La Mort d'Henri IV, roi de France

La Mort d'Henri IV, roi de France, tragédie en cinq actes, en vers, par M. Legouvé ; 25 juin 1806.

Théâtre Français.

Titre :

Mort de Henri IV, roi de France (la)

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

25 juin 1806

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Legouvé

Almanach des Muses 1807.

Henri IV est décidé à porter la guerre en Flandre et en Allemagne, pour abaisser la maison d'Autriche, et assurer la paix de l'Europe. Il est à la veille d'employer tous les moyens nécessaires à l'exécution de ce grand projet, lorsqu'il est prévenu par l'ambition, la haine, et la jalousie, qui s'arment elles-mêmes contre ses jours. Une conspiration est ourdie entre le Comte d'Albrana, ambassadeur d'Espagne, et le duc d'Epernon, favori de la reine de France. Tous deux veulent la perte de Henri ; l'un pour délivrer son pays, l'autre pour venger la mort de Biron, son ami, et exercer sous le nom de la reine la suprême puissance. Mais pour réussir dans leur horrible dessein, il faut qu'ils entraînent Médicis dans leur parti. L'ambition de la reine et sa jalousie active favorisent à cet égard leurs espérances. D'Epernon, abusant de l'ascendant qu'il a sur l'esprit de Médicis, lui persuade que Henri en marchant à la tête de ses armées, n'a en vue ni le repos durable de l'Europe, ni la gloire de la France ; que son véritable but est d'aller à Bruxelles ravir la princesse de Condé à son mari, et satisfaire l'amour dont il est épris pour elle. En vain Sully oppose-t-il les plus éloquentes objections à ce fait injurieux pour l'honneur du roi, et que ses seuls ennemis ont pu inventer ; en vain est-il parvenu à remettre le calme dans le cœur de la reine, d'Epernon a su se procurer une lettre anciennement adressée par Henri à mademoiselle d'Entragues, l'une de ses maîtresses, et s'en sert pour porter Médicis à l'oubli de tout sentiment conjugal et humain. En effet, à peine Médicis a-t-elle lu cette lettre, que d'Epernon lui présente comme adressée à la princesse de Condé, et arrachée à prix d'or des mains de l'émissaire qui en était chargé pour elle, qu'à la vue des protestations du plus tendre amour, d'une promesse de mariage, se croyant trahie et déjà répudiée, elle consent à la mort de son époux. D'Epernon et le Comte d'Albrana, qui craignaient l'irrésolution que d'abord avait montré Médicis, et qui sont devenus forts de son autorisation, profitent alors du moment où Henri doit se rendre avec Sully à l'Arsenal, pour y tenir un conseil secret. Sa garde est réduite ; l'assassin est posté sur sa route ; un embarras doit l'arrêter dans sa marche... rien ne dérange les mesures concertées, et le coup est porté lorsque déjà la reine en proie aux remords, s'est jetée aux pieds de d'Epernon, pour obtenir la vie de son époux.

Sujet qui présentait des difficultés que l'auteur a vaincues avec art. L'intrigue est sagement conduite ; l'intérêt bien gradué ; le cinquième acte très touchant. La piece entiere écrite avec élégance, et le dialogue éloquent et animé.

A la suite de la pièce imprimée, des observations historiques, où sont recueillis tous les faits qui peuvent prouver la complicité de d'Epernon, de Marie de Médicis, et de l'Espagne, dans l'assassinat de Henri IV.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Antoine-Augustin Renouard, 1806 :

La Mort de Henri Quatre, roi de France, tragédie en cinq actes et en vers, Par Gabriel Legouvé, membre de l'Institut National et de la Légion d'Honneur ; représentée pour la première fois sur le Théâtre français par les comédiens ordin. de l'Empereur, le 25 juin 1806 ; suivie d'un précis historique.

Le texte de la pièce est précédé d'un avant propos :

Avant-propos.

LE meilleur de nos rois, assassiné au milieu de son peuple qui l'adoroit, dans le. moment où il alloit combattre un ennemi national, et mettre le comble à la gloire d’un regne heureux et florissant ; tel est l'évènement que j’ai transporté sur la scene, persuadé que l'intérêt dont il étoit susceptible m’aideroit à surmonter les difficultés d’un sujet annoncé comme impraticable.

