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Folie et raison

Folie et raison, vaudeville en un acte, de Chazet et Sewrin, 28 vendémiaire an 13[20 octobre 1804].

Théâtre du Vaudeville.

Almanach des Muses 1806.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Léopold Collin, an XIII – 1804 :

Folie et Raison, comédie en un acte et en vers, mêlée de vaudevilles, par MM. Sewrin et Chazet. Représentée, pour la première fois, à Paris sur le théâtre du Vaudeville, le 28 vendémiaire an xiii, ier de l'empire.

Courrier des spectacles, n° 2793 du 29 vendémiaire an 13 (21 octobre 1804), p. 2 :

[Un premier article qui se limite à dire que Chazet va de succès en succès : 2 en 2 jours, cette fois avec Sewrin, et aussi qu’il est bien difficile de rendre compte d’une pièce qui ne vaut que par des détails, l’action et l’intérêt étant presque nuls. Il faudra attendre le lendemain pour en savoir plus, et on ne saura aujourd’hui que le nom d’excellents acteurs.]

Théâtre du Vaudeville.

Première représentation de Raison et folie.

M. Chazet, réuni à M Francis, obtint un succès avant-hier au théâtre Montansier. il a eu hier soir le même bonheur au Vaudeville. Mais il avoit changé cette fois de compagnon. Nous sommes redevables à lui et à M. Sevrin de Raison et folie. Ainsi l’a t-on annoncé en répondant à l’invitation du parterre.

Ces Messieurs, nous imposent un travail assez rude ; c’est l’analyse de leur pièce ; tout son mérite est dans le détail, l’action et l’intérêt sont à-peu-près nuls ; presque toujours c’est le poète, et non les personnages, qui occupent l’attention.

Demain nous aurons recueilli d’une manière plus parfaite nos souvenirs-sur Raison et Folie, ouvrage très-bien joué, au reste, par MM. Carpentier et Julien, et par Mad. Belmont.

La pièce qui a eu du succès la veille de la première de Raison et folie, c’est Deux pour un, un opéra-vaudeville, dont le même numéro du Courrier des spectacles rend compte juste en-dessous de cet article.

Courrier des spectacles, n° 2794 du 30 vendémiaire an 13 (22 octobre 1804), p. 2 :

[Le compte rendu du lendemain commence de façon inquiétante : au Théâtre du Vaudeville, on n’attend pas « une comédie d’action, d’intrigue ou de caractère », et on doit se contenter de couplets montrant esprit, grace et gaieté : ce qui est accessoire dans les autres théâtres devient ici l’essentiel. Les acteurs deviennent de simples moyens pour les auteurs de nous « débiter » leurs traits d’esprit. Le résumé de l’intrigue est vite mené : une histoire d’amour entre une femme charmante et un misanthrope qui ne souhaite pas le mariage, jusqu’à ce qu’un ami lui suggère de se marier, et que la jeune femme lui montre de bien belles qualités. Tout s’achève naturellement par un mariage. Le jugement qui occupe la deuxième moitié de l’article se montre sévère : la pièce est froide, et elle est encore plus inconvenante, puisque c’est la femme qui s’efforce de conquérir le cœur de celui qu’elle aime, ce qui revient à renverser « la marche invariable de la nature et les principes de la société ». De plus, le dialogue, en vers alexandrins, donne l’impression d’écouter une lecture faite par des gens récitant fort bien des vers bien faits, et non des personnages qui agissent : le théâtre devient « un athénée, […] une séance académique ». L’article s’achève sur une terrible prédiction : une telle pièce annonce « la destruction total du premier charme du théâtre, l’illusion et l’intérêt ». Si les auteurs de Raison et folie font école, une pièce sera la mise en dialogue de « vers quelconques », réduite à de « fastidieuses lectures » : finie, l'émotion produite sur le cœur ou l’esprit dans un théâtre désormais sans situation ni intérêt.]

Théâtre du Vaudeville.

Première représentation de Raison et folie.

On sait parfaitement qu’il seroit indiscret d’exiger à ce théâtre une comédie d’action, d’intrigue ou de caractère. L’esprit, la grâce et surtout la gaieté composent le fond principal des vaudevilles. Ce qui est accessoire aux grands théâtres, est ici l’objet le plus vivement attendu. Cependant ne semble-il pas qu’il y a de l’indiscrétion à rassembler des couplets, quelques jolis qu’ils puissent être, sur un fond nul, sur un prétexte vague, sur un motif tellement inappercevable, qu’on a tout lieu de douter si les personnages ne sont pas uniquement fondés de pouvoir pour nous débiter l’esprit de l’auteur, sans avoir rien à nous dire pour leur propre compte.

Elise est pénétrée de reconnoissance et d’amour pour M. Préval ; mais celui-ci n’est que foiblement ému des attraits de la jeune personne. Elle réunit alors ses efforts à ceux d’un M. Derville, qui, épris d’un beau zèle, se donne beaucoup de peine pour persuader à Préval qu’il devroit songer à se marier. Préval conçoit la chose possible ; mais il s’agit de combattre, chez lui, une prévention de misantropie, une sorte de prévention qu’il a contractée contre la légèreté et la coquetterie des femmes. Elise se montre successivement à ses yeux sous les traits d’une petite maitresse, d’un esprit fort, d’une femme vaporeuse ; quelques expressions de sensibilité lui échappent ensuite ; puis elle répand des bienfaits sur une famille indigente. Oh ! alors Belfort [Préval ?] n’y tient plus. Son cœur est ébranlé- Il tombe aux pieds.d’Elise. Il l’adore et l’épouse.

Ces détails sont disposés d’une manière si froide, qu’il est impossible d’y porter le moindre intérêt. Les règles de la convenance y sont même désagréablement violées Comment et par quel oubli d’elle-même une jeune et jolie femme est-elle réduite, dans les conceptions de MM. Chazet et Sevrin, à prendre tant de peine pour conquérir un cœur suranné ? Pourquoi ont-ils la cruauté de condamner leur héroïne (repré sentée par la jeune et jolie Mme. Belmont) à faire les avances à un homme ? Pourquoi renverser au Vaudeville la marche invariable de la nature et les principes de la société ?

Si au moins il en résultoit un avantage quelconque pour le spectateur ! si cette espèce de bouleversement des idées reçues produisait un tableau neuf, des effets inattendus ! mais il n’y a rien de tout cela. Le dialogue est cependant en vers alexandrins presque tous assez bien faits. Plusieurs couplets sont fort jolis ; quelques-uns même ont été redemandés. Mais tel est le néant de l’action, que les personnages disparoissent, en quelque sorte, pour faire place à des particuliers qui récitent fort bien les vers, ou chantent agréablement les couplets de MM. Chazet et Sevrin, qui cependant ne peuvent manquer de savoir que le théâtre n’est ni un athénée, ni une séance académique.

Il a fallu insister fortement sur le caractère d’imperfection de ce vaudeville, parce qu’il nous paroît emporter avec lui des conséquences très-dangereuses. Si l’exemple de ces MM. devenoit contagieux, il s’ensuivroit une destruction totale du premier charme du théâtre, l’illusion et l’intérêt. Des jeunes gens se contenteroient d’arranger en dialogues des vers quelconques. Ces vers seroient entremêlés de couplets. On appelleroit cela une pièce, et le public seroit condamné à l’ennui d’entendre ces fastidieuses lectures, lorsque vainement il se seroit attendu à des émotions produites sur son cœur ou sur son esprit par une conception théâtrale, forte de situations et d’intérêt.

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