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Fernand Cortez, ou la Conquête du Mexique

Fernand Cortez, ou la Conquête du Mexique, opéra en 3 actes, de Jouy et Esménard, musique de Spontini, ballet de Gardel, 28 novembre 1809.

Académie Impériale de Musique.

Titre :

Fernand Cortez, ou la Conquête du Mexique

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

oui

Date de création :

28 novembre 1809

Théâtre :

Académie Impériale de Musique

Auteur(s) des paroles :

Jouy et Esménard

Compositeur(s) :

Spontini

Chorégraphe(s)  :

Gardel

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Roullet, 1817 :

Fernand Cortez, ou la Conquête du Mexique, opéra en trois actes, représenté pour la première fois, le 28 novembre 1809, et remis, avec des changements, sur le Théâtre de l’Académie Royale de Musique, le lundi 26 mai 1817.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome VI, p. 389-391 :

[Le compte rendu rappelle le succès au théâtre de la conquête de l’Amérique, au moment où ce sujet apparaît à l’Opéra, théâtre sur lequel il est bien adapté par les effets que produit le contraste des mœurs et des costumes des deux peuples, Européens et Mexicains. « Les décorations, les costumes, la danse, les évolutions, contribuent à la magie du spectacle ». Le résumé de l’intrigue, plutôt romanesque, est suivi d’un paragraphe qui nomme les auteurs, présente deux morceaux de musique qui ont plu, et finit par des compliments aux interprètes. « Cet opéra doit attirer par l'ensemble avec lequel il est établi, la richesse des décorations et des costumes, et surtout le superbe ballet qui le termine, où brillent les premiers sujets de la danse ».]

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

Fernand Cortez, opéra en trois actes, joué le 28 novembre.

La conquête du Nouveau Monde a toujours semblé à nos auteurs un sujet heureux. Elle a fourni des poèmes, des tragédies et des mélodrames, il étoit étonnant qu'on n'en eût pas encore fait un opéra. Les mœurs et les costumes des Européens et des Mexicains devoient produire un contraste agréable, et donner lieu à de beaux effets. C'est ce qu'on a remarqué, dans l'opéra de Fernand Cortez. Les décorations, les costumes, la danse, les évolutions, contribuent à la magie du spectacle. Quant au sujet, le voici en quelques mots. Fernand Cortez est devant la ville de Mexico. Parmi les prisonniers qu'il a faits et les naturels qui se sont rendus volontairement, est la jeune Amazilly, fille du roi ; elle aime son vainqueur, et en est aimée. Telasco, frère d'Amazilly, envoyé vers Cortez, remontre en vain à sa sœur l'inconvenance de sa conduite ; l'amour est sourd à la voix de la raison. Cependant Cortez, pour ôter à ses compagnons tout espoir de retour avant d'avoir vaincu, fait brûler sa flotte. Cette hardiesse étonne ses ennemis qui se préparent à la défense. Le frère de Fernand, Alvar, est au nombre des prisonniers que les Mexicains ont faits sur les Espagnols Le grand-prêtre croit faire une action agréable à ses Dieux, en leur offrant un sacrifice humain. Les prisonniers espagnols sont prêts à être massacrés, lorsqu'Amazilly arrive. Elle s'est jetée à
la nage, et a pénétré dans le temple par des souterrains qui lui sont connus. Elle demande la grâce des Espagnols ; mais, loin de la lui accorder, on va la sacrifier elle-même, lorsque Cortez arrive, arrête la hache, et sauve sa maîtresse. Le fond du temple s'écroule, et on célèbre une fête brillante dans laquelle figurent les Espagnols et les Mexicains.

Les paroles de cet opéra sont de MM. de Joui et Esménard. La musique est de M. Spontini. On y a remarqué des chœurs bien faits, un air du premier acte chanté par Madame Branchu, et un trio du troisième acte, sans accompagnement, chanté par MM. Nourrit, Albert et Laforêt. Lainez joue avec chaleur le rôle de Fernand Cortez. Cet opéra doit attirer par l'ensemble avec lequel il est établi, la richesse des décorations et des costumes, et surtout le superbe ballet qui le termine, où brillent les premiers sujets de la danse.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, janvier 1810, p. 270-279 :

