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L'Entrée dans le monde

L'Entrée dans le monde, comédie en 5 actes, en vers, de Picard. 27 Prairial an 7 (15 juin 1799).

Théâtre de l'Odéon transféré à la Cité

Titre :

Entrée dans le monde (l’)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

27 prairial an 7 (15 juin 1799)

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon transféré à la Cité

Auteur(s) des paroles :

Picard

Almanach des Muses 1800

Madame Dupré est ruinée, elle veut réparer sa fortune en mariant Aglaé, sa fille, à Dumont. Celui-ci a vu le piége, et ne s'y est pas laissé prendre. Madame Dupré n'a plus d'autre ressource que d'ouvrir une maison de jeu sous le nom de madame de Saint-Allard. Cependant elle songe toujours à marier sa fille, et a jeté les yeux sur Theligny, jeune homme fort riche, qu'elle sait lié avec Fabrice et Sophie, ses neveux et nièce. Elle attire ses parens chez elle, en les engageant à quitter la campagne qu'ils habitent. Theligny les accompagne d'autant plus volontiers, qu'il est amant aimé de Sophie. Fabrice et Sophie sont jeunes encore, ils ont besoin d'un guide, ils espèrent le trouver dans ce Clermont qui a refusé la main d'Aglaé. leur arrivée chez madame de Saint-Allard enfait chasser un intrigant appelé Dabblanville ; la chambre qu'il occupe est destinée au domestique de Theligny. Ce Dabblanville sachant que Theligny est très-riche, et que madame de Saint-Allard a des vues sur lui pour sa fille, cherche à s'emparer de l'esprit du jeune homme ; il le séduit par de beaux dehors, et se rapproche en même temps de madame de Saint-Allard, en lui promettant de l'aider à conclure le mariage qu'elle projette. Theligny, dupe de l’intrigant, néglige Sophie et s'occupe d'Aglaé. Il est aux pieds de celle-ci lorsque la mère le surprend, l'accable de reproches, et exige de lui un dédit, dans le cas où il ne deviendrait pas son gendre. Sophie, qui sait tout, va s'éloigner avec son frère, lorsque Clermont, leur ami, paraît, et révèle les projets, la conduite de madame de Saint-Allard. Cette femme veut se faire un titre du dédit de Theligny, mais il est resté dans les mains de Dabblanville, qui, après l'avoir rédigé et fait signer, n'a point voulu s'en dessaisir sans une récompense. L'intrigant, pour se mettre bien dans l'esprit de Clermont, rend le dédit, et accuse madame de Saint-Allard, qui, ne gardant plus de mesure, l'accuse et le démasque à son tour. Ils sortent. Sophie pardonne à son amant ses légers torts, et lui accorde sa main.

Pièce qui fait honneur au C. Picard. Des scènes bien faites, des vers heureux, du vrai comique. Mais à qui l'auteur persuadera-t-il que l'entrée dans un tripot ou dans un mauvais lieu, soit l'entrée dans le monde ? Une pièce sous ce titre reste encore à faire, même après la sienne.

Sur la page de titre de la brochure, deuxième édition, Paris, chez Huet, an X :

L'Entrée dans le monde, comédie en cinq actes, en vers ; Représentée, pour la première fois, par les Comédiens sociétaires de l'Odéon, sur le théâtre de la Cité, le 27 prairial an 7. Par L. B. Picard.

Cereus in vitium flecti, monitoribus asper.

Horat. de arte poëtica.

Seconde édition.

Courrier des spectacles, n° 845 du 28 prairial an 7 [16 juin 1799], p. 2-3 :

[La première représentation de la nouvelle pièce du prolifique Picard a failli mal tourner, à cause d’une scène jugée scandaleuse (un jeune homme aux pieds d’une jeune fille, sans l’agrément de sa mère, quelle immoralité !). Mais le critique souligne l’injustice d’une telle appréciation, qu’il estime venir d’une volonté délibérée de nuire à l’auteur plus qu’à la pièce, qui a finalement « obtenu le succès le plus brillant et le plus mérité ». Autre incident, sans conséquence par ailleurs, une odeur de brûlé a fait craindre un incendie (et on sait que les théâtre du temps sont très inflammables, et que les spectateurs ont de bonnes raisons de craindre de mourir dans ce genre d’accident. Mais c’était une fausse alerte. L’article entame ensuite le résumé d’une intrigue fort compliquée, qui se passe dans le milieu un peu louche des maisons de jeu. Cette intrigue permet de voir comment fonctionnait le choix d’un époux, à la recherche de la fortune. Bien sûr, l’amour finit par triompher (on est dans une comédie), mais on apprend avec intérêt de ce qu’est un dédit, moyen de contraindre à un mariage, ou de réaliser une très bonne affaire. Le jugement porté sur la pièce est largement positif, même si le critique trouve qu’on y voit beaucoup d’événements en une journée. Mais il faut bien respecter la règle de l’unité de temps, même si elle conduit à bousculer le rythme normal des choses. Les personnages se partagent entre les immoraux (mais ils reflètent bien les mœurs du temps) et les moraux. Picard a fait là sa meilleure comédie. Et elle a été servi par une distribution remarquable.]