J’aurois pu sans doute ne me servir que d’une intrigue politique ; mais outre que ce ressort employé seul au théâtre entraîne quelque froideur, j'ai pensé que Henri IV ne pourroit jamais y paroître qu’un héros, et je voulois, en lui conservant cette partie brillante de son caractere, le représenter avec les autres qualités qui le distinguent. Il m’a semblé qu'une intrigue domestique, où il seroit placé entre sa femme et Sully, convenoit mieux pour le montrer sous les traits d'un bon époux, d’un ami sensible, enfin, avec cette physionomie particulière qui en fait le meilleur des hommes autant que le plus grand. des rois ; l'affluence que les représentations de cette tragédie ont attirée, et sur-tout les larmes quelle a fait répandre, me donnent le droit de croire, sans me dissimuler ses défauts, que je ne me suis pas entièrement trompé.

Je ne répondrai rien de plus aux critiques .littéraires. Quant aux objections historiques qu’on a élevées sur la complicité de d'Epernon, de Marie de Médicis, et de l'Espagne dans l'assassinat de Henri IV, je renvoie aux observations qui sont à la suite de la piece.

Les Observations historiques sur la mort de Henri IV occupent les pages 77 à 112 de la brochure. Elles insistent sur la fidélité de la pièce à l'histoire. Mais c'est surtout la question du complot contre Henri IV, et celle de l'éventuelle complicité de Marie de Médicis, du duc d'Epernon et de l'Espagne, qui occupent l'essentiel de ce texte.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1806, tome 4, p. 176-179 :

[Le critique commence son article par une question sérieuse, celle du respect de l’histoire dans une tragédie. Les infidélités au passé ne sont permises que sur des détails. Dans la pièce de Legouvé, ce qui est mis en cause, c’est « une inconvenance morale » de mettre en cause le duc d’Epernon dans l’assassinat d’Henri IV, non parce qu’ile st duc, mais parce que, simplement « il étoit homme ». Cette faute morale n’enlève pas de valeur littéraire à la pièce : « le nom ne fait rien à l’affaire », et si la mise en cause du duc d’Epernon a suscité de vifs mouvements lors de la première représentation, la pièce a aussi été défendue par les amis de l’auteur, mais aussi par sa capacité d’émouvoir, liée au sujet, cher à tous. Car toute pièce mettant en scène Henri IV ne peut que susciter l’intérêt, avec toute la richesse de la figure de « ce bon roi », qu’on ne peut réduire à être un héros, qui est « un père » (il y a dans l’article quelques lignes très intéressantes sur la façon dont le personnage d’Henri IV est perçu, bien avant le retour des Bourbons, qui provoqueront une vague si forte de pièces sur Henri IV). Le sujet était donc difficile pour Legouvé, et on peut reprocher à l’auteur d’inventer ce complot liant la reine, le duc d’Epernon et l’ambassadeur d’Espagne. Mais le résultat est incontestable : plan défectueux, certes, mais « scènes bien filées », « style touchant » : on est « vaincu par l'attendrissement qu'on éprouve. L’article s’achève par l’éloge des principaux acteurs.]

Théâtre Français.

La Mort de Henri IV.

Cette tragédie a été le sujet de beaucoup de discussions historiques et littéraires : le jugement du public est porté. On convient généralement que s'il est permis au poëte d'altérer les faits historiques pour les faire cadrer à la fable qu'il a inventée, ce ne peut être que dans les détails et point dans les faits principaux, qu'il doit encore moins introduire des personnages connus pour les charger du crime qui fait le nœud et la catastrophe de son ouvrage, quand ces personnages ne sont pas notoirement convaincus d'avoir commis ce crime. Cette opinion a déjà été émise dans ce journal à l'occasion de l'opéra intitulé Praxitèles(1), où l'on représente Scopas enlevant par une ruse infâme le prix à Praxitèles, quoiqu'il soit douteux que ces deux célèbres artistes aient été contemporains ; nous croyons donc qu'il n'étoit pas convenable de charger de l'assassinat de Henri le duc d'Espernon, non pas parce qu'il étoit duc, mais parce qu'il étoit homme. Il n'y a pas un portefaix qui ne frémît d'indignation si on lui disoit que, même long-temps après sa mort, il sera traduit sur la scène comme coupable d'avoir tué son père ou son roi.

Ceci est une inconvenance morale, mais non pas un défaut de l'ouvrage. Car, littérairement, le nom ne fait rien à l'affaire ; celui de d'Espernon pourroit être déplacé, son rôle parfait, et la pièce sublime. La première représentation étoit un véritable jour de bataille ; une grande partie des spectateurs, que le choix du nom de d'Espernon avoit choquée, étoit décidée à trouver l'ouvrage détestable. Il étoit naturel que les amis de l'auteur se fussent réunis pour le soutenir dans un si pressant danger ; l'avantage lui est resté, mais il ne l'a pas dû à ce seul secours ; les larmes ont coulé des yeux de ses adversaires, et l'intérêt du sujet a réuni sinon tous les esprits, du moins tous les cœurs.

