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La Liberté conquise, ou le Despotisme renversé

La Liberté conquise, ou le Despotisme renversé, drame en cinq actes & en prose, de Harny, 4 janvier 1791.

Théâtre de la Nation.

Titre :

Liberté conquise (la), ou le Despotisme renversé

Genre

drame

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

4 janvier 1791

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

Harny

Inédite jusqu'en 2012 (elle dormait dans les archives de la Comédie Française), la Liberté conquise ou le Despotisme renversé a été publiée par Paola Perazzolo, Verona, Edizioni Fiorini, «Varia et Curiosa», 2012, pp. 257. Cette publication a fait l'objet d'un compte rendu dans Studi Francesi, 170 (LVII | II) | 2013, 454-455 (disponible sur Internet, https://doi.org/10.4000/studifrancesi.3089).

Chronique de Paris, n° 5 du mercredi 5 janvier 1791, p. 16 :

[Simple constat de la réussite éclatante de la pièce : l'auteur a été nommé et a reçu une couronne en reconnaissance de la qualité de son œuvre. La fin de l'article a une portée nettement polémique, et anti-religieuse.]

La Liberté conquise, donnée hier au théâtre de la nation, a eu le plus grand succès, & a été du plus grand effet. L’auteur a paru, & le public, après l’avoir couvert d’applaudissemens, a demandé qu’on lui décernât la couronne civique. Les acteurs l’ont couronné, quoique sa modestie s’y refusât. Il se nomme Harni. Nous donnerons demain un extrait détaillé.

Les transports avec lesquels cette pièce & les acteurs ont été accueillis prouvent que l'esprit public est encore dans toute sa force, & que les subtilités du religieux Cazalès & du Benoît Maury ne réussiront point à l’affoiblir. Envain des prêtres factieux cherchent à promener les torches de la discorde d’une extrémité à l’autre de cet empire ; nous demeurerons unis, & les dangers ne feront que pour eux.

Chronique de Paris, n° 6 du jeudi 6 janvier 1791, p. 21-23 :

[Un très long article pour célébrer la pièce jouée l'avant-veille. Le critique commence par situer le lieu et le moment de l'action : un port proche du lieu de la guerre autour du 14 juillet (1789 ou 1790, les deux dates sont possibles). Il entreprend ensuite un très long résumé, très minutieux de l'intrigue de la pièce. Cette intrigue raconte l'opposition entre un « homme ferme et vertueux » et un ennemi de la révolution, qui est le gouverneur de la ville. Le vertueux Verneuil et sa sœur, tout aussi proche des idéaux nouveaux que lui, font tout ce qu'ils peuvent pour nourrir les habitants que les accapareurs affament en bloquant l'approvisionnement en farine. Ces manœuvres conduisent les ouvriers à se révolter, tandis que le gouverneur ne rêve que de contre-révolution. La bataille est inévitable, ce qui permet une belle scène de combat, mais aussi une prestation de serment. Le peuple assemblé l'emporte sur les forces contre-révolutionnaires, mais aussi contre les troupes ennemies qui attaquent la ville. Victoire là aussi des révolutionnaires autour de Verneuil. La fin de l'article souligne l'immense succès remporté par la pièce. Son auteur a paru : surprise, « c'est un vieillard de soixante-huit ans » qui a pourtant montré dans a pièce un « feu patriotique » de jeune homme. La pièce est à son image : « les principes de cette piece sont purs & vigoureux », et il serait bon qu'on la joue sur les places publics – anticipation des spectacles donnés gratuitement au peuple dans les théâtres dans les années suivantes : le théâtre au service de la révolution. Quant aux acteurs, ils sont dignes du nom qu'ils ont donné à leur théâtre, Théâtre de la Nation.]

Nous n’avons pu rendre qu’un compte très-succinct de la pièce donnée avant-hier au théâtre de la nation,quelle que fut notre impatience de communiquer l'impression qu’elle nous a faite.

Cette pièce est intitulée, la liberté conquise. La scène se passe dans une ville de guerre, sur la frontière , & qui a un port sur l'Océan. Le temps est l’époque du 14 juillet. Déjà l’attention de nos lecteurs s’éveille ; déjà leur ame patriotique est agitée, & ils s'intéressent à notre récit.

