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Le Magicien sans Magie

Le Magicien sans Magie, opéra-comique en deux actes ; paroles de M. M*** (Jean-François Roger et Auguste Creuzé de Lesser), musique de M. Nicolo, 4 novembre 1811.

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

Magicien sans magie (le)

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

2

Vers ou prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

4 novembre 1811

Théâtre :

Théâtre impérial de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Jean-François Roger et Auguste Creuzé de Lesser

Compositeur(s) :

Nicolo Isouard

Almanach des Muses 1812.

Un jeune seigneur italien se sert d'un pauvre magicien de village, afin d'éprouver l'amour de sa maîtresse ; elle vit comme une paysanne, quoiqu'elle soit d'une famille illustre. Une salle de spectacle est le laboratoire du nouveau Cagliostro, qui, après avoir surpris la jeune et naïve paysanne par une foule de prodiges, essaie, mais en vain, de tenter sa fidélité. le magicien met fin à ses enchantemens, en s'assurant une forte pension. Le jeune seigneur, certain désormais de la constance de la belle, lui offre sa fortune et sa main.

Ouvrage qui sort un peu du genre de l'opéra-comique ; des traits heureux et du charme dans l'ensemble. Musique qui a décidé le succès de l'ouvrage, et qui place M. Nicolo au rang de nos premiers compositeurs.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Vente, 1811 :

La magicien sans magie, opéra-comique en deux ctes, Par MM. ***, musique de Nicolo Isouard, de Malte ; représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre impérial de l'Opéra-Comique, le 4 novembre 1811.

Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique : répertoire 1762-1972, p. 313, donnent les noms des auteurs du livret, Jean-François Roger et Auguste Creuzé de Lesser. La pièce a été jouée jusqu'en 1821.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1811, tome VI, p. 161-162 :

[Compte rendu ouvert par le résumé d’une intrigue située en Italie. Rapide et précis, ce résumé rend bien compte d’une histoire fondée sur l’utilisation de la fausse magie (d’où le titre). Pièce qui ne respecte pas toutes les règles de la comédie, mais qui a été faite pour offrir « des motifs nouveaux et piquans » au compositeur, nommé, alors que les auteurs des paroles sont restés anonymes (mais on les connaît quand même !).]

Le Magicien sans magie, opéra en deux actes, joué le 4 novembre.

La scène se passe en Italie, dans un village près de Salerne. Le Marquis Aliprandi a conçu une vive passion pour une orpheline nommée Hortense, qui, sans le savoir, a des ayeux que les parens du Marquis ont autrefois dépouillés. Hortense a été adoptée par Madame Lucinde, qui croit à la vertu des cartes, et a une grande vénération pour la magie. Le Marquis, décidé à offrir sa main à Hortense, veut auparavant éprouver son désintéressement. Il paroît à ses yeux sous le nom du secrétaire du Marquis, et réussit à lui plaire. Il y a dans le village un pauvre sorcier dont le Marquis se sert pour déterminer Madame Lucinde à lui accorder la main d'Hortense. Il lui laisse à cet effet la disposition d'un vieux château qui lui appartient dans le voisinage, et où l'on jouoit autrefois des pièces féeries. Les décorations et les machines sont toutes disposées. Le sorcier y fait venir Madame Lucinde, Hortense et Fanchette leur suivante, en leur faisant croire que c'est son laboratoire, et il s'empare de leur imagination par toutes sortes de prestiges, d'évocations et d'apparitions. Dans le nombre des amans qu'il fait paroître, Hortense distingue et choisit toujours le jeune secrétaire. Madame Lucinde est fort contrariée. Elle se fâche. Pour l'apaiser, le sorcier rend à tous les personnages leurs noms et leurs formes véritables. Plus d'obstacle alors à l'union des deux amans, et le sorcier, dépouillé de son pouvoir magique, s'humanise jusqu'à offrir sa main à la petite Fanchette.

Les auteurs n'ont pas eu la prétention de faire une comédie dans toutes les règles. Leur idée paroît avoir été d'offrir au musicien des motifs nouveaux et piquans. Leur attente n'a pas été trompée. Cette production fait honneur à M. Nicolo.

