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La Femme à deux maris

La Femme à deux maris, mélodrame en trois actes, en prose et à spectacle, de Guilbert-Pixerécourt, musique de Gérardin-Lacour, ballets de Richard, 27 fructidor an 10 [14 septembre 1802].

Théâtre de l’Ambigu-Comique.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, se vend au Théâtre de l’Ambigu-Comique, an XI – 1802 :

La Femme à deux maris, mélodrame en trois actes, en prose et à spectacle, par R. C. Guilbert-Pixerécourt, représenté pour la première fois, sur le théâtre de l’Ambigu-Comique, le 27 fructidor an X.

Courrier des spectacles, n° 2020 du 29 fructidor an 10 [16 septembre 1802], p. 2 :

[Un mélodrame (même si son titre est un peu trompeur), inspiré de façon lointaine d'un roman de Ducray-Duminil, puisque Pixerécourt a introduit des modifications très importantes dans l'intrigue (les deux maris sont vivants chez lui, alors que seul le mari scélérat l'est dans le roman : voilà qui augmente de beaucoup le caractère dramatique de l'intrigue). Le plan de la pièce est jugé « sage et rapide » : les mélodrames ayant droit à une telle qualification ne sont pas si nombreux. Reste à résumer l'intrigue, ce qui n'est pas une mince tâche tant les rebondissements sont nombreux. Elle repose sur la réapparition du méchant mari, disparu depuis longtemps, et cru mort. La malheureuse bigame et son mari tentent de sauver leur bonheur en éloignant ce mari supplémentaire tout en lui évitant la condamnation à mort que lui vaut le fait qu'il est déserteur, mais ce méchant homme tente de récupérer sa femme et ses biens en tuant son rival. Mais son plan mal exécuté lui est fatal : c'est lui que son complice tue, au lieu du comte. Et tout le monde est content, la femme, son mari, son père. Le jugement porté sur la pièce est rapide : trois actes bien pleins (c'est évident), un magnifique tableau au deuxième acte (on dirait du Teniers), des ballets bien réglés. Et les trois auteurs, texte, musique, ballet, sont cités. Seul le compositeur a droit à un compliment.]

Théâtre de l'Ambigu-Comique.

La Femme à deux Maris.

Ce titre annonce une comédie et une comédie gaie. Pas du tout : c’est un mélodrame qui, par la rapidité de sa démarche, par des effets inattendus, par des scènes vraiment dramatiques, a mérité le plus brillant succès.

Il est peu de personnes qui n’aient lu le dernier roman du citoyen Ducray-Duminil, Paul, ou la Ferme abandonnée. C’est-là que l’auteur de la pièce nouvelle a puisé son sujet ; mais il a eu presque tout à créer pour la scène. Paul n’est ici qu’un personnage épisodique, et tout l’intérêt se porte sur la femme infortunée qui se trouve entre deux époux. Dans le roman, le mari scélérat est le seul qui respire encore ; ici, tous deux sont vivans, tous deux sont près d’elle, tous deux réclament les droits qu’ils ont sur elle ! Quelle mine de situations dramatiques à exploiter  ? L’auteur dans un plan sage et rapide a sçu se les approprier, et sa pièce sera long-tems vue avec plaisir.

Elisa Werner, séduite dans sa jeunesse par un scélérat nommé Isidore Fritz, et chargée de la malédiction de son père que le chagrin a rendu aveugle, a appris la mort de cet époux par les preuves qui lui ont été envoyées et qu’elle conserve soigneusement. Elle a épousé en seconde noce le comte Edouard, et depuis dix-huit ans, elle vit heureuse près de son père, à qui elle a donné, sans se découvrir, une ferme voisine de son château, et elle élève son fils Jules, fruit de son premier mariage, mais sans lui avoir jamais déclaré qu’elle étoit sa mère. Elle apprend que Fritz qu’elle croyoit mort est échappé des prisons de Munich, et lorsque le comte arrive de l’armée , elle tremble de lui avouer ce fatal secret. Le comte en approchant du château avec son oncle, major dans les troupes de l’Empereur, raconte à son épouse qu’ils ont été arrêtés dans le bois par un homme couvert de haillons qui les a questionnés et menacés. Cet homme est Fritz lui-même qui l’a suivi jusqu’au château.

La comtesse le voit sous les murs du parc ; elle jette un cri, et s’évanouit ; Fritz s’introduit dans le parc, et tandis que le comte se transporte à la ferme du vieux Maurice Werner où l’attend une fête, Fritz fait appeler la comtesse, et là lui rappelle les droits qu’il a sur elle et sur tout ce qui lui appartient. Menaces, prières, argent, Elisa emploie tout pour l’engager à se retirer ; Fritz n’entend rien, et il promet de revenir bientôt faire valoir ses prétentions. En effet, au milieu de la fête que l’on donne au comte, il vient déclarer que tout lui appartient. A cette voix le père d’Elisa maudit de nouveau sa fille qu’il reconnoît dans la comtesse, et il abandonne sa ferme. Fritz triomphe, mais le major et un vieux caporal l’ont reconnu comme déserteur; il est arrêté,et la sentence de mort va être exécutée contre lui. Le comte Edouard veut par égard pour Elisa épargner le dernier supplice à ce malheureux ; il le fait venir, lui propose de passer aux Isles et lui offre 1200 florins. Fritz accepte ; à huit heures il devra se trouver dans le parc sous la fenêtre du comte ; celui-ci descendra et le conduira par des chemins détournés jusqu’à Anvers où il devra s’embarquer. Fritz resté seul est rejoint par un misérable comme lui à qui il propose de tuer son bienfaiteur.

