L'Homme sans façon, ou les Contrariétés

L'Homme sans façon  ou les Contrariétés, comédie en trois actes, mêlée d'ariettes, de Sewrin, musique de Kreutzer, 7 janvier 1812.

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :	Homme sans façon (l’), ou les Contrariétés
Genre	opéra comique (comédie mêlée d’ariettes)
Nombre d'actes :	3
Vers / prose ?	en prose, avec des couplets en vers
Musique :	ariettes
Date de création :	7 janvier 1812
Théâtre :	Théâtre de l’Opéra Comique
Auteur(s) des paroles :	Sewrin
Compositeur(s) :	Kreutzer

Almanach des Muses 1813.

Dalainville, jeune encore, et mari d'une femme charmante, s'est retiré à la campagne, pour y trouver la tranquillité et le bonheur. Il en jouit, lorsque tombe inopinément chez lui un M. Valincour qui, en usant comme un ancien ami, s'établit sans façon dans sa maison. Valincour veut donner une fête à son hôte, et voilà qu'il s'empare du jardin, y élève un théâtre, arrache els fleurs pour le décorer, renverse les statues pour l'agrandir, abbat les murs du parc pour offrir des points de vue ; enfin, met le malheureux Dalainville dans une telle colère, qu'il va se porter à quelqu'éclat fâcheux. Mais Valincour s'est déclaré l'amant de la sœur de Dalainville, et celui-ci se hâte de consentir à un mariage qui va le débarrasser d'un ami si incommode.

Intrigue assez légère ; le rôle principal très-gai ; musique qui offre des morceaux pleins de charmes.

Journal des dames et des modes, seizième année, n° 2 (10 janvier 1812), p. 9 :

[Le compte rendu manque d’enthousiasme : le titre de la pièce renvoie à une pièce antérieure. Rien de nouveau dans ce caractère, décrit sans originalité, et ne ressemblant pas à ce qui constitue un opéra comique. La nouvelle pièce est présentée comme un vol fait à un auteur vivant, et l’auteur est d’autant plus coupable qu’il est récidiviste. Après ces jugements sévères; le critique nomme deux acteurs jugés positivement, et la musique de Kreutzer, bonne d’après le public, mal adaptée à l’Opéra Comique (elle serait trop solennel) d’après « les malins », et le critique leur donne raison.]

Paris.

Le 9 Janvier 1812.

L'Homme sans façon ou ses Contrariétés, tel est le titre, un peu ancien de la pièce nouvelle, jouée à Feydeau, un peu ancien, disons-nous, car il y a plus de dix ans que les Français donnèrent au théâtre de l'Odéon une comédie en trois actes et en vers, intitulée le Vieux Cousin ou l'Homme sans façon. Le titre en général ne fait rien à l'ouvrage : non ; quand il s'agit d'une comédie d'intrigue ou de mœurs, mais il est question ici d'une pièce à caractère ; et l'homme sans façon est toujours le même homme, quelle que soit la position où on le met. Les situations, les scènes de l'Opéra-Comique peuvent être plus piquantes, l'intrigue plus neuve ; mais le caractère ? J'en reviens toujours là. L'homme sans façon de Feydeau est un être brusque, incommode, parfois incivil à force d'être franc, et gênant pour les autres, parce qu'il ne veut pas se gêner lui-même : tel étoit l'homme sans façon du Théâtre-Français. L'Opéra-Comique devroit être un peu plus difficile sur le choix des pièces refaites. Qu'un auteur moderne rende Sedaine plus raisonnable ; qu'un autre donne de l'esprit à Favart. Du moins a-t-on attendu que Favart et Sédaine fussent morts pour leur prouver qu'ils n'avoient ni assez d'esprit ni assez de raison ; mais donner ce camoufflet à un auteur vivant, c'est un peu fort, il faut être bien sûr de le tuer, quand on entreprend de le voler ainsi. M. Sewrin, auteur du nouvel opéra comique, est un peu sujet à caution dans ce genre ; il a déjà donné au même théâtre Jadis et Aujourd'hui, qui n'est aussi qu'une imitation d'une petite pièce anciennement jouée à Louvois, sous le titre de La Mode ancienne et la Mode nouvelle. Il est vrai que si l'auteur de ce dernier ouvrage est encore vivant, l'ouvrage est bien mort. N'importe, M. Sewrin est assez riche de son propre fonds pour nous donner des pièces de son crû ; nous l'engageons donc dorénavant, au lieu de puiser dans le répertoire de ses collègues, à fouiller dans sa tête ou dans son portefeuille : le public et l'auteur y gagneront également. L'un ne se verra pas forcé de partager ses suffrages, et l'autre de partager sa couronne. Elleviou a joué d'après nature le rôle de l'Homme sans façon. Madame Duret a chanté comme une fauvette. La musique est de M. Kreutzer : les connoisseurs l'ont trouvée bonne, le parterre l'a beaucoup applaudie ; les malins prétendent qu'elle est trop solennelle pour l'Opéra-Comique, et un journaliste est malheureusement presque toujours de l'avis des malins.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome II, février 1812, p. 277-282 :