[Un grand opéra mérite un compte rendu complet, et c’est ce que fait ici le critique. Il y a des passages obligés, auxquels il accorde toute la place nécessaire. Il présente d’abord le sujet, qui sort du chemin balisé de la mythologie et de l’invention pour traiter un sujet historique, ce qui amène à vérifier la conformité de l'intrigue de l’opéra avec l'histoire. En particulier, le critique souligne avec surprise que les figurants de l’opéra sont aussi peu nombreux que les troupes de Cortès, très réduites. Il examine aussi la délicate question de la nature du sujet : peut-il être traité dans une épopée, où se pose la question épineuse du merveilleux ? Ce sujet a d’ailleurs déjà été traité en 1744 par Piron dans une tragédie. Les auteurs de l’opéra ont suivi la tragédie de Piron, mais en reprenant des éléments d'histoire qui sont à tous, et en les développant bien moins que Piron, en partie parce que l’opéra ne permet pas de grands développements. Tout comme Piron, ils ont peint Cortès plus en amant qu’en héros (il y a bien entendu une histoire sentimentale dans ce sujet, comme il y a un drame lié à la captivité du frère de Cortès, les deux éléments s’imbriquant étroitement). L’acte I est spectaculaire, à l’inverse de l’acte II, où « le spectacle a perdu ses droits et le drame a repris les siens » : il s’agit de savoir comment sauver le frère de Cortès, Amazilly, la compagne mexicaine de Cortès proposant de se sacrifier pour lui. Cet acte « très-bien écrit dramatiquement et musicalement, a paru froid et obscur ». L’acte III est à son tour spectaculaire, et le dénouement, autour du sacrifice d’Amazilly, permet de lier amour et histoire, puisqu’en libérant Amazilly, Cortès « scelle de son union avec elle la conquête du pays et la soumission des Mexicains ». Dénouement que le critique rapproche de plusieurs fins de tragédies, mais on ne peut accuser les auteurs de plagiat, « les vers qui terminent l'ouvrage leur appartiennent bien en propre ». Mais le jugement sur le livret est mitigé : manque d’unité (l’intérêt se porte sur l’expédition, sur Cortès, son frère, sa compagne)  manque aussi de force. Après le livret, la musique. Elle pose aussi de grands problèmes (il faut que le ton en soit « alternativement, et quelquefois simultanément espagnol et mexicain », ce qui amène à proposer parfois « de la musique barbare », à côté d’une musique écrite « d'une manière grande, pure et expressive »). Cette musique a généralement beaucoup de qualités, même si elle désarçonne l’auditeur par le mélange de formes musicales éloignées. L’interprétation est objet de commentaires flatteurs, pour les chœurs comme pour madame Branchu, la seule interprète nommée. Après la musique, les ballets, auquel on ne peut reprocher que d’être trop abondants. Mais c’est un reproche qu’on peut faire à l’opéra tout entier, dont le critique pense que « ce sera l'enrichir que de l'abréger. ». Le dernier paragraphe revient sur le jugement général à porter sur une œuvre due à des auteurs expérimentés (en témoignent leurs ouvrages antérieurs). Juste un léger bémol : la qualité « de sentiment et d’expression », n’atteint pas celui qu’on trouve dans la Vestale, mais le sujet de cet opéra offre tant de ressources pour le pathétique et l’attendrissement.]

Académie Impériale de Musique.

Ce n'est pas d'une merveille mythologique ou d’un miracle d'invention, que l'Opéra vient de s'enrichir et d'offrir les pompeux tableaux ; c'est l'histoire mise en action, l'histoire dont il emprunte, il est vrai, l'un des traits qui la feraient le plus ressembler à la fable, et qui par conséquent convenaient le mieux à la scène lyrique.

Ce trait est l'expédition de Fernand Cortès ; cette conquête du Mexique, cet envahissement d'un royaume puissant, cet assujétissement d'une population immense, cette prise d'une ville dépositaire de toua les trésors de l'Amérique, par un officier espagnol, impie lieutenant d'un gouverneur d'une île voisine, objet de la jalousie et de la haine de son supérieur. Sept cents soldats ou matelots, quelques canons, 30 mousquets, dix-sept chevaux : voilà quelle était l'armée de Cortès et ses moyens de guerre ; ils lui suffirent avec quelques naturels devenus ses alliés, pour anéantir l'empire de Montézuma, triompher des Espagnols armés contre lui par son rival, et rendre le Mexique tributaire des vastes états de Charles Quint.