Artistes sociétaires de l’Odéon réunis à la Cité.

Courage ! courage, Picard ! On pouvoit attendre beaucoup de l’auteur de Médiocre et Rampant ; mais en passant les espérances des amateurs de la vraie comédie, tu viens de leur en donner de nouvelles ; ils te devront le retour de Thalie. En vain des envieux avoient rassemblé hier contre toi la cabale la plus intrépide, trois actes et demi généralement applaudis auroient dû détruire leur espoir : une scene hasardée a réveillé leur audace, ils ont cru triompher, mais les coups de sifflets sont partis trop tôt pour ne pas trahir l’intention perfide. Les soutiens du bon goût étoient là. Les applaudissemens ont comprimé les murmures : une scène mauvaise a été rachetée par vingt bonnes. L’intérêt que tu as sçu inspirer a maîtrisé jusqu’à la crainte d’un danger pressant, et ta nouvelle comédie, l’Entrée dans le Monde, a obtenu le succès le plus brillant et le mieux mérité.

Que vont dire ces messieurs qui naguères me signaloient comme le chef des siffleurs en voyant qu’aujourd’hui je m’oppose aux sifflets : qu’ils ne croyent pas que je désavoue l’article inséré dans cette feuille, dans lequel j’ai prétendu qu'un mauvais ouvrage devoit être sifflé. Mais je soutiendrai de même, qu’un ouvrage bien conçu, bien conduit, ne peut, pour une tache même forte, mais aisée à faire disparoitre, être confondu avec ces ouvrages informes et révoltans, digne fruit d’une imagination exaltée, et de ces esprits qui ne sont novateurs que parce qu’ils manquent de capacité pour marcher suivant les règles, et sur les traces du bon goût.

Avant d’essayer d'analyser cette nouvelle comédie, je dois apprendre à mes lecteurs qu’à peine les sifflets, qui s’étoient faits entendre à une des scènes du quatrième acte, furent appaisés, on sentit dans la salle une odeur de feu qui, augmentant peu-à-peu, jetta tellement l’épouvante que la majeure partie des spectateurs se disposoient à sortir. Le théâtre se remplit bientôt de tous ceux qui garnissoieut les coulisses, et d’un grand nombre de personnes parmi lesquelles on remarquoit des pompiers et un officier de garde : celui-ci étant parvenu à se faire écouter du public, lui dit que l'odeur de feu qui causoit tant d’effroi avoit été occasionnée par un mouchoir qui avoit été brûlé : alors le calme se rétablit et la pièce fut entendue au milieu des plus vifs applaudissements.

