Louis d’Outremer, ou le Sujet fidèle

Louis d'Outremer, ou le Sujet fidèle, comédie en trois actes en prose, par M. de Montbrun ; 27 septembre 1814.

Théâtre de l'Odéon.

Titre :

Louis d’Outremer, ou le Sujet fidèle

Genre

fait historique

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

27 septembre 1814

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

de Montbrun

Almanach des Muses 1815.

Titre qui promettait beaucoup, pièce qui a tenu peu. Des applaudissemens, un succès contesté.

Mercure de France, tome soixantième, n° DCLXIII. – Septembre 1814, p. 465-466 :

[Compte rendu qui s’ouvre sur le résumé de l’intrigue en forme de cours d'histoire (ou l’inverse). On ne sait pas trop ce que le critique résume. Cet exposé savant s’achève sur le constat de l’immense intérêt du sujet pour le temps présent : qui ne voit pas « les heureuses allusions que fournissait à l'auteur le sujet qu'il avait choisi ». Le public les a applaudies si bien que le critique parle d’une « espèce de succès ». Mais la vérité historique est malmenée (mais elle est en fait mal connue : ce n’est pas si grave). La véritable faiblesse de la pièce, c’est le style, « trop souvent commun et trivial ». S’y ajoutent des invraisemblances. Le critique règle ensuite le compte des acteurs du théâtre de l’Odéon, dont aucun ne trouve grâce à ses yeux (et encore plus à ses oreilles).]

Spectacles. — Théâtre de l'Odéon. —Première représentation de Louis d'Outremer ou le Sujet fidèle, fait historique, en trois actes et en prose, de M. Montbrun.

Le rétablissement de Louis-d'Outremer sur le trône de son père Charles IV a fourni le sujet de la pièce nouvelle. Après la mort de l'usurpateur Raoul, Herbert, comte de Vermandois, père de la belle Elfride, dont tous les chevaliers se disputent la main, consent à l'unir à Hugues-le-Blanc, à condition qu'il la couronnera reine en montant sur le trône, devenu vacant. Hugues s'oppose d'abord à cet arrangement : sa fidélité pour son prince légitime l'emporte sur son intérêt et sur son amour ; mais à la nouvelle que Louis, débarqué en France, a été vaincu et tué, il se détermine à paraître devant les grands qui doivent le proclamer souverain. Alors se présente un chevalier étranger, qui a vaincu tous ses rivaux et Hugues lui-même, dans un tournois donné pour Elfride, et qui a combattu la visière baissée. Il demande à Hugues un entretien particulier, et se fait connaître à lui. Hugues tombe aux pieds de son roi, qui paraît dans l'assemblée où l'on devait proclamer Hugues, et qui reçoit de ses sujets les démonstrations d'amour et de fidélité qu'excite sa présence inattendue. Louis, pour récompenser la vertu d'un sujet fidèle qui lui a sacrifié ses propres intérêts, l'unit à Elfride et triomphe de la passion qu'elle lui avait inspiré. Il se félicite qu'une pareille révolution ait pu s'opérer sans effusion de sang.

On conçoit les heureuses allusions que fournissait à l'auteur le sujet qu'il avait choisi : elles ont été vivement applaudies, et il leur doit l'espèce de succès qu'il a obtenu. La vérité historique n'est pas bien observée dans son ouvrage ; mais comme il est question d'une époque et de faits généralement peu connus, cette altération est moins choquante. Le plus grand défaut de la pièce, c'est la faiblesse du style, qui, trop souvent commun et trivial, n'a point la noblesse dont il était susceptible. On peut aussi y remarquer quelques invraisemblances, que l'analyse fait assez apercevoir.

