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Les Libellistes

Les Libellistes, drame en 4 actes, de M. de Beaunoir, 14 janvier 1807.

Théâtre des Variétés-Étrangères

Titre :

Libellistes (les)

Genre

drame

Nombre d'actes :

4

Vers ou prose ,

en prose

Musique :

non

Date de création :

14 janvier 1807

Théâtre :

Théâtre des Variétés-Étrangères

Auteur(s) des paroles :

de Beaunoir

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Antoine-Augustin Renouard, 1807

Les Libellistes, drame en quatre actes, de M. de Beaunoir : Représenté en allemand sur le théâtre de Berlin en 1797 ; et à Paris, en françois, sur celui des Variétés-Étrangères, le 14 janvier 1807.

Avant le texte de la pièce, Beaunoir explique comment une pièce française a pu d'abord être jouée en allemand et en Allemagne.

Les Amis du jour sont une comédie en un acte et en prose de Beaunoir, créée sur le Théâtre des Comédiens Italiens Ordinaires du Roi le premier septembre 1786.

AVERTISSEMENT.

On ne sera peut-être pas fâché d'apprendre, comment un François se trouve auteur original d'une pièce allemande. Voici le fait :

J'étois en 1796 à Berlin, et je m'étois lié avec Ifland qui, comme notre Molière moderne, est tout à la fois auteur, acteur et directeur du grand théâtre. Nous disputions un jour sur l'art dramatique, et je lui reprochois la préférence qu'il donnoit aux farces angloises sur nos meilleures Comédies françoises. Je sens bien, me dit-il, la supériorité du théâtre de Paris sur celui de Londres, mais ce dernier convient mieux à notre goût national. Nous trouvons vos Comédies sans mouvement, sans intérêt ; tout y est prévu, rien ne nous y surprend. Ce sont de longues conversations, fort bien faites, si vous voulez, mais trop froides. Nous voulons être émus, étonnés, affectés, et vous autres François, vous avez trop de goût pour avoir de l'imagination.

Ce reproche me piqua ; je lui soutins que le dernier de nos auteurs françois feroit, quand il le  voudroit, un Drame supérieur à tous ceux de Kotzebue ; et pour le lui prouver, je lui proposai le pari qu'en quinze jours, je lui donnerois un ouvrage auquel les Allemands eux-mêmes seroient trompés. Il accepta le pari. Je fis Les Libellistes, en me gardant bien de suivre aucune règle, et en unissant le coloris de la comédie de caractère, aux sombres teintes du drame : je le fis traduire fidèlement, et mot pour mot, par madame Unger, femme de l'imprimeur du Roi. La pièce fut lue, acceptée et jouée avec le plus grand succès, et pas un Allemand ne se douta que ce fût l'ouvrage d'un François, car j'avois promis le secret à Ifland.

Voilà l'histoire de mes Libellistes : au reste, si Messieurs les Allemands ne se font aucun scrupule de prendre nos ouvrages, les auteurs anglois sont encore plus corsaires qu'eux sur cet article, et je puis en fournir une preuve qui m'est personnelle.

J'avois fait traduire en allemand Les Amis du Jour, comédie jouée avec succès sur le théâtre des Italiens, en 1784. Arrivé à Hambourg, je la présentai à Schroeder, directeur du théâtre allemand : il se mit à rire en en lisant la première scène, et me dit qu'il l'avoit traduite sur la pièce originale qui étoit angloise, et intitulée: Un quart-d'heure avant diner.

Comme j'avois heureusement ma pièce françoise imprimée avec la date de la représentation, il me fut aisé de lui prouver qu'elle étoit antérieure de dix ans à celle de l'Anglois, qui n'avoit pas changé une scène, pas un seul mot, et n'avoit cependant pas eu la délicatesse d'annoncer que sa pièce n'étoit qu'une traduction.