Mad. Dupré, après avoir mangé toute sa fortune, a voulu, pour la réparer, marier Aglaé, sa fille, au fils de Clermont, homme riche, mais dont l’esprit sage a sçu prévoir et éviter le piège qu’on lui tendoit. Trompée dans son attente et poursuivie par ses créanciers, Mad. Dupré n’a eu d’autre ressource que de changer de nom, et sous celui de Mad. de Saint-Allard, elle a ouvert une maison de jeu où elle fait passablement ses affaires. Devenue plus heureuse, Mad, Dupré, maintenant de St-Allard, n’a pas oublié ses projets de fortune, fondés sur le mariage de sa fille. Elle a jetté les yeux sur un jeune homme puissamment riche, nommé Thérigny. Il a eu occasion de voir Aglaé à la campagne, et Mad. de St Allard profite des liaisons de Fabrice et Sophie, ses neveu et nièce, avec le jeune Thérigny pour attirer celui-ci chez elle, en engageant ses parents, qui sont sans fortune, à venir habiter sa maison. Le riche héritier les accompagne d’autant plus volontiers, qu’il est l’amant aimé de Sophie. Nos trois jeunes gens arrivent de la province à Paris avec toute l’inexpérience que peuvent avoir à vingt-deux ans des jeunes gens élevés loin de la capitale. Ils espèrent y trouver un ami de la nièce de Thérigny, qui doit leur servir de Mentor : cet ami est ce même Clermont, mais à qui, pour de bonnes raisons, la maison de Mad. de St-Allard est soigneusement fermée. Au moment où nos jeunes gens arrivent chez Mad. de St-Allard, elle congédie un intrigant nommé Dabblauville, parce qu’elle a besoin de sa chambre pour loger le domestique de Thérigny. Dabblauville non moins fripon, mais plus adroit que son hôtesse, n’a pas plutôt appris par Justine, suivante de la maison, et la fortune du jeune Thérigny, et les vues de Mad. de St-Allard sur lui, qu’il forme le projet de s’emparer de ce nouveau débarqué. De faux dehors de probité trompent aisément Thérigny ; il se livre sans réserve à l’intrigant, en fait son ami, son guide, oublie bientôt pour lui les amis qu’il a accompagnés, et lui loue un appartement dans la maison de Mad de St-Allard, celle-ci accepte les offres que lui fait Dabblauville de l’aider à faire épouser sa fille à Thérigny. Ce dernier continuellement environné de Dabblauville, et de deux autres amis de ce fripon, passe une partie du lendemain de son arrivée loin de Sophie qui ne lui est plus si chère depuis qu’il a vu Aglaé, et qu’on lui a peint ses jeunes amis comme n’ayant d'autre dessein que de partager sa fortune. Surpris par Mad. de St-Allard aux pieds de sa fille, les reproches les plus vifs l’accablent (*) : il n’obtient son pardon qu’en signant un dédit considérable dans le cas où il ne l’épouseroit pas. La tendre Sophie sait tout : la jalousie bien légitime qui l’agite la décide à s’éloigner avec son frère : elle va partir, mais Clermout a forcé la consigne ; il a tout découvert, et démasque Mad. de St-Allard. Sans se déconcerter elle se fait un titre du dédit, mais il est resté entre les mains de Dabblauville qui, après l’avoir rédigé et fait signer, n’a point voulu s’en désaisir sans avoir reçu une honnête récompense. L’intrigant espérant se faire bien venir de Clermont, lui rend le dédit, en accusant Mad. de St-Atlard, mais celle-ci n’ayant plus de ménagement à garder, le démasque à son tour : les deux fripons sont éconduits. L’indulgente Sophie oublie les torts de son amant.

Cette comédie a peut-être le défaut que les évenemens y sont trop précipités. Il est difficile que tant de choses puissent se passer dans l’espace de vingt-quatre heures. Mais elle est conduite avec beaucoup d’art, et si le personnage de Mad. St.-Allard, ainsi que celui d’Aglaé ne sont pas toujours très-décens, on ne peut disconvenir que ce ne soit une peinture trop vraie de nos mœurs. Les rôles de Clermont, de Fabrice, de Sophie, même celui de Thérigny offrent une excellente morale. Cet ouvrage, généralement bien écrit, l’est souvent avec force, et paroît en ce point bien supérieur aux autres comédies du citoyen Picard. On y trouve grand nombre de vers très-heureux et du meilleur comique.

Tous les personnages sont bien remplis : le citoyen de Vigny, chargé de celui de Thérigny, a obtenu tous les suffrages. On a vu avec grand plaisir paroitre la citoyenne Josset, qui étoit autrefois au théâtre de Monsieur. Elle a parfaitement saisi l’esprit de ce personnage, et y a reçu les plus vifs applaudissemens.

Le Pan.

(*) Cette scène amenée avec intention par Mad. de St-Allard a révolté par son atrocité. C’est celle qui a excité les sifflets.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an VII, quatrième trimestre, n° 28 (10 Messidor), p. 46-50 :

[Long compte rendu, dont on peut retenir quelques idées fortes : le besoin de rapprocher l’intrigue d’une œuvre antérieure (ici, la référence, c’est Jeannot et Colin, pourquoi pas ?), quelques réserves sur les personnages trop peu fouillés, un jugement positif sur le style, « celui de la bonne, de la vraie comédie », malgré quelques réticences compensées par des exemples montrant « un bon comique », authentiquement moral (la morale dans les pièces, ce n’est pas dans des discours qu’elle doit figurer, mais « sous la forme piquante d'un dialogue naturel ». Le critique défend la pièce contre le reproche d’immoralité : il faut peindre le vice pour le faire haïr. Seule le titre aurait gagné à être plus précis (le monde où entre Thérigny, ce n’est pas vraiment le monde). Mais le bilan est clairement positif. Et elle a été remarquablement servie par les acteurs, dont trois sont nommément désignés.]

