Le Mariage de Corneille

Le Mariage de Corneille, comédie en un acte, en vers, de Hyacinthe, 19 octobre 1809.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Mariage de Corneille (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

19 octobre 1809

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Hyacinthe

Almanach des Muses 1810.

Coup d'essai d'un jeune homme. Premiere représentation sans succès ; seconde représentation plus heureuse.

On ignore qui se cache derrière le pseudonyme de Hyacinthe. La pièce n'a pas été imprimée, et on ne lui connaît pas de critique conséquente dans la presse du temps. (Eric H. Kadler, Literary Figures in French Drama (1784-1834), La Haye, p. 49)

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome V, p. 375-376 :

[Les comptes rendus atteignent rarement un tel niveau de sévérité : rien ne trouve grâce aux yeux du critique, qui ouvre son article par une vive protestation contre l’audace d’un jeune auteur qui a osé « faire parler Pierre Corneille » et la manie des pièces sur les mariages d’écrivains ou d’artistes dont il donne toute une série d’exemples. Le crime du jeune auteur est d’autant plus grave qu’il s’est permis de prendre une foule de libertés avec la réalité : il « a tronqué les faits, estropié l'histoire, bouleversé les dates », sa pièce est composée de scènes empruntées un peu partout, et « il en a fait une espèce de comédie » qui n’a pas eu de succès. Au lieu de résumer l’intrigue, comme on l’attend, il se livre ensuite à un réquisitoire contre la déformation des faits, qui aboutit à faire agir Corneille de façon basse, et à prêter à Richelieu des actions dont il est éloigné (Richelieu a fait bien des « actes tyranniques », mais pas des mariages « malgré les familles » ; il respectait la plus vénérable autorité, celle des pères). Le compte rendu s’achève sur des conseils au malheureux jeune auteur : il faut qu’il sente l’étendue de sa faute, et qu’il apprenne à choisir « des sujets plus heureux ».]

Le Mariage de Corneille, comédie en un acte , jouée le 19 octobre.

Ce sont toujours les gens qui ignorent leurs forces, que l'on voit entreprendre les tâches les plus difficiles. Quel poète auroit été assez hardi pour faire parler Pierre Corneille ? Un débutant l'a fait : aujourd'hui l'on marie au théâtre les grands et petits auteurs, les peintres et les acteurs ; depuis Scarron, l'on y a marié Racine, Dufreni, Raphaël,1'Arioste, Rigaut, Dancourt, etc., etc. Il n'y a pas jusqu'à Collé, que l'on a marié aux Variétés (1). Revenons à Corneille. L'auteur qui l'a mis en scène, a tronqué les faits, estropié l'histoire, bouleversé les dates ; il a pris des scènes à droite et à gauche : il en a fait une espèce de comédie, et il a été sifflé. S'il ne pouvoit pas faire parler comme il convient l'auteur du Cid, au moins devoit-il le faire agir dignement. Corneille n'a jamais eu la bassesse de vendre sa plume à Richelieu pour obtenir qu'il lui fît épouser celle qu'il aimoit. Le père de la jeune personne, magistrat distingué, reçoit de la part de Richelieu un ordre qui l'effraye beaucoup ; sa frayeur redouble, lorsqu'il entend une conversation où il s'agit de prison, d'échafauds et d'autres gentillesses semblables ; il se croit trop heureux, en apprenant que celui qui parle ainsi est un auteur tragique, et que le Cardinal ne l'a mandé que pour le faire consentir au mariage de sa fille avec Corneille. Richelieu a sur le corps bien assez d'actes tyranniques sans lui en mettre un auquel il n'a pas pensé: Il ne s'amusoit pas à marier les gens malgré les familles, et s'il est une autorité plus respectable que celle des rois, c'est celle d'un père. M. Hyacinthe, auteur de cette petite pièce, sentira sans doute combien il s'est égaré, et, s'il veut suivre la carrière dramatique, il choisira des sujets plus heureux.

(1) Voyez pag. 379. [C’est la page où se trouve la critique du Mariage de Charles Collé, ou la Tête à perruque.]

