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Ma tante Aurore, ou le Roman impromptu

Ma tante Aurore, ou le Roman impromptu, opéra-bouffon en trois, puis deux actes, de Longchamps, musique de Boieldieu (musique), 23 nivôse an 11 [13 janvier 1803].

Théâtre de l'Opéra Comique, rue Favart.

[La pièce, d'abord en trois actes, avait reçu un très mauvais accueil, le troisième acte et les enfants naturels qu'il montrait ayant choqué le public. La préface de l'auteur revient sur ces incidents. Exemple édifiant du poids des convenances sur le théâtre : le public semble ne rien lasser passer (les enfants naturels ne le sont en rien : ils ne sont pas les enfants de l’héroïne, et de toute façon, s’ils l’étaient, elle est censée avoir épousé le père).]

Titre :

Ma tante Aurore, ou le Roman impromptu

Genre

opéra-bouffon

Nombre d'actes :

3, puis 2

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

23 nivôse an 11 [13 janvier 1803]

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique, rue Favart

Auteur(s) des paroles :

Longchamps

Compositeur(s) :

Boieldieu

Almanach des Muses 1804

Ma tante Aurore, une vieille folle, à qui la lecture des romans a tourné la tête, ne rêve qu'aventures, souterrains, enlèvemens, et croit en conséquence devoir refuser la main de sa nièce à un homme qui la demande, sans avoir passé par les épreuves que les romanciers font subir à leurs héros. Les deux amans, pour se prêter à sa manie, jouent une scène de roman. Léon feint de délivrer la jeune pupille d'entre les mains d'un ravisseur, et la ramène dans les bras de sa tante. Celle-ci, enchantée de ce trait de bravoure, retient le jeune homme chez elle ; les deux amans supposent alors entre eux des rapports singuliers, une sympathie surnaturelle, et mille autres folies qui étonnent et ravissent ma tante Aurore. Elle veut éprouver leur passion par une absence de cinq ans. Léon joue le désespoir, et tire un poignard dont il veut se percer le sein. Ma tante Aurore effrayée, et prête à s'évanouir, jure d'unir les deux amans. Léon laisse tomber son poignard, le jardinier le ramasse, et s'apperçoit que la lame rentre dans le manche. Ma tante Aurore est furieuse ; mais elle est enchaînée par son serment, et Léon épouse sa maîtresse.

De l'originalité, de la gaieté, des scènes d'un excellent comique. Musique pleine de graces et d'expression.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an XI – 1803 :

Ma Tante Aurore, ou le roman impromptu, opéra bouffon, Sifflé en trois actes le 23 nivôse, applaudi en deux, le 25 du même mois, au théâtre Feydeau.

[Une sorte de préface revient sur le destin singulier de la pièce et de son troisième acte perdu :]

A CEUX QU’A SCANDALISÉS MON TROISIÈME ACTE.

UNE préface à un Opéra comique?.... Ah ! c’est mettre aussi trop d’importance à une bouffonnerie !... Eh ! là, là, messieurs ; n’allez-vous pas juger ma préface sans la lire, comme vous avez sifflé mon troisième acte sans l’entendre ? Si je n’écrivais celle-ci que pour consulter les casuistes, si je ne voulais que leur demander les lumières pures, faute desquelles j’ai blessé, sans le savoir, les mœurs publiques, les convenances sociales et la chasteté du parterre..... ne vous paraîtrais-je pas excusable, et dédaigneriez-vous d’instruire et d’éclairer un pauvre auteur, bien moins malheureux de sa chute, que du reproche d’immoralité qu’on lui fait?..; Encore, du moins, s’il sentait sa faute, il pourrait, à l’avenir, en éviter une semblable ! Mais telle est son ignorance en morale, qu’il ne soupçonne pas même en quoi il a péché. Effrayé d’un tel aveuglement, il tremble de penser, de parler et d’écrire, jusqu’à ce que vos réponses lumineuses à quelques questions qu’il osera vous faire, aient dissipé les ténèbres où s’égare son esprit. Vous ne vous y refuserez pas, sans doute ! Les Vertus sont sœurs comme les Grâces, et. quand on se montre aussi pudique, on doit être un peu charitable.

