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La Vestale

La Vestale, tragédie lyrique en trois actes, de Jouy et Spontini, 15 décembre 1807.

Théâtre de l’Académie Impériale de Musique

Titre

Vestale (la)

Genre

tragédie lyrique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

vers

Musique :

oui

Date de création :

15 décembre 1807

Théâtre :

Théâtre de l’Acadéime Impériale de Musique

Auteur(s) des paroles :

M. de Jouy

Compositeur(s) :

M. Spontini

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Roullet, 1807 :

La Vestale, tragédie lyrique en trois actes, représentée pour la première fois, sur le Théâtre de l’Académie Impériale de Musique, le 15 décembre 1807.

Mercure de France, littéraire et politique, tome trentième, n° CCCXXXV (samedi 19 décembre 1807),p. 567 :

Spectacles. —L'Académie impériale de musique a donné mardi dernier, la première représentation de la Vestale.

Cet opéra a obtenu le succès le plus brillant et le plus complet. Le sujet est très-attachant ; l'action est simple, claire et bien conduite. L'intérêt croît de scène en scène, d'acte en acte, jusqu'au dénouement qui a mis le comble au plaisir des spectateurs. La versification est pure, facile, élégante et semée de traits de dialogue dramatiques. L'auteur est M. Jouy, déjà connu par plusieurs succès sur différens théâtres.

La musique est riche, harmonieuse, pathétique, parfaitement adaptée aux situations, et présente partout le caractère d'un grand talent. Elle est de M. Spontini, élève du fameux Cimarosa, et l'auteur du joli opéra de Milton. Celui-ci, d'une composition plus vaste, mettra le sceau à sa réputation, ainsi qu'à celle de Mme Branchu qui chante et joue supérieurement le beau rôle de la Vestale. Nous reviendrons sur cet ouvrage, l'un des plus marquans de la scène lyrique, et qui, de même que le Triomphe de Trajan, a le mérite d'être fort bien écrit et doit, comme cet opéra, contribuer à. assurer pendant long-tems la prospérité de ce théâtre.

S. M. l'Impératrice a honoré cette représentation de sa présence. Les acclamations les plus vives, et des applaudissemens réitérés ont éclaté à sa vue, et lui ont témoigné les sentimens qu'elle inspire.

Mercure de France, littéraire et politique, tome trentième, n° CCCXXXVI (samedi 26 décembre 1807), p. 628-629 :

Académie Impériale de Musique. — Le succès de l'opéra de la Vestale étoit à chaque représentation. Ce bel ouvrage gagne beaucoup à être vu une seconde fois, et cette épreuve est une marque incontestable du mérite réel de cette tragédie lyrique ; à une première représentation, le cœur se laisse quelquefois surprendre par des situations attachantes, et l'on applaudit alors ce que souvent on blâme ensuite ; il n'en est pas ainsi de la Vestale, et chaque nouvelle représentation sanctionne le premier jugement du public.

L'action se passe à Rome, ce jour où. Licinius, général romain et vainqueur des Gaulois, doit obtenir les honneurs du triomphe : il reçoit la couronne triomphale des mains de Julia, jeune vestale qui jadis lui fut promise, et pour laquelle il brûle toujours des mêmes feux : pendant cette cérémonie il lui annonce qu'il se rendra la nuit dans le temple de Vesta, où elle est chargée d'entretenir le feu sacré.

Au second acte, Julia est dans le temple de la Déesse ; elle balance entre le devoir et l'amour ; mais ce dernier sentiment l'emporte, et elle ouvre les portes du temple à son amant : à la vue de Licinius, Julia oublie tout, et laisse éteindre le feu sacré. Un bruit extérieur se fait entendre, et Licinius qui sait que la perte de Julia serait inévitable s'il était surpris dans ce temple, s'échappe, et jure de revenir la soustraire au sort qui la menace ou de périr avec elle. Le souverain pontife menace Julia de la mort si elle ne nomme l'audacieux qui a profané l'enceinte du temple,1a Vestale se tait ; on la dépouille de ses ornemens, on lui jette un voile noir sur la tête, et elle est remise aux mains des licteurs.