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XII, décembre 1809, p. 279-285 :

[La pièce, qui n’a pas très bien réussi, pose le problème que posent toutes ces pièces où l’on met en scène des gens célèbres : ces gens extraordinaires, il faut qu’on nous les montre dans des situations ordinaires, et on le voit alors tel que nous ne le connaissons pas. L’anecdote présentée à propos de Corneille, c’est celle de son mariage avec la fille d’un lieutenant d’un bailliage, qui refuse que sa fille épouse un personnage dont il ignore le talent d’auteur, et qui cède quand Richelieu intervient. Comme le sujet ne semble pas enthousiasmer le critique, celui-ci se permet quelques hors-sujets, sur la surprise de Fouquet quand il apprend le mariage de Lauzun et de la grande Mademoiselle, ou sur l’anecdote bien connue de Mademoiselle de Scudéry dont un aubergiste pense qu’elle médite un assassinat royal. Il faut bien finir, et la pièce est jugée peu intéressante, les vers peu « cornéliens ». Une partie de public a sifflé, une autre a demandé l’auteur, et il a été nommé.]

Théâtre de l'Impératrice.

Mariage de Corneille.

Depuis quelques jours les hommes célèbres ne tiennent pas bien sur nos théâtres ; commencerait-on à s'appercevoir que ce n'est pas tout-à fait leur place ? Lavater mal reçu au Vaudeville, Corneille assez mal traité à l'Odéon, cela devient d'un dangereux exemple ; et si nous n'avions pas pour nous rassurer la jeunesse du Grand-Fréderic, nous pourrions craindre de ne voir bientôt plus les grands hommes que dans l'histoire ou dans leurs ouvrages, et ce ne serait pas du tout la même chose que de les voir au Vaudeville. Le beau plaisir que celui de voir un grand homme sous l'aspect où il est grand ! Dans les hommes ordinaires, ce qu'on juge propre à nous frapper, c'est ce qu'ils ont fait d'extraordinaire. Pour que les hommes extraordinaires vaillent la peine de nous être montrés, il faut choisir le moment où ils font des choses ordinaires. Nous ne sommes familiers avec eux que par ce qui les distingue du commun des hommes. Pour nous dire quelque chose de nouveau sur Corneille, ira-t-on nous le montrer poëte tragique ? Il y a plus de cent cinquante ans que nous le voyons comme cela à la Comédie-Française. Il faut donc nous apprendre, pour nous donner le plaisir de la nouveauté et de la surprise, que Corneille parlait, marchait et se mariait tout comme un autre. Nous dirons peut-être, ce n'est pas-là le Corneille que nous connaissons ; car ce Corneille, dont nous sommes accoutumés à nous occuper ne se présente point à notre esprit sous l'aspect d'un homme qui parle, qui marche et qui se marie, mais sous celui d'un homme qui fait de belles tragédies. Sans doute nous accordons bien qu'il devait parler, marcher et pouvait se marier ; mais ce n'est point dans ces actions et ces circonstances que nous l'avons rencontré ; nous pourrons l'y voir sans le reconnaître, et sans nous croire obligés à la rigueur de retrouver dans ce portrait les traits de Corneille plutôt que ceux d'aucun autre. Je conviens pourtant que l'anecdote qu'on raconte sur son mariage pouvait tenter un auteur comique, et l'on assure que M. Laujon en a su tirer une pièce en trois actes, représentée à Rouen avec le plus grand succès, le jour de la Saint-Pierre, fête de Pierre Corneille, et qui, reçue depuis long-temps à la Comédie-Française, nous tiendra sans doute tout ce que fait espérer l'esprit de son auteur ; mais pour qu'on en puisse tirer des effets comiques, ce trait doit être conservé tel qu'on le raconte. Le cardinal de Richelieu ayant appris de Corneille qu'il était amoureux et sans espérance d’épouser sa maîtresse, dont le père lieutenant du bailliage d'Andelys, ne pensait pas comme Francaleu :

