Ida, ou Que deviendra-t-elle ?

Ida, ou Que deviendra-t-elle ? comédie anecdotique en deux actes et en prose, mêlée de vaudevilles, de J. B. Radet, 28 frimaire an 10 [19 décembre 1801].

Théâtre du Vaudeville.

La France littéraire, de Joseph Marie Quérard, tome 7 (1835), p. 432, fait de madame Kennens le coauteur de Radet, comme pour le Dîner au pré Saint-Gervais et les Préventions d'une femme. Elle n'est connue, semble-t-il, que par la brève mention qu'en fait madame de Genlis dans ses Mémoires [Paris, 1857], p. 337 : « Madame Kennens, dont l'esprit, la douceur, la sensibilité et le talent d'écrire rendent le commerce si agréable et si sûr ».

Titre :

Ida, ou Que deviendra-t-elle ?

Genre

comédie mêlée de vaudevilles

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

en prose, avec des couplets en evrs

Musique :

vaudevilles

Date de création :

28 frimaire an 10 [19 décembre 1801]

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Radet

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, an 10 (1802) :

Ida, ou Que deviendra-t-elle ? Comédie-anecdotique, en deux actes et en prose, mêlée de vaudevilles ; Par J. B. Radet. Représentée, pour la première fois, sur le théâtre du Vaudeville, le 28 frimaire, an 10.

PERSONNAGES.

ACTEURS.

MOLTEN, riche négociant.

(Très-franc et un peu brusque.)

Lenoble.

GOUTMANN, maître d'hôtel garni.

Hyppolite.

Mad. GOUTMANN, sa belle-sœur.

(Maîtresse du café, jalouse et babilllarde.)

Mlle Delisle.

LEDOUX, garçon de café, associé et amant de madame Goutmann.

(Fat subalterne.)

Carpentier.

IDA, servante du café.

(Douce, sensible et ingénue.)

Mlle Desmares.

CATHERINE, pauvre femme.

Mlle Bodin.

DOMINIQUE, petit garçon d'une dixaine d'année, fils de Catherine.

(Vif et drôle de corps.)

Frédéric.

La scène est à Berlin.

Le sujet de la pièce de Radet a été repris en 1807 en opéra-comique par Mlle Candeille, dans un opéra comique intitulé Ida, ou l'Orpheline de Berlin.

Courrier des spectacles n° 1755 du 29 frimaire an 10 [20 décembre 1801], p. 2-3 :

[La pièce nouvelle a eu du succès, mais le critique voit dans ce succès même la mort du théâtre du Vaudeville, temple de la plaisanterie, des saillies, des « couplets malins », puisque comme la majorité des pièces modernes qu'on y joue, la nouvelle pièce est pleine des mots du temps, les « mots pompeux de nature, de sensibilité, d'intérêt ». L’intrigue est vite résumée, l’histoire d’une pauvre orpheline qui touche le cœur d’un homme assez riche pour se montrer généreux avec elle, et qui finit même par lui proposer le mariage. Les interprètes sont remarquables : ils ont « parfaitement joué », et fait preuve de « beaucoup d’ensemble ». Le nom de l’auteur est donné, gage du succès obtenu. Deux couplets remarqués complètent l'article.]

Théâtre du Vaudeville.

Encore un succès comme celui-là, et le Vaudeville ne sera plus : non, on ne viendra plus rire aux plaisanteries délicates, aux saillies piquantes, aux couplets malins, mais on viendra pleurer à des scènes de sentimens, et applaudir aux répétés jusqu’à satiété dans la plûpart de nos pièces modernes, et nous le disons encore, ce n’est pas là le vaudeville. Mais, nous dira t on, tous les genres sont bons hors le genre ennuyeux ; ah ! d’accord, et d’après ce principe, la pièce anecdotique en deux actes représentée hier sur ce théâtre sous le titre d'Ida, ou Que deviendra-t-elle ? a mérité son succès. La scène se passe à Berlin dans une espèce de café ; Ida, orpheline, sert comme servante madame Goutmann, jeune veuve d’une humeur acariâtre dont l’amant secret le parisien le Doux cherche à se l’attacher. Madame Goutmann dans un moment de colère s’emporte contre Ida et la renvoie. Un allemand de Breslau, M. Polten s’intéresse au sort de cette infortunée, et il lui offre sa bourse et sa protection. Ida n’accepte l’une et l’autre qu’avec répugnance, et l’argent qu’elle reçoit lui sert à faire une bonne action.

Polten, instruit de ce désintéressement, fait venir devant lui Ida toute confuse ; il lui donne de riches ajustemens, dans lesquels elle craint de se montrer ; enfin, il lui offre sa main, qu’elle n’ose accepter, mais qu’il la force enfin de recevoir à force de bons procédés.