Si la maternité n’est que le résultat du mariage, si, dans ce cas, elle honore au lieu d'avilir, en quoi ai-je avili une femme que je ne suppose mère qu’en la supposant épouse ?... Serait-ce qu’un hymen secret déshonore ? Revêtu des formes légales et religieuses, n’a-t-il pas toujours, aux yeux des lois et de la religion, légitimé l’existence des enfaus qui en peuvent naître ? Quand vous applaudissez, au premier théâtre de l’Europe, une de nos plus jolies Comédies modernes, quand vous courez voir, aux Français, le Mariage secret, rougîssez-vous de l’intérêt que vous inspire Emilie ? Quand vous pleurez à Eugénie, quand elle avoue au fier baron Hartley qu’elle porte dans son sein le gage d'une union mystérieuse et même illégitime, rougissez-vous des larmes qu’elle vous fait verser ? Quand Lisbeth ne doit qu’à son petit bâtard le pardon de son père et le vôtre ; quand l’amante du Major Palmer se marie pour.légitimer son fils, rougissez-vous de pleurer à ces romans comme de véritables Gérontes ? Non ; vous sanctionnez, par vos applaudissemens, par vos larmes, la faute d’une fille vraiment coupable, et par conséquent avilie ; et quand un valet et une soubrette intrigans imaginent un pareil conte, vous vous révoltez d’une supposition dont la réalité vous fait larmoyer tous les jours ! et vous regardez comme déshonorée celle dont on a respecté la délicatesse au point de ne pas oser l’instruire d’une ruse dont dépend son bonheur ! Et vous regardez comme avilie celle qui, plutôt que de se prêter une minute à ce mensonge assez excusable, s'expose à perdre son amant !.... Avez-vous beaucoup de cousines aussi vertueuses que ma cousine Julie ?. Je vous en félicite pour l’honneur de votre famille ; mais je vous plains si telle est votre maîtresse, car vous pourriez bien, quoique vous en disiez, lui‘reprocher d'être un peu bégueule, si, libre de s'unir à vous, elle aimait mieux vous perdre que d’entretenir un instant l’erreur d’une vieille tante.... Erreur que nul autre ne partage, erreur qui doit à-jamais rester secrète ; car, bien que vous fassiez-là, messieurs, Julie n’a pas dû prendre garde à vous.

Mais, a-t-on dit encore, des enfans si grands, attribués à une femme si jeune, présentent des idées.... Ah ! messieurs, vous avez vraiment trop d’imagination !.... Et d’ailleurs, serait-ce une raison pour me siffler ? Est-ce ma faute ? Ce n’est pas moi qui avais fait mes enfans ; et j’ai cela de commun avec tant d’autres, qu’à cet égard, du moins, je m’attendais à l’indulgence.... Quand vous voyez Armand, dans la Mère coupable, passer pour le fils naturel de madame Falma, vos sifflets cruels la punissent-ils de vous sembler trop jeune et trop jolie pour avoir fait un aussi grand garçon ?.... Tenez, vraiment, vous n’êtes pas justes, et malgré la loi qui le défend, vous gardez toujours deux poids et deux mesures.... Oserais-je vous demander aussi comment, après avoir admis le caractère de ma tante pendant deux actes, vous vous étonnez, au troisième, de la voir s'attendrir sur le sort de deux époux persécutés et de deux enfans malheureux ? Je vous ai rappelé que vous en faisiez autant tous les jours, et je ne vois pas trop là ce qui vous fâche.... si ce n’est peut-être d'avoir osé rire de ce qui est en possession de vous faire pleurer. Vous me diriez presque comme ma Tante Aurore à Valsain :

Ainsi, vous ridiculisez
Les objets les plus respectables!

Vous mériteriez que ce que vous avez sifflé en Opéra bouffon, vous fût présenté dans un bon Drame bien sombre, bien farci de sentences et de maximes banales ; cela vous édifierait peut-être autant que vous a scandalisés ma Tante, et je ne dis pas que je n’en ferai point l’essai.... Je ne veux pas perdre ma tour du nord, et vous m’avez laissé sur les bras deux enfans que je dois chercher à placer si je suis bon père.