Le troisième acte représente le champ d'exécration ; Licinius implore du souverain pontife la grâce de Julia, il ne peut l'obtenir. Julia est amenée sur la scène, elle va périr ; mais Licinius revient à la tête de quelques amis fidèles s'opposer à l'exécution de cette sentence barbare : il s'engage un combat pendant lequel le feu du ciel consume le voile de Julia qui était exposé sur l'autel de Vesta. A ce signe de. pardon le pontife prononce, au nom de la Déesse, la grâce de Julia, et les amans sont unis dans le temple de Vénus Erycine.

Le Poëme, qui est de M. Jouy, est très-bien écrit, et coupé d'une manière habile et favorable pour la scène. On s'accorde généralement à dire que le second acte, sur-tout, est d'un très-grand intérêt, et l'un des plus beaux du théâtre lyrique. Je ne prétends pas disculper l'auteur des critiques que l'on a faites de son ouvrage ; cependant je dois observer qu'on lui a adressé un reproche qui ne me semble pas fondé : on lui demande pourquoi Licinius choisit le jour même de son triomphe pour entretenir Julia de sa passion : je ne répondrai que par une raison qui me paraît péremptoire, c'est que Licinius ne peut approcher de Julia qu'au moment où elle le couronne.

La musique, qui est de M. Spontini, élève du fameux Cimarosa, fait le plus grand honneur à ce jeune compositeur, et le place au rang de nos meilleurs musiciens. Son premier ouvrage à l'Opéra est un véritable coup de maître. Je ne veux cependant pas laisser croire que M. Spontini a déjà égalé Gluck et Sacchini, cet éloge serait outré : je dirai même franchement, que j'ai remarqué quelques fautes de prosodie dans le récitatif, et c'est sur-tout à un étranger qu'il faut les pardonner. Cependant que M. Spontini ne s'offense pas de cette remarque : lorsqu'on a autant de talent que lui on est digne d'entendre la vérité ; ce qui lui manque s'acquiert par l'habitude et l'étude de notre langue, et l'auteur de la musique de la Vestale, possède ce que l'on ne peut gagner même par le travail, le génie de la musique.

Le défaut de place m'oblige à parler, dans un autre article, des ballets, des décorations, des artistes du chant et de la danse, qui se sont distingués dans l'Opéra de la Vestale.

B.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 12e année, 1807, tome VI, p. 412-415 :

[La Vestale est un grand succès, et l’auteur du compte rendu partage l’enthousiasme du public. Il reproche seulement à la pièce les anachronismes de sa décoration. Sinon, tout le reste est jugé positivement, jeu des acteurs et des danseurs, musique et même le « poëme », ce qui n’est pas si fréquent.]

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

La Vestale.

La foule assiège encore l'Opéra, et à la quatrième représentation de la Vestale, la salle était pleine. Voici le sujet du poème.

Julia était promise à Licinius (1). Pendant que ce consul est allé combattre les ennemis de l'état, des parens superstitieux forcent Julia d'entrer dans le corps respecté des Vestales. Après cinq ans , Licinius revient triomphant, et trouve sa maîtresse cloîtrée, il forme le projet de l'enlever. En vain Cinna son ami lui donne des conseils excellens ; on sait que les conseils ne sont pas faits pour ceux qui en ont besoin. Cinna ne pouvant rendre Licinius à la raison, consent à partager son erreur. Les Vestales paraissent, la cérémonie du
triomphe s'apprête, et c'est des mains de Julia que Licinius triomphant reçoit la couronne de lauriers. On danse, et le premier acte finit. Le théâtre représente, au second acte, l'intérieur du temple de Vesta. Julia doit veiller toute la nuit. Après un léger combat entre l'honneur et le devoir, elle ouvre la porte du temple, et Licinius y est introduit. La conversation s'anime, les deux amans jurent d'être époux, et quand ils veulent en prendre à témoin l'autel de Vesta, le feu sacré s'éteint. Aussitôt toute la ville en est informée. Les Prêtres accourent ; Licinius n'a que le temps de se sauver. Le procès de Julia est bientôt fait. Tout le monde connaît l'affreux supplice que la superstition romaine infligeait aux Vestales coupables.