Henri IV, ce nom est cher à tous les Français ; tout auteur qui voudra le mettre en scène est sûr d'exciter vivement la curiosité ; mais cet intérêt même est un écueil ; car malgré sa noblesse et sa vaillance, ce n'est pas comme un héros qu'on aime ce bon roi, c'est comme un père, c'est à ce titre qu'il est le seul prince dont la mémoire se soit conservée sous les toits rustiques, dans des lieux où aucun genre d'instruction ne s'est introduit ; sa loyale franchise, sa vivacité gascone, son aimable bonhomie conviennent mieux à la comédie qu'à la tragédie. Ces qualités ne le font jamais tomber dans la trivialité, sa familiarité ne fait pas perdre le respect dû à sa valeur et à ses vertus ; il ne descend jamais du haut rang où il est assis, mais il permet au peuple de s'approcher de lui ; dans ses actions les plus simples, dans ses mots les plus naïfs on trouve toujours le bon Henri et le grand roi. Ce sont ces nuances bien saisies qui ont assuré le succès de la Partie de chasse d' Henri IV, cette jolie comédie de Collé.

M. Legouvé, auteur de la tragédie nouvelle, avoit donc à surmonter de grandes difficultés. Une action trop récente, une popularité contraire aux effets tragiques, un dénouement prévu, l'animosité excitée par la manière dont il avoit conçu son sujet, comment se persuader que sans un mérite réel son ouvrage auroit pu vaincre tant de préventions, surmonter tant d'obstacles. Il a fait preuve d'un grand talent par la manière dont il a lutté contre eux. D'Espernon commet, il est vrai, un crime atroce sans avoir cette profondeur qui agrandit au théâtre le caractère des scélérats ; la reine est trop crédule ; le crime trop facile n'appartient à personne, puisque le fanatique qui s'en est chargé n'agit que par suite du sentiment furieux qui l'égare, et non pour favoriser tels ou tels intérêts. L'ambassadeur espagnol peut se passer de d'Espernon, celui-ci de l'ambassadeur ; tous deux n'ont aucun besoin de l'assentiment de la reine ; et le consentement de celle-ci, dont on reproche encore avec raison l'invention à l'auteur, est absolument inutile comme son repentir. Cependant même en reconnoissant ces défauts on se sent attaché par un charme inexprimable ; on écoute avec attention et avec plaisir ; le plan est défectueux sans doute, mais les scènes sont adroitement filées, le style est touchant ; on y reconnoît l'auteur du Poème sur le mérite des femmes, de la Mort d'Abel et de plusieurs ouvrages si justement estimés ; et vaincu par l'attendrissement qu'on éprouve, on se reproche la sévérité de son propre jugement.

La pièce est jouée avec le plus grand soin ; Talma a mis le comble à sa réputation dans le rôle d'Henri IV, où il a su allier la bonhomie de ce prince à la dignité qui convient à un personnage tragique. Damas joue avec une grande chaleur le magnifique rôle de Sully. Mademoiselle Duchesnois remplit très-bien le rôle de la reine, et Lafond fait valoir, autant qu'il est possible, celui de d'Espernon.                 A. L. M.

(1) Ann. VI, T. II, p. 418.

L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1813, tome VI (juin 1813), rapporte le discours de réception, le 15 avril 1813, d'Alexandre Duval à l'Institut, classe de la langue et de la littérature française, à la place de Legouvé. Deux paragraphes, p. 167-168, portent sur la Mort de Henri IV :

[Quelques années après la première de la pièce, Alexandre Duval sur deux points : le respect de l’histoire (« On vient au théâtre pour être ému, et non pour apprendre l'histoire », il fallait donner, par la jalousie de la reine, donner de l’intérêt à une action qui n’en aurait guère eu sans elle), l’absence de la « bonhomie spirituelle » qui caractérise Henri IV, une bonhomie « que ne pouvait lui conserver la pompe du vers tragique ».]