Le lieu de la scène est une place publique en face du fort : ce fort offre une image parfaitement exacte de la bastille. Quelques bons citoyens s’y entretiennent des affaires publiques & des sages décrets de l'assemblée nationale. Un jeune officier differe seul avec eux de sentimens ; entiché de sa noblesse & des titres qui décorent sa n.llité [sic], il blâme tout ce qui se fait. Cependant l'heure approche où l’on doit s’assembler pour l'élection d’un maire, & il paroît que le choix va tomber sur M. de Verneuil, homme ferme & vertueux. Tous les citoyens se rendent à la maison commune : la sœur de M. de Verneuil reste sur la place, le pont du fort se baisse ; & le gouverneur paroît.

Cet homme, qu’on appelle M. le comte, est un contre-révolutionnaire dans toutes les règles ; il hait l’assemblée nationale, il déteste l’égalité qui fait la base de ses décrets ; il croit ou paroît croire qu’un petit nombre d’individus privilégiés sont réellement faits pour commander à tous les autres; il prévoit les suites de ces faisceaux de lumières, répandus par les écrivains patriotes ; il prohibe leurs ouvrages, qu’il traite de libelles, sous les peines les plus séveres ; mais sur-tout il veut empêcher l’élection de Verneuil, qui seroit contraire à ses desseins ; il envoie à l’assemblée des officiers, pour s’opposer de sa part à cette nomination. Demeuré avec la sœur de Verneuil, il lui reproche de tenir chez elle des assemblées suspectes dans lesquelles on se permet de traiter des objets sur lesquels on doit s’interdire, selon lui , toute espèce d’examen. La sœur de Verneuil, femme prudente, éclairée & courageuse, lui répond avec noblesse & fermeté ; elle lui apprend quel est l’objet de cette société qu’il désaprouve, & l’on reconnoît, dans son récit, la société célèbre des amis de la constitution. Ce portrait a été applaudi avec transport,

La sœur de Verneuil ne se contente pas de justifier ses actions & ses principes ; elle reproche au gouverneur sa conduite anti-patriotique. Les officiers, envoyés par lui à l’assemblée, viennent annoncer l’élection de Ver neuil ; les o[r]dres du gouverneur n’ont seulement pas été écoutés. Verneuil paroît lui-même à la tête d’une députation de citoyens ; il demande que le gouverneur garantisse la frontière des dangers qui la menacent, qu’il pourvoie à la subsistance du peuple. L'insolent gouverneur se couvre à l’aspect de Verneuil. Le maire & tous les citoyens qui le suivent se couvrent également. Le gouverneur prétend qu’il ne doit aucun compte de sa conduite ; il demande de quel droit le peuple ose lui en demander. Verneuil lui explique dignement quels sont les droits de ce peuple qu’il méprise. Le gouverneur rentre dans le fort en menaçant. Cependant il faut pourvoir à la subsistance des ouvriers ; la prudence de Verneuil suffit à tout, vingt charriots de farine doivent arriver.