Au troisième acte, le théâtre représente le lieu où les malheureuses victimes étaient sacrifiées : on y voit les tombeaux des Vestales qui ont péri avant Julia ; le sien est déjà élevé, et l'inscription y est Licinius vient dans ce triste lieu. L'amour l'emporte dans son cœur sur les menaces du grand-prêtre avec lequel il a une discussion fort vive.

Ce consul, voyant qu'il n'y a rien à gagner avec ces gens-là par des raisons les menace du courroux de l'armée, et sort. Un Aruspice fait part au grand-prêtre de ses craintes. Enfin la victime approche ; déjà le pain et l'eau sont descendus dans la fosse ; on met à la main de Julia une lampe, seule lumière qu'elle doive voir jusqu'à ce que les horreurs de la faim l'aient consumée lentement. La pierre fatale couvre sa tête ; alors arrivent Licinius et Cinna qui croyent, à la tête de leurs soldats, faire fuir les prêtres et les Vestales timides et sauver Julia : mais l'Aruspice a de son côté prévenu des soldats qui se battent pour les prêtres. Tout cela finirait mal, si Vesta elle-même ne s'en mêlait. Une grande flamme paraît dans le ciel, le voile de la Vestale, qui avait été posé sur l'autel, est embrasé par la foudre, et le feu sacré rallumé, apaise les Romains superstitieux. Julia est tirée de sa tombe, et conduite par Licinius au temple de Vénus où on les marie sur le champ. Un ballet termine la pièce.

Madame Branchu, Messieurs Lainez et Adrien ont très-bien joué les rôles de la Vestale, de Licinius et de Cinna. Saint-Amant, mesdames Clotilde, Vestris et Chevigny ont paru dans les ballets, dont la moitié est due à Gardel et l'autre à Milon. Ils sont gracieux et bien dessinés. Le pas des tympanons (2) est charmant. Les décorations sont très-belles, entre autres la première qui représente une place de Rome, sur le bord du Tibre, d'où l'on découvre une partie de la ville, et celle du troisième acte qui offre un superbe effet de clair de lune : mais, dans la décoration du premier acte, il m'a semblé reconnaître les colonnes Trajane et Antonine, qui ne devaient pas exister l'an 549 de Rome, non plus que le moles Hadriani. Il faut supposer que ce sont d'autres colonnes et un autre bâtiment que le décorateur a voulu représenter.

La musique est de M. Spontini. Elle a été très-applaudie. Le poème, en passant sur les anachronismes et les fautes historiques, est bien coupé et produit beaucoup d'effet ; il est de M. de Jouy.

(1) La famille Licinia était la plus considérable des Plébéiennes à Rome. Plusieurs de ses membres eurent la dignité de tribun militaire ; en 3[??] de Rome, un Licinius fut général de la cavalerie : c'était le premier Plébéien honoré de cette charge. Il fut consul en 390, et fit avec Sextius son collègue une loi, par laquelle ils voulaient que l'on ne créât plus à l'avenir de consuls, qu'il n'y en eût un de famille plébéienne. Le Sénat fut contraint d'y consentir. Un autre Licinius fut consul en 549. Il défit les Lusitaniens, et obtint les honneurs du
triomphe. C'est sans doute celui-là dont l'auteur de la Vestale a fait le héros de sa pièce. placée.