Savez-vous une remarque qui me console un peu dans vos critiques ? c’est qu’en vous efforçant de deviner ce que nul de vous n’a pu entendre, vous avez tous imaginé un acte beaucoup plus indécent que le mien ; votre indignation porte alors beaucoup plus sur vos propres conceptions que sur les miennes, et je ne sais pas trop pour la morale de qui cela prouve..... Cela me rappelle une vieille dévote presqu’aussi vertueuse que vous pouvez l’être, qui ne trouvait rien de si indécent qu’une femme grosse, vu les idées que cela rappelle ; elle ne voulait pas même qu’on dit en société : mademoiselle une telle se marie.... parce que ce changement d'état présente à l’imagination des tableaux que redoute la pudeur.... Au reste, quand on m’aura prouvé que je l’ai blessée.dans ma Tante Aurore, je demanderai peut-être aussi que l’on me prouve comment c’est un défaut pour un dénouement de n’être pas deviné avant l’acte qui l’amène, quand il est d‘ailleurs attaché au premier par l’exposition, au second par un lien très-fort, et à toute. la pièce par les caractères et par le titre ?..... Mais je tiens moins à l’honneur de mon troisième acte qu’à celui de ma cousine Julie, et je l’ai prouvé par ma prompte déférence à l’opinion publique, tellement acharnée contre cet acte proscrit, que plusieurs voix en demandaient la suppression même avant qu’il fût commencé.... Je ne l’imprime donc ici que pour la justification de Julie et la mienne, et je tiendrai notre moralité pour bien réhabilitée, si personne ne répond par des raisons meilleures à celles que je viens d’alléguer pour notre défense.

Nota. Tout ennuyeuse que soit la lecture d’un Opéra, je prie ceux de mes amis qui auront un moment à perdre, de jeter les yeux sur le troisième acte ; je l’imprime exactement tel qu’il a été joué, afin qu’on le juge avec impartialité, non comme conception dramatique ; je l'abandonne , sous ce point de vue, aux sifflets qui l'ont tué, mais par rapport aux reproches d'immoralité qu'on lui fait, et que j'ai cru devoir repousser ; c'est par respect pour l’opinion publique elle-même, que je me crois, dans ce cas, obligé de la combattre.... J’ai seulement laissé, de plus qu’à la représentation, deux couplets que M. Gavaudan ne crut pas devoir chanter dans le tumulte, mais dont l’air charmant est digne de figurer à côté de tous les chants heureux qu’a prodigués, dans cet opéra, l'aimable compositeur à qui je dois d’être encore retombé sur deux pieds.

Courrier des spectacles, n° 2140 du 24 nivôse an 11 [14 janvier 1803], p. 2-3 :

[La pièce nouvelle est placée sous le signe de la satire, celle des romaans anglais à la mode, dont tous les clichés sont présents, l’un d’eux étant même jugés cause de l’échec relatif de la pièce; Le résumé de l’intrigue est fort long et fort précis, sans jugement critique à part l’annonce de ce qui permettra de critiquer la pièce, la ruse de Valsain et Frontin, que Julie refuse de cautionner. Cette réticence est justement ce qui amène le dénouement : la tante approuve ce qu’elle refusait absolument auparavant. La critique de la pièce commence par le constat de la présence de longueur, l’une dans le premier acte (mais est-ce bien une longueur ? il s’agit plutôt, semble-t-il, d’une question de convenance, on ne dit pas en face à sa maîtresse qu’elle est une « vieille extravagante »). Même reproche au deuxième acte, mais sans précision. Par contre le troisième acte est plus vivement attaqué. Le critique propose de le modifier fortement, ce qui ferait disparaître ce que le public a « improuvé », c’est-à-dire la ruse prêtant des enfants à Julie : visiblement, c’est une considération morale qui guide le critique. C’est que la pièce mérite de réussir, en particulier pour la qualité de la musique (l’auteur du texte est moins mis en valeur !). Si l’ouverture paraît mal intégrée à l’ensemble de l’opéra, plusieurs morceaux sont considérés comme des œuvres remarquables, morceaux auxquels le critique promet un bel avenir. La fin de la représentation a été houleuse, et le critique rapporte des incidents fâcheux avant qu’enfin on se décide à nommer les auteurs.].

Théâtre Feydeau.

Première représentation de Ma Tante Aurore.

Le but de cet opéra est très-ingénieux. L’auteur y fait la satyre de tous les romans anglais à spectres, poignards, etc. Il y fait figurer même une tour du Nord, mais il falloit peut-être se contenter de la nommer sans y transporter son troisième acte. Il auroit pu s’applaudir d’un succès complet, tandis que sa tour du Nord est précisément l’écueil contre lequel il est venu échouer ; car son premier acte est rempli de jolies choses et de mots très-spirituels. Le second lui-même soutenoit assez bien le premier quoique plus foible.

