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L'Homme aux Convenances

L'Homme aux Convenances, comédie en un acte et en vers, de Jouy, 13 avril 1808.

Théâtre Français.

Titre :

Homme aux convenances (l’)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

13 avril 1808

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Etienne de Jouy

Almanach des Muses 1809.

M. Gerfeuil, en deuil de sa maîtresse, se dispose à célébrer par un souper l'heure où ce deuil cessera ; c'est aussi à ce moment qu'il remet la déclaration de son amour pour Adèle, fille de Mme de Surville. Malheureusement pour lui, Victor a su déjà gagner le cœur d'Adèle. Comme le souper que doit donner Gerfeuil est un souper en famille, et que Victor est son parent, ce dernier reverra sa chere Adèle, puisque l'usage adopté par Gerfeuil l'a voulu. Conformément encore à l'usage, Victor engage son cérémonieux cousin à faire pour lui une demande en mariage dans toutes les regles et par écrit ; celui-ci y consent, et rédige une lettre où il loue toutes les belles qualités de son cousin ; cette lettre est remise à Mme de Surville, qui, ennuyée des éternelles cérémonies de Gerfeuil, consent à l'union d'Adèle et de Victor.

Caractere qui semblait devoir paraître piquant, et qui a paru froid ; de l'esprit, des détails agréables ; peu de mouvement. Succès contesté.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Mad. Masson, 1808 :

L'Homme aux convenances, comédie en un acte et en vers, Par M. de Jouy ; Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre Français, le 13 Avril 1808.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1808, tome III, p. 168 :

[Défense des convenances : c’est ce par quoi commence ce compte rendu. Le critique s’attache à défendre ce qui fait les convenances, « politesse, devoirs, esprit même », et défend qui les respecte : celui qui est ridicule, « c'est l'homme qui les observe ridiculement », « toute qualité poussée à l'excès » devenant « un défaut ». La pièce a échoué, parce que l’auteur n’a voulu avoir que de l’esprit. Rappel salutaire : « Si Molière n'avoit eu que de l'esprit, la scène française ne seroit pas si riche de son héritage. »]

THÉATRE FRANÇAIS.

L'homme aux convenances, comédie en un acte et en vers, jouée le 13 avril 1808.

Est-ce un travers que de se conformer rigoureusement aux convenances et d'exiger que tout le monde en fasse autant ? Les convenances ne sont-elles pas la base de la société ? Politesse, devoirs, esprit même, tout est convenance. Ce qui chez nous prouve le meilleur ton, l'éducation la plus parfaite, seroit chez d'autres peuples de la plus grande inconvenance : le héros de la pièce nouvelle a donc raison quant au fond ; il est vrai qu'il peut avoir tort par la forme : mais seulement parce qu'il est minutieux : ce n'est pas l'homme aux convenances qui est ridicule, c'est l'homme qui les observe ridiculement : toute qualité poussée à l'excès ne devient-elle pas un défaut ; c'est ce que n'a pas senti l'auteur de la pièce ; aussi n'a-t-il pas réussi. Ces Messieurs veulent absolument n'avoir que de l'esprit. Je faisais cette observation en rendant compte d'une pièce du même auteur qui n'a pas eu plus de succès. Si Molière n'avoit eu que de l'esprit, la scène française ne seroit pas si riche de son héritage.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1808, p. 248-255 :

[Un bien long compte rendu pour une pièce peu appréciée finalement. Le critique choisit de réfléchir à ce que c’est que « peindre un travers ». Et il prend des exemples pour montrer que, pour bien faire cette peinture, il faut soigneusement délimiter ce qu’est ce travers, sans montrer un trait de caractère relevant d’un autre travers. Tout cela pour arriver à « l'Homme aux Convenances », un caractère « difficile à bien saisir », d'abord parce qu’il « peut souvent masquer autre chose ». L'Homme aux Convenances ne peut guère être un homme riche, ni « un homme d'un rang très-distingué », gens qui n’ont rien à prouver en se montrant attentifs aux convenances. C’est au contraire quelqu’un de peu sûr de soi et qui a besoin de montrer sa valeur. Celui que la pièce peint est « l'homme aux convenances d'aujourd'hui, plutôt que celui de tous les temps », quelqu’un qui tient à maintenir l’étiquette pour garder son prestige. Il est maintenant temps de raconter en détail l’intrigue, en soulignant combien l’homme aux convenances est victime de son obstination à respecter strictement les normes sociales. Et il manque le mariage auquel il aspirait au profit du jeune parent avec qui il était fâché et qu’il a invité par convenance. Le jugement porté ensuite est rapide : « beaucoup d'esprit dans cette petite pièce, et un grand nombre de vers heureux et piquans », mais fond limité et dénouement assez mal amené. Mais le public a applaudi,malgré la tentative de quelques-uns de faire tomber la pièce. L’auteur a été nommé.]

THÉATRE FRANÇAIS.

L'Homme aux Convenances.

