L'Erreur reconnue

L'Erreur reconnue, drame en trois actes et en prose, de Gersain et Année, 14 Ventose an 11 [5 mars 1803].

Théâtre Français, rue de Louvois

De façon assez inexplicable, l’Erreur reconnue a été l’objet, sous le titre erroné de l’Innocence reconnue, d’un compte rendu dans la Décade philosophique, littéraire et politique, n° 18 du 30 ventôse an XI [21 mars 1803], p. 567-569, et cet article a été largement repris dans l’Esprit des journaux français et étrangers, trente-deuxième année, ventôse an XI [mars 1803], p. 183-187.

Il est possible qu'il y ait un troisième auteur, Dubois ou Alexandre Duval. Dubois est sugéré comme collaborateur à la pièce dans l'article de la Décade philosphique consacré à la pseudo Innocence reconnue.

Titre :

Erreur reconnue (l’)

Genre

drame

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

14 ventôse an 11 [5 mars 1803]

Théâtre :

Théâtre Français, rue de Louvois

Auteur(s) des paroles :

Gersain et Année

Almanach des Muses 1804

M. Bouilly avait, disait-on, altéré un fait historique dans son drame, intitulé : L'Abbé de l’Épée. Gersain et Année ont voulu présenter ce fait dans son vrai jour, en donnant l'Erreur reconnue. Cette seconde pièce, quoiqu'elle ait été vue avec plaisir, n'a pas eu le même succès que la première.

Courrier des spectacles, n° 2191 du 15 ventôse an 11 [6 mars 1803], p. 2 :

[L’Erreur reconnue revient sur une affaire célèbre déjà traitée dans l’Abbé de l’Epée, « fait historique » de Bouilly, joué au Théâtre de la République à la fin de 1799. Le critique tient à préciser que ce qui sépare les deux pièces, c’est que celle de Bouilly est plus habile, mais moins respectueuse de la vérité : la pièce nouvelle, sur un théâtre moins prestigieux, respecte l’exactitude des faits (les noms des personnes ont été conservés pour ceux qui sont décédés). Suit un assez long résumé de la façon dont cette affaire a été traitée, comment l’erreur des juges a été découverte, et comment l’innocent condamné a retrouvé honneur et liberté, ainsi que l'amour de sa bien aimée. Le jugement porté ensuite est mitigé : de l’intérêt certes, mais les deux premiers actes sont trop longs  « trop de discours et pas assez d’action ». Et Bertrand au second acte, quand il refuse de témoigner, est mal jouée. Quant au style, il a « paru quelquefois négligé ». Pour finir, l’article énumère les acteurs, en les présentant curieusement dans l'ordre descendant de leur mérite : chacune des formules employées est en retrait par rapport à la précédente. Les auteurs ont été nommés, mais ons avait d’emblée que la pièce avait été applaudie.]

Théâtre Louvois.

Première représentation de l’Erreur reconnue.

Après le grand succès de l’Abbé de l’Epée, il étoit bien difficile de mettre en scène l’évènement mémorable du procès fameux qui a fourni au cit. Bouilly le sujet de son drame. C’est ce que l’on vient de faire au théâtre Louvois, et le drame en trois actes représenté hier a souvent obtenu de nombreux applaudissemens. Au Théàtre Français on nous intéresse par des scènes adroitement amenées, mais la vérité des faits y est altérée ; à Louvois, le mérite des auteurs est d’avoir rétabli cette vérité, d’avoir présenté le résultat fidèle des jugemens qui ont été rendus sur cette affaire. On ira aux Français applaudir au jeu de Monvel, de mad. Talma, qui ne permettent pas au spectateur de se demander si c’est une fiction embélie par le prestige de l’art qu’on lui offre ; on viendra ensuite à Louvois, où la vérité sera sentie, l’erreur reconnue, mais on ne pourra se défende de l’aimer.

Voici de quelle manière la nouvelle pièce a été traitée : les noms des personnes encore existantes sont changés; mais on a conservé les noms de celles qui ne sont plus.

