieski un ennemi des femmes qu'il n'était pas. L'intrigue est confuse (et le compte rendu ne simplifie pas la compréhension). Elle comprend beaucoup d'éléments inutiles (« beaucoup trop de détails oiseux, et comme je l’ai dit, plusieurs scènes inutiles »). En plus, la pièce est écrite en vers, ce qui ne convient pas à l'Opéra-Comique, qui exige vérité et naturel. C'est la musique de Kreutzer qui égaie une pièce « qu’un style prétentieux était sur le point de refroidir ». L'article s'achève par des propos un peu ambigus sur interprétation : des couplets bien chantés, et un héros représenté par un acteur qui ne pouvait pas le sauver...]

THÉATRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.

Le Camp de Sobieski, opéra en deux actes.

Un auteur est bien malheureux lorsque des circonstances impérieuses, mais respectables, l'obligent de dénaturer son ouvrage, de changer le lieu de la scène, d’appliquer à d’autres personnages les caractères qu’il a tracés, de lier entr’eux une foule de traits nécessairement disparates, enfin de promener son action de l’est à l’ouest, et du nord au midi, jusqu’à ce qu’il ait trouvé la place où il lui est permis d’établir sa prose ou ses vers. Il résulte de ce travail, le plus pénible que je connaisse, une foule d’incohérences que l’art le plus subtil a bien de la peine à sauver ; le public en est frappé, il les condamne avec sa légèreté ordinaire, et par malheur le public n’a jamais tort, car c'est le seul juge qui ne soit pas obligé de tout savoir.

J’ai annoncé le succès de Sobieski ; mais il y a à parier que ce succès eût été dix fois plus brillant si M. Dupaty, maître de ses premières idées, n'eût pas été forcé de courir le monde avec son héros, et de le fixer prés de Jassy sous la pelisse et le turban polonais.

Sobieski assiège en Moldavie je ne sais quelle place, Ebernoff ou Estéroff, au secours de laquelle est venu le roi Auguste avec sa maîtresse Théodora, et une petite armée fort mal payée. Deux patrouilles qui ouvrent la scène nous apprennent que Sobieski hait les femmes et le vin, tandis que ses soldats aiment beaucoup l'un et l'autre. Une bombe dirigée sur la tente du monarque l’entr’ouvre tout-à-coup et nous montre Sobieski jouant aux échecs avec un jeune français. Le mot si connu de Charles XII, Qu’a de commun cette bombe avec ma lettre, est placé ici dans la bouche du roi de Pologne ; il n’y a pas grand mal à cela , les deux rois étaient deux braves aussi fameux l’un que l’autre. Mais Sobieski, époux et père, ne devrait pas déclamer contre les femmes aussi fortement qu’il le fait ; sa déclamation est interrompue par un courier [sic] de l'ennemi que l’on vient de surprendre, mais le lutin a avalé ses dépêches. Arrive un autre épisode d’un soldat polonais qui a tiré sur le roi pendant la nuit, et puis enfin l’annonce d'un chariot rempli de femmes, dont l’une a aussi tiré sur la sentinelle du camp.

Ces femmes sont Théodora, la maîtresse du roi ennemi, sa femme de chambre, espiègle très-divertissante, et plusieurs autres dames de sa suite. La généreuse Théodora, témoin de la détresse d’Auguste, a quitté son camp ; elle a couru vendre ses pierreries et plusieurs riches propriétés qu’elle possédait en Moldavie ; elle en rapportait le prix à son amant lorsqu’elle a été arrêtée. Il s’agit donc de sauver ce trésor, déposé dans son chariot, et d’avertir Auguste de ne pas se décourager. La rencontre du courier retenu comme elle dans le camp, lui en offre l’occasion. Ce courier, dans une jolie scène d'écho, souvent employée sur plusieurs théâtres, avertit Théodora qu’il est à son service, pourvu qu’on lui fournisse le moyen de sortir du camp. C'est de quoi se charge l’espiègle soubrette : une promenade et deux baisers donnés au major de l’armée favorisent la fuite du courier. Mais cette promenade avec des femmes excite la colère de Sobieski ; il ordonne que la suite de la princesse soit expulsée du camp. La soubrette réclame du moins la faveur de ne pas voyager à pied : le chariot lui est accordé. Théodora restée seule avec le monarque polonais, cherche à se réconcilier avec Auguste. Non, dit Sobieski, il a trop blessé mes intérêts ; d’ailleurs, mon triomphe s'apprête ; Auguste, privé de vivres et d’argent, touche à sa ruine. — Vous vous trompez, répond Théodora, Auguste vient de recevoir un trésor, et c’est vous qui le lui avez envoyé en faisant partir mon chariot. Le bruit du canon et une lettre d’Auguste Iui-même, qui demande une paix honorable/confirme ces paroles ; Sobieski se rend, et convient du mérite des femmes.

