Il arrive ! il arrive ! ou Dumollet dans sa famille

Il arrive ! il arrive ! ou Dumollet dans sa famille, folie-vaudeville en un acte, de Marc-Antoine Désaugiers, 14 mai 1810.

Théâtre des Variétés-Panorama.

Titre

Il arrive ! il arrive ! ou Dumollet dans sa famille

Genre

folie-vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

14 mai 1810

Théâtre :

Théâtre des Variétés-Panorama

Auteur(s) des paroles :

Marc-Antoine Désaugiers

Almanach des Muses 1811.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, Barba, 1810 :

Il arrive ! Il arrive ! ou Dumollet dans sa famille, folie-vaudeville en un acte ; Par M. Désaugiers ; Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 14 mai 1810.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, quinzième année (1810), tome 3, p. 140-141 :

[M. Dumollet a déjà foulé les planches, et cette nouvelle pièce était attendue. Sa représentation, nous dit le critique, avait bien commencé, les détails comiques étant aussi abondants qu’efficaces. Et puis tout s’est effondré quand « Dumollet s'est trouvé mal » : sifflets, bruit jusqu’à la fin, le nom de l’auteur étant étant proclamé « au milieu du tumulte ». Le résumé de l’intrigue (si on peut parler d’intrigue) accumule les plaisanteries, en soulignant qu’elles « n’ont pas trouvé grâce » : peut-être le public est-il las de M. Dumollet ?]

Il arrive, il arrive, ou Dumollet dans sa famille, folie-vaudeville en un acte, jouée le 14 mai.

M. Dumollet avoit attiré la foule ; on l'avoit vu dans les Trois Etages ; on avoit assisté à son Départ ; il étoit juste que l'on voulût l'accompagner dans son voyage, et que l'on fût jaloux d'être témoin de l'accueil qu'il recevroit dans sa famille ; cet accueil a d'abord été satisfaisant ; les bas à faux mollets de la façon de la maman Dumollet, la simplicité du papa, les lazzis de M. Frisac, perruquier-traiteur, le naturel de la nourrice Geneviève, le chien de cadet Dumollet, l'âne de l'aîné, la caricature du ci-devant portier André, avaient bien disposé le public ; mais l'instant où Dumollet s'est trouvé mal a été le signal, des sifflets ; le bruit n'a pas cessé, et le nom de l'auteur a été proclamé par Brunet, au milieu du tumulte.

L'intrigue consiste dans une mystification. Dumollet est devenu en route amoureux de la nourrice Geneviève, qui lui a fait accroire qu'elle étoit veuve. Il achète un âne volé ; des chiens lui mordent les mollets, etc. Toutes ces plaisanteries n'ont pas trouvé grâce devant le public. On a pensé que c'étoit mettre trop d'importance au héros de Saint-Malo, que de donner la suite de ses aventures. M. Désaugiers a trop d'esprit pour ne pas s'apercevoir qu'il est un terme où il faut s'arrêter.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VI, juin 1810, p. 287-293 ;

[Comment rendre compte d’une pièce qu’on estime nulle sans en parler ? C’est ce que tente ici le critique. Face à ce qui «  dans le plus mauvais de tous les genres est ce qu'il y a de pire », il commence à se lamenter sur l’état du théâtre où on invite le public à se vautrer « dans ce qui fait la honte de la raison, de l'esprit et du goût ». Il entreprend ensuite de montrer que ce n’est pas là un fait nouveau, et que la fin de l'ancien régime (« la fin de la troisième dynastie ») n’était pas mieux lotie. D’où une longue étude des spectacles de mauvais goût, qui ne fleurissaient pas qu’au Boulevard, le lieu qui leur est normalement consacré. Longue présentation de Volange-Janot, et de l’insignifiant les Battus paient l’amende (pièce de Dorvigny, 1779), à la gloire malodorante de ce que ce pauvre Janot a reçu sur la tête ; puis honneur (plus succinct) aux Pointu, au Ramoneur Prince (pièce de Maurin de Pompigny, 1784) qui fit entrer dans la langue courante toute une série d’expressions imagées, à Beaulieu au destin tragique, etc. Le tout ayant pour but de montrer « que ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on se passionne pour de mauvaises farces », et on arrive ainsi aux épisodes précédents des aventures de Monsieur Dumollet, dont le critique explique le nom (une histoire bien compliquée de chiens mordant les passants à Saint-Malo). Par contre, il ne s’explique pas le succès des deux pièces qui ont précédé ce troisième épisode de Dumollet en famille, dont il se décide enfin à dire ce qu’il pense. Ou plutôt de dire que son insuccès lui apporte une réponse à une question qui le tenaille, de savoir « si ce n'était pas le pur hasard qui décidait du succès et de la chute des pièces, s'il y avait encore de l'esprit et du goût dans le monde, et si le génie de la bêtise ne prédominait pas parmi nous ». Les sifflets du parterre l’ont rassuré, et « ont absous les dieux du Parnasse ».]