[L’article commence par un paragraphe sur ce qu’est un « homme sans façon », personnage qui risque d’être peu agréable sur la scène, mais que l’auteur du vaudeville a su rendre « assez plaisant et fort aimable à rencontrer sur le théâtre. Après l’analyse de l’intrigue (un homme vivant reclus à la campagne, et qu’un importun vient embarrasser avec un grand sans gêne, jusqu’à ce qu’il se débarrasse de lui en lui faisant épouser sa sœur), le jugement porté sur elle est rapide : assez simple, elle repose sur le seul personnage principal (l’importun) dont le rôle « est écrit avec gaîté d'un bout à l'autre » et qui doit beaucoup à son interprète, Elléviou. La musique a également réussi : « la plupart de ces morceaux est d'une facture gracieuse et facile » et certains seront « admis dans les boudoirs de la capitale ». Des défauts toutefois : une ouverture insignifiante, un manque, « dans ses accompaguemens et dans ses motifs, de chant, d'agrément et de mélodie », mais des défauts qui n’ont pas empêché le succès de la pièce. L’article signale enfin la reprise de Rose et Colas, sans grand succès, ce qui permet de rappeler une anecdote sur les relations, ps toujours faciles, entre acteurs et parterre.

L'épigraphe est une citation, légèrement modifiée ("Ainsi fermant" remplacé par "Sur-tout fermez") du premier chant de l'Homme des champs, ou  les Géorgiques française, de Jacques Delille (1800).]

THEATRE DE L'OPERA - COMIQUE.

L'Homme sans facon.

Sur-tout fermez la porte au sot qui de Paris
S'en vient tuer le temps, la joie et vos perdrix.

Ces deux vers de l'Homme des champs ont peut-être, en partie du moins, inspiré l'auteur de la pièce nouvelle ; je dis en partie, car si l'Homme sans façon s'en vient tuer, chez les autres, le temps et les perdrix, il n'est pas vrai qu'il y tue la joie, qu'il y étouffe le plaisir. C'est au contraire un homme assez amusant, qui peut bien être à charge, mais qui ne saurait être ennuyeux. On n'en dira pas autant, à coup-sûr, de tous les hommes sans façon qui sont, comme chacun sait, en grande majorité, par le temps qui court, dans la société. Ne se gêner en rien, s'embarrasser fort peu de gêner les autres, tels sont en effet les grands principes de conduite adoptés par la plupart de nos aimables du jour. Le suprême bon ton semble consister, aux yeux du plus grand nombre, dans l'art de se mettre parfaitement à son aise. Pour rendre le rôle plus commode à jouer, on y joint un petit air de distraction; mais cette insouciance apparente pour les égards que l'on doit aux autres, n'en impose qu'aux esprits simples, et l'observateur, à travers cette enveloppe légère, ne voit qu'une méthode perfectionnée de se procurer, à peu de frais, de nouvelles jouissances. De l'homme sans façon envisagé sous ce point de vue, à l'homme impoli, la distance n'est pas grande, et l'impolitesse ne présente pas un caractère fort heureux à développer sur la scène. Aussi l'auteur du nouvel opéra-comique a-t-il mêlé dans son Homme sans façon, à l'horreur pour les cérémonies, différentes nuances, qui, combinées avec adresse, forment un personnage assez désagréable peut-être à rencontrer sur son chemin, mais assez plaisant et fort aimable à voir sur le théâtre. On en jugera facilement par l'analyse de la. pièce.

D'Ablainville à la fleur de l'âge, et devenu l'époux d'une femme charmante, s'est retiré à la campagne pour goûter, loin du tourbillon du monde, des plaisirs purs et tranquilles. La retraite qu'il habite est à dix lieues de Paris, loin des grandes routes ; îl s'y croit oublié de l'univers,. et sur-tout à l'abri des importuns. Mais il s'est trompé dans ses calculs, et après trois années de solitude, il voit tout-à-coup fondre chez lui un homme dont il ne connaît ni le nom, ni la figure, mais qui ne lui prouve pas moins qu'il est son meilleur ami, attendu qu'ils ont causé, il y a plus de trois ans, dans certaine maison dont il rappelle le souvenir. Le titre est un peu léger; mais il en faut bien moins encore à un personnage tel que Valincourt pour former une liaison sérieuse. Il s'établit donc, sans autre formalité, chez son ancien ami, lui, ses chevaux, ses chiens et ses piqueurs. Et tandis que le maître se fait servir un ample déjeuner, les valets mettent l'office au pillage, les chevaux tombent sur le fourrage, et les chiens dévastent le potager. D'Ablainville a beau se fâcher, il n'en est pas quitte à si bon marché. Le cruel Valincourt apprend que ce jour même est celui de la fête de Mme. d'Ablainvîlle, et en dépit de l'aversion de son hôte pour toute espèce de cérémonie bruyante, il donne aussitôt un libre cours à son génie. Composer une pastorale, rassembler tout Je village, dépouiller le jardin jusqu'à la dernière rose pour former des guirlandes, renverser les statues pour agrandir son théâtre, abattre dix toises des murs du parc pour ménager une surprise, tout cela s'exécute en un tour de main à la voix de Valincourt, qui, dans l'excès de son zèle, s'embarrasse fort peu des droits de propriété. Enfin, il en agit si cavalièrement, que d'Ablainvitie, poussé à bout, va se porter à quelqu'éclat fâcheux, lorsqu'il apprend, par bonheur, que cet homme- sans façon est amoureux de sa sœur, qu'il lui donne bien vîte en mariage, trop satisfait de se débarrasser, à tout prix, d'un hôte aussi dangereux.

