Jean-Bart, ou le Voyage en Pologne

Jean-Bart, ou le Voyage en Pologne, mélodrame en trois actes, à grand spectacle, de Frédéric [Dupetit-Méré], musique d’Alexandre Piccini, ballet de Rhénon, 5 août 1815.

Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Titre :

Jean-Bart, ou le Voyage en Pologne

Genre

mélodrame à grand spectacle

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose

Musique :

oui

Date de création :

5 août 1815

Théâtre :

Théâtre de la Porte Saint-Martin

Auteur(s) des paroles :

Frédéric [Frédéric Dupetit-Méré]

Compositeur(s) :

Alexandre Piccini

Chorégraphe(s) :

Rhénon

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1815 :

Jean-Bart, ou le Voyage en Pologne, mélodrame en trois actes, à grand spectacle, par M. Frédéric ; Musique de M. Alexandre Piccini,, Ballet de M. Rhénon ; Représenté, pour la première fois, sur le Théâtre de la porte Saint-Martin, le 5 août 1815.

Le texte de la pièce est précédé d’un avertissement :

[Dans lequel l’auteur insiste bien sur le fait que sa pièce n’est pas « historique », malgré la présence de Jean Bart ; que le décor choisi n’est pas une imitation de celui que Guilbert-Pixerécourt a lui-même imaginé pour son Christophe Colomb, qui va être joué au Théâtre de la Gaîté le 5 septembre 1815, et qu’il assure son confrère de son désir de ne pas créer de conflit  il donne enfin des conseils pour la mise en scène de sa pièce, pour ceux qui n’auraient pas les moyens de construire un décor compliqué : on peut faire simplement, et se renseigner au théâtre de la Porte Saint-Martin (pour la musique aussi, on peut avoir la partition !). A la fois une petite plongée dans les coulisses du Boulevard, et une image de l’ambiance qui y règne.]

J'ai voulu dans cet ouvrage, tout en rappelant une époque glorieuse pour la marine française, présenter au public un spectacle entièrement nouveau, et je crois avoir réussi Depuis long-temps on avait mis des vaisseaux au théâtre ; à l'Opéra-Comique, la décoration du Vaisseau Amiral produisit un grand effet, mais jamais on n'a fait une imitation aussi vraie que la décoration du troisième acte de cette pièce. Il est juste de dire que peu de théâtres, à Paris, offrent autant de ressources au mécanicien et au décorateur que celui de la Porte Saint-Martin, et que l'administration n'a rien négligé pour cette décoration, qui a nécessité de très-grands frais.

Le fond de cet ouvrage est historique, mais je dois avouer que l'histoire n'y est point suivie avec exactitude ; aussi n'ai-je point osé donner à ma pièce le titre pompeux de Mélodrame historique. Je sais fort bien que le prince de Conti n'a jamais tenté de débarquer en Lithuanie ; mais il fallait, avant tout, créer un ouvrage, y mettre de l'intérêt , donner le plus de développement possible au caractère de Jean-Bart ; voilà ce que j'ai voulu faire, c'est au public à décider si j'ai rempli mon but. D'ailleurs les circonstances m'ont imposé quelques sacrifices qui m'ont encore éloigné de la vérité du fait historique.

J'avais, depuis plusieurs années, conçu l'idée de ma décoration du troisième acte ; j'avais même présenté Jean-Bart au théâtre de la Gaîté, mais c'était à l'époque de la funeste campagne de Moscou : certain que la police n'en permettrait point la représentation, je repris mon ouvrage. Mais, au milieu de mes répétitions à la Porte Saint-Martin, j'appris que le théâtre de la Gaîté préparait aussi un mélodrame dont la scène se passait sur un vaisseau, que ce mélodrame était d'un auteur connu par de grands succès en ce genre, que cet auteur se plaignait de ce que j'avais fait exécuter une décoration dont il avait l'idée depuis plus de dix ans, quoiqu'il n'ait fait la pièce que depuis environ deux mois (c'est-à-dire depuis que la mienne était en répétition.) M. G.-P. peut être persuadé que je n'avais aucune connaissance de son projet de pièce ; de mon côté, je suis certain qu'il ne connaissait pas mon mélodrame : nous ne pouvons, ni l'un ni l'autre, avoir eu l'intention de nous nuire ; et j'espère que cela ne fera aucun tort ni à son ouvrage ni au mien.