Dame Aurore, tante presque sexagénaire et tutrice de Julie, habite un château antique, et là se fait lire chaque jour un roman nouveau, ce qui lui a tellement tourné la tète, qu’elle ne veut entendre à aucune proposition de mariage pour sa nièce à moins que le prétendu ne soit un héros. M. de Valcour, ancien marin et nouveau possesseur de la terre voisine, lui a proposé son neveu Valsain, jeune homme que Julie a connu à Paris et que la Tante a refusé très-séchement. Cependant Valsain,qui a conservé le souvenir le plus cher de la jeune personne, arrive sous les murs du château avec Frontin, son valet, qui a des intelligences dans la place ; car il aime Marton, suivante de Julie, et Marton le paie de retour ; c’est au mieux. Une promenade du matin facilite l’entrevue de nos amans. Maintenant Valsain se présentera-t-il simplement au château ? La Tante, qui ne veut que des choses extraordinaires, ne l’acceptera point pour neveu. Mais elle ne le connoit que de nom, il faut en changer, prendre celui d’Edmond ; il faut offrir des aventures de roman à la dame, puisqu’elle les aime : on feindra un enlèvement, on supposera des ravisseurs, des défenseurs, etc. : ces derniers seront Valsain et Frontin. La chose en effet se passe comme on est convenu. Julie enlevée est ramenée parle prétendu Ed mond, que la Tante embrasse ainsi que Frontin, qui a comme son maître pris un costume analogue à son nouveau rôle. Introduits dans le château ils paroissent de plus en plus a Aurore des hommes au-dessus du commun. Frontin s’est habilement emparé de son esprit, et il l’a engagée à faire une épreuve qui doit décider si les deux amans sont réellement épris l’un de l’autre. L’épreuve réussit à merveille ; Julie et Valsain se jettent aux pieds de la Tante, qui leur promet de les unir après cinq ans d’absence. Valsain furieux veut se poignarder. La Tante effrayée consent au mariage, et .. les amans ne sont pas unis encore. Un maudit Concierge qui n arrêté le bras du jeune homme, lui a arraché son poignard ; il l’essaie, il voit que cette arme n’est pas meurtrière, c’est un poignard de théâtre ; il découvre en outre la lettre de M. de Valcour qui annonce à Valsain le premier refus de la vieille folle. Il fait part du tout à la Tante qui chasse Valsain et Frontin. Le concierge qui au nom de Valsain a reconnu son étourderie, s’empresse de la réparer. Il donne au jeune homme et à son valet rendez-vous au petit bois sous la tour du Nord. Il y introduit Frontin, qui s’y déguise en pauvre femme chargée de nourrir deux petits enfans. Le Concierge y amène à minuit la tante Aurore, aux pieds de qui la fausse nourrice se jette en lui déclarant qu’elle est là depuis cinq ans et qu’elle attend cette nuit même le père de ces deux enfans. A un signal convenu Valsain entre et avoue devant la Tante qu’il est père des enfans dont il déclare que Julie est mère. (Cette situation a généralement été jmprouvée, sur-tout lorsqu’on a vu les enfans eux-mêmes appeler Julie du nom de mère. La niece veut détromper sa tante et se refuse à ce stratagème indigne d’elle. Elle fait un aveu sincère ; Aurore pardonne tout et unit Valsain à Julie et Frontin à Marton.

Le premier acte offre un morceau qui fait longueur et qui est contre toute convenance ; c’est le duo entre Aurore et son Concierge, dans lequel celui-ci la traite presqu’en face de vieille extravagante. C’est à regret que nous voudrions qu’il disparût, parce qu’il y a des choses charmantes, et que l’on y remarque sur-tout un délicieux accompagnement de basse.

Il y a aussi des longueurs dans le second acte, mais le troisième est à changer totalement. S’il nous étoit permis de hazarder ici notre avis, nous aurions desiré que l’auteur eût profité des données que lui fournissoit la passion subite de la Tante pour Frontin déguisé. Frontin, pour accélérer le mariage de son maître, auroit pu presser le sien avec la vieille, qui sans doute n’auroit pas exigé pour elle cinq ans d’épreuves ; de-là la nécessité de consentir à l’union des deux jeunes gens ; de-là peut-être des scènes de jalousie de Marton, etc. Nous ne faisons qu’indiquer notre idée, qui nous est suggérée par le desir de voir réussir un ouvrage qui honore l’auteur et le compositeur. Ce dernier sur-tout a déployé un talent rare dans plusieurs morceaux. Car à l’exception de l’ouverture, qui est un peu étrangère au sujet, il ne peut que s’applaudir d’avoir fait le beau quatuor du premier acte, l’air superbe du second :

Nous suivions a cheval la lisiere d’un bois.

et sur-tout le duo charmant entre Frontin et Marton :

De toi, Frontin, je me défie....

et plusieurs autres airs que l’on entendra longtems avec plaisir.