Les drames lyriques conviennent peu aux acteurs de ce théâtre, qui (à l'exception de Clozel) y sont déplacés : cependant Thénard a mis de la chaleur et du sentiment dans quelques parties de son rôle. On a souvent cité la déclamation chantante et monotone de mesdemoiselles Bourgoin et Volnais; mais il faut convenir que sous ce rapport, elles doivent céder le pas à mademoiselle Desbordes, chargée du rôle d'Elfride, et qui est la même dans tous.             Martine.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IX, septembre 1814, p. 256-261 :

[Comment gâter un pareil sujet ? Il faut que l’auteur ait bien peu de talent. La suite de l’article se consacre à l’histoire que la pièce est censée montrée. De façon méticuleuse, le critique narre les aléas de la monarchie de cette lointaine époque, en ne lésinant pas sur les flatteries envers le pouvoir royal (puisqu’il s’agit d’un roi exilé qui retrouve son trône : on est en pleine actualité !). Le sujet présentait donc de riches allusions, que l’auteur n’a pas su exploiter, ce que le critique se fait un plaisir de montrer en analysant l’intrigue après avoir raconté les faits historiques. Une fois cette tâche accomplie, il peut se moquer de la pièce, vaste tissu d’invraisemblances (un exemple est donné, qualifié de « une des plus fortes : à chacun de juger sur pièce). Et ces invraisemblances sont mises en valeur par le style employé, « fait pour révolter les oreilles les moins exercées », et mêlant négligence et naïveté en contraste avec le ton emphatique des personnages. Le public a choisi de rire de la pièce (notons en passant que l’Almanach des Muses avait cru qu’il s’agissait d’une comédie...), et le critique en profite pour se moquer d’un auteur qui réussit à faire passer « un drame héroïque pour une farce risible ».]

THÉATRE DE L’ODÉON.

Louis d'Outre-mer, ou le Sujet fidèle.

On est disposé à plaindre et même à encourager un auteur qui a dépensé pour un sujet ingrat et stérile plus de talent qu'il n'en aurait fallu pour assurer le succès d'un ouvrage dont le fond eût été mieux choisi ; mais doit-on les mêmes consolations à l'écrivain auquel sa bonne fortune présente le sujet le plus heureux, et qui le met en œuvre si maladroitement, qu'il n'en résulte qu'un ouvrage que la flatterie seule pourrait appeller médiocre ? N'est-on pas autorisé à voir dans la pièce de cet auteur la mesure de son talent et des espérances qu'on en peut concevoir, tandis qu'on doit attendre de l'autre une production estimable quand il travaillera sur un cannevas meilleur ?

Charles III, surnommé le Simple, commença et finit son règne sous de malheureux auspices ; fils posthume de Louis-le-Begue, il ne dut pendant sa minorité la conservation de sou trône dont un usurpateur tenta de s'emparer, qu'à la courageuse fidélité de Foulques, archevêque de Reims.

L'indolente faiblesse de son caractère l'empêcha de placer sur son front la couronne impériale et lui donna le lâche conseil d'acheter au prix de la Neustrie et de la Bretagne la paix avec les Normands. Sa confiance aveugle, ou plutôt sa soumission à un ministre orgueilleux, lui aliéna le cœur de ses sujets. Des révoltes éclatèrent de toutes parts ; et après quelques succès inutiles et une défaite irréparable, il fut obligé de se jeter entre les bras de Herbert, comte de Vermandois, qui le retint prisonnier au château de Pérone, où il mourut après une captivité de sept ans. Sa mort fit naître de funestes soupçons contre Herbert ; celui qui n'avait pas craint d'être le geôlier de son roi, pouvait bien en être l'assassin.

Cependant Robert-le-Fort, comte d'Autun, s'était fait élire roi de France ; il ne jouit qu'un an de son usurpation ; Hugues son fils et Raoul son gendre, annoncèrent l'intention de lui succéder ; une guerre sanglante allait décider ce grand procès ; on en remit le jugement à une femme. Emme, femme de Raoul et sœur de Hugues, déclara qu'elle aimerait mieux baiser les genoux de son mari que ceux de son frère ; et ce motif parut assez fort à Hugues pour le déterminer à céder ses droits à son beau-frère.

Pendant que la capricieuse ambition d'une femme disposait de la couronne de France, que faisait l'héritier légitime ? Il attendait en Angleterre que la justice divine et le repentir de ses sujets le rappelassent au trône de ses pères ; ses vœux furent exaucés. Après la mort de Raoul, la noblesse française, revenue aux sentimens de l'honneur et de la fidélité, engagea Louis à reprendre possession de ses états. L'intervalle qui s'écoula entre la mort de Raoul et le retour de Louis d'Outre-mer, fut une espèce d'interrègne, pendant lequel on data les actes publics et particuliers : « Depuis la mort de Raoul, Jésus-Christ régnant, dans l'attente d'un roi. »

On sent combien ce sujet présentait d'allusions d'autant plus heureuses, qu'elles étaient naturelles. Voici à-peu-près comment l'auteur l'a traité ; il ne m'accusera pas d'avoir cherché à faire de sa pièce une analyse qui pût la rendre ridicule, j'en ai plutôt dissimulé les nombreuses inconvenances.