Il Arrive ! Il Arrive !ou Dumollet dans sa Famille.

Le premier titre me paraît heureux; rien de plus convenable à la pièce et au théâtre où elle se joue, que cette imitation du cri des poissardes : Il arrive ! Il arrive ! C'est ce que devrait chanter en chœur tout le peuple des Boulevarts, chaque fois qu'un nouveau chef-d'œuvre de ce genre paraît sur la scène des Variétés. Il arrive ! Il arrive le**** ! On peut bien croire que je ne parlerais pas de celui-ci, qui dans le plus mauvais de tous les genres est ce qu'il y a de pire, s'il ne me fournissait quelques réflexions sur ce misérable travers de l'esprit humain, qui cherche son délassement dans ce qui fait la honte de la raison, de l'esprit et du goût. Mon dessein n'est pas de prêcher contre les parades : je pourrais tout au plus me moquer de l'estime qu'on en fait et de l'importance qu'on leur donne : je ne veux être ici que l’historien de nos folies et je me propose d'appaiser l'indignation de ceux qui prennent trop à cœur cette dégradation et cet opprobre de l'art dramatique, en leur faisant observer que nous ne sommes pas les premiers coupables ; que ce n'est pas un abus particulier à l'époque présente ; mais un mal de tous les temps. Les honnêtes gens qu’afflige cette espèce de triomphe de la niaiserie et de la sottise, n'apprendront pas sans quelque consolation que la fin de la troisième dynastie fut encore plus infectée de ces méprisables farces, et que leur succès fut encore, s'il est possible, plus brillant et plus scandaleux.

Douze ou quinze ans environ avant l'entier bouleversement de la France, tout était plein de baladins, de farceurs, de Tabarins : non-seulement il y en avait au Boulevart, mais au sein même de cette capitale des beaux arts, mais dans le Palais-Royal, mais dans 1'endroit où le Théâtre Français tient le dépôt de ce qu'il y a de plus précieux dans notre littérature. Au Boulevart, un certain Volange tenait sa cour plénière de badauds ; Volange était le Brunet de son temps pour la vogue ; mais selon moi, fort supérieur à Brunet pour le talent. Brunet n'est qu'un niais ; Volange avait quelques parties du comédien, et la manière dont il joua le rôle de Jérôme Pointu, d'un procureur, qui est l'opposé d'un niais, lui fit beaucoup d'honneur. Cependant un rôle de niais fut son premier et son plus beau triomphe ; ce niais s'appelait alors Janot : c'est le Jocrisse et le Cadet-Roussel d'aujourd'hui. Une pièce intitulée Janot, ou les Battus paient l'amende, excita une fermentation extraordinaire à la ville, et même à la cour ; et Volange, dit Janot, y fît des prodiges. Janot est un jeune valet imbécile, qui allant chercher au four le souper de ses maîtres, et passant devant la fenêtre de sa maîtresse, l'appelle pour lui conter fleurettes. Le père de la belle accueille cet amoureux comme la femme d'un ministre hollandais accueillit maître Pangloss, et lui renverse un pot de chambre plein sur la tête. Janot va faire sa plainte chez le commissaire : le maître-clerc, qui est un petit-maître, est fort scandalisé de l'odeur qu'exhale le plaignant ; il se promène avec une grande agitation, ne pouvant définir la nature et le principe de cette odeur. En est-ce ? N'en est-ce pas ? Il finit par décider que c'en est, et chasse le téméraire qui, dans un pareil équipage, vient empester l'étude d'un commissaire qui doit flairer comme beaume.