Le jeune Daranval, sourd-muet de naissance, est mort en allant aux eaux de Plombières, et Verseuuil qui l’accompagnait a été accusé de l’avoir égaré dans les bois. Dans le même tems un enfant du même âge et affligé de la même infirmité, est trouvé en Normandie : les ennemis de Verseuil le présentent comme l’héritier de la famille Daranval, et ses juges rendent un arrêt qui flétrit Verseuil et reconnoît le faux Daranval. M. Avril, l’un des juges;, après avoir profondément examiné l’affaire, se repentant d’avoir concouru à persécuter l’innocent, se propose de réparer son erreur et de rendre à Verseuil son honneur et son innocence. Celui-ci quitte sa retraite, ne pouvant supporter l’idée de se voir déshonoré dans l’opinion publique. Il écrit à M. Avril qu’il se rend à Paris pour faire reviser le premier jugement. Avril, qui craint pour sa liberté, envoie au-devant de lui Belmont, son ami, qui doit être rapporteur dans l’affaire . Il espère par là l’intéresser au sort de Verseuil. Mais il se trompe. Belmont, tout en estimant le jeune homme, est tellement prévenu en faveur de ses accusateurs, qu’il ne veut rien promettre. M. Avril tente alors un autre moyen : il fait venir chez lui la sœur du jeune sourd et muet Caroline Daranval, dont Verseuil avoit autrefois recherché le cœur et la main.

Caroline a conservé un tendre souvenir de son amant et des soins qu’il prenoit de son frère sourd-muet, avant sa mort. Elle le voit, le plaint, et à la prière de M. Avril, consent à l’aider de son témoignage ; mais elle reçoit bientôt une lettre qui l’en détourne. On la menace, on lui déclare qu'elle aura à déposer contre sa famille. Tandis qu’elle balance, M. Avril vient la chercher pour aller au tribunal. Elle seule peut sauver Verseuil, car il tremble pour son client ; malgré les conclusions favorables de Belmont qui a reconnu son innocence. Tout-à coup Bertrand, domestique de M. Avril, homme sombre et taciturne, lui déclare qu’il peut sauver Verseuil ; puis il hésite. Avril le presse, le somme de comparoître au tribunal et l’entraine. Cet homme n’est autre que le père du Sourd-muet qui jouoit dans l'affaire le faux Daranval. La nature l’a trahi, les ennemis de Verseuil sont confondus, et il est rendu triomphant à son amie.

Il y a de l’intérêt dans cet ouvrage , mais le troisième acte sur-tout est le plus attachant. Les deux premiers offrent des longueurs, trop de discours et pas assez d’action. La sortie de Bertrand au deuxième acte est trop brusque. L’acteur doit la ménager davantage. Le style a paru quelquefois négligé.

Le rôle de M. Avril est rendu avec énergie par Dorsan.

Barbier a eu des momens très-beaux dans celui de Verseuil.

Mlle Adeline a mis beaucoup de décence et de sensibilité.

Les cit. Vigny; Bosset et mad. Légé ont contribué à l’ensemble de cette représentation.

Les Auteurs sont les cit Gersain et Année.

F. J. B. P G***.

Magasin encyclopédique ou Journal des sciences, des lettres et des arts, VIIIe année (an XI – 1803), tome V, p. 411 :

[La pièce nouvelle est présentée comme la reprise de l’anecdote illustrée par l’Abbé de l’Epée, auquel on a contesté le titre de « fait historique » (« la vérité avoit été altérée »). La tentative de Gersain et Année n’a toutefois pas eu le succès de son illustre devancière : ils n’ont produit qu’« un plaidoyer assez fade, qui n’a ni amusé ni intéressé le plus grand nombre des spectateurs ».

Théâtre Louvois.

L'Erreur reconnue , drame en trois actes et en prose.

On peut se rappeler que quelque temps après les représentations de l'Abbé de l'Épée, M. Cazeaux réclama contre le titre de fait historique, donné à. cette pièce. Il prétendit que la vérité avoit été altérée, et que les mémoires du temps prouvoient que le petit muet n’étoit point le comte de Solar. C’est là ce qui a donné à MM. GERSAIN et ANNÉE, l'idée du drame nouveau, joué le 16 ventôse. Malheureusement le succès n’a pas tout à fait répondu à leur attente. L'ouvrage n’est qu’un plaidoyer assez fade, qui n’a ni amusé ni intéressé le plus grand nombre des spectateurs. Ce drame n’attirera pas la foule au Théâtre Louvois comme l'Abbé de l’Épée l'a attirée aux François.

