La Marchande de modes

La Marchande de modes, parodie de la Vestale,en un acte, de Jouy, 13 janvier 1808.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Marchand de modes (la)

Genre

parodie de la Vestale

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

13 janvier 1808

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Etienne Jouy

Almanach des Muses 1809.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Madame Masson, 1808 :

La Marchande de modes, parodie de la Vestale, par M. E. Jouy ; Représentée pour la première fois sur le Théâtre du Vaudeville, le 13 janvier 1808.

Dans ses Œuvres complètes, Théâtre, tome IV, Opéras-comiques, vaudevilles et parodies, Jouy présente ainsi la parodie qu'il a faite de sa propre pièce, p. 479 :

La marchande de modes est la parodie de l'opéra de la Vestale. Je crois avoir donné le premier exemple d'un auteur parodiant son propre ouvrage, et cherchant à déjouer sur un théâtre le succès qu'il obtenait sur un autre. Où ceux-ci ont vu un excès de modestie, ceux-là ont cru voir un excès de vanité ; ce n'était qu'un calcul d'amour-propre. Je ne pouvais espérer qu'un pareil sujet échappât à la malignité des parodistes ; je résolus de les prévenir, et de m'exécuter moi-même aussi gaiement qu'il me serait possible. Pour atteindre ce but, deux conditions étaient indispensables : ne pas laisser soupçonner mon projet ; et gagner de vitesse cinq ou six auteurs de vaudevilles, ligués pour le supplice de la Vestale. Je n'eus pas de peine à m'assurer ce double avantage : je ne confiai mon secret à personne, et je fis recevoir au vaudeville, La marchande de modes, que j'avais achevé dans le cours des répétitions de mon opéra, le lendemain de la première représentation de la Vestale.

J'avais senti que le meilleur moyen d'éloigner de moi toute idée de participation à la parodie, était de maltraiter impitoyablement le poëme de l'opéra et je crois m'en être acquitté avec assez d'amertume et de malveillance, pour ménager aux spectateurs une véritable surprise lorsque le nom de l'auteur fut annoncé dans le dernier couplet du vaudeville.

Cette pièce, qui eut un grand nombre de représentations, fut assez mal reçue le premier jour. Le public qui avait accueilli l'opéra de la Vestale avec une extrême faveur, paraissait craindre d'infirmer son propre jugement en applaudissant la Marchande de modes.

Mercure de France, tome trente-unième, n° CCCXXXIX (samedi 16 janvier 1808), p. 137 :

[Parodie un peu particulière, puisqu’elle est l'œuvre du librettiste de la pièce parodiée. Et parodie qualifiée de sévère tout en rendant hommage au compositeur, aux interprètes, aux maîtres de ballet. Elle est présentée comme « la parodie exacte et scène par scène de la Vestale ». Elle est jugée « gaie », et elle a eu du succès, « presque tous les couplets » méritant d’être cités.]

Théâtre du Vaudeville. — La Marchande de Modes. — Voici, je crois, la première fois qu'un auteur dramatique s'avise de faire la parodie de son propre ouvrage. Et que l'on ne croie pas que Mr. de Jouy n'ait fait celle de la Vestale, que pour n'être pas trop maltraité, quoique son succès si mérité dût le rassurer : on peut dire que le plus malin de nos parodistes ne l'aurait pas traité aussi sévérement qu'il s'est critiqué lui-même : il a rendu justice au beau talent de M. Spontini, à celui des acteurs, des actrices, des maîtres de ballets ; tous ses coopérateurs n'ont qu'à se louer des éloges qu'il leur a distribués ; en un mot, il ne s'est montré sévère qu'envers lui-même.

La Marchande de Modes est la parodie exacte et scène par scène de la Vestale.

Licinius s'y appelle Licentius, maréchal-des-logis de Hussards ; la grande Vestale est parodiée par Mme Létoffée, marchande de modes ; Julia, par Julie, filleule de Mme Létoffée ; Cinna, par Fanfare, trompette de la compagnie de Licentius ; le Grand-Pontife, enfin, par le Grand-Maître, le Rai des modes.