Caché derrière un arbre, ce dernier se précipitera sur le comte qui marchera derrière lui. Le vieux caporal a entendu tout le complot. A huit heures, favorisé par l’obscurité, il passe près de l’arbre ; Fritz qui ne le voit pas vient après suivi du comte. L’assassin trompé immole la seconde personne qui passe : c’est son complice, c’est Fritz ; les papiers que l’on trouve sur eux prouvent clairement que l’extrait mortuaire d’après lequel Elisa s’étoit décidée à se remarier étoit faux. Le comte qui par délicatesse avoit voulu séparer son sort du sien, embrasse son épouse, et le vieux Maurice Werner pardonne à sa fille.

Chacun des trois actes de ce mélodrame est bien nourri et bien rempli. La fête flamande du second acte offre un des tableaux du célèbre Teniers, et des ballets exécutés avec beaucoup d’ensemble.

L’auteur des paroles est le citoyen Guilbert-Pixérecourt ; celui de la musique, le citoyen Girardin, qui annonce un digne élève de Breton ; et celui des ballets, le citoyen Richard.

F. J. B. P. G * * *.          

Le Théâtre choisi de G. de Pixerécourt, tome premier, Paris, Nancy, 1841, p. 249-253 offre un large choix de comptes rendus de la pièce, tous portant bien entendu un regard favorable sur la pièce.]

Journal des spectacles. 20 fructidor, an X.

[7 septembre 1802.]

C'est dans le roman de Paul, ou la Ferme abandonnée, que M. Guilbert Pixerécourt a puisé le sujet de la Femme à deux maris ; mais il a eu presque tout à créer pour la scène. Paul n'est ici qu'un personnage épisodique, et tout l'intérêt se porte sur la femme infortunée qui se trouve entre deux époux. Dans le roman, le mari scélérat est le seul qui respire encore. Ici, tous deux sont vivants, tous deux sont près d'elle, tous deux réclament les droits qu'ils ont sur elle. Quelle mine de situations dramatiques à exploiter ! L'auteur, dans un plan sage et rapide, a su se les approprier, et sa pièce sera longtemps vue avec plaisir. Chacun des trois actes de ce mélodrame est bien nourri, bien rempli. Par la rapidité de sa marche, par des effets inattendus, par des scènes vraiment dramatiques, il a obtenu et mérité le plus brillant succès.

Lepan.          

Le même. 3 vendémiaire, an XI.

[25 septembre 1802.]

La Femme à deux maris paraît de plus en plus intéressante ; on y va, on y retourne, et chaque jour la salle est pleine.

Lepan.          

Le même. 26 vendémiaire, an XI.

[18 octobre 1802.]

C'est rendre service à ceux de nos abonnés qui n'ont pas vu la Femme à deux maris, que de les engager à aller à l'Ambigu-Comique. Tout, dans cette pièce, procure des jouissances. Style élégant, moralité douce, intrigue conduite avec un art merveilleux : on peut prédire que son succès sera de très-longue durée.

Lepan.          

Le même. 16 fructidor an XII.

[3 septembre 1804.]

On ne compte plus les représentations de la Femme à deux maris (elle en avait alors 170), mais on continue à se porter en foule à cette pièce qui sera toujours vue avec plaisir. Le sujet en est extrêmement intéressant et le plan dressé avec beaucoup d'art. Chaque acte a son mérite particulier : dans le premier, l'exposition est très-bien faite ; le second est remarquable par les deux scènes de la comtesse avec son père et son fils ; le dénouement est heureusement amené au troisième, par la mort du scélérat tombant sous les coups de son complice.

Les caractères sont tracés avec vérité. Celui de la comtesse, celui de Jules inspirent un vif intérêt. Le personnage de Bataille fait d'autant plus de plaisir, qu'il conduit l'intrigue et amène le dénouement presque sans que l'on s'en doute. Les trois unités sont scrupuleusement observées dans ce drame remarquable. En un mot, cette pièce marche d'une manière très-satisfaisante.

Lepan.          

Le même. 8 brumaire, an XI.

La Femme à deux maris, drame de M. Pixerécourt, vient d'être traduite en Allemand et en Anglais, et elle obtient sur les théâtres étrangers le même succès dont elle jouit encore à Paris, après plus de 140 représentations.

Lepan.          

Journal des arts. Vendémiaire, an XI.

