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Les Jeux d'Églé

Les Jeux d'Églé, ballet anacréontique, de Dauberval, remis par Aumer, 29 brumaire an 11 [20 novembre 1802].

Théâtre de la Porte Saint-Martin

Almanach des Muses 1804

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an XI (1802) :

Les Jeux d'Églé, ballet anacréontique De la composition de M. Dauberval ; Remis par M. Aumer. Représenté sur le Théâtre de la Porte St.-Martin, le 29 brumaire, an XI.

Courrier des spectacles, n° 2085 du 30 brumaire an 11 [21 novembre 1802], p. 2 :

[Un premier article dit le succès du ballet, et attribue sa paternité à Hus. Dauberval n'est pas cité.]

Théâtre de la Porte-St-Martin.

La première représen[ta]tion des Jeux d’Eglée obtint hier un brillant succès. C’est un ballet-pantomime qui offre de jolies situations, et qui a fourni au cit. Giraud et à Mlle Bertin l’occasion de déployer les talens qu’on a jusqu’ici applaudis dans les mélodrames qui ont été joués à ce théâtre. L’auteur est le cit. Eugène Hus, connu par plusieurs ballets agréables au théâtre de la Gaité, et par l’opéra de Lise et Colin au théâtre Feydeau.

Courrier des spectacles, n° 2086 du 1er frimaire an 11 [22 novembre 1802], p. 2 :

[Rétablissement de la vérité : Hus lui-même tient à rendre à Dauberval ce qui lui appartient.]

AU REDACTEUR.

Paris, 30 brumaire , an 11.

Rien de plus flatteur pour moi, sans doute, que d’être cru l’auteur du charmant ballet des Jeux d’Eglé ; mais je dois à la vérité et à mon attachement pour le plus grand homme dans notre art, de rectifier cette erreur. Le célèbre Dauberval, mon maître, composa cet ouvrage à Bordeaux, j’eus l’avantage d'y créer, sous lui, le rôle dans lequel j’ose encore me présenter au public, et c’est enfin aux leçons que j’ai reçues, à l’amitié d’un homme que je n’oublierai jamais, que je dois encore aujourd’hui le suffrage dont le public daigne honorer mon zèle.

Je vous prie, citoyen , de vouloir bien insérer cet aveu dans votre prochain numéro, afin de ne pas prolonger une erreur qui, tout en flattant mon amour propre, blesseroit ma délicatesse.

Salut et considération,

Eugène Hus.

La Décade philosophique, littéraire et poltitique, onzième année de la République, Ier trimestre, n° 9, 30 frimaire, p. 567-568 :

[Le compte rendu de la reprise des Jeux d'Eglé s'ouvre par un réquisitoire d'une rare violence contre le mélodrame (le genre habituellement représenté au Théâtre de la Porte Saint-Martin) : « avorton contrefait », « une de ces preuves monstrueuses de la décadence du goût », « genre hermaphrodite et bâtard ». Ce n'est qu'après que le ballet est évoqué de façon très positive. Puis le critique lance un appel au Théâtre des Arts, invité à reprendre le patrimoine des grands ballets, Dauberval, Noverre et quelques autres. Gardel ne ferait certainement pas obstacle au succès des productions de ses confrères (mais peut-être que le critique fait preuve dun optimisme excessif !]

Théâtre de la Porte Saint – Martin.

Nous attendons toujours que ce théâtre, l'un des plus agréables pour la forme et des plus vastes pour la capacité de son vaisseau, se signale par quelque nouveauté brillante qui lui imprime un caractère : jusqu'à présent, il ne surpasse que par son étendue les autres théâtres du boulevard.

Il paraissait devoir se livrer tout entier au genre du mélodrame et de la pantomime. J'aime mieux cette dernière ; car j'avoue que le melodrame me paraît un avorton contrefait qui prend tour à tour, et pour les travestir, les formes de Thalie, de Melpomène et de Polymnie. C'est encore une de ces preuves monstrueuses de la décadence du goût, et cependant nous sommes menacés de son invasion jusque dans les départemens, où la médiocrité des comédiens trouve un grand avantage à ce genre hermaphrodite et bâtard.

