Le Grand deuil

Le Grand deuil, opéra-comique, paroles d'Étienne et Vial, musique d'Henri-Montan Berton, 1er pluviôse an 9 [21 janvier 1801].

Théâtre Favart.

Titre :

Grand Deuil (le)

Genre

opéra comique

Nombre d'actes :

 

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

1er pluviôse an 9 [21 janvier 1801]

Théâtre :

Théâtre Favart

Auteur(s) des paroles :

Etienne et Vial

Compositeur(s) :

Henri Berton

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Hugelet, an X :

Le grand Deuil, opéra-bouffon, Paroles des c. J.-B. Vial et C.-G. Etienne, Musique du cit. H. Berton, Membre du Conservatoire de musique de France Représenté, pour la première fois, sur le Théâtre de l’Opéra-Comique national, le 1er Pluviôse, an 9.

Courrier des spectacles, n° 1426 du 4 pluviôse an 9 [24 janvier 1801], p. 2 :

[D’abord des qualités, gaîté, style, comique des détails, puis l’annonce d’une absence complète d’originalité : la situation est celle qu’on trouve dans toute une tradition théâtrale. Mais les auteurs ont su créer une pièce plaisante à l’aide de ces éléments divers. L’intrigue est une fois de plus une affaire de mariage entre oncle et tante, et neveu et nièce. Pour obtenir des « vieillards » qu’ils les laissent se marier, la ruse des serviteurs consiste à faire croire à chacun des deux que l’autre est mort, ce qui les libère pour un nouveau mariage, son neveu pour la tante, la soubrette de sa nièce pour l’oncle. Chacun d’eux est amené à signer un document compromettant, avant de se rendre compte que l’autre n’est pas mort. Après une scène nocturne (encore une situation originale !), les deux vieillards comprennent qu’ils ont été trompés, et il faut bien qu’ils consentent au mariage des deux jeunes gens. Le jugement ne revient pas sur la pièce, dont les auteurs sont nommés sans commentaire, quand la musique a droit à un commentaire positif. L’interprétation est elle aussi évoquée avec force éloges pour chacun des acteurs et actrices.]

Théâtre Favart.

Une gaîté soutenue, un dialogue vif, serré, et des incidens d’un bon comique, ont décidé le succès de l’opéra donné le premier de ce mois sur ce théâtre, sous le titre du Grand Deuil. Cependant le Double Veuvage, de Dufresny; le Légataire ; de Régnard, les Etourdis, du citoyen Andrieux, et un petit opéra qui se donne souvent à l’Ambigu-Comique, sous le titre des Morts qui se volent, peuvent révendiquer beaucoup de situations comiques de ce petit ouvrage. Que restera-t-il donc aux auteurs ? le mérite d’avoir sçu, en empruntant à l’un et à l’autre, faire un tout agréable et plaisant.

Dorval et Lucile, cousins et amants, n’ont encore pu déterminer leur oncle et leur tante, vieillards d’humeur chagrine, à consentir à leur union. Vainement ils ont été secondés par Lisette et par Crispin, qui épient à chaque instant l’occasion d'arriver à ce but si désiré. Un voyage que l’oncle est obligé de faire aux eaux, paroît à Crispin le moment décisif. Il écrit à la vieille la mort de son mari, et à ce dernier celle de sa femme.

Celle-ci, joyeuse d’être délivrée d’un mari qu’elle n’aimoit guères, cherche déjà à le remplacer , et celui qu’elle lui destine pour successeur est précisément son neveu. Crispin détermine le jeune homme à se charger de ce rôle peu agréable et à accepter de la tante une promesse de mariage.

Brûlant de s’approprier les biens de la prétendue défunte, le barbon arrive des eaux, et jette les yeux sur la gentille Soubrette pour remplacer sa femme vieille et méchante. Lisette, de concert avec Crispin, tire adroitement du vieil amoureux une donation par contrat.

Munis de ces deux pièces, surprises à la crédulité de l’oncle et de la tante, Crispin et Lisette cherchent envain à éloigner le moment où les deux époux peuvent se rencontrer. Dans une scène nocturne et très-plaisante, ils se prennent l’un et l’autre pour des revenans ; mais enfin ils sentent qu’ils ont été dupés, et ne peuvent retarder davantage l’hymen de Dorval avec Lucile.

La musique, qui a été généralement goûtée, est gaie, chantante, porte un caractère d’originalité, et ajoute à la gloire de son auteur, le cit. Lebreton, à qui l’on doit Montano et le Délire.