Les auteurs des paroles ont gardé l'anonyme. Ce sont ceux du Billet de loterie, joué il y a quelque temps à ce théâtre.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XII, décembre 1811, p. 289-293 :

[Pour parler d’une pièce assez légère, le critique croit utile de se lancer dans une dissertation sur la place de la magie dans la société, de regretter son déclin qu’il impute naturellement à la philosophie, cause d’une sorte de désenchantement du monde. Elle se trouve réduite à apparaître dans des pièces de théâtre qui doivent leur succès « à la féerie et aux sorciers », dont celle dont il entreprend de résumer « le plus brièvement possible » (promesse non tenue !). Commence alors l’exposé d’une histoire embrouillée mettant en scène un sorcier que personne ne prend au sérieux, et une jeune fille aux origines inconnues. Un marquis veut épouser la jeune fille, et il s’y prend de la manière habituelle : il se fait passer pour un simple secrétaire, et use de l’influence du sorcier sur la tutrice de la jeune fille pour arriver à ses fins. A coups de tours de magie et de déguisements, on réussit à faire accepter à la jeune fille le beau parti que représente ce faux secrétaire et véritable marquis. Après ce long développement (où il se pourrait bien que le critique s’amuse), on passe au jugement. On ne peut, dans un ouvrage aussi léger, reprocher les invraisemblances (jugées petites d’ailleurs) de l’intrigue, « fautes légères » couvertes par la gaieté : « le dialogue étincelle de mots heureux : on y remarque par tout une plaisanterie fine et délicate, et les paroles,même destinées à la musique, m'ont paru beaucoup plus spirituelles que ne le comporte ordinairement le genre de l'opéra-comique ». Ce qui conduit à dire beaucoup de bien de la musique : elle est « pleine de fraîcheur, d'expression, de variété », et « M. Nicolo n'en a peut-être pas encore fait de plus séduisante ». D’où le succès, u quel les acteurs ont fortement contribué. Eloge de M. Martin, qui sait ne pas abuser des roulades, à la différence de Mme Duret, qui se voit vivement reprocher de multiplier « une profusion d'ornemens monotones, qui peuvent bien étonner, mais qui certainement ne sauraient plaire », sous la pression d’un public qui l’applaudit « à contre-temps ». Mme Gavaudan, inversement, sait utiliser à bon escient une voix bien moins riche.]

Théâtre impérial de l’Opéra-Comique.

Le Magicien sans magie.

Il n'y a pas encore bien long-temps que les magiciens et la magie étaient en grande vénération, même parmi les gens d'assez haut parage ; mais aujourd'hui, grace aux progrès que la philosophie a faits jusques dans les derniers rangs de la société, on se moque assez généralement de la magie et des magicien.s Avant d'en venir là, on a commencé par les détruire, par les brûler, moyen beaucoup moins gai et bien moins infaillible ; car, ainsi que l'a fort bien dit un de nos poëtes :

Comme la vérité, l'erreur a ses martyrs.

