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Lina, ou le Mystere

Lina, ou le Mystere, opéra-comique en deux actes, paroles de M. *** [Révéroni de Saint-Cyr], musique de M. Dalayrac ; 8 octobre [1807].

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

Lina, ou le Mystère

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

2

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

8 octobre 1807

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Révéroni de Saint-Cyr

Compositeur(s) :

Dalayrac

Almanach des Muses 1808.

Lina, fille d'un ligueur béarnais, s'est trouvée à la prise d'assaut de Tolosa, où elle a été exposée à toute la brutalité du vainqueur. Un mois après cette catastrophe un ordre du roi la force à donner sa main au jeune comte de Lescars. C'est à ce prix qu'elle a obtenu de Henri IV la grace de son pere. Le jeune comte est forcé de rejoindre aussitôt ses drapeaux, et il n'a pu donner à Lina que le titre d'épouse. Quatre années s'écoulent, et Lina, devenue mere, dérobe à tous les yeux sa honte et ses larmes. Le retour et la tendresse de son époux ne font qu'ajouter à sa confusion, lorsqu'une duchesse d'Aquilas, autrefois sa rivale, pénetre ce secret et s'empresse d'en instruire le comte. Celui-ci se livre à tous les transports de la jalousie : Lina ne peut se justifier. La duchesse acheve de porter la conviction dans le cœur de ce malheureux époux en lui remettant une lettre de Lina à son pere, datée de Tolosa, ainsi que l'écharpe du téméraire... Mais cette lettre renferme la justification de Lina, et l'écharpe est celle du comte. C'était lui qui commandait à la prise de Tolosan et depuis se jour il se reprochait en secret une violence qu'une ivresse brutale, et le désordre du moment pouvaient seuls faire excuser.

Sujet épineux ; situation intéressante ; musique très dramatique. Du succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1807 :

Lina, ou le mystère, opéra en trois actes ; Paroles de M. R*** S.t C**, Musique de M. Dalayrac ; Représenté pour la première fois sur le Théâtre-Impérial de l'Opéra-Comique, par les Comédiens ordinaires de Sa Majesté l'Empereur et Roi, le 8 octobre 1807.

L'anonymat de M. R*** S.t C** n'est pas difficile à percer : Reverony Saint-Cyr.

Archives littéraires de l'Europe, tome seizième (180), Gazette littéraire, Octobre 1807, p. xx-xxi :

[Le critique ne craint pas de dire quel est le mystère promis par le titre : le viol d’une femme, qui épouse un homme sans savoir qu’il est son violeur. Il découvre plus tard que sa femme a un enfant, mais il finit par apprendre (le critique ne dit pas comment, parce que c’est trop compliqué !) que cet enfant est le sien. Le jugement porté ensuite est positif : le mystère est bien géré tout au long de la pièce, « le point scabreux » est bien présenté, sans choquer. Et la musique de Daleyrac est de qualité (« point au-dessous de la réputation » de son auteur).]

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Lina ou le Mystère, opéra en trois actes de M.***. , musique de M. Dallayrac.

Leocadie, Nouvelle de Cervantes, imitée par Florian, a fourni le sujet de cet ouvrage. L'intrigue en est tout à fait romanesque. Il ne s'agit de rien moins que d'une jeune fille qui a été violée sans savoir par qui, dans une ville prise d'assaut. Ses parens la marient un mois après au comte de Lescar. Son époux la quitte en sortant de l'église, sans qu'elle ait pu lui apprendre son secret. Il revient au bout de trois ans. Dans l'intervalle, sa Lina est accouchée. Une comtesse qu'il avoit dû épouser a découvert l'enfant qu'elle faisoit élever secrètement. Elle trouve moyen de le faire voir au comte de Lescar qui se croit trahi et déshonoré par son épouse ; mais au moment où il alloit se séparer d'elle pour jamais, il découvre par une suite d'incidens trop longs à raconter, que c'est lui qui a violé Lina sans la connoître, et qu'il est le père de son enfant.

La curiosité est vivement excitée et ingénieusement suspendue pendant tout le cours de ce drame. L'auteur a touché avec une grande délicatesse le point scabreux sur lequel il a bâti son intrigue. Il y a fait entrer un ami du comte de Lescar, dont le caractère noble et franc produit une fort belle scène au moment où le comte le provoque, le croyant l'amant de Lina. La musique n'est point au-dessous de la réputation de M. Dallayrac.

L'auteur des paroles a gardé l'anonyme.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1807, tome V, p. 202-203 :

[Ce qui est jugé remarquable dans cette pièce, c’est l’adresse avec laquelle un sujet délicat est traité, « sans blesser les mœurs ni la vraisemblance ». La musique de Daleyrac est « savante et gracieuse », et plusieurs airs sont mis en avant, avec ceux qui les interprètent.]

Lina ou le Mystère.