La résistance du gouverneur commence à exciter les esprits ; ils fermentent, ils s’échauffent. Les ouvriers viennent en députation; ils sonnent, le pont se baisse. Pendant ce temps-là, la sœur de Verneuil raconte à un jeune baron bon patriote, que les perfides projets du gouverneur sont connus, mais qu’on ne peut le convaincre. L’infame a fait arrêter les vingt charriots de grains, afin de faire tomber toute la vengeance du peuple affamé sur son frere. Elle vient lui reprocher sa trahison. Dans ce moment la députation des ouvriers sort du fort ; elle a été mal reçue. Cependant ils sont instruits de tout ; ils n’ignorent pas l’arrestation des vingt charriots, ils veulent se venger, ils demandent des armes. Antoine, leur chef, montre un ame intrépide & vraiment citoyenne. La sœur de Verneuil, qui toujours a eu des droits sur le malheureux qu’elle s’occupe à soulager, ne peut même réussir à les contenir. Le Gouverneur sort avec un piquet de soldats étrangers gardiens du fort ; il ordonNe aux ouvriers de s’éloigner, de se disperser ; il défend toute assemblée générale ou particulière. Les ouvriers feignent d’obéir ; ils sortent, mais pour prendre des mesures plus certaines. Alors la sœur de Verneuil reproche au gouverneur son infame conduite. Il cherche à éloigner les soupcons : il ignore, dit-il, la cause de la disette. « Cette disette, répond la sœur de Verneuil, n’a d’autre cause que l’accaparement. Eh ! ce n’est pas ce peuple que vous dédaignez, qui se livre à ce honteux trafic ; ce sont les grands si fiers & si superbes. Le gouverneur menace, mais rien ne peut intimider cette généreuse citoyenne ; elle parle avec cette liberté qu’inspire l’amour de la patrie & la haine du despotisme, & ne se retire qu’après avoir fait connoître au gouverneur les vengeances effroyables qu’il amasse sur sa tête ; mais, rien ne sauroit dissiper son erreur, tant le sentiment de sa force & de sa supériorité le rend aveugle. Il dévoile à ses confidens tous ses projets , « vous craignez une insurrection , leur dit-il , mais c’est ou j’attends ce peuple imbécille. Cette insurrection sera le prétexte de la guerre épouvantable que je vais lui livrer, au même instant je fais charger ce peuple dans toutes les rues, piller & incendier les maisons, l’armée étrangère est sous nos murs, elle attaquera de son côté tandis que les canons du fort foudroyeront la ville ; alors je livre ce port aux Anglois, & j’en obtiens aussi des secours. Maître de cette ville nous le sommes bientôt de toutes les provinces ; les nobles, les magistrats, tous les mécontens enfin se joignent à nous ; nos troupes se divisent en trois armées, nous marchons vers Paris, en portant par-tout la mort & le carnage. Ces dauphinois qui les premiers ont levé l’étendart, & ces Bretons qui ont osé résister à leur noblesse, ne sauroient nous résister. Nous arrivons à Versailles, les états-généraux sont dissous ; la noblesse & le clergé, dont le secours nous est affuré, rentrent dans leurs droits, tous nos privilèges nous sont rendus & nous sommes encore les maîtres de cet empire que nous avons depuis si long-temps gouverné. Mais , les Parisiens ? — Les Parisiens, reprend-il, n'oseront seulement nous résister, nous les réduirons par la famine. Les officiers auxquels il fait part de cet exécrable complot l’approuvent & brûlent de l’exécuter ; mais le gouverneur attend l’envoyé des Anglois, le lord Surrey, ils le laissent avec lui. Le gouverneur veut le faire entrer dans ses projets ; mais, le généreux Anglais refuse ses offres, & lui répond avec le mépris qui lui est dû.

Cependant la rumeur s’augmente, tous les citoyens s’assemblent : nous pourrons toujours dans les dangers qui menacent la patrie, dit l’oncle de Verneuil, compter sur les braves habitans des fauxbourgs. A ces mots tous les spectateurs ont par leurs cris payé le tribut de la juste reconnoissance qu'ils doivent aux habitans de cette capitale.

Le tumulte s’accroît ; enfin, tout le peuple armé de fusil, d’épée, de sabre, de fourches, &c. paroît sur les pas du maire, & de son vertueux oncle. Au même instant le gouverneur paroît, il ordonne à ces citoyens, qu’il traite de rebelles, de se retirer ; on ne l’écoute pas, il appelle les soldats qui se rangent en bataille sur l'autre côté de la place.

Combien on a craint alors pour la vie de ces généreux défsnseurs de la patrie forcés par un affreux despotisme à une sainte insurrection. Mais qui sont ces soldats ? Leur uniforme les fait bientôt suffisamment connoître ; déjà leurs démarches est prévue [sic], on ne peut rien redouter d’eux, ils ne s’armeront point contre la liberté, ils ne verseront pas le sang de leurs concitoyens, ce sont nos braves freres, vos respectables amis, généreux gardes-francoises. Que de sentimens la vue de leur uniforme a réveillés, & combien il a été applaudi !

Verneuil annonce au gouverneur les volontés du peuple ; celui-ci brave ce peuple au lieu de l'appaiser, il ordonne aux bons citoyens de se retirer, tous restent ; il commande aux soldats de charger, tous mettent bas les armes ; il les traite de traîtres, & va cacher sa honte dans le fort. Au même instant les citoyens & les soldats se précipitent dans les bras les uns des autres pour s'embrasser ; les femmes, les enfans, les vieillards, tous les rangs, tous les états se confondent, tous n'ont qu’un même intérêt, qu’un même esprit, qu’une seule ame.

Cependant il faut pourvoir à la sûreté commune ; chacun y contribue selon ses moyens. L’oncle de Verneuil commande les soldats de la patrie ; la sœur de ce vertueux maire offre toute sa fortune pour le soulagement des ouvriers qui consacreront leurs journées de travail au service public. Son jeune fils prend l’habit militaire, & sa tendre mère l’applaudit. On parle d’attaquer le fort, & cet enfant promet d’en arracher le drappeau. L’armée étrangère menace la ville ; on illumine les rues ; on les dépave ; le tocsin sonne ;on porte les pierres sur les toits ; les patrouilles, bisarement composées de soldats & d’ouvriers, se rencontrent & se reconnoissent. Enfin on s’unit pour le serment solemnel : les hommes jurent de mourir pour la liberté, les femmes d’élever leurs enfans dans ces nobles sentimens.