Licentius auquel ses camarades ont décerné un plumet commandé chez Mme Létoffée, le reçoit des mains de Julie qui ne voulait pas rester au magasin pendant la cérémonie : comme la plus jeune des filles de boutique, Julie est contrainte à passer la nuit pour achever une robe de noce ; elle ouvre la porte à son amant qui veut lui ravir un baiser ; dans le débat, ils renversent un quinquet sur la robe de noce : Fanfare accourt et prévient Licentius que la patrouille les a aperçus, les deux hussards se sauvent, et Julie avise qu'il est tems de se trouver mal ; le guet-à-pied crie au voleur ; à ces cris Mme Létoffée, ses filles de boutique, et le grand-maître des modes arrivent, celui-ci condamne Julie à passer un mois au pain et à l'eau dans le grenier où l'on blanchit la gaze ; mais Licentius et Fanfare viennent s'opposer à l'exécution de cette sentence, et le roi des modes, touché de tant d'amour et un peu intimidé par les menaces de Fanfare, unit lui-même les deux amans.

Cette parodie est extrêmement gaie, et elle a obtenu le plus grand succès ; presque tous les couplets mériteraient d'être cités, tant ils sont piquans et bien tournés. Le public en a fait redire plusieurs, et je crois que si je voulais rappeler tous ceux qui m'ont paru dignes d'être répétés, je pourrais bien outrepasser les bornes ordinaires d'un article.

L'Esprit des journaux français et étrangers, mars 1808, tome III, p. 270-274 :

[La parodie est l'œuvre de « l’auteur », c’est-à-dire du librettiste. Il a su ne pas ménager sa propre pièce et faire preuve d’« une rigueur de critique », il a même osé aller jusqu’à provoquer le public dans « des couplets très-piquans, mais assez injustes pour exciter les murmures de beaucoup de spectateurs » qui s’attaquaient au livret, alors qu’«  ilprodiguait les éloges au compositeur, aux acteurs ». C’est sa gaieté qui a fait réussir cette parodie. Après « quelques indications » permettant de se faire une idée du plan de la parodie, le jugement porté insiste sur les couplets, dont plusieurs sont cités. Mais le critique déconseille « aux auteurs de se laisser entraîner trop aisément à l'exemple de M. Jouy, en parodiant leurs propres ouvrages », vu le risque que la réussite de cette parodie risque d’entraîner la chute de la pièce parodiée...]

La Marchande de Modes , parodie de la Vestale, vaudeville en un acte, de M. Jouy.

On a vu bien des parodies, mais je doute qu'il en existe une seule dont l'auteur soit le même que celui du drame parodié. S'emparer de son propre ouvrage pour en faire un sujet de plaisanterie, c'est une idée neuve et qui ne pouvait naître que dans la tête d'un homme d'esprit. L'exécution en était fort délicate ; car ici le parodiste marchait entre deux écueils ; il était également dangereux pour lui d'être trop sévère ou trop indulgent. Nul ne connaît mieux qu'un auteur les imperfections de son ouvrage : était-il prudent de dévoiler au public ceux que les critiques même ne lui ont pas dénoncés ? Mais aussi était-il sûr de châtier son enfant d'une main trop paternelle, et de se décéler par trop de ménagement, avant le succès ? Nous devons cette justice au bon esprit de M. Jouy, qu'obligé de choisir entre ces deux dangers, il s'est constamment rapproché de celui qui semble le plus pénible pour l'amour-propre. Il s'est dépouillé de tout intérêt pour la Vestale, aînée ; il a conduit la cadette sur ses traces avec une fidélité d'observation et une rigueur de critique qui avait presque l'air de l'acharnement. Il a fait plus : il s'est adressé des couplets très-piquans, mais assez injustes pour exciter les murmures de beaucoup de spectateurs qui auraient volontiers pris le parti de l'auteur contre le parodiste. Il semblait en effet qu'on pût soupçonner celui-ci de quelque jalousie de métier ; il prodiguait les éloges au compositeur, aux acteurs, et tombait impitoyablement sur le poëte, sans même lui adresser quelqu'un de ces petits complimens qui sont d'usage en pareil cas. Cette impolitesse et quelques longueurs ont paru mettre un moment la parodie en danger ; mais elle en a triomphé par la gaîté franche dont elle est remplie.

