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Le Nouveau Réveil d'Epiménide

Le Nouveau Réveil d'Épiménide, comédie en un acte et en prose, d'Étienne et Gaugiran-Nanteuil, 4 février 1806.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Nouveau réveil d’Épiménide (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

4 février 1806

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Étienne et Gaugiran-Nanteuil

Almanach des Muses 1807.

Allégorie sur le succès des armées françaises. Épiménide, qui s'est endormi en l'an VII, s'éveille après la bataille d'Austerlitz, et la prise de Vienne ; sa joie et son admiration sur les changemens qui se sont opérés pendant son sommeil forment le nœud et le comique de ce petit ouvrage.

De l'esprit de tous les tons ; des paquets à toutes les adresses.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Mad. Masson, 1806 :

Le Nouveau Réveil d’Épiménide, comédie-épisodique en un acte, en prose ; Par MM. Etienne et Gaugiran-Nanteuil ; Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Impératrice, le 5 Février 1806. Et dédiée à Son Excellence Monsieur Maret, Ministre-Secrétaire d'Etat, grand'cordon de la Légion d'honneur, et grand'croix de l'Ordre de Bavière.

Courrier des spectacles, n° 3293 du 6 février 1806, p. 2 :

[Après le Réveil d’Épiménide, le Nouveau Réveil d’Épiménide : après 70 ans de sommeil, 7 ans de sommeil, et le philosophe se réveille en plein pays merveilleux. Le critique ne veut sans doute pas prendre de risques, et il préfère essentiellement, après avoir donné le nom des auteurs, donner des exemples de couplets, qui tournent tous à la gloire de la France nouvelle, sortie de ses « malheurs », une France qui a retrouvé la paix intérieure, et dont le nouveau chef apporte à tous la paix en faisant la guerre.]

Théâtre de l'Impératrice.

Le Nouveau Réveil d’Epiménide.

Epiménide s’endort en l’an VII, s’eveille en 1806 ; et frappé des merveilles qui se sont opérées pendant son sommeil, se convainc que le bien vient, souvent en dormant.. Tel est en deux mots le sujet de cette piece nouvelle, qui est brillante d’esprit, de détails agréables, de mots heureux, d’allusions fines et ingénieuses ; aussi a-t-elle eu un succès complet. Les auteurs sont MM. Etienne et Nanteuil. La représentation a été suivie d’évolutions, de danses et de chants parmi lesquels ou a remarqué les couplets suivans :

Epiménide.

Pendant les malheurs de la France,
Entourés de dangers nombreux,
On reposait sans confiance,
On trembloit en ouvrant les yeux.
Aujourd’hui la discorde éteinte
Nous donne un paisible sommeil :
Et l'honnête homme attend sans crainte
L’heureux instant de son réveil.

Georges.

Le premier jour qu’on se marie,
On est content, on est joyeux ;
La nuit une douce insomnie
Empêche de fermer les yeux ;
Et si l’Hymen d’humeur lambine
Nous laisse céder au Sommeil,
L'Amour malin qui nous lutine
Sonne a chaque instant le réveil.

Valmont.

De sa brillante destinée,
Notre bonheur sera le fruit.
Titus employoit sa journée,
11 ne perd pas même une nuit.
Il semble ainsi doubler sa vie,
Et quand chacun cède au sommeil,
Pour lui la gloire et le génie
Sonnent le moment du réveil.

Moranville.

Un héros cher à la patrie
Peur la défendre arme son bras,
Et court chercher en Moravie
La paix, doux fruit de vingt combats.
Chacun veut le revoir en France.
Un jour, au lever du soleil,
L’airain annonça sa présence,
Pour Paris quel heureux léveil!

Emilie.

Celle qui par sa bienfaisance
Avec lui règne sur nos cœurs,
De tous les malheureux, en France,
Aura bientôt séché les pleurs :
Elle adoucit leur destinée,
Et fuyant l’éclat, l’appareil,
Chaque jour, dans toute l’année,
Un bienfait marque son réveil.

Nous reviendrons demain sur cette représentation.

Courrier des spectacles, n° 3294 du 7 février 1806, p. 2 :

[Après un article plutôt neutre, le rédacteur du Courrier des spectacles sort de la neutralité, pour faire de la pièce nouvelle un éloge sans réticence. Après un rappel d’ailleurs incomplet des œuvres consacrées à ces cas de léthargie prolongée, il affirme que le thème est aujourd’hui usé, et qu’on ne peut y briller que « par la grâce du style et le charme des détails ». C’est d’ailleurs le grand mérite de ce nouveau Réveil d’Épiménide, dont il entreprend de résumer l’intrigue. Endormi sur sa demande en 1799, soit avant le coup d'État de brumaire, il se réveille sous l’empire, et ne peut que s’extasier des changements accomplis : tout ce qu’il voit lui montre combien le pouvoir nouveau est efficace. La France a retrouvé la grandeur de l’Empire de Charlemagne (incidemment, le critique relève qu’il n’y a dans la pièce qu’une louange « spirituelle, délicate et détournée » ; non « point un encens épais et grossier », mais « une vapeur suave et légère » – laissons au critique la responsabilité de son appréciation). Tout le surprend : plus de directoire, plus de « citoyen » (on est revenu à Monsieur), Bonaparte a rendu à la France la paix et la prospérité, plus de fournisseur pour l’armée. Les auteurs sont nommés, de même que les danseurs (occasionnels : des acteurs de théâtre) du divertissement final.]