La Mort de Henri IV, la dernière tragédie de M. Legouvé, me paraît l'ouvrage dans lequel il a montré le plus de talent. Le sujet offrait de grandes difficultés, et peut-être on s'apperçoit un peu trop des efforts qu'il a faits pour les surmonter. Je suis loin pourtant de me joindre aux critiques qui lui ont reproché d'avoir altéré l'histoire en associant Médicis au crime du fanatisme. L'auteur a répondu victorieusement : Plusieurs de nos premiers tragiques se sont encore plus écartés, dans leurs compositions, de la vérité historique. Que doit-on demander de plus à l'auteur dramatique que l'exactitude dans le fait principal ? Quant aux moyens qu'il emploie pour mettre en jeu les ressorts de son intrigue, il n'en doit pas un compte exact au public. On vient au théâtre pour être ému, et non pour apprendre l'histoire. Certes, si M. Legouvé n'eut pas attribué à une jalousie aveugle le crime qui priva la France du meilleur des rois, l'intérêt dans sa pièce eût été bien plus faible, presque nul. Sans la jalous[i]e de Marie, sans ses incertitudes et sur-tout sans ses remords, l'auteur n'aurait pu mettre sous les yeux du public que le tableau d'un lâche assassinat, commandé par la fureur des factions et exécuté par le fanatisme et par la démence.

Mais ce qui a le plus nui aux grands effets que devaient produire les conceptions dramatiques de l'auteur, c'est que la plupart des auditeurs eussent voulu trouver dans le caractère et dans le langage de Henri IV, cette franchise généreuse, cette magnanimité familiêre et cette bonhomie spirituelle, que ne pouvait lui conserver la pompe du vers tragique.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, juillet 1806, p. 265-274 :

[La pièce de Legouvé a connu un très grand succès, ce qui justifie l’étendue peu ordinaire du compte rendu qui lui est consacré. L’analyse est surtout marquée par le souci de la clarté plus que de la précision. Toute l’action est précisée, avec de nombreux détails qui enlèvent tout suspens. Puis c’est la question de l’utilisation de l’histoire au théâtre qui est examinée. Le critique passe d’abord par l’exemple de l’histoire des Atrides (sans distinction entre histoire et mythologie). Pour une si vieille histoire, l’auteur peut recourir à toutes les ressources de son imagination. En cas de doute dans la tradition, le poëte a le devoir d’interpréter l’histoire « dans un sens favorable à l'innocence, et comme en témoignage de la vertu » (la morale, toujours, au théâtre). Dans la pièce de Legouvé, le personnage d’Henri est conforme à ce qu’on en sait : « noble et grand » comme roi, « bon paternel, sensible et touchant » quand il est ami, père ou mari. Par contre, le critique regrette que le lien entre d’Espernon et la reine est insuffisant (qu’ils soient amants ?). Pour le personnage de la reine, s’il admire son premier monologue, il est plus réticent à propos des deux passions qui l’animent, amour et ambition, une ambition qui a moins intéressé que sa passion amoureuse. Elle ne devient grande qu’à la fin, quand elle tente de sauver le roi. Mais la réconciliation de la reine et de Sully, très belle scène, devrait mettre fin à la pièce, et c’est la péripétie de la lettre d’Henri (qui établit son infidélité) qui relance l’intrigue, par un moyen discutable (il humilie un personnage noble). La fin est malgré cela d’une grande élévation. La représentation s’est achevée tout à la gloire de Legouvé, comme auteur et comme patriote. Et l’interprétation de Talma (seule évoquée) l’a montré sous un jour nouveau.]

THÉATRE FRANÇAIS.

La mort d’Henri IV.

Le Théâtre-Français vient de donner avec un très-grand succès une tragédie que son titre, son sujet, le nom de son auteur concouraient à-la-fois à faire désirer avec impatience. Il y a peu d'exemples d'une affluence pareille à celle des spectateurs qui s'y sont portés, d'un empressement et d'un intérêt égal à celui qu'ils témoignaient. Voici l'analyse de cette tragédie intitulée, la Mort d'Henri IV. On nous pardonnera de lui donner quelqu'étendue, et de nous efforcer de sacrifier à la clarté plus qu'à la précision.

Henri a résolu de conquérir par la guerre la paix qu'il veut donner et garantir à l'Europe. Son camp est prêt à marcher ; il va conduire en Flandre l'armée qui, après avoir vaincu les Espagnols, et aidés des princes allemands qui l'appellent, marchera sur Vienne, et abaissera la domination de la maison d'Autriche.

Tel est le plan que Henri communique à son conseil : Sully a tout préparé pour en assurer l'exécution. Le départ est fixé au lendemain. Pendant l'absence du monarque, le gouvernement sera remis à Marie de Médicis, d'Espernon présidera le conseil. Les intérêts de l'état et le bonheur des peuples sont remis à leur zèle et à leur fidélité.