Ce serment sacsé [sic] a été répété par les spectateurs, & au moment du serment des femmes, toutes celles qui étoient dans la salle ont levé la main, & agité leur manchon & leur mouchoir. Jamais on ne vit un sentiment plus vif & plus unanime.

Bientôt le gouverneur vient proposer la paix, ou plutôt de se soumettre; il est refusé. Pendant qu’il harangue le peuple, l’armée étrangère attaque la ville ; on crie à la trahison, & le lâche prétend qu’on peut trahir des rebelles. Aussi tôt les citoyens se partagent. Les uns, sous la conduite de Verneuil, vont battre l’armée étrangère ; son oncle commande l’attaque du fort; les femmes de la halle & les citoyens roulent le canon. Les gardes-françaises commencent l’attaque ; le feu est vif & continuel de part & d’autre ; enfin la chaîne du premier pont-levis est brisée, la maison du gouverneur incendiée, le fort emporté. Le neveu de Verneuil se saisit du drapeau qu'il porte en triomphe à sa mère ; Verneuil revient triomphant ; tous les citoyens crient : Vive la nation ! & la toile tombe.

L'enthousiasme a été complet. Tous les acteurs ont mérité des éloges pour le zele & la chaleur qu’ils ont mis dans l'exécution. On a demandé l’auteur : il a paru. Au feu patriotique dont son ame est embrasée on croyoit voir un jeune homme, c’est un vieillard de soixante-huit ans, M. Harni.

La probité se peint sur son front vénérable : il a été couronné aux acclamations du peuple.

Les principes de cette piece sont purs & vigoureux : il seroit à souhaiter qu'on pût la jouer sur les places publiques.

Gloire soit rendue à MM. les comédiens français qui nous donnent de tels ouvrages : en continuant ainsi, ils mériteront le titre auguste dont ils ont décoré leur salle.

Mercure de France, tome CXL, n° 3 du samedi 15 janvier 1791, p. 111 :

THÉATRE DE LA NATION.

La Liberté conquise, ou le Despotisme renversé, Drame en 5 Actes & en prose; par M. Harny

Cette Piece, dont le grand succès fait la joie de tous les bons Patriotes, compte déjà cinq représentations depuis le 4 de ce mois, où elle a été jouée pour la premiere fois.

Un sujet aussi intéressant dans les circonstances actuelles, demandant une analyse plus étendue qu'à l'ordinaire, nous avons mieux aimé remettre de quelquesjours à satisfaire l'empressement de nos lecteurs, que de leur en offrir une idée incomplette.

Nous en donnerons l'extrait dans le N°. prochain.

Mercure de France, tome CXL, n° 4 du samedi 22 janvier 1791 : p. 152-155 :

[Après un long résumé de l’intrigue, constat du très grand succès de l'œuvre : « transports d’enthousiasme », public associé au serment prêté par les acteurs comme aux éloges donnés « à notre bon Roi ». Ce patriotisme excuse tout à fait l’inexactitude historique (il n’y a pas de troupes étrangères en France). La pièce est « propre à détourner l'Aristocrate le plus fougueux de la seule pensée de cet abominable attentat ».]

THÉATRE DE LA NATION.

La Liberté conquise, ou le Despotisme renversé, Drame en 5 actes & en prose, par M. Harny.
La scene se passe dans une ville frontiere, au moment où les Ministres sont à la veille d'employer la violence pour dissoudre l'Assemblée Nationale. Le Gouverneur de la Province, digne de seconder leurs perfides complots, a des intelligences dans l'armée d'une Puissance voisine, qu'il veut faire entrer dans le Royaume, sous prétexte de l'aider à contenir les Rebelles, après avoir éloigné de la forteresse la plus grande partie
des soldats Nationaux. Mais ces Rebelles qu’il veut contenir, ne sont encore que des Citoyens paisibles : il travaille, par toute sorte de moyens, à les aigrir, pour les porter à insurrection. Après avoir voulu leur interdire la liberté des suffrages dans l'élection d'un Maire dont il redoute le patriotisme & la fermeté, il l'emporte contre le même Maire qui vient d'être élu, malgré ses défense, lorsqu’il vient, à la tête du Corps Municipal, lui demander de pourvoir à la sûreté de la Province menacée par des Troupes étrangeres. Il s'indigne de ce qu'on ose porter un œil téméraire sur son administration, & il ose dire au Peuple, dans les termes les plus insultans, qu’il n'est fait que pour obéir aveuglément à ses supérieurs.