Les acteurs des paroles sont les cit. Etienne et Vial.

Les cit. Chenard , Andrieu et Berlin ont contribué au succès de l’ouvrage par leur intelligence.

Madame Gonthier a été très-comique dans le rôle de la tante.

Mademoiselle Jenny a joué avec décence ce lui de Lucile.

Mademoiselle Philis a réuni tous les suffrages pour la vivacité, la finesse qu’elle a déployée dans le joli rôle de Soubrette. Son duo avec le citoyen Chenard a été couvert d’applaudissemens.

F. J. B. P. G***.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 6e année, 1801, tome V, p. 413 :

[Petit opéra, grand succès. La pièce rappelle des comédies du début du siècle précédent. Le résumé de l’intrigue (qui n’est pas très clair) montre une pièce à mariage avec le concours d’un serviteur : ce n’est pas neuf. Bien sûr, tout s’arrange à la fin. Une mention favorable pour la musique. Nom des auteurs, éloge des interprètes : il ne manque (presque) rien.]

THÉATRE FAVART.

Le grand Deuil.

On a joué ce petit opéra avec un grand succès, le 3 pluviôse. Il a une grande ressemblance avee quantité de pièces jouées sur nos différens théâtres, et entre autres , le Légataire de Régnard, et 1e Double Veuvage de Dufresny.

Dorval et Lucile, cousins et amans, ne peuvent décider leurs parens à les unir. L'oncle est obligé de faire un voyage : ce moment paraît précieux à Crispin ; il écrit à la vieille la mort de son mari, et au vieillard la mort de sa femme. La vieille tante cherche déjà à le remplacer, et jette les yeux sur son neveu, à qui elle fait une promesse de mariage. Le barbon arrive pour s'approprier les biens de la défunte, et jette les yeux, pour la remplacer, sur la jolie suivante de sa nièce, qui tire de lui adroitement une donation. Munis de ces pièces, les amans cherchent en vain à éloigner le dénouement. Dans une scène nocturne, fort plaisante, ils se rencontrent et se prennent pour des revenans. S'apercevant qu'on les a joués, ils ne peuvent retarder davantage l'union de leurs pupilles.

La musique est vive, gaie et originale. Elle est du C. Lebreton.

Les auteurs des paroles sont les CC. Etienne et Vial.

La pièce a été bien jouée par les CC. Chenard, Andrieux, Bertin , et M.lle Gonthier, Jenny, et Philis.

Paris pendant l'année 1801, volume XXX, n° CCXXI publié le 14 février 1801, p. 154-157 :

[Un bien long compte rendu pour dire peu. La question qui intéresse le critique, c’est de comparer la pièce nouvelle avec celle qu’elle est censée plagier, le Double veuvage de Dufresny. Deux longs paragraphes initiaux traitent de ce point, avec un constant ton de regret de cette bonne vieille époque où on jouait d’aussi belles comédies, une époque bien oubliée : on ne risquait guère de repérer le larcin ! (et pourtant !). On arrive enfin à l'analyse de la pièce (mais on ne reconnaît pas vraiment ce qu’en avait dit le Magasin encyclopédique ; peu importe, on comprend mieux l’intrigue). Donc un couple dont chaque partenaire apprend la mort de son conjoint, recherche tout de suite un remplaçant, et finit par être détrompé : pour échapper à l’opprobre, ils consentent au mariage de leurs neveu et nièce, qu’il refusaient jusque là. Retour à Dufresny, pour une comparaison précise de sa pièce et de celle qu’on vient d’en tirer. Le critique constate des améliorations (exit « le rôle d’une certaine comtesse, qui est assez froid », exit un suisse inutile, l’intrigue est plus resserrée). Mais ces suppressions s’accompagnent de la disparition de « beautés ». En particulier, la belle scène des deux vieillards dans l’obscurité de la pièce de Dufresny était très supérieure à son équivalent dans l’opéra-comique. Et une réplique de la vieille pièce est mise en avant, pour montrer qu’elle reparaît même dans Beaumarchais. Et le critique rebondit sur Dufresny, cette fois pour nous accabler d’anecdotes concernant son rapport à l’argent, ce qui peut paraître complètement hors-sujet. Il faut bien finir : quatre lignes sur la musique, »neuve, originale & pleine d’expression », œuvre de Lebreton, le spécialiste de l’harmonie entre la musique avec les paroles. On s’attend à voir paraître un jugement sur l’interprétation, on lit à la place un bout de critique sur la première pièce du spectacle, le Délire, ou les Suites d’une erreur de Saint-Cyr, musique de Berton, beaucoup moins drôle que le Grand Deuil, « qui fait beaucoup rire ». Lebreton et Berton ne sont qu'un seul homme : Henri-Montan Berton.]