Ce sujet ne manque ni de grâce ni d’intérêt, mais il est péniblement développé ; il offre beaucoup trop de détails oiseux, et comme je l’ai dit, plusieurs scènes inutiles, telles sont 1es scènes de galanterie du jeune français avec Théodora que je n’ai pas même mentionnées dans l’analyse. La pièce est écrite en vers, c’est un tort de plus ; les vers cconviennent difficilement à l’Opéra-Comique ; s’ils amènent quelques traits piquans ou même trop gais, ils nuisent presque toujours à la vérité et au naturel qui doit être le premier charme de ce genre de production. La musique de Kreutzer a souvent égayé des scènes qu’un style prétentieux était sur le point de refroidir. Les amateurs ont applaudi avec plaisir le joli trio des paroles transmises, ainsi que les couplets de Moreau et de Mme Boulanger. Huet a nobleme nt représenté Sobieski ; ce n'est pas de sa faute si ce grand homme n'est pas plus brillant dans cette action.          M.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1813, p. 280-282 :

[Comme la pièce est censée se dérouler en Pologne, il faut bien que le critique conteste le fondement historique de la pièce, et souligne la ressemblance de l’héroïne avec la « célèbre comtesse de Kœnigsmark, mère de notre illustre maréchal de Saxe ». Il s’agit pour cette Théodora d’introduire de l’argent dans une ville assiégée pour secourir son amant qui lui est pourtant infidèle. Le critique a vu dans la pièces « des situations intéressantes, hélas gâchées par « un mouvement de troupes continuel et des alertes répétées sur de trop légers motifs ». Le personnage de Sobiesky ne convainc pas le critique. Par contre il apprécie que la pièce soit en vers, et de bons vers, dus au talentueux Dupaty. Pour la musique, il y en a peu, mais elle est digne de Kreutzer son auteur.]

Le Camp de Sobiesky, ou le Triomphe des Femmes.

Des patrouilles de hulans et de soldats de toutes armes, coiffés de la toque polonaise ou du bonnet tartare, peuvent faire croire, au lever de la toile, que l'on est dans le camp du roi de Pologne : une bombe qui vient tomber sur la tente du prince, tranquillement occupé de son jeu d'échecs, et qui ne lui arrache que ces mots « Qu'a de commun cette bombe avec notre partie ? » peut faire imaginer, plutôt, que l'on est enfermé dans Stralsund avec Charles XII. Mais la substitution des échecs à la lettre n'est pas la seule licence que se soit permise l'auteur de la pièce nouvelle. Dans un fort qui occupe le fond de la scène, est renfermé un autre prince : on n'apprend pas sans quelque étonnement que c'est le roi Auguste, qui se trouve ainsi assiégé par Sobiesky, son prédécesseur immédiat, et mort conséquemment avant son élection. L'auteur est un homme d'esprit trop connu pour qu'on puisse le soupçonner d'avoir besoin de recourir à l'excuse du pauvre Pradon, qui avouait ne pas savoir la chronologie. Je suppose donc qu'il a eu ses raisons pour introduire quelques variantes dans l'ordre des temps et le nom des personnages. C'est ainsi, par exemple, que sous celui de la belle Théodora, quelques spectateurs auront pu reconnaître cette célèbre comtesse de Kœnigsmark, mère de notre illustre maréchal de Saxe : douée d'autant d'esprit que de beauté, cette femme était plus capable que bien des ministres de faire réussir une négociation. Auguste la chargea de la mission la plus délicate auprès de Charles XII. Ce prince inflexible refusa constamment de la voir. Elle prit ses mesures pour le rencontrer, un jour, dans un sentier fort étroit ; elle descendit de voiture dès qu'elle l'apperçut ; le roi la salua sans lui dire un seul mot, tourna la bride de son cheval , et s'en retourna dans l'instant. Voltaire, qui rapporte ce trait, cite aussi des vers français où la belle comtesse caractérise parfaitement Charles XII :

. . . .. Chacun des dieux, discourant à sa gloire,
Le plaçait, par avance, au temple de mémoire ;
Mais Vénus ni Bacchus n’en dirent pas un mot.

Théodora ne se montre pas moins ingénieuse : les soldats d'Auguste sont révoltés, parce qu'il ne les paie plus. Quoique trahie par cet amant infidèle, la généreuse princesse convertit toute sa fortune en or et en billets, en remplit sa voiture, traverse hardiment le camp de Sobiesky, force ce monarque à l'écouter, malgré l'aversion pour les femmes que lui prête l'auteur, et parvient enfin à introduire son trésor dans la place assiégée.

Il y a, sans doute, des situations intéressantes dans cet ouvrage, et elles ressortiraient peut-être davantage, sans un mouvement de troupes continuel et des alertes répétées sur de trop légers motifs. Le grand Sobiesky ne fait-il pas bien de l'honneur à une petite garnison de trois mille hommes qui hasarde une sortie, quand il se met lui-même à la tête de ses troupes pour la faire rentrer dans le fort, et qu'au préalable il invoque à genoux l'assistance du dieu des armées, comme s'il s'agissait de sa couronne ou de sa vie ?

La pièce est écrite en vers, mérite devenu rare à l'Opéra-Comique : ils sont généralement faciles ; plusieurs sont remarquables par l'esprit ou la grace. On le croira facilement, lorsqu'on saura que M. Dupaty en est l'auteur.

La musique n'offre que très-peu de morceaux, mais ils sont dignes de M. Kreutzer. L'ouverture, des couplets charmans de Mme. Boulanger et de Moreau, et surtout un trio d'un excellent style, ont été applaudis avec transport. Mme. Boulanger est extrêmement piquante dans le rôle d'une jeune personne folâtre, vrai page femelle plus encore que petite Roxelane.

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