L'Espagne veut conjurer l'orage ; son ambassadeur est entendu. Henri lui parle avec le sentiment de l'indignation qu'ont mérité tant d'intrigues, de manœuvres, de haines et de complots. Henri ne dissimule rien de le grandeur de son projet et du but qu'il se propose ; que l'Espagnol cède, ou qu'il s'apprête à combattre : ces mots du roi terminent l'audience.

Demeuré seul avec d'Espernon, l'ambassadeur espagnol s'ouvre avec ce seigneur sur les projets secrets de sa cour, sur les dangers que Rome paraît courir, sur les moyens d'arrêter une entreprise où la religion est intéressée, et dans laquelle le parti calviniste peut se relever... D'Espernon arrête l'Espagnol, et, plus franc dans sa politique, il déclare que dans ses projets contre Henri, il n'écoute pas la voix d'un fanatisme crédule, mais celle d'une longue inimitié, d'une profonde haine pour Sully, d'une ambition excessive qui ne peut être assouvie que si le roi mort et la reine régente. il gouverne la France sous le nom de Médicis, au moins pendant la minorité du jeune et faible Louis. Il veut avoir l'Espagne pour alliée et non pour maîtresse. Si donc d'Espernon conspire, il veut que la reine soit sa complice, qu'elle s'engage à sa fortune en partageant son crime : sans son aveu, rien n'est possible, parce que rien ne lui sera garanti, l'Espagnol peut cependant grossir le nombre des conjurés ; et puisque déjà un malheureux fanatique, livré à toutes les fureurs dont la Ligue était remplie, s'apprête au régicide, comme à l'honneur d'un saint martyre, il le faut entretenir dans sa frénésie, tenir prêt le poignard dans sa main, et attendre que Médicis donne le. signal de frapper.

Médicis inquiète, emportée, vindicative, ambitieuse et jalouse, négligée de Henri qu'elle rend malheureux, voyant dans toutes les femmes une rivale préférée, implorant vainement les ordres du roi pour son couronnement, se livre à tout le dépit d'une ambition déçue et d'un amour outragé. C'est dans ces dispositions que d'Esperoon a besoin de la trouver pour semer la discorde entre elle et son épouse, pour exciter ce caractère irritable, et arracher un mot dont il puisse profiter, Sous le voile de l'amitié, et pour répondre à la confiance de la reine, il l'entretient des bruits qu'il fait répandre : si l'on en croit ces bruits, Henri n'est pas attiré à Bruxelles par l'amour de la gloire ; c'est un autre amour qui l'y conduit. Condé y a déposé sa jeune épouse pour la soustraire aux entreprises de son roi ; ce n'est pas la Flandre que Henri veut conquérir, c'est la jeune princesse qu'il veut ravir et ramener en France. A ces mots les transports de Médicis ne peuvent se contenir ; elle charge d'Espernon de remonter à la source de ces bruits, de l'instruire de tout, surtout de lui chercher une preuve de la trahison de Henri ; le roi paraît alors ; il vient faire ses adieux à Médicis, lui faire connaître ses projets, ses dispositions ; Médicis éclate, lui dit qu'elle lui connaît d'autres desseins, qu'elle saura les prévenir ; elle prononce le nom de la princesse, et fuit la présence de son époux en éclatant en menaces.

Henri reste muet d'étonnement : habitué à dire la vérité au maître qui est son ami, Sully ne dissimule pas au roi que la reine partage dans ses craintes jalouses, les soupçons de la cour et du peuple; que l'ennemi a répandu ces soupçons odieux, et qu'il est temps qu'une démarche solennelle resserrant entre Henri et Marie les nœuds les plus sacrés, impose silence à la calomnie. Henri se décide à ordonner la pompe du couronnement : il différera son départ d'un jour, et il charge son ministre de lui préparer avec Médicis un entretien dont une réconciliation sincère puisse être le résultat.