Théâtre Français, quartier de la Cité.

Les Comédiens du ci-devant Odéon viennent de se réunir encore, et d'obtenir enfin le droit de jouer sur le théâtre de la Cité. Aux nombreuses contrariétés qui les ont déjà poursuivis, se joint encore celle d'avoir perdu Saint-Phal, Saint-Prix et la Citoyenne Simon ; mais rien ne décourage leur zèle, et cette résignation, cet amour de leur Art, ces sacrifices renouvellés, leur attirent à juste titre les égards et la bienveillance du public : obligés de renoncer à la tragédie, ils redoublent d'efforts pour élever au moins un second théâtre comique, et jusqu'ici le succès paraît répondre à leurs espérances.

La scène, grâce à leurs soins, vient de s'enrichir d'une pièce de plus, en cinq actes et en vers, que nous devons au fécond et spirituel auteur de Médiocre et rampant, le C. Picard. Voici le sujet de sa pièce, intitulée d'une manière peut-être un peu vague, l'Entrée dans le monde.

Madame Dupré, femme intrigante, vivant à-peu-près d'industrie et du jeu, démasquée en province, ainsi que sa fille Aglaè, pour quelques aventures scandaleuses, est venue se réfugier à Paris sous le nom supposé de madame Saint-Allard. Fabrice, son neveu, et sa nièce Sophie, ruinés par des circonstances malheureuses, se rendent à Paris chez cette tante, à laquelle sa maison de jeu et ses intrigues donnent momentanément quelques ressources ; ils amènent avec eux le jeune Thérigny, amant aimé de Sophie, possesseur d'une fortune considérable, à l'âge de vingt-deux ans, et que sa mère envoie à Paris pour y achever son éducation, sous la surveillance d'un bon et loyal militaire nommé Clermont. La richesse de Thérigny devient pour madame Saint-Allard un aiguillon puissant, qui lui fait concevoir le projet de s'emparer du jeune homme, et d'en faire l'époux de sa fille : celle-ci se prête volontiers à cette nouvelle intrigue : par malheur pour madame Saint-Allard, un intrigant, tout aussi adroit qu'elle, s'empare de la tête et du cœur du jeune Thérigny, en lui promettant de le guider dans le monde, et surtout en l'éblouissant par l'appât de tous les plaisirs qu'il lui fera connaître : et madame Saint-Allard est obligée en conséquence de ménager ce Dablanville, et de le mettre de moitié dans ses projets.

Armés ainsi de leur double séduction, nos deux corrupteurs parviennent à faire en un jour oublier à Thérignj son devoir, les soins de Clermont, l'amitié de Fabrice et l'amour de Sophie : il est entraîné successivement par madame Saint-Allard et par Dablanville dans des sociétés corrompues qu'il trouve charmantes, à un dîner en mauvaise compagnie, à des parties de jeu où on lui escroque son argent ; on profite de sa facilité et d'une sorte d'ivresse, qu'on a fait naître à dessein, pour lui ménager un tête à tête avec Aglaé ; elle écoute son aveu, y répond avec coquetterie et l'enflamme ; il perd toute retenue, se jette à ses genoux ; madame Saint-Allard l'y surprend ; feint une grande colère, qui ne s'appaise que par la promesse d'épouser, et la signature d'un dédit de sa part, s'il se soustrait à cet engagement. Mais bientôt ce Clermont, qui cherche son pupille, vient à bout de pénétrer chez madame SaintAllard, la reconnaît pour cette madame Dupré, et sa fille pour cette Aglaé, avec laquelle son fils a été victime d'une pareille séduction ; il la démasque, et fait rougir Thérigny de son aveuglement : mais le dédit l'embarrasse, lorsque le fourbe Dablanville, qui s'en était muni pour sa sûreté vis-à-vis de madame Saint- Allard, croyant se faire un mérite de sa conduite, en détachant ses intérêts de ceux de sa complice, vient lui-même l'accuser et rendre le dédit. Cependant sa complice se venge en l'accusant à son tour ; les fourbes sont démasqués ; Thérigny revient en rougissant à Sophie, qui lui pardonne, et à Fabrice qui en fait autant ; les amans s'unissent, et Clermont devient le protecteur et l'ami de Thérigny, dont l'Entrée dans le monde a pensé lui devenir funeste.