Comme les théâtres des départemens ne peuvent s'engager dans des dépenses aussi considérables que celles qui ont été faites à la Porte Saint-Martin, je préviens messieurs les directeurs que le troisième acte de mon mélodrame peut se jouer dans la décoration du Vaisseau Amiral, et que, dans les villes où cette décoration n'existe pas, on peut, en plaçant le vaisseau en travers, et en le montrant de tribord à babord, monter l'ouvrage très-promptement et à peu de frais. Ils pourront obtenir à cet égard tous les renseignemens qui leur seront nécessaires de M. Poulet, machiniste en chef , au théâtre de la Porte Saint-Martin, qui a exécuté cette décoration avec beaucoup de talent. Ils pourront aussi s'en procurer la partition complète, en s’adressant à M. Alexandre Piccini, chef d’orchestre du même théâtre.

Journal de l’Empire, 7 août 1815, p. 1-3 :

[C’est un mélodrame très particulier que ce Jean-Bart, et le critique insiste sur l’audace d’un projet qui va à l’encontre de ce qu’il révère, « les règles de l’art » et outrepasse même les « licences du genre ». L’auteur a péché de façon volontaire et consciente. Mais il faut accepter le choix de l’auteur, dont le canevas n’a pas d'autre but que d’amener au « magnifique spectacle du troisième acte », qui suscite « le sentiment de la difficulté vaincue ». Pas besoin de s’attarder sur les deux premiers actes, « un tissu d'invraisemblances théâtrales et de faussetés historiques », transformant le prince de Conti et Jean Bart en « aventuriers hasardeux », vivant une intrigue sans cohérence. Après ce long préambule, arrive le troisième acte, qui offre un spectacle extraordinaire, celui de la mer aux flots agités et de vaisseaux qui se meuvent sur elle. Le vaisseau de Jean Bart est montré avec réalisme : on y voit chacun tenir sa place, des mousses au pilote. On assiste à une terrible tempête, puis à l’attaque du navire par des vaisseaux ennemis : le combat est incertain, jusqu’à ce que deux navires viennent au secours de Jean Bart, qui n’a jamais perdu confiance dans cette difficile situation. Le spectacle de la mer a beaucoup impressionné le critique, qui suggère toutefois d’écourter les deux premiers actes, et aussi l’entracte entre les actes deux et trois. Musique « agréable » : c est un compliment modeste. Les auteurs ont été demandés, mais celui qui triomphe vraiment, c’est l’auteur des décors, qui a paru sur la proue de son navire de théâtre.]

THEATRE DE LA PORTE SAINT-MARTIN.

Première représentation de Jean-Bart, ou le Voyage en Pologne, mélodrame en trois actes, par M. Frédéric ; musique de M. Piccini, machines de M. Poulet.

Si je voulois juger ce nouveau mélodrame d’après les règles de l'art et les licences mêmes du genre, j'aurais des reproches d’autant mieux fondés à adresser à l'auteur, qu'il a déjà prouvé par plusieurs ouvrages, et notamment par le Fils banni, qu'en respectant les unes, il savoit très bien ne pas abuser des autres : ses fautes sont donc volontaires ; il pèche de gaieté de cœur, en connoissance de cause, avec plénitude de consentement. Ce sont là des circonstances tellement aggravantes, que jusqu'à la preuve acquise d'un sincère repentir, il me seroit en conscience impossible de le justifier et de l'absoudre.

Cependant, comme au fond il est juste de ne voir dans un ouvrage que ce que l'auteur a voulu y mettre ; qu'ici son intention est évidente ; que M. Frédéric, laissant de côté tous les principes de la composition dramatique, n'a voulu qu'imaginer un canevas à la suite duquel se trouveroit placé, n'importe comment, le magnifique spectacle du troisième acte, cette considération désarme ma sévérité, et sans tirer à conséquence pour l'avenir, me commande pour cette fois l'indulgence. J'oublie que la pièce est faite pour un théâtre où l'on a le droit d'exiger un dialogue, des situations et des caractères : je me crois transporté au spectacle de Pierre ; je me figure ce spectacle agrandi dans d'immenses proportions ; je vois ses ingénieuses mécaniques s'étendre, s'élever, s'élargir jusqu'aux dimensions naturelles. Frappé de cet appareil miraculeux, je me laisse aller au plaisir d'une imitation qui, quoique matérielle, parle puissamment à mon âme par le sentiment de la difficulté vaincue et par l'illusion complète opérée sur mes sens. Tel est le but que l'administration et l'auteur se sont proposé', et il faut féliciter M. Poulet de l'avoir aussi heureusement rempli.