L'intrigue de cet ouvrage, comme ou peut le deviner par l'analyse, n'est pas extrêmement compliquée : tous les personnages secondaires sont même d'une nullité assez complette : mais le rôle principal est écrit avec gaîté d'un bout à l'autre. Dés que Valincourt paraît sur la scène, il anime tout autour de lui : son caractère s'annonce avec franchise dés le premier abord, se développe d'une manière piquante, et se soutient fort heureusement jusqu'à la fin. Elléviou, d'ailleurs, le joue avec une grace et une aisance infinies ; il en fait valoir les moindres détails avec un art qui n'en est que plus parfait, pour ressembler à l'abandon, à la négligence ; et quel que soit, d'ailleurs, le mérite de la pièce, l'auteur doit, à coup sûr, une bonne part du succès à un aussi habile interprête.

La musique a également obtenu de justes applaudissemens ; et comment, en effet, n'applaudirait-on pas des airs chantés par Elleviou, par Mmes. Duret et Regnault ? La plupart de ces morceaux est d'une facture gracieuse et facile ; quelques-uns même ne manqueront pas, sans doute, d'obtenir bientôt l'honneur d'être admis dans les boudoirs de la capitale, et de là colportés sur les vieilles [?] organisées. Cependant, tout n'est pas, à beaucoup près, de la même valeur. L'ouverture a paru insignifiante, et l'on peut reprocher au compositeur d'avoir quelquefois manqué dans ses accompaguemens et dans ses motifs, de chant, d'agrément et de mélodie ; mais le mérite de l'ensemble et sur-tout le charme de l'exécution ont couvert la faiblesse de quelques détails. Le succès a été complet, et au total cet ouvrage ne peut qu'ajouter à la réputation de MM. Sewrin et Kreutzer.

Le spectacle avait commencé par Rose et Colas, .petit opéra bien antique, bien simple, bien naïf pour le public d'aujourd'hui; aussi ai-je vu le moment où, ce qui faisait les délices de nos pères, allait être hué et sifflé sans miséricorde ; mais, il faut en convenir, le mécontentement du public s'adressait bien moins à l'ouvrage qu'aux acteurs ; et peut-être, sur ce point même, le public était-il dans son tort. Ce qu'il y a de sûr, au moins, c’est que Rose et Colas auraient bien pu se conduire, comme je ne sais plus quel acteur d'un théâtre lyrique, que l'on sifflait à toute outrance, et qui, sans se déconcerter, s.'avança, les bras croisés, sur le .bord de la scène, regarda fixement le parterre, et lui dit : « En vérité, Messieurs, je ne vous- comprends pas ; voulez-vous donc que, pour six cents livres d'appointemens, j'aille donner une voix de mille écus ? » Tous les acteurs médiocres en sont là, la modicité de leurs appointemens est un argument auquel il n'y a rien à répondre.

Rose et Colas, pièce de Sedaine, 1777.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 17^e année, 1812, tome I, p. 170 :

[Le compte rendu s’attache à remettre en cause le titre : il ne s’agit pas d’un homme sans façon, mais d’un sans gêne (ou d’un étourdi, ou d’un indiscret : au lecteur de choisir). Un acteur remarquable, une pièce « gaie, écrite facilement et avec naturel ». Jugement mitigé sur la musique de Kreutzer (« souvent agréable, mais peu appropriée au sujet ». L’auteur des paroles est simplement cité (mais il a été félicité auparavant).]

THÉÂTRE DE L'OPÉRA COMIQUE.

L'Homme sans façon, ou les Contrariétés, opéra comique en trois actes, joué le 7 janvier 1812.

C'est moins l'homme sans façon que l'homme sans gêne, l'étourdi ou l'indiscret, que l'auteur de la pièce nouvelle a mis en scène. Ce personnage vient s'établir chez quelqu'un qui le connoît à peine ; il y arrive avec un équipage de chasse, ravage les jardins, et met le désordre dans la maison : il fait enlever les statues, et va jusqu'à abattre les murailles, le tout pour épouser la sœur d'un honnête homme qui s'est retiré à la campagne, parce qu'il craint le tumulte et le bruit de la ville. Il faut tout le talent d'Elleviou pour faire pardonner tant de folies et d'invraisemblances. Du reste la pièce est gaie, écrite facilement et avec naturel. La musique est souvent agréable, mais peu appropriée au sujet : elle est de M. Kreutzer.

Les paroles sont de M. Sewrin.