Voilà comme nous avons la bonté d'admirer des ouvrages dont nous faisons grand cas, parce que nous les croyons étrangers. Reprenons donc notre bien partout où nous le trouverons, et n'allons pas chercher si loin ce que nous foulons souvent à nos pieds.

Courrier des spectacles, n° 3628 du 17 janvier 1807, p. 2-3 :

[Avant de se lancer dans l’aventure de l’analyse du sujet, épreuve redoutable, le critique souligne la qualité du drame allemand sur le sujet important des libelles, rendu ici moral par le repentir d’un de ces libellistes qui empoisonnent la vie publique. Mais le succès est rendu moindre par la multiplicité des pièces dramatiques de ce genre, dont le fameux Misanthropie et Repentir : les Libellistes attirent peu, malgré son succès. L'analyse précise du sujet permet de mesurer la complexité de l’intrigue aux multiples rebondissements. Elle met en scène l’histoire d’un jeune libelliste obligé de se réfugier à la campagne pour échapper à un duel avec une victime d’un de ses libelles. Il y retrouve « sa chère Henriette ». Le père du jeune libelliste venu surveiller son fils constate que celle qu’il courtise est la fille d’un de ses anciens amis qu’il a compromis par un libelle (car le père a eu le même défaut que son fils). Le dénouement découle de là : le père décide de réparer ses torts en unissant son fils avec Henriette, et obtient le pardon de celui qu’il a déshonoré. Le critique précise ensuite qu’il n’a pas pu « entrer dans les détails de tous les incidens qu’offre ce drame ». Plein d’intérêt, il comporte « plusieurs scènes qui arrachent des larmes. L’interprétation est d’abord jugée positivement, mais deux acteurs se voient reprocher des défauts de prononciation et de prosodie. De plus, il faudrait faire disparaître des « locutions impropres et triviales » dont deux exemples sont cités. On voit là le souci de satisfaire un public délicat, « surtout à Paris ». Mais cela n’empêche pas que « le succès a été complet », et que la pièce procure bien du plaisir à la représentation.]

Théâtre Molière, Variétés Etrangères.

Les Libellistes.

Ce drame jouit en Allemagne d’une réputation distinguée, qu’il mérite à plusieurs égards, et qu’il soutient avec avantage devant des spectateurs français. L’auteur s’est attaché à y peindre un de ces libellistes, qui, cachés dans l’ombre, lancent des traits envenimés, et font à l’honneur des blessures mortelles. Mais pour rendre son tableau plus moral, il le présente ensuite livré lui-même au désespoir. Celle peinture est du plus grand intérêt. L’Epigramme n’est qu’une foible esquisse auprès de cette composition touchante, qui seroit seule capable de faire la fortune de ce théâtre ; mais elle ne vient qu’après plusieurs autres, et le public, habitué à cette profusion de nouveautés, semble perdre chaque jour de sa curiosité. Si les Libellistes avoient paru les premiers, ils auroient peut-être produit autant d’effet que la fameuse pièce de Misantropie et Repentir ; aujourd’hui ils se perdent dans la foule, et la seconde représentation n’a eu que peu du spectateurs, quoique le succès en ait été aussi brillant.

Le baron de Rothemberg, en partant pour remplir une mission diplomatique, confie son fils à un intendant qui cultive ses heureuses dispositions, et lui fait donner une éducation soignée. De retour dans sa patrie, le Baron apprend que son fils n’a qu’un seul défaut, celui d’être libelliste. Le jeune homme s’est déjà attiré l’animadversion des personnes les plus distinguées, et dans cet instant même, un jeune Comte qu’il a offensé, et qui est parent du Ministre, vient le trouver, et le force à s'avouer l’auteur d’un libelle intitulé : Portraits du jour, où il est représenté sous les couleurs les plus noires. Le jeune Rothemberg, quoique libelliste, est brave ; il veut d’abord répondre au Comte l’épée à la main ; mais un de ses amis lui fait sentir le danger d’un éclat qui le compromet, et il obtient de lui qu’il se retirera à sa campagne, où il restera caché. Rothemberg part en recommandant à son valet de venir le joindre après avoir brûlé ses papiers. Le jeune Comte, qui est allé préparer sa vengeance, et qui a vu quelque part dans Horace, à l’occasion des libellistes :