Au troisième acte, Sully remplit les intentions du roi. Il trouve Médicis prévenue, et difficile à ramener ; et sa raison, forte et pressante, lutte longtemps en vain contre une femme aveugle et passionnée. Cependant Sully fait avec tant de chaleur le tableau des vertus du roi, de ses hautes qualités, de l'amour du peuple pour lui, du bonheur qu'il trouverait dans son union avec la reine si elle en croyait moins ses soupçons jaloux, de son attachement sincère pour elle, de ses sentimens pour les enfans qu'elle lui a donnés ; il rappelle si hautement Médicis à ses devoirs envers son époux, à sa dignité, aux vrais principes de sa religion même, que la reine, entraînée, hors d'état de résister davantage, appelle son époux, qui accourt, la presse dans ses bras, obtient d'elle la promesse d'une confiance entière, et de l'entier oubli du passé. La reine veut que les caresses de ses enfans soient le garant de ses promesses. Au moment où elle sort avec le roi, d'Espernon paraît ; elle s'élance vers lui, lui apprend que tout est changé, que le roi s'est justifié, qu'il l'aime, qu'elle va être couronnée, qu'elle est rendue au bonheur et à son époux. D'Espernon reste confondu ; mais il connaît le caractère de Médicis : vingt fois de semblables raccommodemens ont été suivis de fureurs nouvelles : il ne faut qu'un trait de lumière pour exciter de nouveaux transports, et ce trait, d'Espernon va le chercher ou le faire naître.

La belle d'Entraigues a régné autrefois sur le cœur d'Henri. Oubliée aujourd'hui, elle ne respire que la vengeance et conspire avec les Espagnols contre les jours du roi. Le roi entretenait autrefois avec elle un commerce de lettres assidu : une de ces lettres contient le serment de l'aimer toujours, et de la nommer reine quand un obstacle cruel n'existera plus. Cette lettre est de la main du roi elle est sans date et sans nom. La marquise a consenti à la remettre à d'Espernon qui, trouvant Médicis déjà mécontente d'une disposition prise par le roi dans son conseil, lui remet la lettre fatale comme venant d'être surprise à l'instant sur un émissaire qui la portait en secret à Bruxelles....... Médicis reconnaît la main et le sceau du roi ; d'Espernon lui peint la jeune Condé triomphante, ramenée dans Paris pour être reine et marâtre des enfans de Marie ; il cite l'exemple de Marguerite, et menace Marie de la même destinée : enfin le moment presse ; le roi est coupable ; il a signé son crime de sa main : quel parti prendra Marie ? Elle veut qu'à l'instant d'Espernon ordonne que sa rivale expire ; elle veut l'apprendre elle même à Henri, et jouir de sa vengeance ; d'Espernon rejette celte idée comme inutile et dangereuse. Il faut des moyens de salut plus sûrs, plus prompts, une vengeance plus directe.... La reine l'entend ; elle frémit d'indignation..... D'Espernon insiste ; il parle à la fois à toutes les passions qui déchirent Médicis ; il la presse d'avouer l'entreprise ; cependant désespérée, elle fuit sans donner le fatal aveu ; mais au cinquième acte, d'Espernon apprend à son complice que cet aveu est enfin obtenu ; Marie a été chercher aux pieds des autels quelques adoucissemens à ses maux ; des prêtres ligueurs l'y retiennent dans les accès d'une ferveur sacrilège : l'assassin est prêt : le jeune, la solitude, les macérations ont embrasé son sang ; il ne demande que la mort du roi et la sienne. Henri doit aller du Louvre à l'Arsenal : le monstre est placé sur la route du monarque ; d'Espernon a confié à des hommes vendus la garde de sa victime.

Cependant ces pressentimens secrets, ce trouble, cette terreur qui, plus d'une fois, avertirent Henri des événement malheureux qui lui devaient arriver, assiègent le malheureux monarque : il a honte d'avouer ses faiblesses à Sully, mais elles le dominent, elles le poursuivent : il n'accuse et ne nomme personne, mais un vague effroi l'a saisi. Avant la Saint-Barthelemy un même sentiment l'avait frappé ; il rappelle les circonstances où il se trouve, les craintes de ses ennemis, les tentatives déjà commises : Non, dit-il,

Non, des murs de Paris je ne sortirai pas ;
Ils me tueront....... ils me tueront, te dis- je :

le destin l'emporte, et la fatalité entraîne Henri au-devant de son assasin. D'Espernon le voit sortir avec une joie féroce ; mais Médicis accourt, ses sens se sont calmés, sa raison a repris son empire ; elle abjure son aveu, elle ordonne, elle presse, elle supplie ; elle va, par ses cris, dévoiler tout le mystère, si d'EsperBon ne se hâte de voler au secours du roi ; elle promet le secret, le pardon. Le duc sort, mais il n'est plus temps ; les cris de Sully, de retour au Louvre, annoncent que tout est perdu, et que le meilleur des rois vient d'être assassiné ; il décrit les fatales circonstances du crime, le trouble, le désespoir, la fureur du peuple. Ce tableau égare Médicis ; dans son délire, elle s'accuse, elle nomme d'Espernon régicide, elle appelle sur elle la vengeance du ciel...... Sully recule d'effroi : bientôt il rappelle Médicis à elle-même, lui avoue qu'elle s'est trahie ; lui promet de se taire, et se retire en lui laissant pour punition ces mots terribles :

Adieu, loin de la cour je vais pleurer mon roi,
Et vous, régnez, Madame.....