Le parterre s’est obstiné à demander les auteurs; et même impatienté d’attendre, il a exercé quelques violences sur les instrumens et les tabourets de l’orchestre. Enfin on est venu nommer pour les paroles le cit. Longchamp, et pour la musique le cit. Boieldieu.

Les acteurs ont joué chacun leur rôle de maniere à mériter tous les suffrages.

F. J. B. P. G***.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, huitième année (an XI – 1803), tome cinquième, p. 117-118 :

[Le compte rendu règle d’abord la question du passage de trois à deux actes, en lui donnant deux causes, les inévitables longueurs (reproche fait à tant de pièces) et « des scènes de mauvais goût : il suffit de supprimer les longueurs, sans doute largement en supprimant les scènes « de mauvais goût », et tout est réglé (mais ce serait bien de dire en quoi consistaient ces scènes « de mauvais goût » : les enfants qu'on prête à Julie). La suite du compte rendu est consacrée d’abord à l’analyse de la pièce. Le terme de « folie » la définit assez bien, et le critique trouve l’ouvrage « fort amusant », et lui promet un bel avenir. Deux interprètes sont mis en avant, celle qui joue la tante Aurore, et celui qui joue un valet : tant pis pour les autres. La musique de Boieldieu est « jolie » (c’est assez peu), et le mieux traité est l’auteur des paroles, qui vient de connaître deux succès en deux semaines.]

THÉATRE FEYDEAU.

Ma Tante Aurore, ou le Roman impromptu.

On a joué cet opéra en trois actes, le     nivose. ll offroit quelques longueurs et des scènes de mauvais goût vers la fin. On l'a rejoué en deux actes, et il a eu un très-grand succès.

Ma tante Aurore est une vieille folle entêtée de romans. Elle refuse la main de sa nièce à un jeune homme qui a eu la mal-adresse de la lui demander tout bonnement et sans autre formalité. Voyant qu'il faut prendre d'autres moyens, on profite de la manie de -Ma tante Aurore pour bâtir un roman impromptu. La nièce est enlevée et sauvée au même instant par l'amant qui obtient ainsi accès dans la maison. Ensuite on fait agir les rêves, les pressentimens, la sympathie ; la Tante propose des épreuves : mais leur longueur désole l'amant qui menace de se tuer, et pour rendre la situation plus pathétique, montre un poignard qui lui est bientôt arraché ; enfin, pour arrêter les effets de ce violent désespoir, ma Tante Aurore jure solennellement d'unir les deux amans.. Le jardinier ramasse alors le poignard, et fait remarquer que la lame s'enfonce dans le manche. La Tante voit qu'on s'est moqué d'elle, mais on la tient par son serment, et on l'apaise en lui promettant de lui lire tous les romans nouveaux.

On peut appeler cette piece une folie. Mais, quel que soit son titre, c'est un ouvrage fort amusant. Et, comme on aime maintenant la gaieté, je ne doute pas qu'il ne se soutienne longtemps : il est d'ailleurs joué et chanté d'une manière charmante.

M.me Gonthier est vraiment unique dans le rôle de ma tante Aurore ; et Martin, qui s'est surpassé dans le rôle de valet, a bien fait valoir la jolie musique de M. Boieldieu. L'auteur des paroles est M. Longchamps, qui peut compter en quinze jours deux brillans succès à deux de nos premiers théâtres. C'est ce qui a fait dire , à une actrice du théâtre français, que Longchamps seroit couru cette année.        T. D.