.....Et vertere modum formidine fustis,

envoie deux de ses gens avec des bâtons noueux, propres à corriger l’auteur dont il se plaint. Les deux laquais rencontrent le valet, et le prenant pour son maître, ils veulent lui administrer la recette anodine dont ils sont chargés. On vient au secours du malheureux, qui n’a rien de plus pressé que de brûler les papiers de son maître. Celui-ci arrive à sa campagne, et se console de son exil, en pensant qu’il va revoir sa chère Henriette, fille d’un bon paysan nommé Wolff, chez qui il s’est fait admettre plusieurs fois sous le nom de Georges et sous les habits d’un jeune villageois. Le Baron, son père, occupé de la destinée de son fils, épie ses pas, et le suit dans la chaumière du paysan. Il veut s’assurer par lui-même des intrigues de son fils, et voir l’objet de sa passion. Quel est son étonnement à l’aspect d’un vieillard vénérable, qu’il reconnoît pour le président de Westarn, son ancien ami. Depuis quinze ans, cet homme respectable s’étoit retiré dans cette chaumière, victime d’un libelle anonyme qui lui a fait perdre ses biens et ses dignités. Et quel est l’auteur de ce libelle ? Le Baron lui-même, qui, autrefois, a eu le même défaut que son fils, A l’instant, il prend la résolution de faire rendre au Président tout ce qu’il a perdu, et de réparer sa faute, en unissant son fils avec Henriette. Le jeune Rothemberg se présente aussi-tôt à la chaumière, non plus sous les habits de Georges, mais avec le costume de la cour. Westarn refuse de le recevoir, mais le jeune homme se déclare fils du Baron de Rothemberg, et Westarn est désarmé. Le Baron arrive bientôt lui-même ; il fait confirmer par Westarn la promesse d’unir Henriette à son fils alors il s’avoue avec franchise l’auteur du libelle qui a causé les malheurs du Président, il demande grâce à genoux, l’on se pardonne, l’on s’embrasse, et la toile tombe.

Il est impossible d’entrer dans les détails de tous les incidens qu’offre ce drame ; il est plein d’intérêt ; plusieurs scènes arrachent des larmes. Les rôles en sont joués avec beaucoup d'intelligence ; Mlle. Aldagonde sur-tout est char mante dans celui d’Henriette ; M. Belval a souvent le ton paternel dans le personnage du Baron ; nous l’invitons à éviter le défaut de faire sonner l’r des infinitifs des verbes qui sont suivis d’un mot commençant par une consonne. Il faut aussi que l’acteur chargé du rôle du Président évite de faire longues des syllabes brèves et brèves des syllabes longues. Ces fautes de prosodie trop ordinaires sur nos théâtres, et sur-tout à celui du Vaudeville, choquent les oreilles un peu délicates. On pourroit également faire disparoître quelques locutions impropres et triviales, telles que, je m'en rappelle , une affaire de conséquence, etc. Ce sont autant de taches qui n’échappent point au spectateur, sur-tout à Paris. Du reste, le succès a été complet, et l’on ne peut qu’éprouver beaucoup de plaisir à la représentation de cette pièce.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome II, février 1808, p. 296-297 :

