Hector, ou le Valet de carreau

Hector, ou le Valet de carreau, parodie-vaudeville en cinq actes de la tragédie de Luce de Lancival, Hector, de Marc-Antoine Désaugiers, Rougemont et Gentil, 25 février 1809

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Hector, ou le Valet de carreau

Genre

parodie-vaudeville

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

25 février 1809

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Désaugiers, de Rougemont et Gentil

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Mad. Masson, 1809 :

Hector, ou le Valet de carreau, jeu de cartes en cinq parties, Par MM. Désaugiers, de Rougemont et Gentil, Représenté pour la première fois sur le théâtre du Vaudeville, le samedi 25 février 1809.

Les cinq parties correspondent à cinq courts actes.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome I, p. 394 :

Hector, ou le Valet de Carreau, joué le 25 février.

Cette parodie a eu tout le succès que pouvoit lui procurer la vogue de la tragédie. C'est l'Iliade et non la pièce de M. Luce qu'elle tourne en ridicule. Hector est le valet de carreau, et tous les autres personnages principaux sont vêtus comme les figures des cartes. Les figurans portent les basses cartes peintes sur leurs tuniques. Il n'y a point d'analyse à faire de cette plaisanterie qui excite le gros rire : elle est de MM. DESAUGIERS, ROUGEMONT et GENTIL.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, avril 1809, p. 286-292 :

[Tragédie à succès implique parodie à succès. Un trio de vaudevillistes a donc écrit cette parodie de la tragédie de Luce de Lancival, Hector désignée dans l’article sous le titre de la Mort d’Hector. L’article s’ouvre sur une accusation de promesse non tenue : la parodie montre plus ce que ne montre pas la tragédie que ce qu’elle montre, le critique nous donne le nouveau nom des personnages, et signale leur travestissement en cartes à jouer. Travestissement sans rapport évident avec la pièce parodiée : le vaudeville « est assez gai, assez animé, à quelques longueurs près, rempli de tableaux grotesques, de couplets quelquefois plaisans, sur-tout par un heureux choix d'airs, et enfin riche de calembourgs » (dont on nous donne deux exemples édifiants). Mais pas vraiment de trace de la parodie d’Hector. Ce que le critique a vu, c’est surtout une parodie d’Homère : ce dont on se moque concerne l’Iliade bien plus que la pièce de Luce de Lancival. Ce qui n’empêche en rien le succès de la parodie, dont les auteurs ont été demandés à l’unanimité.]

Théâtre du Vaudeville.

Le Valet de Carreau.

Dès cinq heures du soir on s'étouffait à la porte du vaudeville pour voir le Valet de Carreau, cet Hector burlesque sur lequel l'Hector de la comédie française,

                            De son char de victoire,
Avait laissé tomber un rayon de sa gloire.

Après le jour de la première représentation d'une pièce qui réussit, le plus beau jour sûrement pour un auteur tragique, ce doit être celui où il voit courir en foule à la parodie, preuve de son succès, sur-tout si l'on trouve en arrivant que la parodie n'a pas parodié la pièce. C'est ce qui est arrivé â ceux qui se donnaient tant de peine pour voir la parodie de la Mort d'Hector, c'est qu'on leur a montré toute autre chose. On nous avait promis dans le couplet d'annonce, la parodie de tout ce qu'on voit et de ce qu'on ne voit pas dans la Mort d'Hector. La seconde partie de la promesse a été réellement remplie. Ce qu'on a vu dans le vaudeville, c'est un Hector habillé en valet de carreau, rouge, bleu, jaune par-devant, blanc par derrière et ayant un carreau planté près de l'oreille droite ; Pâris qui s'appelle Soupiris, Hélène qui s'appelle Haleine, Hécube, Andromaque, Ménélas qui s'appelle Hélas, Achille qui s'appelle Tranquille, et Patrocle, surnommé Patraque, tous travestis également en figures de cartes, et les soldats grecs et troyens vêtus de blanc et représentant chacun une carte à jouer. Toutes ces cartes ont joué en effet, non pas une partie de piquet ou de brelan, mais un vaudeville qui n'a pas le moindre rapport au costume qu'ont adopté les personnages, qui n'en a pas beaucoup davantage aux différentes critiques qu'on peut faire de la Mort d’Hector, mais qui est assez gai, assez animé, à quelques longueurs près, rempli de tableaux grotesques, de couplets quelquefois plaisans, sur-tout par un heureux choix d'airs, et enfin riche de calembourgs, au point de mériter l'envie de tous les vaudevilles passés, présens et à venir. Le nom d’Haleine et celui de Grèce rendent sur-tout prodigieusement dans ce genre. Soupiris chante que le moment où il perdra son Haleine,

Sera son dernier soupir ,

et que, si on la lui enlève, il fondra dans la Grèce (graisse). Ceci n'est qu'un léger échantillon. Ces jeux. où l'esprit se déploie, se multiplient et se succèdent dans la pièce avec une abondance et une rapidité merveilleuse ; mais je n'ai retenu que les plus saillans. Voilà ce que je puis assurer qu'on trouve dans le Valet de Carreau. Quant à la parodie de la Mort d'Hector, je ne l'ai apperçue que dans une plaisanterie qu'Hector fait à Priam au moment de son arrivée sur la scène : Ah ! mon père, vous êtes donc visible aujourd'hui ! Et dans la scène entre Hector et Soupiris, où celui-ci fait le rodomont:

Je n'tai jamais vu comm'ça,

lui chante Hector. Comme te voilà brave! - Que veux-tu, on me fait sortir de mon caractère. Cette scène, parodiée avec gaîté , fait regretter que ce soit la seule qui réponde au titre.