THÉÂTRE DE L’OPERA-C0MIQUE NATI0NAL.

Le Grand Deuil, Opéra-Bouffon, des Cit. Vial & Etienne, Musique du Cit. Lebreton.

La piece est jolie, très-jolie ; mais il faut que justice soit faite ; la piece n'est pas des cit. Vial & Etienne, qui s'en donnent pour les auteurs ; elle est composée depuis environ un siecle ; & celui, à qui elle appartient, figure avantageusement parmi nos poëtes comiques. Les cit. Vial & Etienne ont adopté cet enfant, comme s'il n'avait pas un pere très-connu ; ils lui ont donné un nom nouveau, un habit plus moderne ; ils l'ont enjolivé d'ariettes ; mais ils n'ont pu le déguiser au point qu'on ne reconnaisse plus dans le Grand Deuil, le Double Veuvage, & dans le nouvel opéra-bouffon une ancienne comédie très-ingénieuse que l'on jouait souvent autrefois au Théâtre Français, & qu'on regarde comme l'une des meilleures de Dufresny.

Le succès d'une pareille supercherie est aujourd'hui très-facile ; les spectateurs ne connaissent gueres du théâtre que les pieces que l'on joue habituellement ; nos anciens auteurs comiques sont pour eux des gens de l'autre monde ; & dans le fonds pourvu qu'ils s'amusent, peu leur importe que ce soit Dufresny ou Vial qui en fasse les frais. Dans toute cette assemblée très-nombreuse que la premiere représentation avait attirée, il n'y avait personne qui soupçonnât qu'il avait jamais existé un Dufresny : les femmes ne lisent que des romans, les hommes que des journaux ; un très-grand nombre ne lit rien du tout : le larcin ne pouvait être apperçu que par quelqu'homme du métier, en sentinelle à l'orchestre pour surveiller l'effet de la piece de son rival ; encore les auteurs ne sont-ils pas très-chargés d'érudition superflue : occupés â composer presque dès leur enfance, il leur reste peu de tems pour la lecture & l'instruction.

Deux vieux époux ont chacun un neveu & une niece qui s'opposent à leur union par une suite de cette humeur chagrine qui nous rend ennemis des plaisirs d'autrui, quand il n'y en a plus pour nous: Crispin imagine, pour détruire cet obstacle, un stratagême très-singulier ; il annonce au mari, qui est aux eaux, la mort de sa. femme, & à la femme la mort de son mari. La vieille, joyeuse d'être enfin débarrassée d'un mari asthmatique & bourru, étale une douleur hypocrite & fastueuse, & mêle continuellement, d'une maniere très-plaisante, ses intérêts avec ses regrets, en se promenant dans un petit bois, pour charmer ses ennuis, elle se rappelle que son mari s'opposait à la coupe qu'elle en voulait faire ; elle songe sur-tout à se procurer un appui & une consolation dans sa solitude ; ce n'est ni un intendant, ni un homme d'affaires qu'il lui faut, c'est un ami, & le neveu de son mari est précisément le successeur qu'elle lui destine, au grand étonnement du jeune homme, qui ne se sent point appellé à consoler une pareille veuve : cependant, par le conseil de Crispin, il en tire une promesse qui doit servir en tems & lieu.

Le bonhomme, de son côté presque rajeuni par la mort de sa femme, arrive brusquement des eaux pour mettre ordre à ses affaires : son dessein n'est pas aussi de rester long-tems veuf, & une jeune femme lui paraît, pour son asthme & pour sa toux un remede sinon plus salutaire, du moins plus agréable que les eaux ; il a jetté les yeux sur la femme de chambre de sa femme, soubrette vive & friponne, qui s'entend avec Crispin pour le duper : elle joue si bien le sentiment, qu'elle tire aussi du vieillard un écrit très-important à ses vues. Après avoir ainsi surpris aux deux époux un témoignage authentique de leur faiblesse, Crispin juge à-propos de mettre un terme à ce double veuvage : la reconnaissance du mari & de sa chere moitié est fort comique ; ils font l'un sur l'autre l'effet d'un revenant : enfin, quand ils ne peuvent plus douter de leur malheur, ils s'efforcent tous les deux de faire bonne contenance ; & pour que leurs projets de mariage, aussi ridicules que précoces, soient tenus secrets, ils consentent malgré eux à l'union du cousin avec la cousine : la piece est terminée par un compliment où l'on prie le public de ne pas confirmer le titre de l'ouvrage par une excessive sévérité, qui mettrait véritablement les auteurs & les acteurs en grand deuil.