[Compte rendu de la représentation à Bruxelles d’une pièce française créée à Berlin en 1796, en traduction allemande, l’auteur étant M; de Beaunoir, qui présente sa pièce comme une sorte de pari avec un homme de théâtre Allemand, Ifland (il s’agissait de montrer qu’un auteur français était capable de faire une pièce dans le goût allemand, c’est-à-dire un drame). Le critique bruxellois ne juge pas que le pari a été gagné : « ce drame est mauvais, mal conçu, n'a aucun intérêt, et est de beaucoup inférieur à ceux de Kotzebue » (ce qui ne signifie pas que les pièces de Kotzebue soient bonnes !). Si la pièce a été bien jouée, si quelques scènes lui ont paru habiles (mais cela suffit-il pour faire une pièce en quatre actes ?), le critique regrette que l’auteur français, lorsque sa pièce a été jouée en France, n’ait pas pris soin de gommer le style, « véritablement allemand, c'est-à-dire lourd, pesant, et surchargé d'hyperboles, de figures outrées et emphatiques » (des clichés ?).]

Je voudrais me taire sur le drame choisi par M. Bourson pour sa représentation, le Libelliste, par M. De Beaunoir. Mais il peut être curieux de faire connaître comment cette pièce, représentée, en 1797, à Berlin, et avec beaucoup de succès, se trouve l'ouvrage original d'un Français ; voici l'histoire du Libelliste. C'est M. De Beaunoir qui parle dans l'avertissement qui précède sa pièce.

« J'étais en 1796 à Berlin, et je m'étais lié avec Ifland qui, comme notre Molière moderne, est tout à la fois auteur, acteur et directeur du grand théâtre. Nous disputions un jour sur l'art dramatique, et je lui reprochais la préférence qu'il donnait aux farces anglaises sur nos meilleures comédies françaises. Je sens bien, me dit-il, la supériorité du théâtre de Paris sur celui de Londres, mais ce dernier convient mieux à notre goût national. Nous trouvons vos comédies sans mouvement, sans intérêt ; tout y est prévu, rien ne nous surprend. Ce sont de longues conversations, fort bien faites, si vous voulez, mais trop froides. Nous voulons être émus, étonnés, affectés, et vous autres Français, vous avez trop de goût pour avoir de l'imagination ».

« Ce reproche me piqua ; je lui soutins que le dernier de nos auteurs français ferait, quand il le voudrait, un drame supérieur à tous ceux de Kotzebue ; et pour le lui prouver, je lui proposai le pari qu'en quinze jours, je lui donnerais un ouvrage auquel les Allemands eux-mêmes seraient trompés. Il accepta le pari. Je fis les Libellistes, en me gardant bien de suivre
aucune règle, et en unissant le coloris de la comédie de caractère, aux sombres teintes du drame : je le fis traduire fidèlement, et mot pour mot, par madame Unger, femme de l'imprimeur du roi. La pièce fut lue, acceptée et jouée avec le plus grand succès, et pas un Allemand ne se douta que ce fût l'ouvrage d'un Français, car j'avais promis le secret à Ifland ».

Quoi qu'en puisse dire M. De Beaunoir, ce drame est mauvais, mal conçu, n'a aucun intérêt, et est de beaucoup inférieur à ceux de Kotzebue. Les Deux Frères, Misanthropie. et Repentir, sont loin d'être de bonnes pièces, mais l'emportent de beaucoup sur son Libelliste.

La pièce d'ailleurs est bien distribuée, et MM. Lagarenne, Paulin, Hurteaux, Folleville, Dubreuil, Mmes. Desbordes et Gouget y ont joué avec chaleur. On peut bien citer quelques scènes de cette pièce, telles que celle du libraire, que M. Dubreuil joue avec une perfection rare, celle où le comte de Vanderalte persiffle très-plaisamment le libelliste et obtient ainsi son secret (mais au-dessus des forces de l'acteur qui en était chargé), celles de la fin, où Henriette console son père, et reconnaît le libelliste dans Georges son amant. Mais cela suffit-il pour une pièce en 4 actes ?

En remettant cette pièce sur le théâtre français, M. De Beaunoir aurait dû au moins en changer le style, véritablement allemand, c'est-à-dire lourd, pesant, et surchargé d'hyperboles, de figures outrées et emphatiques.

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