Avant de peindre un travers, il faut en examiner la source ; c'est l'effet qu'il produit dans le monde qu'il faut rendre sur le théâtre ; mais c'est dans les causes qui le produisent qu'il faut chercher de quoi rendre cet effet plus piquant, en n'attribuant jamais à une passion, à un sentiment, à un travers d'esprit ce qui peut venir d'un autre, en se gardant de réunir dans un même caractère des traits qui, pour se rapprocher, n'en appartiennent pas moins à des caractères différens. Ainsi, par exemple, le tuteur des Folies amoureuses [pièce de Regnard, créée en 1704] est simplement un vieillard fâcheux, sans aucun trait d'une passion ou d'un caractère particulier ; aussi il réunit tous ceux qui peuvent le rendre désagréable , incommode et intraitable:

            Il est jaloux, fâcheux,
Brutal à toute outrance, avare, dur, hargneux.

Persuadé que

Ce n'est pas par douceur qu'on rend sages les filles,
Il veut du haut en bas faire attacher des grilles,

Sans qu'on sache précisément quel est son objet,

Il fait dans son château toute la nuit la ronde.

L'inquiétude et l'humeur, voilà son état naturel ; elles se portent sur tout. La flatterie ne peut rien sur lui, parce qu'il n'a point de passion favorite qu'on puisse flatter pour endormir les autres. Il est inquiet pour son argent comme pour son amour, comme il serait inquiet sur le compte de ses enfans s'il en avait, comme il l'est sur le compte de ses domestiques et doit l'être sur celui de ses amis : il craint tout, de tout et pour tout. Harpagon ne craint que pour son argent ; quant au reste, il ne s'en inquiette pas, ne songe pas à surveiller la conduite de sa fille où à s'informer de celle de son fils ; il ne s'occupe que de leur dépense. Il est sur l'amour d'une crédulité ridicule, et plus ridicule encore peut-être quand il s'abandonne à Valère, qui flatte sa passion favorite et veut lui faire faire bonne chère avec peu d'argent. Qu'on épargne son argent, il ne lui en faut pas davantage ; vous le trouverez sur tout le reste d'une facilité surprenante, et le sans dot ne lui laisse pas raison à opposer. C'est le véritable avare ; il n'est que cela ; la méfiance sur tout autre point détruirait l'idée qu'on a de son avarice, parce qu'elle ferait penser qu'il peut s'occuper d'autre chose que de son argent. Ainsi, quoiqu'Albert et Harpagon se montrent tous deux avares et méfians, quelque rapport que puissent avoir quelques-unes de leurs actions, il est clair qu'elles ne viennent pas de la même source et que ce qui tient à là méfiance dans l'un, tient à l'avarice dans l'autre.

Le caractère de l'Homme aux Convenances était peut-être difficile à bien saisir dans sa source. L'amour des convenances peut souvent masquer autre chose. Il y a l'homme tenant aux convenances seulement, parce qu'il veut qu'on les observe envers lui, et l'homme qui, les observant pour le pur amour de la chose, regarde les convenances comme le point le plus important de la vie, et croirait avoir donné un exemple fatal aux mœurs, si en cas de mort ou de mariage il manquait de se faire écrire chez celui ou celle qui fait part. Ce dernier caractère est celui d'un esprit vide et borné, qui, ne sortant-jamais hors du cercle des convenances de société, en a fait l'objet de toutes les réflexions dont il est capable, et l'affaire essentielle d'une vie qui n'a point d'affaires. On ne peut guères, je crois, donner ce caractère à un homme riche ; un homme riche a toujours quelques affaires, ne fût-ce que de manger son argent, ce qui procure toujours des occupations plus amusantes que d'aller faire des visites. Il ne convient peut-être pas non plus à un homme d'un rang très-distingué. La naissance ainsi que la fortune donnent une certaine liberté de manières qui s'affranchit nécessairement de quelques convenances, et très-attentifs aux convenances de rang ou de fortune dans les affaires importantes, les grands seigneurs pouvaient peut-être plus que d'autres négliger quelques-unes de ces nuances de formes qui composent le manuel d'un pédant de société. D'ailleurs, cette sorte de pédanterie doit appartenir plus particulièrement à celui qui, n'étant pas bien sûr par ses avantages de compter beaucoup dans la société, veut au moins par sa science profonde des usages qu'elle prescrit, rappeller à chaque instant qu'il en fait partie : et voilà pourquoi elle est aujourd'hui si commune dans la bonne compagnie ; mais elle y a pris un caractère particulier, celui d'une inquiette attention à se faire rendre ce qu'on vous doit,et qui n'est exacte à observer les égards que pour bien constater ce qu'on en attend soi-même. Aussi n'est-ce, à rang égal sur-tout, que dans ce qu'on appelle la haute société, les convenances sont observées avec une scrupuleuse attention, comme autrefois on se gardait de manquer à rien envers les gens de son nom, pour que personne n'oubliât ce qu'on devait à ce nom-là. Ce qui composait autrefois la classe élevée de la société, a perdu la plupart des avantages qui y marquaient son rang d'une manière incontestable ; voila pourquoi elle a tant de peur qu'on ne les oublie, et que l'étiquette scrupuleuse qu'elle conserve est une sorte d'exemple qu'elle veut donner, qui, n'ayant guère pour objet que les individus de la même classe, s'étend peu aux classes inférieures, et doit nécessairement être mêlée d'un peu de hauteur. C'est-là le caractère que l'auteur de la pièce nouvelle a donné à son Homme aux Convenances, et ainsi, il a peint l'homme aux convenances d'aujourd'hui, plutôt que celui de tous les temps.