Le théâtre de la porte Saint-Martin en a déjà donné plusieurs qui n'ont pas été très-heureux ; ce mêlange bizarre d'héroïsme et de trivialité, ce contraste de prose commune et de déclamation ampoulée , n'a pas encore tout à fait perverti les oreilles parisiennes.

On a été attiré avec plus de raison par un fort joli ballet et très-bien exécuté, intitulé : les jeux d'Eglé. Ce ballet-pantomime, rempli d'idées ingénieuses et anacréontiques, fait honneur au talent déjà bien connu du C. Dauberval, qui l'a dessiné et composé, et au zèle du C. Hus, qui l'a fait exécuter. Il est mis à la scène avec une élégance et un goût qui honorent également l'administration. Puisque le théâtre des Arts n'a point eu l'adresse de s'emparer de cette jolie production et de toutes celles que l'on connaît encore et qui ont été composées par Dauberval,Noverre, et quelques autres, on doit être charmé de les retrouver mises avec soin au théâtre de la porte Saint-Martin ; mais tous ceux qui connaissent à quel point ces sortes d'ouvrages sont dispendieux, ne doivent-ils pas craindre qu'il ne soit impossible à ce théâtre d'en soutenir la dépense ? Ne serait-ce pas au Gouvernement, qui fait déjà, et avec raison, de si grands sacrifices pour donner au théâtre des Arts sa splendeur et sa gloire, de réunir à son répertoire tout ce qui pourrait ainsi l'honorer et l'embellir ? On est bien sûr que le C. Gardel, riche déjà de ses nombreux succès, verrait avec plaisir ses confrères l'aider dans cette carrière, et qu'il mettrait à monter leurs ouvrages tout le soin qu'il met aux siens propres. L. C.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome VI (1825), p. 125-128 :

[Geoffroy commence par une comparaison précise entre les Jeux d'Églé et la Fille mal gardée, qui semble aboutir à une hiérarchisation entre les deux ballets, Églé étant de meilleure extraction que la Fille mal gardée. Le résumé des Jeux d'Églé qu'il entreprend ensuite met en valeur la place de la mythologie dans le ballet, à grand renfort d'allusions antiques et de citations de Virgile. Après avoir montré les « mystères de Bacchus », le ballet montre les amours de Mercure et d'Églé, qui s'achèvent par l'union de la nymphe et du dieu bénie par un Silène ayant repris ses esprits après ses écarts du premier tableau. Le feuilleton de Geoffroy s'achève par un bilan très positif : très belle exécution, très beaux décors, interprètes irréprochables.

Article datant du 20 floréal an 13 (10 mai 1805)]

LES JEUX D'ÉGLÉ.

Les Jeux d'Églé sont une pantomime pastorale dans le genre anacréontique : il y a plus de vérité, de naturel et de comique dans la Fille mal gardée, qui est aussi une pantomime pastorale dans le genre rustique : on trouve dans les Jeux d'Églé plus d'imagination, de délicatesse et de grâce. La première est un tableau de Teniers, la seconde un tableau de l'Albane. Lise est une villageoise, Églé est une nymphe ; l'amant de Lise est un berger, celui d'Églé est un dieu ; la mère de Lise est une vieille paysanne, une espèce de caricature ; le vieux Silène est le père nourricier de Bacchus : son ivrognerie a quelque chose de divin. Il faut savoir un peu de mythologie pour entendre et goûter les Jeux d'Églé, il ne faut que connaître la nature pour aimer la Fille mal gardée.

Le ballet des Jeux d'Églé présente d'abord Silène environné des faunes et des bacchantes : les bacchantes lui présentent du vin dans de grandes coupes ; elles en boivent elles-mêmes : le bonhomme ne tarde pas à s'enivrer, et on le couche sur un banc de gazon. Il faut être un peu initié aux mystères de Bacchus pour sentir le prix de ce spectacle. Les anciens, très-dévots au dieu du vin, s'imaginaient presque faire, en s'enivrant, un acte de religion. Anacréon et Horace sont pleins d'hymnes bachiques, où l'ivresse est représentée comme un état délicieux très-convenable à un philosophe. Virgile nous peint Silène ivre et endormi dans une grotte, comme un objet de vénération : de jeunes satyres qui le rencontrent, l'enchaînent avec la couronne tombée de dessus sa tête ; mais à peine osent-ils le réveiller. Églé, qui survient, est plus hardie ; elle pousse même l'irrévérence jusqu'à barbouiller avec du jus de mûres le front et les tempes du vieillard divin. Silène s'éveille et sourit : on le dégage de ses liens de fleurs, et, pour prix de sa liberté, il promet aux satyres de leur chanter des vers. Pour ce qui regarde Églé, il lui promet une autre récompense :