Janot, désespéré de ce déni de justice, court se la faire à lui-même, en cassant les vitres de la fenêtre fatale d'où le pot de chambre est parti. Cet acte de vigueur ne lui réussit pas : on crie au voleur ; Janot est saisi par la garde, et conduit en prison. Cette facétie était faite pour le peuple ; le beau monde se rendit peut-être justice en la réclamant pour lui : les gens comme il faut se déclarèrent rivaux des petites gens dans leur enthousiasme pour Janot ; la cour et les grands prétendirent avoir leur part de ce noble spectacle. Pour arranger les choses, pour concilier les jouissances des différentes classes de la société, on établit deux représentations : l'une à six heures du soir, pour les spectateurs du commun ; l'autre à minuit, pour l'élite de la ville et de la cour. On accourut de Versailles, en bonne fortune, aux Boulevarts de Paris, pour assister à la catastrophe du pot de chambre ; les petites maîtresses quittèrent leurs boudoirs ambrés pour aller respirer les parfums de la réputation de Janot, et saisirent avec le sentiment le plus vif la quintessence de la pièce ; les agréables du nez le plus fin se piquèrent d'approfondir les questions importantes : En est-ce ? N'en est-ce pas ? Janot devint un personnage intéressant, et l'objet des rendez-vous nocturnes de la meilleure compagnie. Ce niais avait un bonnet rouge : on peut le regarder comme le précurseur d'une foule de gens qui, sans être niait d'aussi bonne foi que Janot, mirent à la mode cet ornement de tête.

Si le goût et la raison s'indignent d'un enthousiasme aussi extravagant, l'équité veut qu'on dise que Volange était un acteur sublime dans ce genre bas, et que la pièce était un chef-d'œuvre en comparaison des plus fameuses farces dont on s'engoue aux Variétés : tout y blessait la décence et la délicatesse ; mais on y trouvait une sorte de conduite, un peu d'art et de sens, et quelques traits de comédie. Janot ne faisait point de calembourgs, mais ce qu'on appelle des coqs-â-l'âne, c'est-à-dire des transpositions de mots tout-à-fait ridicules. Ce langage, qu'on appelle janotisme, fit la même fortune et s'attira autant d'attention que les calembourgs d'aujourd'hui.

Les auteurs, à l'envi l'un de l'autre, firent des pièces sur En est-ce ? N'en est-ce pas ? C’en est. Quand une matière si louable fut épuisée, on se jetta sur les Pointus ; et cette famille fut aussi célèbre aux Boulevarts .que la famille d'Agamemnon sur les théâtres de la Grèce. Jérôme Pointu fut le plus heureux et le plus fêté. Une assez jolie actrice, nommée Jeannette, partagea avec le procureur son maître la vogue et les applaudissement : elle portait au col une croix d'or, et c'est.de là que vint la mode des croix à la Jeannette. Eustache Pointu et Boniface Pointu eurent aussi leur part de gloire ; mais une part de cadet : Jérôme, leur aîné. posséda les trois quarts de la faveur publique.

Pendant que Janot régnait aux Boulevarts, d'autres héros, plus nobles en apparence, se signalaient an théâtre des Variétés-Amusantes ; on y jouait le Ramoneur Prince, farce non moins célèbre que les Battus paient l'Amende. Le rôle du Ramoneur Prince était joué par Bordier, comédien agréable, qui se bâta trop .de changer son état d'histrion contre celui de missionnaire patriotique : sa mission prématurée fut bientôt couronnée de la palme du martyre. Il termina ses travaux apostoliques et dramatiques sur un théâtre où l'on ne joue jamais qu'une fois.

Plusieurs locutions, abréviations et dits notables du Ramoneur Prince firent fortune parmi le peuple, et devinrent proverbes. Ce savoyard, à l'aspect du linge qu'on lui donnait pour se travestir en prince, s'écriait : Voilà de fier linge ! Le mot fier, dans ce sens; fut employé même par des auteurs. Dans Jean et Geneviève, un petit Savoyard, après avoir bu un verre de cidre, s'écrie : Voilà de fier cidre ! Le ramoneur appelle le vin qu'on lui sert du vin à quinze. Cette plaisanterie de savoyard plût extrêmement et fut depuis fort répétée par les habitués de guinguettes, et par d'autres encore qui n'y vont jamais. On apportait pour le déjeûner du Ramoneur Prince du chocolat qu'il appelait du choco : cette abréviation fut adoptée et dès-lors le mot chocolat perdit sa queue ; mais ce qui réussit le plus, ce fut il y a gros pour il y a gros à parier. Pendant quelque temps ce fut une des meilleures plaisanteries des garçons de boutique et des servantes.