Cependant la disette des grains commence à se faire sentir dans la ville. Le Maire a fait acheter du blé dans les environs. Cet approvisionnement se trouve arrêté. Le Peuple vient s'en plaindre : on le repousse avec des menaces : il commence à s'échauffer.

C'est alors que le Gouverneur s'applaudit d'avance du succès infaillible de ses projets. Il se voit déjà à la tête de l'armée ennemie , qu'il fait appeler à son aide, traversant la France en Vainqueur, après avoir grossi ses forces de tous les mécontens qui viendront se ranger sous ses drapeaux. Les braves Dauphinois, les généreux Bretons payeront cher l'exemple qu'ils ont donné au reste de la Nation. Il réduira les Parisiens par la famine ; & l’Assemblée Nationale, qu'il s'obstine toujours à nommer les Etats-Généraux, se dissipera devant lui. Pour commencer ces brillantes opérations, il ne s'agit que de foudroyer la ville du haut de la forteresse , & de livrer aux Anglais, dont il mendie aussi les secours, une ville maritime pour leur servir de sûreté Rien n'arrête son ambition, tout est justifié dans son esprit, pourvu que la Noblesse reprenne ses anciens priviléges, & le Gouvernement son pouvoir absolu. Il attend avec impatience que les Citoyens se soient rassemblés dans la place publique. Il paraît aussitôt, leur commande de se retirer, & sur leur refus, il ordonne aux soldats de les disperser par la force. Ce moment est terrible ; mais ces soldats sont des Gardes Françaises, & ils sont dignes de ce nom. Au premier ordre de la charge, ils mettent bas les armes, & courent se précipiter dans les bras de leurs Concitoyens. Le Gouverneur se réfugie dans la citadelle ; le Peuple enhardi en médite l'attaque. Les hommes font le serment de se sacrifier au salut de la Patrie, & les femmes d'élever leurs enfans pour la liberté. Aussi-tôt les braves habitans des fauxbourgs se rassemblent en plus grand nombre. On sonnc le tocsin, on illumine les maisons ; les rues sont dépavées, le canon arrive. Au bruit de ces préparatifs , le Gouverneur revient, & ne rougit pas de proposer pour articles de conciliation les conditions les plus humiliantes de la servitude. L'indignation éclate dans toutes les bouches, elle se tourne en fureur, lorsqu'on est instruit de l'approche de l'armée ennemie. Les uns vont la combattre sous les ordres du Maire, les autres, commandés par un digne Officier, décoré de la Croix de s. Louis, restent pour attaquer le fort avec les Gardes Françaises à leur tête. Le canon, dirigé contre le pont levis, en brise les chaînes. Malgré le feu des soldats étrangers , qui tirent du haut des tours, le Peuple se précipite dans le fort, s'en empare, & le drapeau est emporté par le neveu du Maire, qui fait en cette journée ses premieres armes, & qui vient le déposer dans les bras de sa mere & de son oncle, revenu victorieux.

Cette Piece, dont chaque scene retrace aux habitans de Paris les troubles qui les ont agités, & les dangers qu'ils ont courus, les dédommage bien de ces souvenirs douloureux, en leur rappelant à la fin l'événement mémorable de leur conquête de la Bastille, qui leur assure l'amour & la reconnaissance de tous les Français.

Il serait impossible de peindre les transports d'enthousiasme que chaque représentation nouvelle excite dans l’ame des spectateurs, le serment prêté sur la scene est à l'instant répété dans toute la salle, aussi bien que les éloges donnés à notre bon Roi, le généreux Restaurateur de la Liberté Française.

Quoique l'Auteur ait péché contre la vérité historique, en faisant entrer en France des Troupes ennemies, on lui sait gré de cette fiction, qui sert à faire éclater les sentimens dont on serait pénétré dans cette circonstance. Elle est en même temps bien propre à détourner l'Aristocrate le plus fougueux de la seule pensée de cet abominable attentat, en lui peignant l'exécration universelle à laquelle il dévouerait son nom.