Le trône de Charles III a été occupé longtemps par l'usurpateur Raoul dont la mort permet aux Français de rappeler leur roi légitime, Louis d'Outre-mer, le fils de Charles qui a été assassiné par un agent du comte de Vermandois. Celui-ci exige que Hugues-le-Blanc, guerrier que ses exploits ont rendu célèbre, s'empare de la couronne, et ce n'est qu'à cette condition qu'il consent à lui donner sa fille. « Soyez roi, lui dit-il, et vous deviendrez mon gendre ; si vous refusez, vous n'obtiendrez point Elfride que vous chérissez. » L'alternative est cruelle ; mais Hugues ne balance point ; jamais il n'a su transiger avec l'honneur ; il refuse. Elfride admire et imite la courageuse résolution de son amant.

Bientôt le comte de Vermandois vient annoncer que Louis d'Outre-mer a été tué les armes à la main en débarquant sur les côtes de Normandie. Hugues ne croit à cette nouvelle que quand elle lui est confirmée par l'écuyer de Louis. Il se voit donc condamné à régner. Il se propose, ainsi qu'Elfride, de se dédommager des ennuis du trône en faisant des heureux. Le comte de Vermandois a préparé les esprits des grands seigneurs du royaume, et il est certain de faire élire Hugues, qui va devenir roi malgrélui.

Un chevalier, vainqueur dans les tournois présidés par Elfride, et qui a constamment gardé sa visière baisée [sic], se présente à Hugues et se fait connaître de lui seul. Ce personnage mystérieux (on l'a déjà deviné), c'est Louis d'Outre-mer ; prêt à être découvert par le comte de Vermandois, il est sauvé par Hugues. Ce dernier, nommé roi par les grands du royaume assemblés, leur présente Louis, et leur dit : « Voilà votre souverain. » Au lieu de tomber à ses genoux, le comte de Vermandois court aux armes ; mais il est trahi par ses partisans et arrêté, Hugues, après l'avoir vaincu, demande sa grâce au roi, qui déjà l'avait accordée. Louis, épris d'Elfride, veut la placer sur le trône, Hugues se tait ; mais Elfride fait connaître au roi l'excès de la générosité de son amant. Louis alors renonce à ses projets sur Elfride, et il la marie à Hugues-le-Blanc, modèle des sujets fideles.

Je croirais faire tort à l'intelligence et au goût de mes lecteurs, si je m'appesantissais sur toutes les invraisemblances dont ce drame fourmille. Une des plus fortes est l'imprudence du roi, qui sans connaître les dispositions et les sentimens de Hugues, et devant au contraire le craindre comme le prétendant à la couronne de France, et le gendre de son ennemi, se livre sottement entre ses mains.

Quel moyen mesquin, ou plutôt quel escamotage maladroit, que celui par lequel l'auteur prépare l'apparition subite du prince au milieu des grands assemblés. Mais tous les défauts qu'on peut reprocher à la contexture et à la marche de cette pièce auraient peut-être échappé à une grande partie des spectateurs, si M. de Montbrun n'avait pas pris à tâche de s'enlever à lui-même toute chance de succès, en rendant le ridicule des situations plus saillant par un style fait pour révolter les oreilles les moins exercées, et dont la familière négligence et la naïve simplicité (je suis parvenu à trouver des expressions polies) contrastaient fort plaisamment avec le ton emphatique des personnages.

Le public a saisi l'occasion, qu'on trouve rarement à ce théâtre, de se divertir; et l'auteur qui avait eu l’intention et l'espoir de l'intéresser, a paru prendre son parti de bonne grâce : il s'est contenté du genre de succès auquel il était loin de s'attendre ; il a cru qu'il ne devait pas chicanner le parterre qui, dans sa joyeuse disposition, avait pris un drame héroïque pour une farce risible, et s'est fait nommer, vaille que vaille ; s'il essaie jamais de faire une comédie réjouissante, il réussira peut-être à produire un drame attendrissant.              A.MARTAINVILLE.

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