Cette intrigue, dont la base est celle de Jeannot et Colin, est comme on voit très-nourrie et assez fortement tissue : les caractères auraient besoin d'être un peu plus adroitement dessinés ; les scènes de séduction du jeune homme, sont bien indiquées, mais sembleraient demander plus d'art, plus de connaissance du monde dans leurs développemens : les frippons y sont un peu trop crus, et leur dupe trop confiante ; Thérigny ne combat pas assez son penchant peu vraisemblable pour Aglaè ; et malgré l'adresse que l'auteur a employée pour motiver la scène du rendez-vous, et rendre Thérigny moins odieux, à raison d'un peu d'ivresse, on a trouvé qu'elle blessait les convenances, le fil se noue et se démêle avec intérêt et clarté : les oppositions de Thérigny et de Fabrice, de Clermont et de Dablanville, de la fausse et méchante Aglaê avec la sensible et franche Sophie, sont bien ménagées ; on n'éprouve pas, si l'on veut, à cet ouvrage un grand fonds d'intérêt ;; mais on n'y sent pas non plus ce vide que laissent la plupart des ouvrages modernes qui ne se sauvent souvent que par des détails.

Le style est souvent celui de la bonne, de la vraie comédie : il présente quelques incorrections, quelques phrases traînantes ou trop prosaïques ; mais il a le mérite rare d'être naturel ; si l'expression n'est pas toujours précise, au moins les pensées sont presque toujours justes ; il se trouve même par fois des tournures d'un bon comique, telle est celle-ci :

Quel est, dit Clermont à Thérignr, cet homme que vous appelez votre ami ; ce Dablanville ? Thérigny repond :

Que sais-je ? Tantôt fier, et tantôt patelin,
Il parle probité, vertu..........

Clermont l'interrompant.

C'est un coquin.

Cette saillie est excellente, et c'est ainsi que les bons auteurs font jaillir des observations morales sous la forme piquante d'un dialogue naturel. Un phrasier aurait dit : l'homme fourbe est celui qui parle le mieux et le plus souvent de vertu, de probité : on applaudirait de même, mais on ne rirait pas autant. Auteurs comiques ! mettez toujours vos leçons en action, et placez vos maximes dans la rapidité du dialogue.

On a fait, à l'ordinaire, le reproche d'immoralité à cette pièce, parce qu'elle peint des hommes vicieux ; mais pour faire haïr le vice, il faut pourtant bien le montrer. Le seul reproche raisonnable qu'on puisse faire à l'auteur, c'est d'avoir choisi un titre aussi vague : l'Entrée dans le monde semblait promettre la peinture des dangers de l'inexpérience contre les séductions du vice aimable et du monde corrompu ; mais la maison de madame Saint-Allard et de sa fille, ne peint point le monde, Dieu merci ; et comme je l'ai déjà dit, des écueils comme ceux qu'a offerts le C. Picard à son Thérigny, ne seraient pas très-dangereux pour tous les jeunes gens : il en est de plus réels, de plus masqués, de plus séduisans, qu'un observateur pourrait faire connaître, et que le C. Picard lui-même serait très-en état de peindre, s'il mûrissait davantage ses plans, et broyait plus long-tems ses couleurs : quoiqu'il en soit, la pièce fait beaucoup d'honneur à sa plume et à son cœur : elle réussit parfaitement; et l'on doit dire, à la louange des comédiens qui l'exécutent, que leur jeu ne laisse rien à désirer, et rappelle aux amis de la saine comédie les traditions du bon tems.

Le C. Vigny déploie un véritable talent dans le rôle de Dablanville. Les citoyennes Béfroy et Josset, toutes deux très-jolies, ont parfaitement saisi le caractère de leurs rôles ; et leur jeunesse ranime l'espoir du public, en lui rendant un peu moins sensible la perte que ce théâtre a faite de la citoyenne Simon.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 5e année, 1799, tome II, p. 229-232 :