Les cit. Vial & Etienne ont fait à la piece de Dufresny des changemens heureux ; ils ont supprimé le rôle d'une certaine comtesse, qui est assez froid, ainsi que le suisse qui rapporte à la femme la nouvelle de la mort de son mari ; ils ont reserré [sic] l'intrigue, qui chez Dufresny est en deux actes : mais en évitant quelques défauts de l'original, ils n'en ont pas conservé toutes les beautés. Les caracteres des deux époux, quoique très-plaisans dans l'opéra, n'offrent cependant pas une touche aussi forte, des traits aussi comiques & aussi originaux que dans la comédie : la scene de la reconnaissance des deux époux, est surtout infiniment plus faible dans l'opéra. Les deux époux dans la piece de Dufresny, se trouvent ensemble dans l'obscurité, persuadés qu'ils sont en bonne fortune, chacun avec l'objet de son nouvel amour : l'époux prend la main de sa femme, qu'il croit être celle de sa maîtresse, & dit en la baisant : Que cette main-là est bien meilleure à baiser que celle de ma femme ; la sienne était rude, celle-ci est douce ! Trait excellent, tout-à-la-fois moral & comique ! Aussi Beaumarchais ne s'est-il pas fait un scrupule de se l'approprier dans son Figaro. Le comte Almaviva dit en prenant la main de la comtesse, qu'il croit être celle de Suzanne : Mais quelle peau fine et douce, et qu'il s'en faut que la comtesse ait la main aussi belle ! A-t-elle ce bras ferme et rondelet ? &c.

Dufresny est d'autant plus aisé à voler, que souvent il ne sait pas lui-même emplover ses richesses ; il ne mettait pas plus d'ordre dans les plans de ses pieces, que dans ses affaires. Louis XIV qui l'aimait, désespérait de pouvoir faire sa fortune ; dès que ce prince lui avait accordé quelque privilege lucratif, Dufresny le vendait à vil prix, au premier besoin d'argent. Un jour, sa blanchisseuse le pria de vouloir bien solder son compte, parce qu'elle allait se marier : « Tu vas te marier, lui dit Dufresny, tu as donc de l'argent ? — Mais, monsieur, lui répondit elle, j'ai amassé une somme de quinze cents francs. — Quinze cents francs ! s'écria le poëte, qui était toujours aux expédiens, donne-les moi & je t'épouse. » Tel était Dufresny, aussi original, aussi irrégulier dans sa conduite que dans ses écrits : son théâtre est plutôt un répertoire de scenes qu'un recueil de comédies ; mais parmi les successeurs de Moliere, aucun n'a porté sur les caracteres un coup d'œil plus fin. Les comédiens Français, à l'occasion du Grand Deuil, devraient bien redonner le Double Veuvage : le public y verrait ce que les auteurs de l'opéra-bouffon doivent au poète comique, & pourrait faire la comparaison des deux ouvrages.

Si la nouvelle piece est fort ancienne, la musique du moins est neuve, originale & pleine d'expression ; elle est digne de la réputation du citoyen Lebreton, l’un de nos meilleurs compositeurs actuels, & celui qui sait le mieux faire entrer la musique dans le caractere du sujet.

Au reste, le Grand Deuil fait beaucoup rire ; & ce jour-là, le véritable grand deuil au spectacle, c'était la piece qu'on a joué la premiere : il n’y a point de convoi funebre aussi triste & aussi lugubre que le Délire. Les femmes l'admiraient cependant, pour l'honneur de leur sensibilité : mais elles s'en plaignaient tout haut : Cela fait venir la chair de poule, disait-on à ma droite : Il joue comme un Dieu, disait une autre a ma gauche ; mais cela fatigue, j'ai le cœur serré, l'imagination noire. Ce n'est cependant pas pour éprouver de pareilles sensations que l'on va à l'Opéra-Comique.

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