Nous n'en donnerons point l'analyse exacte à nos lecteurs ; quelques indications les mettront en état de se tracer eux-mêmes le plan de cette joyeuse bagatelle. Le couvent des Vestales s'est changé au Vaudeville en boutique de modes. Les fonctions de Julia sont d'achever, pendant la nuit, une robe de noces à la lueur d'un quinquet qui remplace le feu sacré. Son amant n'est plus qu'un brigadier de hussards, devenu maréchal des-logis ; la grande Vestale une marchande de modes, nommée Mme. Létoffé ; le grand-prétre, M. de Crépenville, le roi de la mode. La couronne de lauriers, dont la Vestale orne le front de Licinius, se change un plumet que Julie attache au bonnet de Licentîus. Le rendez-vous nocturne a lieu dans la boutique. Licentius, en embrassant Julie, renverse le quinquet ; le guet arrive. M. de Crépenville prononce l'arrêt qui condamne Julie à passer un mois au pain et à l'eau dans un grenier , et la fait dépouiller de son joli bonnet et de sa douillette. Au moment où elle monte l'escalier fatal, Licentius arrive avec son ami, trompette du régiment, et la délivre par un miracle qui consiste à allumer un petit soleil d'artifice. Cette partie de la parodie, qui porte sur le jeu des machines, n'a pas été la moins applaudie ; et en effet, M. Jouy a quelques droits de se plaindre, ainsi que le public, de l'épargne que l'on a mise à l'Opéra dans l'exécution de son prodige.

Cette pièce a obtenu un véritable succès. Plusieurs couplets ont été redemandés ; beaucoup de mots plaisans ont excité la gaîté universelle ; mais elle n'a jamais éclaté plus vivement qu'à la scène où les filles de boutique marchent en procession autour de Julie condamnée et lui chantent ce refrain populaire : Trempe ton pain, Julie, trempe ton pain, etc. Cependant le plus beau triomphe de M. Jouy a été le moment où l'on a demandé l'auteur ; c'est ordinairement un acteur qui le nomme ; mais ici ce nom devenait une nouveauté assez singulière pour qu'on dérogeât à l'usage reçu. Au lieu d'un acteur, c'est une actrice qu'on a vu paraître ; et Mlle. Minette, après avoir fait une fort jolie révérence, a chanté le couplet suivant ;

     De cette bagatelle
Que vous daignez accueillir,
     L'auteur que l'on appelle
N'a pas lieu de s'applaudir.
Vous voulez qu'on le signale ;
En ce cas on vous dira :
C'est l'auteur de la Vestale
          De l'Opéra. . ,

Les applaudissemens, les bravos ont répondu, à cette annonce, et le couplet a été redemandé. On a pardonné au parodiste sa malignité, ou plutôt on n'y a plus trouvé que de la grandeur d'ame. Je ne sais pourtant si, aux représentations suivantes, il ne fera pas bien d'adoucir certains couplets qui vont jusqu'à la dureté ; il n'a plus besoin de dérouter les curieux ; et les critiques injustes ne peuvent plaire long-temps, même dans la bouche de l'auteur qui se censure lui-même.

Quoi qu'il en soit, nous ne conseillerons point aux auteurs de se laisser entraîner trop aisément à l'exemple de M. Jouy, en parodiant leurs propres ouvrages. Il faut, pour tenter une pareille épreuve, que la pièce parodiée ait obtenu un plein succès ; car alors on se consolerait aisément de la chûte de la parodie ; mais si la parodie coulait à fond la pièce originale flottante encore entre deux eaux, comment alors se consoler d'un pareil succès ?

Parmi les couplets redemandés , nous citerons les deux suivans : le premier est chanté par la marchande de modes, consultée sur l'arrangement d'une corbeille de mariage.

Air De la Croisée.

D'hymen la corbeille toujours
Des mêmes objets est remplie ;
Simple babil pour le premier jour,
Le lendemain luxe et folie.
Par-dessus on place à propos
Le lys et la rose vermeille,
Et puis les soucis, les pavots
Au fond de la corbeille.

C'est M. Crépenville qui chante le second, pour détourner Mme. Letoffé du projet d'imaginer une parure à la Vestale.

Pour rajeunir une parure antique,
Il faut les mœurs du temps qui l'enfanta ;
Mais où trouver le modèle pudique
     Des chastes filles de Vesta ?
Grace aux Romains, grace à leurs lois brutales,
     Ces trésors pour nous sont perdus :
Ils ont si bien enterré les vestales,
     Qu'on n'en déterre plus.

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