Le compte rendu de cette pièce, qui est un succès brillant, s’ouvre par une analyse précise de l’intrigue. Suit un jugement d’abord positif : versification facile, « critique juste et fine des mœurs actuelles », puis critique, le plna étant accusé de présenter « plusieurs défauts essentiels » (la rapidité avec laquelle Térigni se laisse séduire par Aglaé, la ressemblance d’une scène avec une scène de Monsieur de Pourceaugnac, mais c’est pourtant une très bonne scène : le jugement est compliqué !). Autres reproches : le caractère Madame de Saint Allar, qualifié d’odieux, et la complicité de sa fille « dont la jeunesse et l'extérieur modeste intéressent » ; la présence, autour d’un jeune homme entrant dans le monde, de personnages uniquement négatifs, intrigants, agioteurs, « femmes malhonnêtes » : « au lieu de peindre des ridicules » (le rôle pédagogique de la comédie ?), il n’a peint que des vices, et il a négligé de punir ces « fourbes ». Tout cela n’empêche pas que la pièce ait « du mérite », et qu’il suffirait de « quelques coupures et quelques corrections » pour qu’elle soit « un bon ouvrage ». Elle est même un message d’espoir : il y a encore des auteurs de théâtre, qui écrivent autre chose que des drames qui sont loin de valoir la pièce de Picard (décidément, les critiques n’aiment pas le drame). Un ultime paragraphe rend hommage à plusieurs acteurs et actrices (mais pas tous : un acteur, trois actrices).]

ACTEURS DE L'ODÉON.

L'Entrée dans le monde, comédie en cinq actes, et en vers.

Cette comédie, jouée au théâtre de la Cité, par les acteurs réunis de l’Odéon, a obtenu le plus brillant succès. En voici l'analyse :

M.me Dupré, femme intrigante, après avoir perdu sa fortune, par suite de son inconduite, a été obligée de changer de nom ; elle se fait appeler M.me de S. Allar, et tient une maison de jeu. Le jeune Clermont avoit pensé être séduit par les intrigues de cette M.me Dupré et d’Aglaé, sa fille, qu'il aimoit ; mais son père, homme probe et clairvoyant, l'a arraché à leurs pièges.

Terigni, jeune homme que l'on veut former, est envoyé à Paris ; il y vient avec Sophie, son amante, et Fabrice, frère de Sophie : tous trois descendent chez M.me S. Allar, parente de Fabrice et de Sophie. Terigni est riche et jeune ; M.me S. Allar projette aussitôt de lui faire épouser Aglaé, qui emploie tout pour le séduire : elle est aidée, dans ses projets, par Dablanville, fripon adroit qui s'empare de Terigni, sous prétexte de l'enlever aux pièges de cette ville, et de le préserver des faux amis. Ce Dablanville l'entoure de gens pervers qui, sous de beaux dehors, captivent sa bienveillance, vivent à ses dépens, et le trompent au jeu. Le jeune Terigni se laisse entraîner, oublie Sophie, et fait, à Aglaé, une déclaration de son amour pour elle. M.me de S. Allar, qui avoit ménagé cette scène, le trouve aux genoux de sa fille, s'emporte et l'accuse de vouloir la séduire. Le foible jeune homme, étourdi de ses cris, se laisse engager et signe un dédit. Dablanville dresse l'acte et le garde. Clermont père a appris l'arrivée de Terigni, qui lui est fortement recommandé par ses parens ; il vient chez M.me de S. Allar, qu'il ne reconnoît pas, à cause de son changement de nom ; il apprend alors la manière dont son jeune ami a été séduit, les pièges qui l'environnent encore : le nom de M.me Dupré lui explique tout, et il éclaire le jeune imprudent sur les risques qu'il court. Dablanville, voyant M.me de S. Allar démasquée, tâche d'échapper par un subterfuge ; il remet à Terigni le dédit qu'il avoit pris, soupçonnant, dit-il, quelque tromperie ; mais M.me de S. Allar, n'ayant plus de ménagemens à garder avec lui, découvre toutes ses fourberies, et les deux intrigans, dévoilés l'un par l'autre, se retirent confus. Terigni revient à Sophie, qui lui pardonne, et ils fuient ensemble une ville où les trompeurs se couvrent du masque de l'hypocrisie, pour mieux tromper l'innocence crédule.

Tel est le fond de la comédie de l'Entrée dans le monde. La versification en est facile ; elle est écrite avec soin, et remplie d'une critique juste et fine des mœurs actuelles ; mais il y a, dans le plan, plusieurs défauts essentiels. Terigni est, à la vérité, jeune et étourdi ; mais il se laisse trop facilement entraîner: puisqu'il aime Sophie, et que rien ne s'oppose à leur union, on est surpris de voir que la coquetterie d'Aglaé le séduise si promptement. La manière dont Dablanville s'empare de sa confiance, ressemble un peu à celle dont Eraste renouvelle connoissance avec M. de Pourceaugnac. Cependant il faut convenir que cette scène est parfaitement filée, et que le rôle de Dablanville est écrit avec une originalité piquante.