La Décade philosophique, littéraire et politique, n° 18 du 30 ventôse an XI [21 mars 1803], p. 567-569 :

[Article repris dans l’Esprit des journaux français et étrangers, trente-deuxième année, ventôse an XI [mars 1803], p. 183-187, sans les deux premiers paragraphes et sans le dernier.

Le premier point de l’article de la Décade philosophique, c’est de s’étonner, voire de s’indigner de ce que l’on ait monté un drame au Théâtre de Louvois. Le drame nouveau, qui semble avoir été peu et mal compris, apparaît comme une tentative de refaire, « dans un sens inverse », l’Abbé de l’Epée. Le critique ne croit guère que les auteurs aient tenté de rétablir la vérité sur l’histoire dont parle cette pièce, de faire « une pièce véritablement historique ». Un tel projet reviendrait à opposer une fiction à une fiction : ce n’est pas la vérité qu’on attend d’une pièce de théâtre, mais de l’amusement. Ce serait vouloir changer la réputation monstrueuse de Médée : tâche impossible. La pièce nouvelle se réduit à la simple expression d’une opinion. Et la comparaison avec l’Abbé de l’Epée tourne à l’avantage de cette dernière : elle « ne fait que donner plus d'éclat à l'ouvrage qu'elle rivalise », faute d’action, de caractères forts et bien dessinés. Les auteurs ont manqué leur but, ils ont montré que l’Abbé de l’Epée était une fable, mais une fable bien meilleure que celle qu’ils lui opposent. Si la pièce nouvelle a été applaudie, elle le doit à « l’intention morale » à l’origine de la pièce, « peut-être à quelques apperçus de situations & à quelque élévation dans les sentimens », et aux interprètes, qui ont tiré de la pièce tout ce qu’ils pouvaient en tirer. On a nommé deux auteurs, mais un troisième a demandé « un tiers de la collaboration et du succès » : affaire à suivre !]

THÉATRE DE LOUVOIS.

L'Innocence reconnue, drame en trois actes & en prose.

Par quelle fatalité le malheureux drame, cet enfant désavoué de Melpomène, ce lugubre persécuteur de la gaîté française, a-t-il trouvé le moyen de s'introduire jusques dans la petite maison de Thalie ? Elle s'était retranchée jusqu'ici dans cet asyle pour se soustraire à ses incursions : à quel titre s'en est-il fait ouvrir les portes?

Au théâtre du joyeux Picard , un drame !!! Un drame en. trois actes !! Un drame en prose !!! A-t-il du moins fait excuser sa visite par quelques-uns de ses prestiges ordinaires ? Je n'ai pas voulu m'en rapporter â moi-même, je me suis méfié de ma prévention contre ce genre monstrueux ; j'ai consulté des hommes disposés à tout accueillir pourvu qu'on les captive ou qu'on les émeuve ; tous m'ont paru n'avoir été que faiblement touchés, n'avoir que vaguement compris le but des auteurs et le nœud de l'ouvrage.

Le succès constant & mérité de l'Abbé de l'Epée au théâtre Français, a sans doute fait naître aux auteurs de la pièce nouvelle, l'idée de traiter un sujet analogue & dans un sens inverse. C’étoit une entreprise hardie que d'établir une lutte de ce genre. Je ne puis croire aux intentions que plusieurs journalistes prêtent aux auteurs de ce drame ; ce seroit, dit-on , pour rétablir, par une pièce véritablement historique, une vérité altérée dans le drame du C. Bouilli : cette entreprise n'est-elle pas plus indiscrette que profitable à ceux qu'elle voudroit venger ? n'est-ce pas réveiller des débats que tout le monde consentoit à oublier ? Les deux pièces contradictoires ne peuvent, ce me semble, produire d'autre effet, que celui des jugemens contradictoires rendus aussi dans cette affaire ; c'est à dire, de rétablir dans les esprits indifférens, un doute silencieux : n'est-ce pas aller directement contre son but, que d'exciter les esprits remuans & passionnés à s'occuper des détails de cette aventure ? N'est-il pas dans tous les cas un peu mal-adroit de faire dire que l'intérêt est du côté de la fiction, & l'ennui du côté de l'histoire ? Ce n'est pas la vérité que l'on va chercher au théâtre, c'est l'amusement ; a-t-on jamais exigé autre chose de l'auteur dramatique, que la possibilité de son action pour en constituer la vraisemblance ?