Les auteurs ont partagé leur vaudeville en cinq parties qui se passent alternativement à Troye ou dans le camp des Grecs, et à chaque changement de décoration, un sonneur, comme ceux qui passent tous les matins pour faire balayer et arroser les rues, vient nous avertir que nous allons voir actuellement soit des Grecs, soit des Troyens. Cette plaisanterie serait fort bonne, si M. Luce avait manqué dans sa pièce à l'unité de lieu ; mais il l'a, au contraire, si strictement observée, que cette facétie renouvellée cinq fois, paraît sans objets, et se trouve sans effet, parce que tous les spectateurs sont tentés de se dire à peu près comme Basile : De qui diable est-ce donc qu'on se moque ici ? Je crois, à vrai dire, que c'est d'Homère. Si quelque intention de parodie se montre dans cette pièce, elle tombe sur l'Iliade. Je ne vois pas à cela d'inconvénient ; on aurait pu seulement s'y prendre plutôt. Toutes les plaisanteries du vaudeville portent en effet presque entièrement sur le sujet de la tragédie de M. de Lancival, et non sur la manière dont il est traité. Les gaietés sur les maris, qui ne sont pas prodiguées ici plus que ne le comporte le sujet, ont été, il faut l'avouer, inspirées par Homère. M. Luce n'en peut mais : on doit même dire que, d'après ses suppositions, Ménélas est un mari privilégié, car il y en a peu qui, après un enlèvement de dix ans, pussent se flatter de retrouver une femme aussi vertueuse et aussi fîdelle que le paraît être l'Hélène de M. Luce. Ainsi les dix enfans que, dans le vaudeville, elle ramène de Troye à son mari Ménélas pour l'attendrir, sont tout-a-fait homériques. M. Luce n'en a pas un à se reprocher. Le vaudeville suppose aussi que Pâris ou Soupiris, et Ménélas ou Hélas se rencontrant tête à tête, se félicitent d'être des poltrons pour lesquels on se bat et qui se tiennent prudemment à l'ombre. Comme dans une autre scène on a reproché à l'auteur de la tragédie d'avoir fait son Pâris trop brave, ce n'est sûrement pas à lui qu'on reproche dans celle-ci d'en avoir fait un lâche : c'est donc à Homère. Il est vrai qu'Homère n'a jamais dit que Ménélas ni Pâris fussent des lâches, mais les journaux supposent qu'il l'a dit, et c'est bien assez pour un vaudeville de citer Homère d'après les journaux. J'ai cru voir aussi une parodie d'Homère dans la manière dont Ménélas termine le premier acte : après avoir dit qu'il ne peut vivre sans sa femme, ou pour mieux dire sans son Haleine, il ajoute : allons dîner. On sait que les héros d'Homère mangent beaucoup ; il leur arrive même, quand l'occasion le requiert, de souper deux fois; car c'est au sortir d'un grand festin que leur a donné Agamemnon, qu'Ulysse et autres vont porter, de sa part, des paroles de paix à Achille, qui leur fait à son tour préparer un festin auquel ils ne manquent pas de faire honneur. L'avis d'aller dîner ou souper fait presque toujours partie de ceux qui ont immortalisé la prudence d'Ulysse ou de Nestor; et quand Achille désolé se refuse la nourriture pour pleurer sur le corps de Patrocle, Ulysse déclare positivement que ce n'est pas par le jeûne qu'on doit honorer la mémoire des morts, et sur cela il va se mettre à table. Pendant que les auteurs du vaudeville étaient en train de parodier Homère, ils avaient là-dessus beaucoup de choses à dire, et l'air : Nous séparerons-nous sans boire, qu'on chante entre chaque acte en y appliquant d'autres paroles, m'aurait paru merveilleusement bien amené à la fin d'un conseil de héros grecs. J'avoue aussi que, lorsque j'ai entendu dans l'ouverture le fameux air :

Cadet Rousselle est un monsieu
Qui fait la guerre au coin du feu,

j'ai cru qu'il était question d'Achille. Nous avons dans nos Ponts-Neufs des trésors de parodie qui ne demandent qu'à être employés ; mais, comme je l'ai dit, les auteurs du vaudeville paraissent avoir voulu en user avec modération. Après avoir touché si légèrement M. Luce de Lancival, ils ont encore eu soin de le guérir. Son Hector est ressuscité à la fin par Melpomène qui descend dans un nuage tout exprès pour rendre la vie au héros qu’elle aime. Je ne doute pas de sa tendresse pour l'Hector vivant, mais je crois, sans offenser personne, qu'elle l'aime bien autant mort, et je pense qu'elle y aura regardé à deux fois avant de faire cesser le veuvage d'Andromaque. Melpomène ajoute encore que c'est la mort d'Hector

Qui produira son immortalité.

Je croyais jusqu'à présent qu'Homère y avait déjà fait quelque chose. Ce vaudeville a complettement réussi. Les auteurs, demandés à l'unanimité, sont MM. Desaugiers, Rougemont et Genty.                               P.

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