Le caractère de M.me de S. Allar est odieux, et l'on voit, à regret, Aglaé,, aider sa mère dans une entreprise coupable. Cette même Aglaé, dans quelques scènes, a l'air de la candeur même, et, dans d'autres, affecte une coquetterie et un jargon qui font un contraste singulier dans sa conduite.

On regrette que l'auteur, en introduisant un personnage qui fait son entrée dans le monde, n'ait placé autour de lui que des intrigans, des agioteurs et des femmes malhonnêtes ; qu'au lieu de peindre des ridicules, il n'ait montré que des vices, et qu'il ait représenté comme des scélérats, tous les gens du monde : enfin, il est vrai que les fourbes sont démasqués, mais ils ne sont pas punis, et il semble qu'en sortant, ils se consolent par l'espoir d'en attraper un autre.

Malgré ces défauts, la pièce a du mérite, et pourra passer pour un bon ouvrage, lorsque l'auteur y aura fait quelques coupures et quelques corrections. Elle prouve qu'il y a encore des auteurs qui travaillent à soutenir l'art dramatique, et elle mérite assurément bien mieux son succès, que certains drames qui font courir la foule, qui n'ont pourtant exigé ni le même travail ni le même talent, et qui fourmillent de défauts bien plus considérables. L'auteur a été demandé. On est venu annoncer que la pièce étoit du C. Picard, qui a paru au milieu des applaudissemens.

Les acteurs méritent aussi des éloges. Le C. Vigni, chargé du rôle de Dablanville, l'a joué avec une originalité tout-à-fait plaisante ; aussi a-t-il été vivement applaudi. La C.e Josset, qui a repris la carrière du théâtre, a mis le plus grand naturel dans le rôle de Sophie ; et les rôles d’Aglaé et de la soubrette ont été très-bien joués par les C.nes Beffroi et Molière.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, tome XI, thermidor an 7 [juillet 1799], p. 192-196 :

[Le compte rendu commence par une longue et minutieuse analyse du sujet, avant-scène, puis intrigue. A plusieurs reprises, on y trouve des indices de l’opinion du critique, qui souligne la complexité de l’intrigue qui met en scène tout ce qu’il y a de trouble dans la vie sociale. Traité finalement de « long apperçu », ce long développement se prolonge par un jugement positif : la pièce a l’originalité de mettre au second plan l’indispensable intrigue amoureuse, ici « foible accessoire » au profit de la question sociale que pose l’Entrée dans le monde. L’important, c’est que la morale reste constamment préservée dans un monde immoral. La pièce est une vraie comédie, gaie et spirituel, avec un plan qui permet de sauver la morale toujours le couple gaieté/morale qui est la règle absolue de la comédie. La fin souligne qu’elle est le triomphe de l’auteur contre la malveillance dont il a été victime.]

THÉATRE DE LA CITÉ–VARIÉTÉS.

L'Entrée dans le Monde, comédie en cinq actes & en vers.

Une femme d'une fortune médiocre, habitante d'une petite ville éloignée de Paris, est mère de Fabrice , âgée de 22 ou 23 ans, & de Sophie, jeune fille, amante aimée depuis son enfance de Thérigni, né de parens riches, & destiné conséquemment à jouir d'une grande fortune. Le frère & la sœur sont appelés tous deux à Paris, chez madame Duprè, leur tante, qui veut profiter de sa fortune pour produire dans le monde son neveu & sa nièce. Cette madame Dupré a une fille qui se nomme Aglaé. Ruinée par des dépenses au dessus de ses moyens , elle a monté chez elle une maison de jeu. A l'aide de ses profits, elle conserve le ton d'opulence & cherche à marier sa fille. Les moyens qu'elle emploie je sont pas toujours exempts de reproches, & pour se garantir des suites, elle a changé son nom le Dupré en celui de Saint-Allard. Thérigni, ami de Fabrice & amant de Sophie , veut les suivre à Paris. Tous trois arrivent, & madame de Saint-Allard, qui connoît sa richesse, ne veut pas qu'il se sépare de ses amis, & le fait rester chez elle.

La réputation de richesse du jeune Thérigni le rend l'objet des spéculations de madame & mademoiselle de Saint-Allard, d'un certain Dablanville, fripon adroit qui demeure chez elle, & de plusieurs autres fripons subalternes.