Huic aliud mercedis erit.

On voit que les nymphes de ce temps-là n'avaient pas autant de goût pour les vers que nos belles d'aujourd'hui, qui trouvent tant de charmes dans les athénées. Mais si le bon Silène n'était qu'un vieillard ordinaire, la promesse d'une autre récompense serait peu capable de flatter Églé. Il faut absolument que la vieillesse de Silène soit celle d'un dieu, toujours vigoureuse et verte :

...Sed cruda deo viridisque senectus.

Sans quoi ce galant et ingénieux hémistiche de Virgile :

Huic aliud mercedis erit,

ne signifierait rien du tout, et la jeune Églé ne ferait pas plus de cas de ses promesses que de ses vers.

On a imité sur la scène une partie de ce tableau charmant du poëte latin, spécialement l'espièglerie d'Églé qui barbouille le visage de Silène ; mais, je le répète, pour en être charmé, il faut avoir quelques idées mythologiques, et voir dans Silène autre chose qu'un ivrogne. Ce qui me plaît le moins, c'est l'ivrognerie des bacchantes : il est vrai qu'elles ne s'enivrent pas sur le théâtre ; mais elles boivent assez largement : et quoique je ne sois pas étranger à la mythologie, j'avoue que je n'aime point les bacchantes. Ce caractère d'ivresse et de fureur convient mal à des femmes, et forme un contraste. choquant avec les grâces et la douceur de leur sexe.

Un autre tableau, selon moi plus gracieux, c'est celui des amours de Mercure et d'Églé. Mercure, descendu du ciel, se déguise en berger pour plaire à Églé : cette nymphe folâtre, qui jusqu'alors avait échappé aux faunes et aux satyres, est prise et reste immobile à la première vue de Mercure : le dieu s'en. aperçoit et veut profiter de sa victoire. Églé l'arrête et place entre elle et le dieu une guirlande de fleurs qu'elle lui défend de franchir, barrière peu faite pour la rassurer. Cependant elle danse avec le dieu dont elle n'est séparée que par ce faible rempart : il n'en est point d'autre que la fuite, contre un amant qui plaît. Églé est si près de Mercure, qu‘elle se trouble, et, s'approchant toujours, elle marche sur la guirlande et fait un faux pas. Le dieu la relève, et commence par renverser le mur de séparation. Églé vaincue est prête à céder, lorsque Silène reparaît en triomphe avec son cortége ; il reconnaît sous les habits d'un berger le dieu Mercure, et il l'unit avec Églé. Il y a beaucoup de filles qui font des faux pas, et qui n'ont pas un dieu pour excuse de leur faiblesse.

Ce ballet, très-bien exécuté, a été reçu avec les plus grands applaudissemens : les décorations en sont très-fraîches et très-agréables. Madame Quériau y fait briller ses grâces naturelles et son rare talent pour la pantomime. On peut mieux danser, c'est-àdire, avoir plus d'élévation, faire mieux les pirouettes et les autres difficultés de la danse ; mais on ne peut pas mieux exprimer, mieux jouer du visage, avoir une physionomie plus riante, plus animée, des mouvemeus et des attitudes plus gracieuses. Mesdemoiselles Étienne et Aline, qui représentaient deux bacchantes, ont déployé beaucoup de force et d'agilité. Mademoiselle Santiquet ne s'est pas moins distinguée par l'élégance et la précision de ses pas. Morand a partagé avec madame Quériau l'honneur de cette journée : l'un et l'autre ont été appelés avec transport après la représentation, et couverts d'applaudissemens. (20 floréal an 13.)

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