Ce capitaine fit voir dans cette grande circonstance, ce que peut le génie entreprenant d'un chef, sa résolution, son inébranlable fermeté, l'instruction et la discipline d'un petit nombre contre un courage aveugle et désordonné. Pour tout apprécier à sa juste valeur, il faut cependant mettre en ligne de compte l'emploi d'armes nouvelles, la terreur que devait inspirer à une population immense une seule arme à feu, l'apparition des chevaux, qui étaient aussi une arme inconnue à la fois et un spectacle si imposant, l'aspect d'une flotte européenne, l'ensemble et la rapidité des manœuvres. De nos jours aussi, dans des expéditions lointaines et glorieuses, nous avons vu des non moins étonnans résultats de l'instruction et du courage d'une poignée d'hommes, quoique leurs armes fussent familières aux innombrables barbares qui les combattaient.

On sait que dans une position si difficile, la sévérité de Cortès eut quelquefois le caractère de la cruauté. Dans un autre siècle sans doute, l'empire de Montézuma aurait été conquis sans que Guatimozin fût étendu sur son épouvantable lit de roses : les historiens amis de Fernand Cortès défendent sa gloire de cette imputation, et la rejettent sur un autre chef. Quoi qu'il en soit, les éminens services rendus à l'Espagne dans cette expédition, furent payés comme l'avaient été ceux de Colomb. Cortès fut obligé de repasser en Espagne et de solliciter ; on lui prête une réponse hardie à Charles-Quint, qui ne crut pas devoir la punir, mais qui ne donna à son auteur aucune marque de sa protection et de sa reconnaissance. Fernand Cortès mourut eu 1554, presque oublié de son gouvernement et de ses concitoyens.

M. de La Harpe a dit que la conquête du Mexique était un des plus beaux sujets que les temps modernes pussent offrir à l'épopée ; il ne dit pas s’il pense que le merveilleux y dût être admis, ou si l'expédition est assez merveilleuse pour être de soi-même épique. Les auteurs de Fernand Cortès ont cru voir leur choix indiqué dans cet arrêt d'un des arbitres du goût ; ils ont pensé que le grand Opéra français avait avec l'épopée des rapports aussi intimes qu'avec la tragédie, et appliquant l'histoire au genre qu'ils traitaient, imitateurs réservés de Piron dont le Fernand Cortès n'a guères laissé que le souvenir de ce beau vers :

Un Espagnol de plus nous vaut une victoire ;

ils ont offert dans des tableaux bien disposés et d'une couleur vigoureuse, les principaux événemens de l'expédition de Cortès. Nous avons dit qu'ils s'étaient montrés imitateurs réservés, c'est-à-dire judicieux, de Piron, qui, son Cortès à la main, paraissait peu jaloux d'Alzire : le parterre ne fut pas de son avis, et à la lecture il est difficile de n'être pas de l'avis du parterre ; nous renvoyons nos lecteurs à cette tragédie ; ils verront par l'analyse de l'opéra ce que nos auteurs ont cru pouvoir y puiser. Ils y trouveront la scène de la révolte de l'armée, l'incendie de la flotte, et l'amour de Cortès pour une Mexicaine ; mais Piron avait trouvé ces moyens dans l'histoire ; ils appartenaient à nos auteurs comme à lui. Il les a pu développer davantage, et les a développés beaucoup trop ; nos auteurs étaient renfermés dans des bornes plus étroites ; les développemens sont aujourd'hui plus que jamais bannis du genre lyrique ; on semble ne vouloir que des tableaux, et uniquement ce qu'il faut de dialogue pour les expliquer. On voit qu'ici Quinault lui-même disparaîtrait devant le musicien et le décorateur : tels sont les inconvéniens et les avantages balancés, d'un genre où le spectacle est si intimement lié à l'action, qu'il en forme une partie inhérente : le public prend trop de goût aux tableaux de la scène pour suivre les mouvemens du drame ; la partie descriptive l'emporte et l'occupe tout entier ; il oublie les héros pour ne s'occuper que de leur pantomime ; ainsi souvent dans un ouvrage mis sous ses yeux pour l'éclairer et l'instruire, l'enfance ne voit que les objets qui l'embellissent, et rejette le texte qui l'ennuie pour les gravures qui l'amusent ; ainsi un goût sévère pourrait reprocher peut-être avec raison aux auteurs de Fernand Cortès un trop grand emploi de la machine, trop de mouvemens scéniques, trop de prestige théâtral, de pantomime et de spectacle ; mais à la représentation, quand ils ont voulu filer une scène, la développer et l'écrire, ils ont été accusés d'être longs. Le second acte, dont le style est dramatique et dont la composition musicale est belle, a paru tel, parce qu'il est occupé par les personnages plus que par la chœur et les accessoires.