Cet ouvrage a été parfaitement joué. Les citoyens Lenoble, Hippolite et Carpentier, et mesdemoiselles Desmares et Delisle y ont mis beaucoup d’ensemble. La première a été unanimement redemandée après la pièce. L’auteur est le citoyen Radet.

Voici deux couplets qui ont été applaudis :

Air : Vaudeville de l'Avare.

Sans cesse on nourrit dans les femmes
Le goût de la frivolité,
Et l’on semble former leurs âmes
Pour l’orgueil et la vanité.
Ah ! de la douce bienfaisance
Mettons l'exemple sous leurs yeux,
Et ce plaisir délicieux
Aura bientôt la péférence.

Gouttmann dit à Ledoux qui passe pour l’amant de sa belle sœur :

Air : .   .   .   .   .   .   .   .

Tenez, moi, je suis un bonhomme,
Mais je ne saurois vous nier
Qu’avec chagrin j’oserve comme
Vous faites jaser le quartier.
Eh ! morbleu, sans tant de mystères
Cessez du délais superflus.
Soyez tout-à-fait mon beau frère,
Afin que l'on n’en parle plus.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 7e année, 1801, tome IV, p. 552-555 :

[Compte rendu divisé en deux parties. La première rend compte de la pièce en termes flatteurs, même si d’emblée le critique se demande s’il n’a pas assisté à un drame plutôt qu’à une comédie. Il résume ensuite une intrigue sentimentale pleine des meilleurs sentiments (M. Molthey est si généreux, Ida est si attendrissante dans sa générosité sans arrière-pensées...). Bien sûr, l’intrigue finit bien, par deux mariages, et le public a applaudi avec enthousiasme. Mlle Desmares a joué excellemment, et la pièce lui doit une part de son succès. Seconde partie : l’auteur se voit reprocher le genre de sa pièce qui « est bien loin de celui du vrai vaudeville ». La preuve : le peu de succès des couplets, dont très peu ont été applaudis, la majorité des couplets n’étant que « de la prose rimée, sans trait ». La pièce repose sur un conte de Mme de Genlis, mais un conte n’obéit pas aux mêmes règles que le vaudeville, qui doit être gai quand le conte peut être sentimental. Et le vaudeville, enfermé dans la règle de l’unité de temps, ne permet pas l’évolution d’un caractère comme celui de Molthey, qui n’a que douze heures afin « de connoître et d’apprécier Ida » : c’est complètement invraisemblable. Quant à Mme Gouthmann, elle est odieuse (curieux reproche, portant tout de même sur un personnage de fiction...), et n’a pour possibilité d’être comique que ce qu’apporte l’actrice qui joue son rôle. Les seuls autres rôles mis en avant sont ceux des enfants. Enfin, l’auteur s’est plagié lui-même dans une scène. Et sa justification supposée du caractère larmoyant de l’œuvre est rejetée : la comparaison qu’il pourrait faire n’est pas jugée valable. « Encore un succès comme celui d'Ida, et le Vaudeville n'existera plus. » On tremble pour ce théâtre, menacé d’être rempli par des succès.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Ida , ou Que deviendra-1-elle ?

On a joué, le 29 frimaire an 10, cette petite comédie en deux actes, à laquelle on eût fort bien pu donner le nom de drame. En effet, toutes les situations en sont touchantes, et les principaux personnages ont des caractères bien éloignés du comique.

Ida, jeune fille élevée aux orphelines de Berlin, a perdu successivement plusieurs maîtresses chez lesquelles elle a servi. Elle est dernièrement entrée chez M.me Gouthman , maîtresse de café et associée avec un Français nommé Ledoux. Ce Français, qui devoit épouser M.me Gouthman, a changé d'avis en voyant Ida dont il est devenu amoureux. M.me Gouthman s'en est aperçue, et ne cherche plus qu'un prétexte pour congédier cette jeune fille qui lui inspire beaucoup de jalousie. Les choses en sont là, lorsqu'un matin , M. Molthey, voyageur nouvellement arrivé à Berlin, entre dans le café que lui a indiqué M. Gouthman, son hôte, beau-frère de M.me Gouthman. Ce M. Molthey, homme assez singulier, va à Breslaw, épouser une femme qu'il n'a jamais vue. Il est témoin de la brusquerie avec laquelle M.me Gouthman parle à Ida, et de la manière dure avec laquelle elle veut la renvoyer, pour avoir donné son seul vêtement à un jeune enfant dont la mère manque d'ouvrage, et ne peut sortir, faute de pouvoir s'habiller. M.me Gouthman avoit elle-même refusé une de ses vieilles robes à cette pauvre femme. M. Molthey, révolté de son insensibilité, emmène avec lui Ida à laquelle il offre un asile.