L'auteur a bien conçu le plan de son ouvrage ; l'action est conduite avec art ; les situations sont tour à tour fortes, gaies, sombres et touchantes : point de machines, point de merveilleux ; les sentiments que l'on éprouve naissent des événements mêmes, et ces événements sont naturels. Le style a de la pureté, le dialogue est bien coupé ; enfin, M. Guilbert Pixerécourt a prouvé, dans cet ouvrage, qui, par l'intérêt réel qu'il inspire, mériterait de tenir à une autre classe, qu'il a tout ce qu'il faut en lui pour s'élever à la bonne comédie.

Dusaulchoy.          

Gazette de France. Vendémiaire, an XI.

Cette comédie, dont le titre semble indiquer une production leste, est sagement conçue, bien écrite et offre un intérêt soutenu. Elle serait digne de figurer avec avantage sur un plus grand théâtre.

Stévenin.          

L'Observateur des spectacles. Vendémiaire, an XI.

La Femme à deux maris n'est point une comédie à incidents joyeux, comme son titre parait l'annoncer ; c'est un drame dont le plan est bien conçu, l'action intéressante, les situations fortes et le style fort bon. L'auteur en a pris le fond dans un roman intitulé : Paul, ou La Ferme abandonnée, et l'a traité en homme d'esprit qui connait la scène.

Salgues.          

Petites Affiches. Vendémiaire, an XI.

L'auteur a pris l'idée de sa pièce dans le roman de Paul, ou La Ferme abandonnée ; mais cet emprunt ne peut lui faire tort, car toutes les belles scènes de son drame lui appartiennent ; il a créé presque tous les caractères et conçu un plan supérieur à celui du roman ; en un mot, d'une action très difficile à mettre à la scène, il a fait un ouvrage très-intéressant, vraiment dramatique, et dont le succès est assuré.

Rojare.          

Journal d'Indications. Fructidor, an X.

Le mélodrame exige une grande connaissance de la scène, l'emploi du terrible et du pathétique, et l'art de produire des effets. Voyons si la Femme à deux maris doit son brillant succès à ces qualités essentielles.

Le premier acte est bien, très-bien ; l'exposition est claire et adroitement amenée. L'intérêt naît des événements, et ces événements en promettent de nouveaux.

Le second acte marche bien ; la catastrophe qui le termine est vraiment dramatique. Enfin, tout, dans cet ouvrage, est si bien placé, si bien amené, que tout plaît et obtient des applaudissements. (Suit l'analyse.)

Cette pièce a été accueillie par les applaudissements unanimes et les pleurs continuels des spectateurs. Un intérêt toujours soutenu, des scènes déchirantes, des caractères bien dessinés assignent une place distinguée à cette nouvelle production de l'auteur de Cœlina, du Pèlerin blanc, de l'Homme à trois visages, de Victor, etc. : elle est bien écrite, bien dialoguée, et doit, selon nous, obtenir un grand nombre de représentations.

Mademoiselle Levesque a été généralement et justement applaudie dans le rôle difficile d'Elisa ; le citoyen Corsse est vraiment original dans celui de Bataille. L'acteur chargé du rôle de Fritz est d'une vérité effrayante. Le citoyen Tautin est très-bien dans celui d'Edouard. L'auteur de la musique est le citoyen Gérardin-Lacour. C'est un jeune homme qui mérite des encouragements ; plusieurs morceaux de sa musique ont fait vraiment plaisir et sont bien adaptés aux situations.

Babié.          

Archives littéraires.

La traduction de la Femme à deux maris, par Cobb, vient d'obtenir à Londres le succès le plus complet, non pas chez M. Astley, ni au Cirque, mais sur le théâtre royal de Drury-Lane, où elle a été représentée pour la première fois, le premier novembre. Les premiers sujets s'étaient chargés des principaux roles.

Ainsi, M. Guilbert Pixerécourt jouit maintenant d'un honneur qui n'appartenait autrefois qu'à Racine et à Voltaire.

Un journal italien a annoncé, il y a six mois, que la Femme à deux maris avait été traduite en italien et jouée à Milan et à Turin avec le plus grand succès.

Des lettres de Pétersbourg ont appris, et le fait a été confirmé à Paris, par M. Kotzebue, que la Femme à deux maris était traduite en russe et jouée avec un succès complet.

[Ces deux derniers paragraphes sont de Pixerécourt lui-même et montrent la survie de l'œuvre au théâtre :]

Le second acte de la Femme à deux maris a eu l'honneur d'être métamorphosé en vaudevilles, il y a trente ans, sous le nom de la Laitière suisse, sur le théâtre des Variétés, boulevard Montmartre, par les soins de mes bons amis Sewrin et Chazet. Le succès a été très-prolongé et surtout productif.

L'auteur universel, le privilégié des succès, Eugène Scribe, de l'Académie française, m'a fait aussi l'honneur de m'emprunter deux des plus belles scènes de la Femme à deux maris Sa pièce jouée au Gymnase, il y a huit ou dix ans, sous le titre de la Lectrice, a eu pour interprête Melle Léontine Fay. Cette actrice excellente a su rajeunir ma pièce, qui déjà avait obtenu plus de 1300 représentations sur les théâtres de France.

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