Et pour un sorcier brûlé, il devait nécessairement en naître au moins dix autres de ses cendres. Rien n'était plus propre à faire croire à la magie que l'extrême importance avec laquelle on poursuivait les magiciens. Le moyen que l'on ne crût pas à leur puissance, lorsqu'on ne les brûlait que pour en avoir abusé, ou tout simplement même pour en avoir usé ! Depuis que l'on a pris le parti de rire au nez de tous ces honnêtes charlatans, qui ne dérangeaient l'ordre de la nature que pour se mettre en état de satisfaire aux besoins les plus naturels, et qui n'évoquaient les morts que pour ne pas mourir de faim ; le nombre en est bien diminué, et vraiment c'est dommage. Je ne parle pas du plaisir que certains amateurs pouvaient trouver à voir la lune descendre sur la terre, ni des philtres préparés par l'amour ou par la vengeance, ni même de l'évocation des ombres ou des rapports intimes avec les esprits infernaux, il n'y a rien dans tout cela de fort amusant, ni de bien aimable. Mais comment ne pas regretter ces histoires touchantes et terribles, dont le fond se rattachait aux vieilles croyances de la féerie, de la magie, de la sorcellerie ; ces histoires de revenans, d'apparitions, dont le récit charmait jadis la veillée dans les longues soirées d'hiver, et causait de si douces sensations de frayeur et de plaisir ? Autrefois on ne rencontrait pas un vieux château qui n'eût son revenant et son aventure ; aujourd'hui on a beau courir le monde, on n'y voit plus rien que de tout naturel, on n'y trouve plus rien de surprenant; les ruines les plus imposantes, les plus sombres forêts sont dépeuplées de leurs habitans chimériques, et pour tout dire enfin, par ses froides explications, par ses raisonnemens cruellement justes, la philosophie a tour désenchanté. Ce n'est pas que la magie ait entièrement disparu de la terre ; l'arbre était assez vigoureux pour ne céder à l'orage qu'après une longue résistance, et le tronc, quoique presqu'entièrement desséché, conserve encore assez de sève pour alimenter une de ses branches. On assure au moins que l'art de la divination par les cartes compte encore de fervens adeptes jusqu'au sein de la capitale de l'empire le plus éclairé de l'univers ; et l'on ajoute que des femmes fort aimables, même parmi celles qui se piquent d'incrédulité, ne dédaignent pas d'aller de temps en temps humilier leur philosophie et dissiper les ténèbres de leur ignorance aux pieds de la fameuse Mme. Voisin. Quant aux magiciens et aux loups-garous, leur crédit est tellement tombé, que nous avons vu naguères un grave tribunal refuser de recevoir une plainte en fait de sorcellerie, sous prétexta que la cause était trop badine. Il y a bien loin de là à la brûlure. Au reste, si la magie perd insensiblement son pouvoir dans le monde, elle acquiert, en revanche, de nouveaux honneurs sur le théâtre. Nos pièces à grands succès doivent tout à la féerie et aux sorciers. Et voici le Magicien sans magie qui vient encore augmenter le nombre de ces heureux ouvrages dont la réussite est fondée sur le merveilleux. Ce n'est pas qu'il n'y ait rien que de très-naturel dans le nouveau magicien.. Dès le premier coup de baguette, le spectateur est dans la confidence ; le sorcier, malgré ses grands mots, n'a pas la prétention de ne rencontrer que des dupes, et les assistans ne jouent véritablement que les rôles de compères. Il y a même des compères jusque sur la scène, car on sent aisément que, sans compère, il n'existe pas de véritable magicien. Il ne s'agit plus que d'exposer en quoi consiste les sortilèges de celui-ci, et c'est ce que je vais tâcber de faire le plus brièvement possible.

Un pauvre diable de sorcier qui., loin de s'enrichir à son métier, n'est pas assez savant pour en vivre, se voit sur le point d'être chassé d'un village dont les habitans peuvent, à juste titre, se donner pour des esprits forts, puisqu'ils se moquent de la sorcellerie. Il n'y a pas de temps à perdre. Le sorcier est à jeûn, et il ne se présente point de chaland pour alimenter sa science. Par bonheur pour lui, demeure dans le même village une jeune personne charmante, dont les aïeux possédèrent jadis de grands biens, mais qui, dépouillée par d'injustes voisins, ne laissèrent à leur digne rejetton qu'une naissance illustre, que la belle Hortense enfouit dans l'obscurité. Hortense vit sous la conduite, et passe dans le hameau pour la fille de Mme. Lucinde, très honnête personne, qui croit de tout son cœur aux sorciers et a la sorcellerie, et qui même se mêle un peu de tirer les cartes. C'est, comme on voit, une excellente pratique pour le magicien : il ne s'agit que de les mettre en rapport, et c'est une besogne dont se charge le marquis Aliprandi, jeune seigneur du voisinage, dont les ancêtres ont ruiné ceux d'Hortense, et qui, par un dessein secret de la providence, est épris des charmes de l'intéressante orpheline, dont il connaît la naissance et les malheurs. Mais le marquis est délicat, il veut être aimé pour lui-même, ne se faire connaître d'Hortense qu'avec le titre de secrétaire et sous le nom d'Henri ; et comme il a besoin d'un homme adroit pour le servir dans ses projets, il rencontre fort à propos le sorcier, qu'il commence par bien payer, et qu'il met ensuite dans sa confidence. On convient d'abord de relever, par un coup d'éclat, les actions du sorcier, qui sont au plus bas dans le village. En conséquence, muni de tout ce qui lui est nécessaire, il rassemble les habitans sur la place publique, et après leur avoir reproché leur incrédulité, il fait des miracles pour les convaincre. Ces miracles, qui consistent à changer une croix d'argent en or et à remplir une bourse vide, peuvent, à bon compte, passer pour des escamotages ; mais il ne faut pas chicaner sur les mots, un sorcier doit, dans l'occasion, savoir escamoter avec adresse, et quelques siècles plutôt, le célèbre Olivier n'aurait pas manqué d'être mis au rang des plus habiles sorciers. Quoi qu'il en soit, Mme. Lucinde, pénétrée du respect pour le magicien et frappée d'admiration pour ses prestiges, se laisse persuader de conduire Hortense dans un vieux château voisin, où l'ami du diable lui a promis de présenter à sa pupille des maris à son choix, de tout état et de toute condition, mais de véritables maris en chair et en os, et qui n'auront rien de fantastique. C'est là qu'Aliprandi attend sa maîtresse. Il y a dans le château une vieille salle de spectacle, pourvue de machines et de décorations dans tous les genres. Des gens déguisés doivent représenter des seigneurs distingués, les uns par leurs richesses, les autres par leur naissance. Mais c'est en vain qu'on veut éblouir la jeune Hortense par tant de brillans avantages, elle ne songe qu'à Henri, ne voit que lui, et cet amant fortuné la récompense en quittant l'incognito, pour déposer à ses pieds ses titres et sa fortune.