Je ne parlerai donc point des deux premiers actes : c'est un tissu d'invraisemblances théâtrales et de faussetés historiques qu'aucun agrément de situation ou de style ne compense, Le prince de Conti, ce héros qui partagea la gloire du vainqueur de Steinkerque et de Nerwinde, y fait ainsi que Jean-Bart, le rôle d'un aventurier hasardeux qui tombe dans les pièges d'un Castellan, avec une imprudence capable seule de justifier sa retraite forcée de la Pologne, et la perte de la couronne qu'il vient mettre sur sa tête Il s'échappa des mains du Castellan par des moyens aussi mal conçus que ceux qui l'y ont livré ; toute cette partie de l'action est misérable ; Jean-Bart, le chef de l'entreprise ne se fait reconnoître qu'à de gros jurons qui ne devroient pis être, ce semble, la seule partie caractéristique de ce grand homme. Du reste, il s'expose sans nécessité et sans prévoyance, et finit, comme le prince, en se tirant d'affaire par une de ces machines usées dans les ressorts desquelles la prudence et le calcul n'entrent pour rien.

Enfin arrive le troisième acte pour lequel tout le mélodrame a été conçu ; et, il faut en convenir, la beauté du spectacle est en proportion de la longue impatience avec laquelle il a été attendu : c'est le plus bel éloge que j'en puisse faire.

Le théâtre représente, quoi ? la mer; oui, la mer ; mais non pas une mer de fond ; c’est une mer véritable, une mer qui remplit tout le théâtre, qui déborde le rideau, qui menace d'engloutir le souffleur dans son trou, et que l'on dirait toute prête à fondre sur l'orchestre, si, docile à la main puissante qui la gouverne, la rage de ses flots ne venoit respectueusement expirer contre les quinquets. Cette mer n'est point tristement immobile : elle soulève ses vagues, elle blanchit d'écume ; de tous les côtés, elle se perd dans un horizon à perte de vue ; on n'aperçoît que la ciel et l'eau :

Maria undique et undique cælum.

Cependant, sur le dos de la plaine liquide s'élève majestueusement un vaisseau à deux ponts, garni de ses agrès, de ses mâts, de ses canons, d'un équipage complet Ce vaisseau est vu dans toute sa longueur, depuis le gaillard d'avant jusqu'au gaillard d'arrière ; les mousses grimpent aux échelles ; les vigies sont sur les barres ; tout est en mouvement sur le pont ; le maitre d'équipage distribue ses ordres aux matelots ; et le pilote observe avec une attention inquiète le point noir, précurseur de la tempête qui va donner une nouvelle face à ce tableau.

L'orage avance par degrés ; les éclairs redoublent, les vents sifflent. Le vaisseau est agité non point par un tangage comme on l'avoit annoncé, mais par un roulis effrayant. Bientôt au désordre des élémens vient se joindre le tumulte d'un combat naval. Le canon commence l'attaque ; après plusieurs bordées lâchées de part et d’autre, on jette les grappins, et deux vaisseaux accroche,t celui de Jean-Bart. L’abordage est terrible ; les Français, accablés par le nombre, sont au moment de perdre la victoire, lorsque du haut des hunes on signale deux vaisseaux qui viennent à leur secours. Le vaisseau ennemi, qui étoit à babord, se décroche et s'éloigne : la fortune couronne le courage dt Jean-Bart et de ses intrépides ccompagnons.

Après le combat, le prince de Conti fait remarquer à Jean-Bart qu'ils ont été tout près d’être fait prisonniers. « Impossible, répond naïvement le héros ; mon fils avoit ordre de se tenir à la Sainte–Barbe et d'y mettre le feu au premier signal : nous aurions sauté en l'air : vous voyez bien que les Hollandais ne nous auroient pas pris. » Le prince sourit .de l'expédient, et témoigne sa reconnoisssance à .Jeau-Bart en lui donnant, au nom du Roi, îles lettres de noblesse et la croix de Saint Louis.

Je n'ai pas besoin de dire que le spectacle de la mer, des vaisseaux, de la temête, du combat naval, a excité un véritable enthousiasme. Tout Paris voudra en jouir : mais, pour ne pas vendre trop cher aux amateurs le plaisir que je leur garantis, il conviendrait d'abréger singulièrement les deux premiers actes, et surtout la longueur démesurée de l'intervalle qui sépare le second du troisième. Cet entr'acte a duré plus d'une heure, et j'ai vu le moment où la curiosité alloit céder à la chaleur étouffante et à l'ennui d'une attente aussi extraordinairement prolongée.

La musique e»t agréable et fait honneur à M. Piccini, chef de l'orchestre de ce théâtre. On a demandé les auteurs. Bourdais est venu décliner leurs noms ; ils ont été entendus assez tranquillement. Mais à celui de M. Poulet, les applaudissemeus ont éclaté de manière à marquer une préférence malicieuse ; on a exigé qu'il parût, et il est venu cueillir en personne, sur le gaillard de devant, de nouveaux témoignages de l'admiration exclusive que son rare talent d'imitation avoit inspirée.                          C.

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