(2) Tympanum, petit tambour que l'on voit sur plusieurs monumens relatifs à Cybèle ou à. Bacchus. Il ressemble à nos tambours de basques.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome II, février 1808, p. 261-271 :

[La Vestale a droit à un long compte rendu, car elle semble destinée à une carrière prometteuse. Premier point important : son intrigue est d’une grande simplicité, sans incidents inutiles, sans rebondissements multiples. Julia, la vestale est responsable de l’extinction du feu sacré, qu’elle a négligé à cause de la présence de son amant. Elle doit mourir, on prépare son ensevelissement vivante, mais Vénus montre qu’elle pardonne la faute, et Julia peut épouser Licinius. Après nous avoir rassurés sur le sort de la malheureuse Vestale, le critique pose l’embarrassante question de savoir ce qui compte le plus dans un opéra, du livret (le poème, comme on dit alors) ou de la musique. Il voit bien que l’opinion est en train de changer, et que la musique est désormais considérée comme l’élément essentiel. Visiblement, il ne partage pas ce point de vue, et soutient que la réussite d’un opéra comme la Vestale (et l’échec d’autres opéras, au livret trop froid) tient largement à la qualité du livret. Celui de la Vestale n’est pas sans défaut, et le critique revient avec minutie sur deux points qu’on peut reprocher au livret, mais il retourne en fait l’argument, pour y voir des moyens indispensables pour la beauté de la situation dans un cas, et pour arriver à la scène capitale de la condamnation dans l’autre. De même, s’il est possible de reprocher à l’auteur un goût immodéré «  des sentences, des maximes » qui ne simplifie pas la vie du compositeur, si le dialogue manque parfois de chaleur, « la pièce est en général bien écrite », et elle a offert au compositeur de quoi montrer son talent. C’est sur lui que l’article s’achève : jeune compositeur, il est un de ces compositeurs étrangers qui viennent eu France « contre les maîtres en possession de notre grande scène lyrique », comme Winter et Paësiello. L’examen de quelques éléments de sa composition en montre la qualité, surtout remarquée dans le deuxième acte. Ce qui n’empêche pas qu’il doive progresser encore, notamment dans l’adaptation de sa musique à la prosodie de notre langue. Mais il a contribué à un ouvrage qui gagne à être vu plusieurs fois pour mieux sentir la richesse.]

·ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

La Vestale.

La seconde représentation de la Vestale a confirmé toutes les espérances qu'avait données la première : l'affluence était encore plus considérable et le succès a été le même.

Nous allons donner l'idée du sujet : en retracer une très-longue analyse serait superflu : lorsque le sujet est simple et bien conçu, qu'il a de l'unité et de l'intérêt, une marche régulière et progressiye, sans incident étranger à l'action, et sans épisode parasite, il doit suffire de l'énoncer ; or, la Vestale a tous les titres nécessaires pour qu'on lui applique cette idée, et qu'on s'épargne à son égard les longs efforts si souvent et si vainement faits pour exposer au lecteur fatigué, les ressorts obscurs d'une intrigue pénible et d'une action compliquée dans son invraisemblance.

Ici l'action est d'une clarté parfaite ; . elle marche naturellement au but ; peu de mots suffisent pour l'indiquer.

Une vestale a conservé jusques dans le temple sacré le souvenir d'un amour que ses parens n'ont pas approuvé : Licinius, son amant, a été chercher les périls, il a trouvé la gloire, et revient triomphateur. En descendant de son char de victoire, il trouve dans la vestale qui le couronne, la femme dont il est encore plus épris que jamais : cette nuit même, celle du triomphe de son amant, elle doit veiller à la conservation du feu sacré : c'est pendant cette nuit que Licinius veut la voir et, s'il se peut, l'arracher au culte qu'elle a embrassé. Julia cède à l'ascendant qui l'entraîne ; elle reçoit son amant dans l'enceinte sacrée, et au moment où une flamme coupable s'élève dans leur sein et les consume, la flamme sainte meurt sur l'autel de la déesse : un ami de Licinius l'entraîne hors du temple, au nom même des dangers de Julia ; mais leurs pas ont été découverts : Julia surprise évanouie au pied de l'autel, le feu sacré éteint, les deux guerriers apperçus, tout la condamne ; elle-même élève la voix pour confesser qu'elle aime, et demande la mort.