Rien n'étoit plus difficile peut-être que de mettre en scène ce sujet. Lina qui a été surprise par un jeune audacieux, qui l'a ensuite épousée sans savoir que c'est de lui qu'elle a un enfant ; une femme altière et jalouse qui veut perdre Lina et la justifie elle-même aux yeux de son époux en lui montrant l'écharpe qu'il lui laissa pour gage, dans cette nuit où elle fut sa victime : Quelle adresse ne falloit il pas pour présenter cela, sans blesser les mœurs ni la vraisemblance ? L'auteur y a réussi, son ouvrage est fait avec art, il doit attirer ; les premières représentations ont été brillantes. La musique de M. Daleyrac porte toujours son cachet, elle est savante et gracieuse, on a remarqué le petit air chanté par Madame Gavaudan, et surtout un très-beau Duo au troisième acte, chanté par Paul et Gavaudan. Madame Paul-Michu a joué Lina avec grace et sensibilité, Madame Crètu à sçu faire applaudir le rôle de la méchante comtesse, et la bonne Gontier a été, comme à l'ordinaire, bonne.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XI, novembre 1807, p. 258-263 :

[En pleine renaissance du théâtre de l’Opéra-Comique, la nouvelle pièce est un succès. Et pourtant, c’est un sujet très délicat, le mystère annoncé par le titre posant au critique un problème déontologique : pas question de le dévoiler, à la fois pour ne pas choquer et pour éviter d’enlever à la pièce son indispensable suspense (ses confrères n’ont pas eu de tels scrupules). Il finit toutefois par donner des indices suffisants pour le circonscrire (« l'un de ces mystères [...] se rattachant dans le sein des familles au sentiment de l'honneur »). Il en dit plus encore en donnant le titre d’une pièce comportant un cas semblable, Caliste de Colardeau (1760). Or la réussite de la pièce prouve la délicatesse de l’auteur, qui a choisi de garder l’anonymat, dans le traitement d’un sujet difficile. Sa pièce comporte qualités et défauts du genre, « le romanesque et l'intérêt, l'invraisemblance et le pathétique », et elle n’est pas écrite dans le style boursouflé des pièces du même genre, mais « avec un naturel qui n'exclut ni la correction, ni l'élégance ». Le critique défend aussi la musique de Daleyrac qui a su écrire ici « de la musique française dans la bonne acception du mot, c'est à dire, une expression juste et de la variété, une grande soumission au poëte, une exacte conformité à l'état des personnages, de la vérité et du chant » (tout un programme !). Il souligne la qualité de plusieurs airs. Et les acteurs ne sont peut-être pas de grands chanteurs, mais « même en chantant, [ils] s'attachent à parler, à peindre, à exprimer ce qu'ils sentent », dans le respect « de l'esprit de leur rôle, des intentions de l'auteur et du style du maître » (là aussi, tout un programme !).]

THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.

Lina ou le Mystère.

Les représentations que Mme. Belmont a rendues au théâtre de l'opéra-comique brillantes et suivies, représentations qui, à ce que l'on assure, ont cessé d'être des débuts, avaient commencé à ramener la foule inconstante, et changé un vaste désert en un lieu de réunion très-animé. C'était un favorable augure, et le théâtre respirait ; voici un ouvrage qui paraît destiné à lui rendre ses forces, et du moins à lui donner le temps nécessaire pour combiner et réunir les moyens de salut qu'il possède encore.

On prétend que le succès de la pièce nouvelle va bien au-delà des espérances qu'elle avait fait concevoir : tant mieux, c'est ainsi qu'il est pardonnable de se tromper ; l'opéra-comique n'avait pas eu toujours cette défiance salutaire, et s'en est souvent repenti. Cette fois il a cru être audacieux, l'a peut-être été en effet, mais ne nous semble pas trop devoir se le reprocher. Sans doute

Il est de ces objets qu'un art judicieux,

doit se refuser à choisir et à peindre, surtout à la scène ; mais il est vrai de dire aussi qu'avec un art très judicieux, il y a beaucoup d'objets dont on parvient à faire supporter l'image et même à rendre la peinture intéressante : alors plus la difficulté a été grande, et plus la récompense qu'on trouve dans son succès doit avoir de prix.

Le titre de l'opéra nouveau dont nous parlons ici, est Lina ou le Mystère : nous avouons ignorer si le sujet est de l'invention de l'auteur, ou s'il l'a puisé dans la volumineuse collection de nos romans modernes ; quoi qu'il en soit, ce sujet est intéressant ; et quelque opinion qu'au premier coup-d'œil on puisse se former de son application au théâtre, on est forcé de convenir que l'auteur a réussi à traiter avec infiniment d'art et de décence, un sujet dont le fond est, il faut le dire, un attentat contre l'innocence. Puisqu'il faut quelques précautions pour indiquer un pareil sujet dans cette analyse, on doit sentir quelles difficultés l'auteur se préparait en le traitant à la scène.

Le titre de la pièce fait connaître que l'intérêt y résulte de l'un de ces mystères qui, se rattachant dans le sein des familles au sentiment de l'honneur qu'il offense, et à celui de l'amour qu'il outrage, renferme la destinée toute entière de deux individus. Ce serait ôter à Lina la plus grande partie du charme de la représentation, et la dépouiller du prestige théâtral dont elle est environnée que de découvrir ici ce mystère.