Nous croyons cette analyse exacte ; elle nous semble indiquer d'une manière assez positive le parti que l'auteur a tiré de l'histoire, ce qu'il lui doit, ce qu'il a cru pouvoir lui ajouter : ici cet auteur doit s'attendre à voir agiter de nouveau une question littéraire depuis long-temps débattue, celle de savoir jusqu’à quel point les poëtes tragiques peuvent s’emparer des événemens historiques, les exposer à leur gré, les altérer si la raison dramatique le veut, présenter des personnages qui ont existé, et leur donner au lieu des caractères qu'ils ont eu, celui qu'exigent l'intérêt de la pièce, les convenances et les combinaisons théâtrales ; question qui prend un degré d'intérêt d'autant plus grand, que les événemens sont plus voisins de nous, et que les personnages mis en scène sont plus nos contemporains.

Cette question, nous le croyons, peut se réduire aux termes suivans.

Clytemnestre assassine Agamemnon de retour dans ses foyers ; elle épouse son complice, Oreste venge sa mère ; voilà un trait que l'histoire d'une race fatale a transmis aux poëtes de tous les temps, comme le domaine de leur imagination, comme une mine féconde à exploiter. Tout est ici soumis à l'empire de la poésie, le lien de la scène est celui des fables héroïques ; le génie s'y peut montrer indépendant :

Vingt siècles ont passé sur la cendre d'Homère.

Mais quand l'histoire se tait, ou se recueille dans le doute, est-ce au poëte à la faire parler ? Les contemporains n'ont rien dit, ou ils ont hésité à prononcer : le poëte expliquera-t-il leur silence ? Il y a plus ; dans le cas où les historiens seraient partagés, dans le cas où l'un d'eux plus véridique, ou plus imprudent que les autres, aurait hasardé une assertion hardie, le poëte peut-il la répéter, lorsqu'elle accuse ; peut-il la sanctionner lorsqu'elle condamne ? S'il peut interpréter l'historien qui doute, il semble que ce ne doit être jamais que dans un sens favorable à l'innocence, et comme en témoignage de la vertu.

Le lecteur sent assez que cette réflexion ne s'applique pas particulièrement à la tragédie nouvelle ; mais qu'elle est générale, qu'elle est née naturellement de l'examen attentif de la plupart des tragédies historiques faites sur des sujets modernes ; qu'on peut dire d'elles ce que la critique dit avec raison de ces ouvrages intitulés romans historiques, par une alliance de mots fort étonnés de se trouver ensemble, puisque les auteurs n'ont souvent emprunté de l'histoire que les noms, et du reste ont ajusté leur plan, le récit des événemens et le caractère de leurs personnages.

En revenant actuellement à la tragédie nouvelle, et en la considérant sous le rapport de l'art dramatique, nous y trouvons une exposition imposante, simple et claire : dès le premier acte, Henri se montre bien ce qu'il sera dans tout le cours de l'ouvrage ; noble et grand dans les scènes où il est roi ; bon, paternel, sensible et touchant dans toutes celles où il est ami, époux et père. Il fallait sans doute une grande flexibilité de talent pour que ces deux nuances ne se nuisissent pas l'une à l'autre, pour que le style ne parût pas ici guindé, hors nature ; là, familier et au-dessous de la dignité tragique. Cet écueil était bien dangereux, et il a été évité avec une telle habileté, que quelques pensées connues, quelques mots de Henri retenus d'âge eu âge, se retrouvent dans les deux nuances de style, exprimées sans emphase d'une part, et sans trivialité de l'autre.

Mais aussi dès le premier acte, l'on reconnaît que la destinée de d'Espernon n'est pas assez liée à celle de la reine, que la conjuration manque d'ensemble et d'unité; que pour être sûre [sic] d'une femme passionnée telle que Médicis, le duc a besoin d'empire sur son cœur beaucoup plus que sur son esprit ; que, s'il n'est pas son amant, ses moyens de séduction ont peu de vraisemblance ; et quant à l'Espagnol, on voit qu'il ne sera qu'un confident et qu'il ne donnera pas à la conspiration plus de force, que les sentiment et les moyens de d'Espernon ne lui donneront de grandeur.