Le champ d'exécration s'ouvre pour elle, et la tombe où, vivante, elle doit descendre, est préparée : en vain Licinius a supplié, a menacé le prêtre de Jupiter : cet interprète des dieux ne parle que de leur courroux, et Julia va payer de sa vie son oubli de leurs lois : le peuple est rassemblé et demande la victime : le voile noir est jetté sur sa tête ; ses compagnes attendries, lui disent un éternel adieu ; mais Licinius paraît suivi d'amis fidèles : il vient à l'exemple d'Achille

Epouvanter l'armée et partager les dieux.

Le combat s'engage autour de la tombe qui déjà a reçu la vestale ; le peuple suit éperdu ; bientôt les dieux se montrent moins sévères : leur tonnerre se fait entendre, la foudre consume la robe de la prêtresse exposée sur l'autel de Vesta  ; le feu sacré se rallume, le ciel a pardonné, et du sein des tombeaux, Julia. se voit transportée dans le temple de Vénus Erycine, où l'autel de l'hymen est préparé pour elle.

Quoiqu'il semble, depuis quelque temps, à-peu-près reconnu que le véritable auteur d'un opéra est le compositeur ; quoique le nom de ce dernier se perpétue d'ordinaire tout-à-fait aux dépens de celui du poëte ; quoique le nom de Quinault soit presque le seul qui, malgré les arrêts de ses sévères censeurs, vive près de celui du musicien qui lui prêta sa lyre, on nous pardonnera de nous arrêter un moment sur le poëme nouveau, qui nous paraît avoir assez puissamment servi le musicien, pour avoir dans le succès de l'ouvrage toute la part qu'il mérite. Le choix du sujet, les situations qu'il amène, le contraste qu'il offre, les couleurs dont il permet l'emploi, la grande, expression à laquelle il ordonne, au compositeur de s'élever ; le ton religieux, solennel et pathétique qu'il lui fait prendre,successivement ; la variété qui naît de cette heureuse combinaison, l’intérêt qui en résulte, tout cela est d’abord et en première ligne l'ouvrage du poëte, auquel, avant tout, il en faut tenir compte. Le musicien l'a très-habilement secondé : nous le prouverons tout-à-l'heure, mais le musicien lui-même, placé sur un sol moins fertile, en aurait-il obtenu de pareils fruits ? Et lorsqu'après le grand succès de la Vestale, on vient à repasser en revue les ouvrages qui l'ont précédée, pour faire une assez injuste critique et de nos compositeurs et de leur style et de leur école, ne devrait-on pas avoir la justice d'avouer qu'ils ont été loin d'être servis par le poëte, comme le jeune et habile compositeur dont nous parlons ici ? Avec des sujets dénués d'intérêt, des poëmes froids et des paroles peu lyriques, ils ont. dû être entraînés à un style qui montrait plus de science qu'il n'attestait d'inspiration ; avec un sujet attendrissant, des scènes pathétiques et un style animé,. ils eussent peut-être été expressifs et mélodieux. La musique d'OEdipe est tombée des cieux,comme le disait Gluck, auquel on annonçait qu'elle était tombée au théâtre ; mais croit-on que Sacchini n'ait pas trouvé dans les belles scènes de ce poëme, dans sa pathétique simplicité, le cachet de son style et son inspiration première ? Lorsqu'il n'y a ni situation ni style, les efforts du musicien sont d'autant plus vains qu'ils se font plus sentir ; quand il y a du style et des situations, un musicien même faible réussira. Qu'on juge, après cela, si le compositeur moderne a quelqu'obligation à l'auteur de la Vestale, de lui avoir disposé un tel sujet, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, si bien préparé sa palette.

Ce n'est pas que nous regardions le poëme de la Vestale comme à l'abri de tout reproche : voici le premier qui s'offre. Pourquoi l'auteur nous présente-t-il un guerrier dans le même jour triomphateur et violateur des lois les plus révérées ? Pourquoi choisir pour le jour où il va se rendre coupable, celui où il vient d'être couronné ? Mais l'auteur doit à cette disposition un premier acte brillant ; il lui doit peut-être aussi d'atténuer la faute de la Vestale : car serait elle coupable, et son oubli de ses devoirs serait-il intéressant, si son amour avait pour objet un Romain obscur, sans autre titre que son amour lui même ? Julia est violemment éprise : l'absence a nourri son ardeur, elle en couronne le digne objet. Ce concours de circonstances était nécessaire pour justifier son égarement, et c'est ainsi que, souvent au théâtre, un défaut même était indispensable, ou pour en éviter un autre, ou pour produire une beauté.