L'exposition de l'ouvrage est claire et précise ; on sait où l’on est, on sait quels soldats se mutinent, ce sont ceux de Cortès qui demandent leur retour en Espagne. Cortès paraît et leur rend leurs sermens. Fuyez, dit-il, comme le Cortès de Piron,

Fuyez, les armes a la main.

A ces mots ses soldats tombent tous à ses genoux ; alors Cortès les enflamme par le plus noble langage, et ils jurent de nouveau d'achever leur audacieuse entreprise.

Cortès vient de parler en héros, et je commence par déclarer avec franchise que dans le cours de l'ouvrage, c'est à regret que je l'ai souvent entendu parler en amant. Les auteurs l'ont fait conformément à l'histoire ; amoureux d'une Mexicaine qui le servit aussi fidèlement qu'elle l'aima avec passion ; mais la peinture de cet amour, dans les circonstances terribles où se trouve Cortès, n'est-elle pas déplacée ? La Harpe le reproche vivement à Piron, il rappelle que la faute de peindre Alexandre amoureux ne fut commise par Racine qu'une fois, et quoique l'Opéra doive être à cet égard moins sévère, il est cependant des situations où l'amour semble en devoir être banni.

Le frère de Cortès est prisonnier des Mexicains avec deux autres officiers : Amazilly, c'est le nom de la Mexicaine attachée â Cortès, vient lui apprendre que les jours de ce frère sont en danger, qu'il va être immolé à un culte sanguinaire ; cependant un envoyé mexicain paraît ; an nom de Montezume, il vient offrir des présens à Cortès qui les reçoit et les échange ; les deux peuples se donnent mutuellement le spectacle de leurs fêtes : la volupté mexicaine est ici en contraste avec la noblesse castillane, et les jeux des barbares avec les exercices des guerriers. Les Mexicains admirent l'armée espagnole, et frémissent à sa vue ; l'armée manœuvre devant eux et leur retrace l'image de la guerre : tout à coup semble fondre sur ce périple étonné, un gros de cavalerie qui l'effraie par sa charge, et le rassure par sa retraite ; l'opéra français offre ici en cavalerie l'état complet de celle de Cortès, et à peu de chose près la quantité d'hommes qu'il avait autour de lui ; étrange spectacle qui par un rapprochement digne de remarque, emploie à la représentation d'une grande action ce qu'il fallut à cette action pour s'accomplir avec gloire, et qui donne à la fiction presqu'autant de moyens qu'il en fallut â la vérité. Malgré la rigueur des censeurs sévères qui veulent avec raison bannir du théâtre de Quinault et de Gluck les tours de force de la pantomime équestre, nous demandons grace et exception pour le char de triomphe de Trajan qui ne peut se passer d'elle, et pour Cortès, puisque l'Opéra peut à son égard porter jusqu'à la vérité historique, la magie de ses illusions.

L'envoyé mexicain presse Cortès d'emporter d'Amérique les trésors qu'il a désirés et de quitter le rivage ; pour réponse Cortès lui montre ses vaisseaux embrasés, et l'armée sans retraite, n'ayant que son courage pour moyen de salut. J'ai prévu, dit Cortès à l'envoyé,

J'ai prévu les dangers que ta boucha m'annonce ;
            Télasco, voici ma réponse :
      Un prêtre impie asservit ces climats ;
II outrage à la fois le ciel et la nature ;
Au pied de vos autels sa féroce imposture
Feint d'honorer un dieu par des assassinats.
Ce culte fait horreur ; je viens pour le détruire.
L'Amérique appartient à qui saura l'instruire;
Cette terre est à moi ; je ne la quitte plus.
Les conseils menaçans que ta fierté me donne,
      Pour m'éloigner sont des vœux superflus.

.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .

Compagnons, devant vous est la ville des rois,
      Partout ailleurs c'est un trépas sans gloire;
            La mort ou la victoire ;
            Il n'est plus d'autre choix.

A l'instant les deux peuples se séparent, et les Espagnols s'occupent des travaux nécessaires pour s'approcher de Mexico, et transporter leur artillerie sur les hauteurs qui l'environnent. Telle est la décoration et le spectacle d'un très-grand effet, que présente le second acte au lever de la toile.