Là finit le premier acte, et le second commence à l'hôtel de M. Gouthman, dans l'appartement de M. Molthey. Ce dernier arrive avec Ida, qui ne veut point loger chez lui, et qui refuse obstinément une bourse pleine d'or. M. Molthey a beau lui protester que sa générosité est désintéressée, Ida ne veut pas le croire ; elle finit cependant par accepter, et court porter cet argent à Catherine, cette femme à qui elle a déjà donné sa robe. Catherine vient remercier M. Molthey, qui ne sait ce que tout cela signifie, et qui y trouve encore un nouveau sujet d'admirer Ida. Il reçoit, dans ce moment, la corbeille renfermant les robes qu'il veut donner à sa future , et une lettre de son correspondant, qui lui apprend qu'elle est mariée depuis quelques jours. Alors M. Molthey change de plan ; il force Ida à se revêtir des habits magnifiques de la corbeille, et lui déclare, devant tout le monde, et entre autres
devant M.me Gouthman , que Ledoux avoit engagée à la reprendre chez elle, qu'il veut l'épouser. Ida se décide tout de suite, en étalant de fort beaux sentimens de reconnoissance. Molthey engage M.me Gouthman, dont le caractère est fort acariâtre, à devenir bien vîte M.me Ledoux. Ce mauvais jeu de mots a beaucoup fait rire. M.me Gouthman consent à tout, et la pièce se termine par un double mariage. Les plus vifs applaudissemens ont couronné cet ouvrage. On a demandé M.lle Desmares, qui, en effet, a joué dans la perfection le rôle d'Ida ; on peut même dire qu'elle lui a prêté des charmes, et que si ce rôle n'eût pas été aussi bien joué, la pièce n'auroit pas eu le même succès. Elle a paru au milieu des bravo ! L'auteur ensuite a été nommé : c'est le C. Radet.

Malgré le succès de son ouvrage, nous nous croyons cependant fondés à lui reprocher le genre dans lequel il est traité ; ce genre est bien loin de celui du vrai vaudeville. Sur la grande quantité de couplets que renferme sa pièce, trois ou quatre tout au plus ont été applaudis et méritoient de l'être. Les autres sont de la prose rimée, sans trait, en un mot, les couplets les plus foibles que l'on ait peut-être entendus au Vaudeville, Cette négligence impardonnable a sans doute été occasionnée par la-précipitation avec laquelle cet ouvrage semble avoir été fait, ou l'auteur a cru que l'intérêt du sujet le dispensoit de travailler autrement. Il a fidellement suivi le conte de M.me de Genlis, intitulé, le Jupon vert, et inséré dans un des derniers volumes de la Bibliothèque des romans. Ce conte est charmant ; mais il faut observer qu'un conte peut être sentimental, tandis qu'un vaudeville doit être gai, et que d'ailleurs, dans le conte, Molthey a le temps de connoître et d’apprécier Ida, tandis que, dans le vaudeville, douze heures ne peuvent lui suffire pour cela, et qu'alors il n'existe plus la moindre vraisemblance. Le caractère même de ce Molthey n'est pas assez original. Le rôle de M.me Gouthman est odieux et n'a de comique que ce que veut bien lui donner M.lle Delisle, en chargeant son bavardage. Les autres rôles sont trop accessoires pour en parler, à l'exception de celui du petit Dominique, qui est joué avec tout le naturel et toute la finesse possibles par le jeune Frédéric. Lorsque M. Ledoux donne sa main à M.me Gouthman, on croit voir Lefranc et M.lle Ursule, dans Pauline. L'auteur s'est donc volé lui-même. Pour se justifier du genre larmoyant de son ouvrage, il nous alléguera peut-être le succès de Berquin. Mais Berquin n'est pas un drame ; la gaieté la plus franche y règne d'un bout à l'autre, et si l'on y verse quelques larmes de sentiment, elles sont bientôt effacées par l'espièglerie des petits enfans et les traits de caractère de M. Alexandrin et de l'avare Renaud. Je répéterai donc le refrain universel : Encore un succès comme celui d'Ida , et le Vaudeville n'existera plus.