Le monologue de Marie expose bien son caractère : on a légèrement murmuré à ce premier vers qu'elle dit en parlant du roi :

Je l'attendais hier, je l’attends aujourd'hui.

Ce vers est beau de situation, si on veut n'y voir que ce qu'il veut dire, et s'il est dit par l'actrice comme il doit être dit ; il est bon, puisqu'il instruit bien le spectateur de la situation du personnage, et presque de son caractère: mais dans la scène suivante, on voit avec peine que l'auteur a voulu peindre Médicis livrée à deux passions à la fois : c'était bien assez de l'amour et de la jalousie, passions qui n'en font qu'une ; on les pardonne dans une femme ; mais en elle la soif de régner, l'ambition n'excusent rien, et n'intéressent jamais ; que deviendrait la fameuse scène de Phèdre, si elle n'oubliait d'y parler du trône et de son fils ? Aussi Médicis ambitieuse a-t-elle plu beaucoup moins que Médicis passionnée : si elle a été trouvée belle, intéressante et dramatique, c'est quand elle cède à la voix de Sully, quand elle veut la mort de sa rivale, quand elle veut sauver le roi, et que, tombant aux genoux du duc, elle s'écrie :

Je ne suis point coupable, et je ne veux pas l'être.

La scène entre Sully et la reine, est très-belle de pensées, de style et de mouvement. La réconciliation qu'elle amène, et qui est le seul et trop faible nœud de l'ouvrage, intéresse et plait, quoiqu'elle ne soit pas amenée peut-être d'une manière très-tragique ; le mouvement de péripétie qu'elle produit est beau, il déplace subitement tous les personnages, et fait prendre aux choses une face nouvelle ; mais avec lui la pièce est terminée ; il faut un moyen nouveau, et pour ainsi dire une seconde pièce à la suite de la première, pour amener le dénouement : ce moyen est celui de la lettre ; mais convenait-il d'abaisser un homme du rang et du caractère de d'Espernon, au moyen honteux et dangereux de la supposition d'une lettre et de l'abus du sceau du roi ? Moyen dangereux et imprudent, disons-nous ; car que la reine rencontre son époux, qu'elle éclate, qu'elle l'accuse, qu'elle dise, j'ai lu ; que le roi désavoue, interroge, menace, et d'Espernon est perdu.

Cependant ce moyen préparé avec beaucoup d'art, et que l'intelligence parfaite de l'acteur a contribué à sauver, n'a pas trouvé les spectateurs trop rigoureux : dès-lors le sort de la pièce était assuré. Cette scène délicate et difficile, édite avec un grand talent, dialoguée avec une chaleur, une vérité de sentiment et d'expression remarquable, formant une belle opposition avec celle de Sully, a commandé un intérêt très-vif ; le cinquième acte devait encore porter cette impression à un plus haut degré: là en présence de Henri prêt à mourir, et pressentant sa fin prochaine, les deux grands ressorts tragiques, la terreur et la pitié s'emparent du spectateur, l'émotion est profonde comme le péril imminent, et la consternation générale comme la victime révérée. Le désaveu si dramatique de la reine, le beau récit de l'assassinat, et les derniers mots de Sully, mots qui assurent au dénouement une grande moralité, et punissent Marie en la menaçant des malheurs de sa régence, ces beautés, disons-nous, rangent toutes les ames du parti de l'auteur, en lui assurant le succès de tous le plus sûr et le plus durable au théatre, celui que les larmes attestent et que le critique le plus sévère ne pourrait désavouer qu'en pleurant.

L'auteur de la Mort d'Henri IV, M. Legouvé, a été nommé au milieu des plus vives acclamations. Ce succès lui doit être d'autant plus précieux, qu'il honore son talent comme poëte, et ses sentimens comme Français ; c'est à ce double titre qu'il a reçu les marques les plus éclatantes de la satisfaction de ses concitoyens.

Nous reviendrons avec plaisir sur l'effet des représentations suivantes, et sur le jeu des acteurs. Nous ne pouvons ici nommer que Talma, qui, encore dans cette occasion difficile à trouvé le secret de montrer son talent sous un jour tout nouveau.

La Mort d’Henri IV, de Legouvé, d’après la base la Grange de la Comédie Française, a été créée le 25 juin 1806 et a connu 20 représentations, toutes en 1806.

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