Dans cet acte, le spectacle a perdu ses droits et le drame a repris les siens ; le frère d'Amazilly se trouve placé près d'elle dans la situation de Nérestan et de Zaïre. du bramine et de la veuve du Malabar : il lui parle de ses dieux, elle lui répond au nom de son amour ; elle croit servir son pays en servant Cortès : les adieux de son frère se mêlent à des menaces terribles ; Cortès vient en effacer l'impression douloureuse par l'expression d'un amour qui doit protéger Amazilly, son frère et sa patrie ; cependant les Mexicains préparent un sacrifice cruel, le frère de Cortès va périr si Amazilly elle-même ne reparaît au temple, victime dévouée au salut des Espagnols : il faut au prêtre mexicain, ou le sang des prisonniers, ou celui de l'Américaine qui a trahi ses dieux pour son amant. Cortès entend avec effroi l'offre d'Amazilly de se sacrifier pour son frère, il la rassure, et réunissant ses soldat, prépare l'attaque de la ville du côté du temple où brillent déjà des feux homicides : il est à peine éloigné qu'Amazilly, cédant à son généreux dévouement, s'élance dans les flots, gagne l'autre rive, et entre à Mexico pour racheter la vie des Espagnols au prix de la sienne.

Au troisième acte, nous sommes à Mexico, ou plutôt en Tauride ; car voici les sacrificateurs, les victimes, les barbares qui les tourmentent, leurs hurlemens homicides et leurs danses féroces. Au milieu de ces chants de Cannibales, s'élèvent comme un encens vert le ciel la prière des Espagnols à l'Eternel, et leurs nobles adieux à la patrie. Leur calme, leur résignation, leur pieux courage en imposent un moment à leurs assassins ; cependant ils vont tomber, lorsqu'Amatilly s'élance, et vient prendre leur place ; les Espagnols s'indignent et se précipitent au-devant des coups ; mais l'airain tonne ; les portes du temple s'ébranlent et tombent ; un gros d'Espagnols pénètre dans le temple : Cortès s'élance à leur tête, délivre Amazilly, et scelle de son union avec elle la conquête du pays et la soumission des Mexicains.

Ce dénouement est celui de la Veuve du Malabar, d’Iphigénie en Tauride, et même celui de la Vestale ; les auteurs ont été entraînés par leur sujet vers cette imitation, comme ils ont été obligés d'imiter Guimond de Latouche et le Mière dans le portrait des prêtres mexicains et dans les imprécations du Montalban espagnol ; mais les vers qui terminent l'ouvrage leur appartiennent bien en propre. Ils ont le ton convenable au sujet, et achèvent noblement la grande action qui vient d'être décrite. Cortès les adresse aux Castillans :

      Soldats, la valeur, la constance,
Vous le voyez, commandent aux destins,
      Une plus grande récompense
      N'est point au pouvoir des humains ;
Vous avez fatigué l'aile de la victoire ;
A l'antique univers tout plein de votre gloire ;
      Vous joignez de nouveaux climats,
Et désormais l'astre qui nous éclaire
Commencera sa brillante carrière
Et finira son cours au sein de nos états.

Nous avons exprimé un doute sur l'effet que devait produire Cortès amoureux, et involontairement nous revenons sur cette idée. Le second acte très-bien écrit dramatiquement et musicalement, a paru froid et obscur : le premier acte marche bien : les tableaux s’y succèdent avec un enchaînement très-varié et très-heureux : au troisième, la vigueur des tableaux, et l'effet des contrastes occupent assez fortement le spectateur ; pourquoi le second acte languit-il ? Est-ce absence du spectacle ? Cela est probable ; est-ce l'amour de Cortès qui le refroidit ? Je croirais à-la-fois l'un et l'autre, et je m'étonne que les auteurs n'aient pas laissé Cortès livré aux seuls soins de sa gloire et de son entreprise, et donné pour amant aimé d'Amazilly ce frère de Cortès prisonnier des Espagnols. Alors Cortès n’était que le protecteur généreux de cet amour utile à ses desseins ; alors le dévouement d'Amazilly était plus explicable, et en lui voyant franchir la mer pour aller livrer sa tête, on concevait cet effet d'un amour violent dans une ame ardente et passionnée. Quoi qu'il en soit, la situation manque de clarté, et par conséquent d'intérêt : on ne la trouve longue, que parce qu'elle n'est pas bien motivée et facilement saisie. Cette partie de l'ouvrage, et le rôle passif du frère d'Amazilly, sont les parties du poëme qui nous paraissent éveiller la critique ; on peut dire aussi que l'ouvrage manque d'unité ; que l'intérêt se déplace, et n'a pas assez constamment un but fixe et déterminé : il se porte tantôt sur l'expédition, tantôt sur Cortès, tantôt sur son frère, enfin sur Amazilly, et il manque ainsi de force et de direction : le style a de la correction, de l'élégance, souvent de l'élévation, et le musicien s'est chargé de prouver qu'il avait une coupe lyrique favorable à son art.