Il est bon d'observer que tous ont leur motif personnel de s'emparer de la confiance de Thérigni, & que Dablanville, bien connu & craint de madame de Saint-Allard , reçoit l'ordre de sortir de chez elle, où il est logé gratuitement, sous prétexte que son logement est nécessaire à ses nouveaux hôtes. Cette première scène, pleine d'esprit & d'art, met d'abord les spectateurs au courant des mœurs & des principes de cette maison Elle est conduite de manière que madame de Saint-Allard, qui redoute l'adresse & la friponnerie de Dablanville, est forcée cependant de lui abandonner un autre appartement dans sa maison, & de se lier à lui pour concourir avec elle au mariage qu'elle projette de Thérigni avec Aglaé, & que de son côté Dablanville qui vient de recevoir une grave injure, s'unit à elle de bonne foi, pour parvenir à ce mariage.

Nous n'entreprendrons point de suivre toutes les trames employées par la mère, par la fille, par Dablanville, pour écarter Thérigni de la présence de Sophie & faire triompher dans son cœur les charmes d'Aglaé, ni le manège particulier de la mère & de la fille pour parvenir à leurs fins ; il nous suffira de dire que par des moyens naturels & simples, d'après les mœurs & les principes adoptés par cette foule d'intrigans, la simplicité de Thérigni est tellement abusée, que par degrés on le conduit à souffrir avec impatience les représentations de Fabrice, son ami, à le soupçonner même de ne lui être attaché que pour l'intérêt de sa sœur, à balancer dans son cœur les charmes d'Aglaé & de Sophie, à se jeter aux pieds d'Aglaé & y être surpris par sa mère, à consentir à l’épouser, & enfin à signer un dédit dans le cas où quelques circonstances s'opposeroient à cette union.

Fabrice & sa sœur qui ne peuvent joindre Thérigni, que Dablanville promène dans Paris, & que madame de Saint-Allard occupe ensuite dans sa maison avec Aglaé, prennent le parti de se retirer ; ils annoncent leur départ à leur tante, à Thérigni lui-même, qu'ils rencontrent dans la maison. Thérigni, qui n'est pas entièrement dégage de son amour pour Sophie, qui s'étonne même d'avoir été conduit si loin avec Aglaé, touché de la modération des reproches du frère & de la sœur, & des marques d'attachement qu'ils ne cessent l'un & l'autre de lui témoigner, est dans l'état le plus violent, lorsque Clermont, ancien militaire ami de son père, qui a découvert le véritable nom de madame de Saint-Allard, & qui ne l'avoit connue que sous celui de madame Dupré, dévoile l'intrigue de cette femme , pour faire marier Aglaé à son fils, & éclaire d'une manière non équivoque l'esprit & le cœur de Thérigni.

Le dédit a amené une scène fort plaisante entre madame de Saint-Allard & Dablanville. Ce dernier ne veut le rendre à madame de Saint-Allard qu'en payant ; & comme elle n'a point d'argent, il le garde. Témoin de l'éclat de la scène entre elle & Clermont, & voulant en profiter, il se scandalise, adresse ses reproches à madame de Saint-Allard, qu'il a toujours prise pour une honnête femme, & rend le dédit à Clermont. Madame de saint-Allard, n'ayant plus de ménagement à garder, traite Dablanville comme il le mérite ; & tous deux, bien appréciés, sont quittés par Clermont & ses jeunes protégés. Sophie , qui n'a point cessé d'aimer Thérigni, ne lui fait point attendre son pardon, & tous partent pour se rendre chez Clermont, où l'époque du mariage sera arrêtée.

On voit, d'après ce léger apperçu, la tâche que l'auteur s'est imposée. L'intrigue amoureuse qui, dans une comédie ordinaire, fait le fond de la pièce, n'est ici qu'un foible accessoire ; toute [sic] l'intérêt porte sur la marche, la fertilité & la nature des moyens employés par l'intrigue ; combien ce genre exige-t-il de ressources chez l'auteur ! Il a su, pendant 5 actes, faire tourner sans l'avilir, un jeune homme vertueux & ingénu, dans les mains d'une troupe de fripons, qui parviennent à leur but, & toujours par des moyens simples & naturels ; il a su varier les situations, & y répandre la gaieté & le sel de la vraie comédie. Nous ajouterons que le plan est combiné de manière que la saine morale, loin de souffrir aucune atteinte, y est toujours en action. L'auteur a été demandé ; on est venu annoncer le C. Picard, qui n'est encore connu du public que par des succès. On a voulu le voir ; il a paru au milieu d'applaudissemens d'autant plus flatteurs, qu'on a voulu le venger de la malveillance à laquelle il avoit échappé.

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