Il suffira de dire que Lina est une autre Caliste, mais plus innocente et plus infortunée que la belle Génoise dont les traits ont été empruntés au théâtre anglais par Colardeau. On pourrait mettre dans la bouche de Lina plus que dans celle de Caliste ces vers,

Le ciel m'en est témoin ; l'ennemi de ma gloire
Ne peut s'enorgueillir d'une infâme victoire,
Le triomphe odieux, surpris par sa fureur,
Fut celui d'un brigand , et non pas d'un vainqueur.
.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .

En effet, c'est dans les guerres de la Ligue et dans les horreurs qui sont le triste partage d'une ville prise d'assaut et saccagée, que Lina a été déshonorée sans être coupable, et rendue mère sans avoir eu d'époux. Sans doute ce sujet va paraître révoltant ; le personnage semble de nature à ne pouvoir être présenté à la scène, quoiqu'il l'ait déjà été plusieurs fois : on doit croire sur-tout qu'il est impossible d'y faire paraître l'auteur du crime sans le montrer odieux et avili, sans dégrader la scène, et sans faire horreur ; et cependant c'est à quoi l'auteur est parvenu à force d'art, d'adresse et de ménagement.

Comment cela se peut-il ? Comment cela se fait-il ? Comment la situation si désespérée de Lina devient-elle l'état le plus heureux ? Comment le crime dont elle gémit doit-il être pardonné par elle pour son bonheur, et celui de son fils ? Comment dans le coupable même, trouve-t-elle l'objet qu'il est de son devoir d'honorer et de chérir ? Voilà le mystère qui pendant trois actes fort bien distribués, entretient un vif sentiment de curiosité, un intérêt pressant, et beaucoup d'émotion : tant l'auteur a mis d'art à ne dire ni trop, ni trop peu, à tout indiquer sans rien laisser connaître.

Cet ouvrage a eu le succès le plus complet : l'auteur a désiré garder l'anonyme : voilà encore du mystère ; mais ce n'en est pas un pour tout le monde ; on croit savoir que cet auteur est connu par des productions de divers genres, d'un mérite fort inégal, mais toutes marquées au coin d'une certaine originalité, d'un esprit trop libre peut être, trop indépendant, trop enclin à s'affranchir des règles avouées , et à sortir des sentiers battus.

Son ouvrage réunit les qualités et les défauts du genre ; le romanesque et l'intérêt, l'invraisemblance et le pathétique : ·une gaîté douce ne s'y allie pas mal à ce qui est attendrissant ; des tableaux agréables y succèdent, sans se confondre, à des tableaux déchirans. N'est-ce pas dans le genre dont il s'agit, l'Omne tulit punctum ?

Ajoutons qu'il a cet avantage sur les autres ouvrages de même nature, qu'en général ces derniers sont écrits d'un style déclamatoire, boursoufflé, vide d'idées, et qu'ici de très-heureuses pensées sont exprimées avec un naturel qui n'exclut ni la correction, ni l'élégance.

Quant à la musique, notre opinion n'est pas équivoque ; nous faisons profession de ne pas avoir un goût exclusif, et d'applaudir à ce qui est bon dans quelque genre qu'il se rencontre, à quelque école qu'il appartienne. Or voici de la musique française dans la bonne acception du mot, c'est à dire, une expression juste et de la variété, une grande soumission au poëte, une exacte conformité à l'état des personnages, de la vérité et du chant.

Nous ne citerons pas les petits airs, patrimoine si fertile de M. Daleyrac, qu'il a le talent de cultiver depuis trente ans sans se répéter, et sans cesser de l'être par-tout ; nous ne citerons pas non plus les grands morceaux d'ensemble, quoiqu'assez remarquables ; nous nous arrêterons à deux seuls morceaux, qui sont en quelque sorte le cachet de l'ouvrage ; le duo entre Lina et le comte, où l'expression la plus forte se trouve liée à des chants très-heureux, et par-dessus tout le duo où des guerriers, un moment ennemis, resserrent au nom de l'honneur et de la chevalerie, les nœuds d'une ancienne amitié. Ce morceau est écrit de verve et d'inspiration; c'est une de ces bonnes fortunes que les artistes appellent tous les jours, et ne trouvent qu'un petit nombre de fois dans leur vie. M. Daleyrac nous permettra de placer ce morceau parmi ceux dont il s'honore le plus ; c'est en faire un assez bel éloge.

Quant à l'exécution de l'ouvrage, elle est complette et en assure le succès : ici les virtuoses sont absens, les dieux du chant sommeillent ; ce sont tout uniment des comédiens habiles, bien pénétrés de l'esprit de leur rôle, des intentions de l'auteur et du style du maître, qui, même en chantant, s'attachent à parler, à peindre, à exprimer ce qu'ils sentent.

D’après Nicole Wild, David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, le livret est de Révéroni Saint-Cyr, la musique de Nicolas Dalayrac. Créée le 8 octobre 1807, la pièce a été jouée jusqu’en 1809.

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