S'il s'agissait d'un ouvrage plus sérieux, on pourrait relever quelques petites invraisemblances ; mais c'est bien le moins que dans une pièce dont la magie est en quelque sorte la cheville ouvrière, on accorde aux auteurs plus de liberté. D'ailleurs, dans celle-ci, la gaieté couvre ces fautes légères : le dialogue étincelle de mots heureux : on y remarque par tout une plaisanterie fine et délicate, et les paroles,même destinées à la musique, m'ont paru beaucoup plus spirituelles que ne le comporte ordinairement le genre de l'opéra-comique. Le deuxième acte a de plus l'avantage d'être rempli de coups de théâtre et d'effets brillans qui présentent un fort beau spectacle, et si l'on y joint le charme d'une musique pleine de fraîcheur, d'expression, de variété, telle que M. Nicolo n'en a peut-être pas encore fait de plus séduisante, on concevra sans peine que ce nouvel ouvrage, dont les auteurs sont les mêmes que ceux du Billet de loterie, ait été accueilli d'un bout à l'autre par des applaudissemens unanimes.

Il faut convenir, cependant , que les acteurs n'ont pas médiocrement contribué à faire sentir tout le mérite de cette production gracieuse. Martin surtout est un enchanteur à la magie duquel on ne peut résister. Il ne prononce pas de ces mots terribles, qui, dit-on, faisaient jadis sortir les morts de leurs tombeaux ; mais ses accens ont un pouvoir secret qui plonge les vivans dans une douce extase et qui charme les oreilles les plus insensibles. Je le féliciterai, d'ailleurs, de n'avoir employé les ornemens et les roulades qu'avec une sobriété qui fait autant d'honneur à son goût que de bien à la musique du compositeur. J'en voudrais pouvoir dire autant de Mme. Duret ; mais cette cantatrice, gâtée par les applaudissemens qu'on lui prodigue à contre-temps, ne met plus de bornes à la témérité de son gosier ; elle ne chante plus, elle roucoule et s'abandonne à une profusion d'ornemens monotones, qui peuvent bien étonner, mais qui certainement ne sauraient plaire. Par quel étrange aveuglement se peut-il qu'elle s'obstine à négliger ainsi l'expression pour d'insignifiantes roulades ? Une voix si belle, si pure et si fraîche est un instrument bien précieux et bien rare, qui méritait de tomber en de meilleures mains. Mme. Gavaudan n'en a pas un si sonore ; mais elle s'en sert avec une adresse qui, jointe à la grace piquante de son jeu, lui a concilié tous les suffrages.

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