Nous n'entreprendrons pas de donner à nos Lecteurs une idée du sentiment & de la vérité que les Acteurs de cette Piece ont mis dans leur jeu. Il faudrait les nommer tous les uns après les autres en répétant les mêmes éloges, nous ne distinguerons que M. Dorival, pour lui tenir compte des répugnances qu'il lui a fallu surmonter en se chargeant du rôle odieux du Gouverneur, & pour l’applaudir de la maniere dont il le remplit.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1791, volume 2 (février 1791), p. 327-335 :

THÉATRE DE LA NATION.

Le mardi 4 janvier, on a donné, à ce théatre, la première représentation de la Liberté conquise ; ou le Despotisme renversé, drame en cinq actes & en proie, par M. Harny. Cette piece a eu le plus grand succès.

La scène se passe dans une ville de guerre, sur la frontière, & qui a un port sur l'Océan. Le tems est l'époque du 14 juillet. Déjà l'attention de nos lecteurs s'éveille ; déja leur ame patriotique est agitée, & ils s'intéressent à notre récit.

Le lieu de la scène est une place publique en face du fort : ce fort offre une image parfaitement exacte de la Bastille. Quelques bons citoyens s'y entretiennent des affaires publiques & des sages décrets de l'assemblée nationale. Un jeune officier díffere seul avec eux de sentimens : entiché de sa noblesse & des titres qui décorent la nullité, il blâme tout ce qui se fait. Cependant l'heure approche où l'on doit s'assembler pour sélectionner un maire, & il paroît que 1e choix va tomber sur M. de Verneuil, homme ferme & vertueux. Tous les citoyens se rendent à la maison commune : la sœur de M. de Verneuil reste sur la place, le pont du fort se baisse, & le gouverneur paroît.

Cet homme, qu'on appelle M. le comte, est un contre-révolutionnaire dans toutes les regles ; il hait l'assemblée nationale, il déteste l'égalité qui fait la base de ses décrets ; il croit ou paroît croire qu'un petit nombre d'individus privilégiés sont réellement faits pour commander à tous les autres ; il prévoit les suites de ces faisceaux de lumieres, répandus par les écrivains patriotes ; il prohibe leurs ouvrages, qu'il traite de libelles, sous les peines les plus sévères ; mais sur-tout il veut empêcher l'élection de Verneuil, qui seroit contraire à ses desseins ; il envoie à l'assemblée des officiers, pour s'opposer de sa part à cette nomination. Demeuré avec la sœur de Verneuil, il lui reproche de tenir chez elle des assemblées suspectes dans lesquelles on se permet de traiter des objets sur lesquels on doit s'interdire, selon lui, toute espece d'examen. La sœur de Verneuil, femme prudente, éclairée & courageuse, lui répond avec noblesse & fermeté ; elle lui apprend que c'est l'objet de cette société qu'il désapprouve, & l'on reconnoît, dans son récit, la société célèbre des amis de la constitution. Ce portrait a été applaudi avec transport.

La sœur de Verneuil ne se contente pas de justifier ses actions & ses principes ; elle reproche au gouverneur sa conduite anti-patriotique. Les officiers, envoyés par lui à l'assemblée, viennent annoncer l'élection de Verneuil ; les ordres du gouverneur n'ont seulement pas été écoutés. Verneuil paroît lui-même à la tête d'une députation de citoyens ; il demande que le gouverneur garantisse la frontière des dangers qui la menacent, qu'il pourvoie à la subsistance du peuple. L'insolent gouverneur se couvre à l'aspect de Verneuil. Le maire & tous les citoyens qui le suivent se couvrent également. Le gouverneur prétend qu'il ne doit aucun compte de sa conduite ; il demande de quel droit le peuple ose lui en demander. Verneuil lui explique dignement quels sont les droits de ce peuple qu'il méprise. Le gouverneur rentre dans le fort en menaçant. Cependant il faut pourvoir à la subsistance des ouvriers ; la prudence de Verneuil suffit à tout, vingt chariots de farine doivent arriver.