L’Esprit des journaux français et étrangers, trente-deuxième année, pluviôse an XI [février 1803], p. 212-215 :

[Le compte rendu explique d’abord le caractère de cette fameuse tante Aurore, personnage central de la pièce. Il raconte ensuite comment les amants qu’elle refuse de marier arrivent à lui faire accepter leur union, malgré la découverte de la ruse qu’ils ont employée pour obtenir qu’elle change d’avis. La pièce nouvelle est présentée ensuite comme une nouvelle adaptation du roman Caroline, qui avait subi un échec mémorable en 1790 [plus exactement le 2 décembre 1789]. La nouvelle version a obtenu un net succès, « par une foule de détails piquans » qui font oublier le ridicule un peu forcé du caractère de la tante Aurore. La pièce est bouffonne, mais elle est pleine d’esprit. La musique que Boyeldieu est à la fois « toujours placée à propos, & […] infiniment spirituelle ». La pièce, réduite de trois à deux actes, a donc pleinement réussi (mais le critique ne dit rien de ce troisième acte qui avait produit un grand désordre à la première, et de la façon dont la pièce est passée à deux actes. L’auteur du livret est cité, ainsi que le succès de son autre pièce du moment, le Séducteur amoureux.]

THÉATRE DE L'OPÉRA-COMIQUE, RUE FEYDEAU.

Ma Tante Aurore, opéra-bouffon, en deux actes.

Ma tante Aurore est une vieille demoiselle que la lecture des romans a égarée au point de ne plus pouvoir souffrir le naturel ; elle ne rêve qu'aventures, sentimens passionnés, coups de foudre, événemens tragiques, & tout ce qui reste dans le cercle des événemens domestiques & bourgeois lui paroît indigne d'attention : elle refuse en conséquence la main de sa nièce à un homme qui l'a demandée dans les formes ordinaires.

L'amant, au désespoir de ce refus, se concerte donc avec son valet, avec sa maîtresse & une soubrette, pour faire tourner la manie de la tante Aurore à son avantage.

On commence au premier acte par supposer, de concert, une attaque simulée, où l'amant sauve sa maîtresse des mains d'un prétendu ravisseur, & à l'aide de ce stratagêne on s'introduit dans la maison.

Au second acte, on s'empare de l'esprit de la tante Aurore, on suppose des rêves, des pressentimens, on assure que les deux amans sont saisis, en se voyant, d'un de ces coups de foudre auxquels rien ne résiste, on parvient à s'en convaincre. Ma tante Aurore veut éprouver cette passion par une absence de cinq ans, suivant les us de la romancie ; le désespoir s'empare de Léon : il tire un poignard, il veut s'en frapper ; ma tante Aurore jure solemnellement d’unir les deux amans pour arrêter ce noble désespoir. Le jardinier ramasse le poignard ; il s'apperçoit que la lame rentre dans le manche & qu'on a joué une scène de comédie. Ma tante Aurore est furieuse, mais son serment l'enchaîne : après quelque résistance, la promesse qu'on lui lira tous les romans nouveaux la détermine, & les amans sont unis.

Le caractère de ma tante Aurore est esquissé dans le joli roman de Caroline ; & ce qui paroîtra bizarre, c'est qu'il déplut souverainement au théâtre où l'on avoit mis le roman de Caroline en action en 1790 ; quoiqu'il n'y fût qu'accessoire & bien moins prononcé, il fit tomber la pièce. Mme. Gontier, chargée alors du rôle principal, peut encore s'en souvenir. Ici, devenu personnage principal, il a réussi complettement : il est vrai que l'auteur a eu l'adresse de racheter, par une foule de détails piquans, ce que ce caractère pouvoit avoir de ridicule & de forcé. C'est une bouffonnerie ; mais où l'esprit perce sans cesse à travers le masque, & c'est ainsi qu'il est permis d'être bouffon.

La musique a le double mérite d'être toujours placée à propos, & d'être infiniment spirituelle. Elle est du C. Boyeldieu ; aussi l’ouvrage qui avoit paru un peu long en trois actes, a-t-il obtenu un succès brillant, dès qu'on l'a réduit en deux.

Les paroles de cette jolie bluette sont du C. Longchamps , le même qui a reçu dans le Séducteur amoureux, les honneurs d'un double triomphe sur la scène.

[D’après le Trésor de la langue française, la romancie, c’est « l’art d’écrire des romans, la création romanesque ». Le mot, qualifié de vieux, est illustré par un exemple emprunté à un roman de George Sand. C’est aussi le nom d’un pays imaginaire visité par le héros du Voyage merveilleux du Prince Fan-Férédin dans la Romancie, de Guillaume Hyacinthe Bougeant (1735). On peut penser que le critique pense à ce roman, même s’il a omis la majuscule.]

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