Pour une composition de cette étendue, qu'est-ce qu'une représentation ? Celui-là certes n'est pas musicien, qui prétendrait l'avoir entendue, comprise et appréciée ; on ne peut qu'en saisir le caractère général, et désigner ce qui a été le plus remarqué. Le caractère de cette composition qui a de l'élévation, du style et de la chaleur, nous paraît être sur-tout la variété et la recherche du ton local ; toujours le musicien a voulu peindre et contraster, être alternativement, et quelquefois simultanément espagnol et mexicain ; cette intention est d'un véritable artiste, et c'est s'approcher des grands maîtres que de l'avoir quelquefois remplie avec succès. Voilà quant à l'esprit qui a présidé à cette production ; quant au style musical, on peut dire à l'honneur de l'artiste qu'il s'est rarement écarté d'un système avec lequel on ne peut s'égarer : le chant est toujours sa base : que les personnages ou les chœurs soient en scène, à travers les mouvemens de l'orchestre, même quand il est trop travaillé et trop confus, on distingue la marche et le développement d'un chant ordinairement facile, et ayant le rare mérite d'être périodique. L'auteur a quelquefois été obligé de faire de la musique barbare, le programme en prévient le lecteur : la précaution est assez inutile ; on voit bien que pour écrire ainsi, l'auteur a dû le faire exprès, puisque le même a écrit d'une manière grande, pure et expressive tout le rôle d'Amazilly qui est de la meilleure école ; ces airs d'Amazilly, les morceaux d'ensemble où se mêle sa voix ont un grand charme : ils reposent bien du mouvement des chœurs, très fréquent dans l'ouvrage, et de la tourmente qui souvent règne dans l'orchestre, parce que la situation le commande. Ils prendront leur rang parmi les bons morceaux de scène, celui, je n'ai plus qu'un désir, et plus encore celui, arbitre de mes destinées, qui est d'un très-beau mouvement, et qui a le caractère ardent et passionné du personnage ! On remarquera aussi un grand duo entre la Mexicaine et son frère, et sur-tout l'hymne des prisonniers, sorte de motet à trois voix sans accompagnement, qui succédant aux chants des barbares double d'effet, et est d'une mélodie pénétrante : nous en croyons la basse un peu trop modulée ; écrite plus franchement, elle aurait peut-être plus d'effet et de ressort. Les chœurs ont une variété qui fait honneur à l'imagination du compositeur. On annonçait sa musique comme hérissée de difficultés, mais l'opéra en a triomphé heureusement. Les choristes ont été d'une sûreté admirable, et l'orchestre, d'une vigueur d'exécution, puis d'une sobriété d'accompagnemens qui, tour à tour, ont bien servi le compositeur, et respecté le beau talent de madame Branchu.

Les ballets devaient offrir de la variété et des contrastes. Cet effet était sûr, et M. Gardel l'a disposé avec habileté, sur-tout dans le premier acte. Cortès a bien raison de redouter pour ses soldats l'effet de ces danses mexicaines ; mais le spectateur n'a pas les mêmes craintes, et il s'abandonne volontiers à leur charme séducteur. Peut-être dans ces ballets y a-t-il, si l'on peut s'exprimer ainsi, des redites ; il y en a aussi dans l'opéra, dans le récitatif ; le compositeur en a quelques-unes à se reprocher : avec de mutuels sacrifices, on doit obtenir plus d'ensemble, de rapidité, plus d'effet. Cette surabondance n'est bien connue qu'au jour de la représentation : dans toutes ses parties, Fernand Cortès a peut-être ce défaut ; et ce sera l'enrichir que de l'abréger.

Les auteurs de Trajan et de la Vestale ne pouvaient se réunir pour composer un poëme défectueux : le leur ne l'est pas ; mais il n'appartient pas à tous les sujets, comme à celui de la Vestale, d'ouvrir une source de pathétique et d'attendrissement si féconde : c'est un rare bonheur pour un compositeur que d'avoir eu à s'exercer sur un tel sujet. L'ensemble de sa composition nouvelle est peut-être plus égal, plus soutenu que celui de la Vestale ; mais il ne s'y trouve pas de morceaux où l'ame du musicien ait pu s'élever à un si haut degré de sentiment et d'expression ; il y développe d'autres avantages, qui ne lui font rien perdre de la réputation que lui assure son premier grand ouvrage en France.                      S.....

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