T. D.          

L’Esprit des journaux français et étrangers, trente-unième année, germinal an X [avril 1802], p. 208-210 :

[Le compte rendu ne cache pas que la pièce de Radet n’est pas neuve : elle adapte une « historiette » de Mme de Genlis, mais Radet l’a fait avec adresse, ce qui explique son vif succès. L’essentiel du compte rendu est consacré à nous résumer une intrigue très émouvante, mais qui n’est ni très riche, ni très neuve. Ce qui sauve la pièce, c’est « la manière adroite dont l'auteur l'a traité[e] », et « des couplets ingénieux », malgré « un peu d'invraisemblance pour la durée de l'action, un peu de crudité dans le tableau des amours de Mme. Gouthmann & de Ledoux » (respect des unités, respect des bonnes mœurs). Mais le personnage d’Ida est tellement intéressant !]

Ida, drame en deux actes.

Tout le monde à peu près connoît la touchante historiette d'Ida, dans les Œuvres de Mme. de Genlis. Le C. Radet, déjà bien connu par une foule de jolis ouvrages, vient de la mettre sur la scène avec beaucoup d'adresse & de succès au théâtre du Vaudeville.

Ida est une pauvre orpheline, mais en qui la vertu la plus touchante a réparé le malheur de son obscure naissance. Admise comme servante chez Mme. Gouthmann, limonadière de Berlin, elle emploie ce qu'elle gagne à secourir une intéressante Catherine, plus malheureuse qu'elle. Elle va même jusqu'à se dépouiller, pour la vêtir, d'une robe assez propre que l'orgueilleuse Mme. Gouthmann l'a forcée d'acheter pour faire son service ; elle a en conséquence le tort de reparoître au matin avec le simple jupon vert & le corset de paysanne ; elle a de plus un tort bien plus grand, c'est d'avoir attiré les regards de M. Ledoux, que Mme. Gouthmann compte s'approprier : en conséquence la servante est durement renvoyée & presque insultée par la limonadière. Heureusement pour elle se trouve dans ce café un étranger témoin de ces différentes scènes, qui ne peut voir cet excès d'injustice sans offrir à Ida de l'emmener. Il n'a d'abord que le projet de la replacer auprès d'une dame qu'il doit épouser ; mais bientôt convaincu de plus en plus de la noblesse des sentimens de cette orpheline, de sa générosité, & devenu libre par le désistement subit de la famille de sa future, il fait endosser à Ida les habits de nôce qu'il destinoit à son épouse ; ensuite il lui offre sa main & son cœur, acceptés par la reconnoissance & même par un sentiment plus tendre dont Ida n'a pu se défendre pour l'étranger bienfaisant.

Ce fonds, peu nourri en apparence, & peu neuf dans l'apperçu, le devient cependant par la manière adroite dont l'auteur l'a traité. Des couplets ingénieux le fortifient, & si l'on étoit tenté de lui reprocher un peu d'invraisemblance pour la durée de l'action, un peu de crudité dans le tableau des amours de Mme. Gouthmann & de Ledoux, on en est bien vite dédommagé par l'intérêt du rôle d'Ida & le coloris général de l'ouvrage.

Annales dramatiques, ou dictionnaire général des théâtres (Paris, 1810), tome cinquième, p. 35 :

[Sujet inadapté (ce qui est bon pour le roman ne l’est pas pour le théâtre). Impossibilité de tout faire tenir en une seule action, ni en une seule journée : fonds « beaucoup trop étendu pour la scène ». Et il faudrait aussi soigner le style, tracer des caractères avec goût et avec décence (la décence, « chaque jour plus rare à ce théâtre » : on y tient, pourtant !). L’auteur est jugé capable de bien mieux, tant pour le sujet que pour le genre.]

IDA , ou Que deviendra-t-elle ? comédie-vaudeville en deux actes, 1801.

Ida, seule dans le monde, sans parens, sans amis en proie à tous les maux de l'indigence, à tous les dangers de la servitude, mérite, à force de vertu, qu'un homme riche et sensé lui offre sa fortune et sa main. Tel est le fonds de cette pièce. Quant aux détails, nous en ferons grâce au lecteur. On sent que ce ne peut être le résultat d'une seule action, ni l'affaire d'un moment; et l'on juge déjà que le sujet d'Ida ou que deviendra-t-elle ? fort convenable peut-être pour un roman, est mal choisi pour le théâtre. Il ne fallait rien moins que le goût et les ressources de M. Radet, pour resserrer en deux petits actes ce fonds, beaucoup trop étendu pour la scène. Mais un style plus correct, des couplets plus élégamment faits que dans les autres pièces du Vaudeville, des caractères tracés, sinon avec force, du moins avec goût, et un ton de décence, qui devient chaque jour plus rare à ce théâtre, ont mérité à cette production le succès d'estime qu'elle a obtenu, et décèlent l'ouvrage d'un homme au-dessus du sujet et du genre qu'il a traité.

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