Gerfeuil, l'homme aux convenances, a un beau nom, une belle fortune, quarante ans, et il loge au fauxbourg Saint-Germain. Il ne paraîtrait pas dans son salon le matin en robe-de-chambre ; il y pourrait venir quelqu'un, et il faut se respecter. Il s'indigne contre l'ouvrier qui a gravé ses cartes de visites, de ce qu'il ne sait pas que, dans son nom, De étant une particule,

Ne se doit écrire avec la majuscule,
Voyez un peu quel air ont ces mots réunis,
Et Degerfeuil écrit comme on écrit Denis!

Il vient de perdre un procès de deux mille écus de rente, pour n'avoir pas voulu faire les premiers frais d'un accommodement envers sa partie qui, n'étant qu'un homme de finance, devait le prévenir. Il assemble, à souper, deux hommes qui se haïssent, mais qui, étant assortis pour la rang et la naissance, seront sûrement fort aises de se trouver ensemble ; car

Ils se conviennent fort, quoiqu'ils ne s'aiment guères.

Il se croit obligé de prier à ce même souper, qui est un souper de famille , un de ses parens avec lequel il était brouillé, parce que celui-ci ne lui avait pas fait de visite au premier jour de l'an. Ce jeune parent, nommé Victor, aspirait à la main d'Adèle, fille de Mme. de Surville amie de Gerfeuil ; mais cette amie ayant consulté Gerfeuil sur la demande qui lui a été faite par Victor, celui-ci qui se souvenait de la visite du premier jour de l'an, lui en a fait un portrait assez défavorable, et la demande a été rejettée. Depuis ce temps-là, Mme. de Surville est venue à Paris, et a formé le projet de donner sa fille à Gerfeuil, qui, de son côté, a formé aussi le projet d'épouser Adèle, mais ne peut s'expliquer que demain, parce que jusqu'à demain ces dames sont en deuil, et que décemment une proposition de mariage ne peut se faire aujourd'hui pendant un deuil qui ne finit que demain. En attendant, il s'occupe des apprêts d'un baptême où il doit être le parrain, manque pour cela un enterrement, la première chose de ce genre sans doute à laquelle il ait manqué de sa vie, manque aussi l'audience du ministre chez lequel il doit aller pour obtenir qu'on lui rende ses bois ; mais un oncle de sa future y va pour lui, et parle si bien et si haut de ce pauvre Gerfeuil qu'il peint comme absolument ruîné, que le ministre, touché, finit sur-le-champ son affaire, et que Gerfeuil, furieux en apprenant le succès de ses soins et les moyens qu'il a employés, s'écrie qu'il l'a compromis, déshonoré, et s'emporte contre ces gens

Qui savent obliger et ne savent pas vivre.

L'oncle, plus furieux encore, déclare que Gerfeuil n'épousera jamais sa nièce. Pendant ce temps-là Victor, qu'il protège, a travaillé à détruire les préventions de Mme. de Surville ; mais elle est arrêtée par l'opinion de Gerfeuil et l'espèce d'engagement qu'elle se croit avec lui, quoiqu'il ne lui ait encore parlé de rien positivement. Victor imagine, pour lever ce double obstacle, de faire écrire par son formaliste cousin une lettre dans laquelle celui-ci fait. pour lui Victor, une demande de mariage en vantant ses bonnes qualités. Cette lettre, qu'il emporte avant que Gerfeuil, qui attend son cachet de famille, ait eu le temps de faire l'enveloppe et de mettre l'adresse, est remise par lui à Mme. de Surville, qui, croyant s'être trompée sur les projets de Gerfeuil, et s'imaginant qu'il demande Adèle pour Victor, la lui accorde au moment où Gerfeuil, qui a consulté de nouveau son calendrier et s'est apperçu que le deuil finissait un peu plutôt qu'il ne l'avait cru, arrive pour déclarer son amour.

Il y a beaucoup d'esprit dans cette petite pièce, et un grand nombre de vers heureux et piquans. Le fond est peu de chose ; et le dénouement n'a pas paru très bien amené. Cependant l'équité de la plus grande partie des spectateurs l'a emporté sur la malveillance de quelques-uns qui avaient eu soin de se prononcer dès le commencement de la pièce. L'auteur demandé et nommé est M. de Jouy , auteur de la Vestale.                  P.

D’après la base la Grange de la Comédie Française, la pièce de de Jouy a connu deux représentations en 1808.

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