La résistance du gouverneur commence à exciter les esprits ; ils fermentent, ils s'échauffent. Les ouvriers viennent en députation ; ils sonnent, le pont se baisse. Pendant ce tems-là, la sœur de Verneuil raconte à un jeune baron bon patriote, que les perfides projets du gouverneur sont connus, mais qu'on ne peut le convaincre. L'infame a fait arrêter les vingt chariots de grains, afin de faire tomber toute la vengeance du peuple affamé sur son frère. Elle vient lui reprocher sa trahison. Dans ce moment la députation des ouvriers sort du fort ; elle a été mal reçue. Cependant ils sont instruits de tout ; ils n'ignorent pas l'arrestation des vingt chariots, ils veulent se venger, ils demandent des armes. Antoine, leur chef, montre un [sic] ame intrépide & vraiment, citoyenne. La sœur de Verneuil, qui toujours a eu des droits sur le malheureux qu'elle s'occupe à soulager, ne peut même réussir à les contenir. Le gouverneur sort avec un piquet de soldats étrangers gardiens du fort ; il ordonne aux ouvriers de s'éloigner, de se disperser ; il défend toute assemblée générale ou particulière. Les ouvriers feignent d'obéir ; ils sortent, mais pour prendre des mesures plus certaines. Alors la sœur de Verneuil reproche au gouverneur son infâme conduite. Il cherche à s'éloigner les soupçons [sic] : il ignore, dit-il, la cause de la disette. « Cette disette, répond la sœur de Verneuil, n'a d'autre chose que l'accaparement. Eh ! ce n'est pas ce peuple que vous dédaignez, qui se livre à ce honteux trafic, ce sont les grands si fiers & si superbes ». Le gouverneur menace, mais rien ne peut intimider cette généreuse citoyenne ; elle parle avec cette liberté qu'inspire l'amour de la patrie & la haine du despotisme, & ne se retire qu'après avoir fait connoître au gouverneur les vengeances effroyables qu'il amasse sur sa tête ; mais rien ne sauroit dissiper son erreur, tant le sentiment de sa force & de sa supériorité le rend aveugle. Il dévoile à ses. confidens tous ses projets, « vous craignez une insurrection, leur dit-il, mais c'est où j'attends ce peuple imbécille. Cette insurrection sera le prétexte de la guerre épouvantable que je vais lui livrer ; au même instant je fais charger ce peuple dans toutes les rues, piller & incendier les maisons, l'armée étrangère est sous nos murs, elle attaquera de son côté, tandis que les canons du fort foudroyeront la ville ; alors je livre ce port aux Anglois, & j'en obtiens aussi des secours. Maître de cette ville, nous le sommes bientôt de toutes les provinces ; les nobles, les magistrats, tous les mécontens enfin se joignent à nous ; nos troupes se divisent en trois armées, nous marchons vers Paris, en portant par-tout la mort & le carnage. Ces Dauphinois: qui les premiers ont levé l'étendard, & ces Bretons qui .ont osé résister à leur noblesse, ne sauroient nous résister. Nous arrivons à Versailles, les États-généraux sont dissous ; la noblesse & le clergé, dont le secours nous est assuré, rentrent dans leurs droits, tous nos privilèges nous font rendus, & nous sommes encore les maîtres de cet empire que nous avons, depuis si long-tems gouverné ». — Mais les Parisiens ? — « Les Parisiens, reprend-il, n'oseront seulement nous résister, nous les réduirons par la famine. » Les officiers auxquels il fait part de cet exécrable complot l'approuvent & brûlent de l'exécuter ; mais le gouverneur attend l'envoyé des Anglois, le lord surrey ;.ils le laissent avec lui. Le gouverneur veut le faire entrer dans ses projets; mais, le généreux Anglois refuse ses offres, & lui répond avec le mépris qui lui est dû.

Cependant la rumeur s'augmente, tous les citoyens s'assemblent : « nous pourrons toujours dans les dangers qui menacent la .patrie, dit l'oncle de Verneuil, compter sur les braves habitans des fauxbourgs. » A ces mots tous les spectateurs ont par leurs cris payé le tribut de la juste reconnoissance qu'ils doivent aux habitans de cette capitale.

Le tumulte s'accroît ; enfin, tout le peuple armé de fusil, d'épée, de sabre, de fourches, &c. paroît sur les pas du maire, & de son vertueux oncle. Au même instant le gouverneur paroît, il ordonne à ces citoyens, qu'il traite de rebelles, de se retirer ; on ne l'écoute pas, il appelle les soldats qui se rangent en bataille sur l'autre côté de la place.

Combien on a craint alors pour la vie de ces généreux défenseurs de la patrie forcée par un affreux despotisme à une sainte insurrection. Mais qui sont ces soldats ? Leur uniforme les fait bien-tôt suffisamment connoître ; déja leur démarche est prévue, on ne peut rien redouter d'eux, ils ne s'armeront point contre la liberté, ils ne verseront jamais le sang de leurs concitoyens, ce sont nos braves freres, nos respectables amis, les généreux gardes-françoises. Que de sentimens la vue de cet uniforme a réveillés, & combien il a été applaudi !