Si magna licet componere parvis, on dit que des témoignages respectables, recueillis dans quelques auteurs contemporains, pourroient justifier Médée du caractère atroce & des crimes qu'Euripide lui a, dit-on, gratuitement imputés : Médée en passera-t-elle moins au théâtre pour une amante furieuse & une mère dénaturée ? Le poëte dramatique eut de tout temps le privilège de faire fléchir l'histoire sous l'intérêt de sa fiction.

La pièce nouvelle, si on la considère du côté de l'intention directe & morale, ne peut passer tout au plus que pour l'énoncé d'une opinion particulière, peut-être un peu mieux fondée qu'une autre : mais elle ne sauroit devenir dans aucun cas une pièce péremptoire contre le drame du C. Bouilli.

Du côté de l'effet dramatique, c'est encore pis, elle ne fait que donner plus d'éclat à l'ouvrage qu'elle rivalise : elle n'a point d'action. ce n'est qu'une longue déclamation tristement ampoulée. Les caractères sont sans coloris ; les personnages n'y font jamais ce qu'ils devroient faire & n'y disent pas toujours ce qu'ils devroient dire. M. Avril, défenseur de Verseuil, accusé d'avoir voulu perdre le jeune sourd-muet, a contribué, comme juge, à la première sentence qui l'a condamné : cinq ans après, sans avoir acquis de nouvelles preuves matérielles de son innocence, ou du moins sans nous les communiquer, ce qui revient au même pour l'effet de la scène, il change d'opinion, il se reproche la part qu'il a prise au jugement, & se constitue le défenseur de celui qu'il a d'abord jugé coupable ; & il est si vrai qu'il n'a pas de preuves suffisantes, que son protégé seroit encore condamné par un second arrêt, sans la découverte fortuite qu'il fait du véritable père du sourd-muet. M. Avril ne peut donc éviter ici le soupçon très-fondé d'une assez grande légéreté dans sa conduite présente, ou dans sa conduite passée. Il blesse encore bien plus les convenances, quand il fonde la défense de son client sur la déclaration de Caroline qui passe pour la sœur du jeune sourd-muet ; en espérant lui arracher cette déclaration par séduction, en l'exposant, contre toutes les bienséances, à se trouver, tête à tête, avec l'accusé dont il connoît l'amour & l'empire sur le cœur de Caroline : eh ! que peut-il espérer d'une déclaration en désaveu que ses adversaires ne manqueront pas de représenter comme une passion désordonnée & vraiment suspecte ?

Concluons que les auteurs ont été séduits par un sentiment honnête qui a maîtrisé leur réflexion & les a aveuglés sur les nombreux défauts de leur ouvrage. Ils ont voulu prouver que la pièce de l'Abbé de l'Epée étoit une fable, personne ne cherchoit à le contester, & pour le prouver, ils ne se sont pas apperçus qu'ils étoient obligés eux-mêmes d'ajouter quelques fictions à la vérité pour la rendre dramatique ; or, fiction pour fiction, celle de l'Abbé de l'Epée est plus intéressante, & durera plus long-temps que la leur.

Telle qu'elle est, elle a pourtant reçu de nombreux applaudissemens, prodigués sans doute plus à l'intention morale qu'à l'effet réel, peut-être à quelques apperçus de situations & à quelque élévation dans les sentimens, & surtout au jeu des acteurs qui se sont étudiés à donner à l'ensemble tout l'effet dont il étoit susceptible.

Les auteurs demandés et nommés sont les CC. Gersain et Année. Un troisième a réclamé depuis un tiers de la collaboration et du succès. Nous ignorons ce que les deux premiers répondront au C. Dubois sur sa réclamation.                    L. C.

Année théâtrale, Almanach pour l’an XII, p. 138 :

[Outre un accord original, on note que le critique ne croit pas à un théâtre vertueux : « les actions les plus vertueuses ne sont pas toujours théâtrales ».]

Nous ne parlerons qu'en passant d'un méchant drame de MM. Gersain et Annee, intitulé l'Erreur reconnue, dont l'objet était de faire la contre-partie de l'abbé de l'Epée. On y mettait en scène le conseiller au Châtelet qui prodigua sa fortune à celui qui avait été condamné dans cette affaire, parce qu'il se convainquit, après le jugement, qu'il avait été induit en erreur. Les actions les plus vertueuses ne sont pas toujours théâtrales, et celle-ci l'était moins que toute autres [sic], aussi n'eut-elle que quelques représentations,

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