Au premier apperçu, on peut s'étonner aussi que Licinius abandonne Julia dans le temple où elle va être surprise : la soustraire aux Vestales paraît le parti le plus pressant : ici un premier crime en commande un autre, et tout l'art que l'auteur a mis à se conduire dans ce pas difficile n'a pas tout-à-fait sauvé cette invraisemblance, sans laquelle, il est vrai, nous n'aurions pas et nous ne pourrions avoir la belle scène de la condamnation. Dans celle qui précède, le goût le plus sévère et même la décence théâtrale auraient permis peut-être à l'auteur de laisser abandonner ses deux amans à des transports plus vifs, et à une expression plus animée du désir amoureux qui les agite : je dis même la décence théâtrale ; car le feu sacré marquant par les degrés de sa faiblesse, les progrès de la flamme coupable dont le spectateur pourrait s'allarmer, permet tout à l'auteur sans lui laisser craindre rien. Vesta veille sur sa prêtresse, au moment même où sa prêtresse l'oublie, et qu'on nous passe ce que ce rapprochement peut avoir ici de déplacé, l’auteur semble dire à la chaste déesse :

Et les choses n’iront que jusqu’où vous voudrez.....

M. Jouy s'est donc ici montré plus sévère que le public ne l'aurait désiré, et que la situation ne le permettait : le compositeur n'a pas outre-passé ses lois; aussi la scène où la prêtresse s'écrie :

Viens , mortel adoré, je m'abandonne à toi !

est-elle plus chaudement écrite par le musicien, plus passionnée, plus entraînante que celle qui la suit, et la progression devait être dans le sens inverse.

Nous ne tairons pas davantage à M. Jouy que son style, qui en général a de la correction, de l'harmonie et de l'élévation, offre trop souvent des sentences, des maximes qui ont dû refroidir le compositeur et qui auraient dû être remplacées par des images et des mouvemens si désirés par le musicien. Par exemple, au 5e. acte, les sermens d'amitié de Cinna, les promesses de son dévouement devaient tenir davantage du péril de la situation ; il en est de même de celui où Licinius jure de sauver Julia. On attend plus de vivacité dans les expressions, et dans les tours plus de chaleur ; mais ces taches sont rares, ainsi que les vers , auxquels on pourrait trouver quelque obscurité, ou quelque prétention, sont peu nombreux. La pièce est en général bien écrite, et prouve une chose trop rare, pour le succès de ces sortes d'ouvrages ; la réunion de deux hommes de talens, dont l'un a eu assez d'esprit pour bien se rendre compte des moyens de l'art de l'autre ; et lui en faciliter le développement le plus heureux.

M. Spontini , fort jeune encore, est déjà connu dans sa patrie par de nombreux ouvrages. Il fut couronné à Naples dans un âge très-tendre ; il a imité les maîtres de son art et de son école, qui paraissent avoir attaché plus d'importance à un succès obtenu à Paris, qu'à un grand nombre d'autres suffrages très-éclairés et très-désirables d'ailleurs. Il est le troisième compositeur étranger qui, dans ces derniers temps, est venu lutter contre les maîtres en possession de notre grande scène lyrique. Winter développa un grand talent, beaucoup d'originalité et de profondeur dans un opéra dont le poème était peu avantageux. Pour un autre opéra il fit ce que Gluck refusa de faire ; et jaloux d'éviter Rameau dans sa concurrence avec lui, son talent ne fut pas libre, et porta trop souvent l'empreinte de son esclavage. Paësiello, appellé à Paris pour y faire entendre sa muse mélodieuse et facile, s'occupa d'un poëme très-élégamment écrit, mais froid ; de très belles parties n'y déguisèrent pas la faiblesse de l'ensemble. M. Spontini est plus heureux, après quelques succès mêlés à des disgraces sur une scène de second ordre, il paraît sur la première, et y jette beaucoup d'éclat ; le poëte a pressenti la nature véritable de son talent ; et en écrivant son second acte, il devait désirer un musicien qui eût de l'ame, de la sensibilité, l'habitude d'une harmonie mélancolique et touchante, à laquelle il ne faut qu'un degré de force de plus pour devenir expressive et pathétique ; il a choisi M. Spontini, et ne s'est pas trompé.