                Qu'un ouvrage d'éclat
Anoblit encore plus que le capitoulat,

on qu'une lieutenance de bailliage, et trouvait par conséquent que Corneille, dont il connaissait peut-être à peine les premiers succès à Paris et dont il ignorait l'accès à la cour, était un beaucoup trop mince parti pour sa fille. Eh bien, lui dit le cardinal, offrez-lui votre protection auprès de moi. Corneille, d'abord un peu étonné, profite cependant de la permission ; le cardinal fit honneur à ses promesses, et le lieutenant qui en éprouva la solidité fut ravi de donner sa fille à un homme qui portait en mariage sa protection auprès du cardinal de Richelieu. On peut sans doute tirer des scènes comiques de l'étonnement d'un lieutenant de bailliage qui, bien gonflé de sa dignité, s'entend offrir par un jeune homme qu'il regardait à peine, sa protection auprès du premier ministre. Il doit d'abord le croire fou, comme Fouquet le pensa de Lauzun, lorsqu'enfermé depuis dix ans à Pignerol, il apprit de celui-ci, qui venait d'y arriver, qu'il avait été au moment d'épouser la grande mademoiselle ; mademoiselle, fille de feu monsieur ; mademoiselle, petite-fille de Henri IV ; Mlle. d'Eu, Mlle. de Dombes, Mlle. de Montpensier, Mlle. d'Orléans, mademoiselle, cousine germaine du roi; mademoiselle, destinée au trône; mademoiselle, le seul parti en. France qui fût digne de monsieur ». Encore Fouquet, qui avait vu la cour, savait que les princes et les princesses sont faits comme tous les hommes et comme toutes les femmes, qu'ils peuvent de même avoir des fantaisies et des aventures ; il avait vu de trop près ces dieux pour ne pas concevoir qu'ils pussent quelquefois se rapprocher des mortels ; mais pour un lieutenant d'un petit bailliage, un premier ministre devait être un être d'une nature supérieure, dont il n'avait point l'idée qu'un homme ordinaire pût approcher, et dont il aurait volontiers dit comme les juifs au pied du mont Sinaï : Que le Seigneur ne nous parle point, de peur que nous ne mourions. On peut se représenter d'une manière plaisante la première incrédulité du lieutenant, les différent degrés de conviction par lesquels on le fait passer, son étonnement et le profond respect qu'il conçoit pour un homme qui parle au premier ministre, tout comme je vous parle. Mais il n'y a rien de gai dans l'idée qu'a eue l'auteur de la pièce nouvelle de faire mander par le cardinal le pauvre lieutenant, qui arrive mourant de peur et ne sachant que penser d'un pareil ordre. Avoir peur d'un premier ministre, sur-tout lorsque c'est le cardinal de Richelieu, cela n'est pas plaisant ; et cette terreur assez raisonnable, écarte ce que pourrait avoir de gai la frayeur qu'inspire au pauvre lieutenant une conversation qu'il entend entre les cinq auteurs du cardinal, Corneille, Bois-Robert, l'Etoile, Rotrou et Colletet. et qui, ne sachant comment se défaire d'un juge, personnage d'une de leurs tragédies, balancent entre le poison, le poignard et l'échafaud. Ce trait, employé déjà plusieurs fois, est infiniment plus comique dans l'aventure attribuée à Mlle. de Scudery et qui en a donné l'idée. On sait, ou du moins l'on dit que, voyageant avec son frère et s'entretenant avec lui du roman de Cyrus, que ferons nous, disait-elle, du prince Mazare, l'un des personnages de ce roman ? Elle voulait s'en défaire et balançait entre le fer et le poison : Il n'est pas encore temps, disait Scudery. Cette discussion alarma vivement l'aubergiste qui, les écoutant à travers la porte, pensa que le prince Mazare était un nom déguisé, et que le projet des assassins ne menaçait pas moins que quelqu'un des princes de la famille royale. Il alla en toute diligence avertir la maréchaussée, et Mlle. de Scudery et son frère, conduits à Paris sous bonne escorte, n'eurent pas de peine à se tirer d'affaire. Il y a certainement quelque chose de bien plus comique dans l'empressement et les conjectures d'un homme qui croit faire une découverte, dans l'attention et la gravité d'un commissaire qui se flatte d'avoir à traiter une affaire majeure, dans le premier étonnement des accusés qui peuvent ensuite se divertir à augmenter et à confirmer l'erreur, que dans l'effroi d'un pauvre homme qui craint qu'on ne lui fasse un mauvais parti. Cet effroi a été bientôt dissipé par la connaissance des intentions du cardinal, qui sont que le lieutenant donne sa fille à Corneille. L'intérêt a été médiocrement excité par cette intrigue. Les vers de la pièce n'ont pas paru cornéliens ; quant à moi, j’ai trouvé telle rime..... Quelques spectateurs plus difficiles qui, comme Baliveau, ont trouvé tout mauvais, l'ont prouvé en sifflant d'une manière peu équivoque ; d'autres, d'avis différent, ont demandé l'auteur ; c'est à ceux-là qu'on s'en est rapporté, et l'on a nommé M. Hyacinthe.

P.          

 

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