Verneuil annonce au gouverneur les volontés du peuple ; celui-ci brave ce peuple au-lieu de l'appaiser, il ordonne aux bons citoyens de se retirer, tous restent ; il commande aux soldats de charger, tous mettent bas les armes ; il les traite de traîtres, & va cacher sa honte dans le fort. Au même instant les citoyens & les soldats se précipitent dans les bras les uns des autres pour s'embrasser ; les femmes, les enfans, les vieillards, tous les rangs, tous les états se confondent, tous n'ont qu'un même intérêt, qu'un même esprit, qu'une seule ame.

Cependant il faut pourvoir à la sûreté commune : chacun y contribue selon ses moyens. L'oncle de Verneuil commande les soldats de la patrie ; la sœur de ce vertueux maire offre toute sa fortune pour le soulagement des ouvriers qui consacreront leurs journées de travail au service public. son jeune fils prend l'habit militaire, & sa tendre mere l'applaudit. On parle d'attaquer le fort, & cet enfant promet d'en arracher le drapeau. L'armée étrangere menace la ville ; on illumine les rues ; on les dépave ; le tocsin sonne ; on porte les pierres sur les toits ; les patrouilles, bizarrement composées de soldats & d'ouvriers, se rencontrent & se reconnoissent. Enfin on s'unit pour le serment solemnel : les hommes jurent, de mourir pour la liberté, les femmes d'élever leurs enfans dans ces nobles sentimens.

Ce serment sacré a été répété par les spectateurs, & au moment du serment des femmes, toutes celles qui étoient dans la salle ont levé la main, et agité leur manchon & leur mouchoir. Jamais on ne vit un sentiment plus vif & plus unanime.

Bientôt le gouverneur vient proposer la paix, ou plutôt de se soumettre ; il est refusé. Pendant qu'il harangue le peuple, l'armée étrangere attaque la ville ; on crie à la trahison, & le lâche prétend qu'on peut trahir des rebelles. Aussi-tôt les citoyens se partagent. Les uns, sous la conduite de Verneuil, vont battre l'armée étrangere ; son oncle commande l'attaque du fort ; les femmes de la halle & les citoyens roulent le canon. Les gardes-françoises commencent l'attaque ; le feu est vif & continuel de part & d'autre ; enfin la chaîne du premier pont-levis est brisée, la maison du gouverneur incendiée, le fort emporté. Le neveu de Verneuíl se saisit du drapeau qu'il porte en triomphe à sa mere ; Verneuil revient triomphant ; tous les citoyens crient : Vive la nation ! vive le roi ! & la toile tombe.

L'enthousiasme a été complet. Tous les acteurs ont mérité des éloges pour le zele & la chaleur qu'ils ont mis dans l'exécution. On a .demandé l'auteur : il a paru. Au feu patriotique dont son ame est embrasée, on croyoit voir un jeune homme, c'est un vieillard de 68 ans, M. Harny, homme de lettres, dont on n'entendoit plus parler depuis trois ans.

La probité se peint sur son front; vénérable : il a été couronné aux acclamations du peuple.

Cet ouvrage ne doit pas être jugé dans les regles ordinaires de l'art du théâtre : ce n'est point une comédie ; c'est plutôt une pantomime dialoguée, qui doit son intérêt à la véracité & au rapprochement des faits : si l'on n'y reconnoît pas un grand mérite littéraire ; on y trouve au moins un très-grand patriotisme, & l'un est maintenant plus sûr du succès que l'autre. sans intrigue suivie, l'intérêt se soutient dans cet ouvrage, qui offre un très-grand spectacle, & semble croître d'acte en acte. Nous ne lui reprocherons pas des longueurs ; car on ne compte pas les défauts d'un ouvrage. patriotique. On a remarqué, avec plaísir, que dans tout le cours de la piece, l'auteur a rappellé adroitement, ce qu'on doit d'amour, de respect & d'hommage à notre généreux souverain, c'est-à-dire, au restaurateur de la liberté française. »

D’après la base César, l'auteur est Harny / Harni de Guerville. La pièce a été jouée 25 fois au Théâtre de la Nation du 4 janvier au 27 juin 1791. Elle y a été reprise à deux reprises, en octobre-novembre 1792 (5 représentations) et en août 1793 (2 représentations).

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