Parmi les farceurs et les niais, je ne dois pas omettre l'infortuné Beaulieu, qui après s'être ruiné au théâtre de la Cité, s'est tué lui-même comme un héros tragique : très-inférieur à Bordier, en qualité de comédien, c'était un niais très-plaisant, et qui se fît une grande réputation à Paris et dans les provinces. On parlait aussi avec éloge d'un acteur de Nicolet, nommé Mayeur, qui jouait avec beaucoup de gaieté les jeunes paysans naïfs : en général, les petits théâtre étaient à cette époque très-bien fournis en bons acteurs. Nous sommes encore aujourd'hui assez riches en niais : c'est le genre le plus perfectionné ; car à côté de Brunet, qui soutient seul tout un théâtre, nous avons le niais du Théâtre-Français, Baptiste cadet, qui a un excellent masque, et qui joue la comédie. Le Théâtre Feydeau a Lesage, Juliet, et même Moreau ; le Théâtre de la Gaieté se fait honneur de Dumesnil, qui est très-naturel et très-comique ; il y en a d'autres encore qui ne se présentent pas à moi dans le moment : grâce au ciel les niais ne manquent pas et ne manqueront, jamais.

Le but de ce long préambule est de faire voir que ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on se passionne pour de mauvaises farces, que le succès des Trois Etages et du Départ pour Saint-Malo ne doit point étonner. Dans les Trois Etages, la décoration était nouvelle ; au lieu de montrer la façade d'une maison, elle en montrait la cour et l'escalier : en fallait-il davantage pour faire aller jusqu'aux nues une très-mauvaise copie de Pourceaugnac ? Si j'ai été surpris de quelque chose, c'est que l'on comprit à Paris ce qu'il y a de plaisant dans le nom de Dumollet. Qui est-ce qui sait à présent à Paris qu'il y avait jadis à Saint-Malo un château-fort, gardé par des dogues qui mordaient dans les jambes des passant qui s'en approchaient de trop près ? Je le sais, moi qui suis né à quatorze lieues de Saint-Malo, et qui même ai fait le voyage de St.-Malo sans accident, Dieu merci. J'ai souvent entendu dire autrefois dans mon pays, d'un homme qui n'a pas de mollet, qu'il revient de Saint-Malo, et que les dogues lui ont mordu lea jambes : c'était alors une plaisanterie familière aux Bretons; mais comment cette plaisanterie, qui depuis long-temps n'est plus d'usage même en Bretagne, est-elle connue à Paris ? C'est bien là du réchauffé.

Je n'ai jamais pu concevoir ce qu'on pouvait trouver de si comique dans ce nom de Dumollet, pour le supporter si long-temps dans deux pièces différentes, et pour prendre un si grand intérêt à cet aventurier, qui pour venir de Saint-Malo n'en est pas plus réjouissant : son pays et ses mollets sont des hors-d'œuvres dans la pièce. J'ai souvent douté, je l'avoue, si ce n'était pas le pur hasard qui décidait du succès et de la chute des pièces, s'il y avait encore de l'esprit et du goût dans le monde, et si le génie de la bêtise ne prédominait pas parmi nous ; mais la disgrâce de M. Dumollet dans sa Famille a dissipé mes doutes impies : les sifflets du parterre des Variétés ont absous les dieux du Parnasse, et j'ai recommencé à croire à leur providence :

Abstulit hunc tandem Ruffini pœna tumultnm,
Absolvitque Deos.

Le public a paru fatigué de M. Dumollet, du perruquier Frizac, du portier André ; on n'a rien trouva de plaisant dans les infortunes de ce nigaud ; sa voiture verse auprès de SaintMalo; il arrive monté sur un âne volé, dont le maître se rencontre là mal à propos ; amoureux d'une nourrice qu'il croyait veuve, il la trouve mariée ; enfin, il est mordu aux jambes par un chien, digne catastrophe des aventures de M. Dumollet : elles ont paru aux spectateurs à-peu-près aussi ennuyeuses qu'elles le sont en effet ; c'est un commencement de retour au sens commun. L'auteur, qui est en état de faire mieux, commencera peut-être à sentir qu'il est possible que les habitués des Variétés ne s'amusent plus d'une mauvaise farce, et que tout n'est pas assez bon pour eux. Il est cependant très-excusable d'avoir eu cette pensée ; car, j'en tombe d'accord, c'était aussi la mienne.

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