Les trois actes offrent des parties très-bien traitées, des chœurs bien faits, des idées heureuses ; mais comme poëme et comme composition, c'est au second acte de la Vestale que s'adressent le plus unanimement et le plus franchement les éloges que l'ouvrage mérite. Il produit une impression profonde : c'est là que M. Spontini a plus qu'ailleurs développé un talent très-remarquable : son récitatif y a de la vigueur et de la vérité; ses chœurs sont bien coupés et bien en opposition ; la grande scène de Julia est écrite avec une rare énergie ; dans celle de la condamnation, le rôle de pontife est tracé d'une manière supérieure : les chœurs sont excellens, et c'est-là qu'on entend à côté des menaces du peuple et des arrêts du pontife, le chef-d'œuvre de l'ouvrage, cet air d'une angélique pureté, d'une pieuse douleur et d'une si belle expression de résignation et d'amour :

O des infortunés, déesse secourable !

morceau qui classerait Mme. Branchu parmi les plus grandes actrices lyriques, si elle n'y était déjà placée, et qui fait reconnaître la grande école à laquelle M. Spontini a été élevé.

Dans ce succès brillant , je ne vois qu’un écueil pour lui ; c'est qu'on va le bercer de cette idée qu'il a égalé tout ce que nous avons entendu de mieux, et laissé loin de lui tous ses rivaux : lui dire le premier est absurde ; lui laisser croire le second, est injuste et dangereux. La musique de la Vestale a de très-belles parties, mais tout n'y est pas également digne d'éloges : le récitatif laisse généralement à désirer plus de force et de vérité : notre prosodie peut encore être utilement étudiée par l'auteur ; et pour assujettir cette langue rebelle dans son tour raisonnable, dans sa ponctuation rigoureuse, aux développemens élégans de sa période italienne, l'auteur a encore à faire des efforts, au but desquels on a prouvé que Sacchini lui-même n'était pas toujours parvenu : on sait avec quel respect, mais aussi avec quelle vérité, Grétry relève les fautes en ce genre de ce grand musicien.

La Vestale doit gagner à être souvent entendue. Les artistes ne sont guères d'accord sur son mérite que depuis sa représentation : c'est un bon signe ; l'ouvrage fait donc des progrès dans leur esprit à mesure qu'ils l'entendent, l'étudient et l'exécutent. Il en sera de même du public, et par conséquent de nous, qui nous plairons à y découvrir des beautés nouvelles, pour les faire remarquer avec les détails d'exécution de cet opéra, sur lesquels nous ne pouvons plus nous étendre aujourd'hui.

La Vestale a connu un beau succès de 1807 à 1815 et au-delà :

 

Première : 16 décembre 1807.

4 représentations en 1807 (15/12 – 29/12).

26 représentations en 1808 (05/01 – 16/12).

15 représentations en 1809 (10/01 – 09/12).

12 représentations en 1810 (09/02 – 06/11).

10 représentations en 1811 (01/01 – 10/12).

5 représentations en 1812 (14/02 – 15/12).

8 représentations en 1813 (26/03 – 31/12).

9 représentations en 1814 (18/01 – 06/12).

11 représentations en 1815 (27/01 – 17/12).

100 représentations de 1807 à 1815.

La Bibliothèque musicale de l’Opéra crédite la Vestale de 200 représentations, jusqu’au 4 janvier 1830.

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