Théâtre de l'Impératrice.

Le Nouveau Réveil d’Epiménide.

On compte dans la Fable et dans l’Histoire deux léthargies célèbres, celle d'Epiménide, qui dura soixante-quinze ans, et celle des sept frères dormans, qui dura cent cinquante ans. Mais Epiménide est bien plus connu que les sept freres dormans. Son sommeil étoit devenu proverbe parmi les Grecs : on disoit dormir comme Epiménide. Tout homme qui seroit absent de son pays ou qui dormiroit peudaut soixante-quinze ans, auroit bien des choses à apprendre, à son retour ou à son réveil ; mais que seroit-ce si son absence ou son sommeil eussent eu lieu précisément à l’époque où se seroient passées les plus étonnantes révolutions ? C’est alors qu’il se trvoveroit fort étonné. Le réveil d’Epimenide a déjà fourni plusieurs sujets à la scène et des ouvrages à la littérature. L'An 2440 de M. Mercier n’en est qu’une imitation. Le premier qui s’empara de ce cadre agréable eut une idée heureuse : aujourd’hui cette idée n’a plus rien de neuf ; c'est une donnée commune, qui ne peut acquérir de mérite que par la manière dont elle est employée, par la grâce du style et le charme des détails.

Sous ce rapport, la piece jouée avant-hier au théâtre de l’Impératrice est l’ouvrage le plus spirituel que l’on ait composé à l’occasion des derniers événemens. Les auteurs supposent qu’un bon Parisien nommé Epiménide, est sujet a de fréquentes attaques de léthargie ; qu’il s’est mis entre les mains d’un médecin , pour être traité et veillé avec attention durant son sommeil ; qu’il s’est endormi en l’an sept, c’est-a-dire à 1’époque où les ennemis menaçoient nos frontières, où l’anarchie désoloit l’intérieur de la France, où la terreur reparoissoit avec toutes ses proscriptions.

Il se réveille en 1806, bien persuadé qu’il n’avoit dormi qu’une nuit. Il commence par déjeûne  ; et comme il étoit dans l’habitude de lire régulièrement le Journal du soir, de faire des réflexions sur la position de la France, et de suivre la marche des armées sur la carte géographique, il reprend aussitôt ses anciennes habitudes. Le médecin avoit une fille dont il destinoit la main à un M. Legras, fournisseur de l’armée. Cette jeune personne étudioit la géographie. Èpiménide prend la carte qu’il trouve auprès de lui, et voit : Royaume de Bavière, Royaume d'Italie ; il se frotte les yeux pour lire encore et trouve toujours la même chose : « Ah ! c’est une vieille carte, s’écrie-t-il, faite du tems de Charlemagne. » Ce mot a été vivement applaudi, et l’on en trouve un grand nombre de ce genre dans la pièce. Le mérite des auteurs est d’avoir su louer d’une manière spirituelle, délicate et détournée. Ce n’est point un encens épais et grossier qu’ils ont offert, c’est une vapeur suave et légère, telle qu’on doit l’offrir aux héros. Epiménide parle de Suwarow, de la décade, du manège, du directoire ; il appelle son médecin citoyen, et trouve fort étonnant de voir son valet lui rire au nez. Enfin, ou lui apprend tout ce qui s’est passé, et le nom seul de Bonaparte suffit pour le convaincre que tous ces prodiges sont possibles. Bientôt il s’en assure par ses propres yeux ; il parcourt la ville, et revient plein de joie de retrouver sa patrie rendue à ses anciennes loix, à ses anciennes mœurs, à son ancien culte En ce moment, un jeune guerrier arrive de l’armée, et confirme l’heureuse nouvelle de la paix. Ce jeune officier qui se nomme Valmont, est l’amant secret d’Ernestine, fille du médecin. M. Legras, qui devoit épouser cette jeune personne, revient aussi de l’armée, mais dans un état de maigreur et de consomption tel, qu’il se trouve incapable de faire une seconde campagne ; car l’armée s’étant passée de fournisseur, il a perdu dans les longues courses qu’il a été obligé de faire tout son embonpoint et sa santé.

Le médecin, qui ne vouloit de M. Legras que parce qu’il étoit riche, consent volontiers à retirer sa parole, et donne sa fille à Valmont.

Les auteurs de ce joli ouvrage sont MM. Etienne et Nanteuil. La pièce a été terminée par un divertissement fort gai, où Closel Mlle. Emilie Leverd ont dansé très-agréable ment.

Gazette nationale, ou le Moniteur universel, n° 38, vendredi 7 février 1806, p. 154 :

[Article repris dans l’Esprit des journaux français et étrangers, tome III, mars 1806, p. 281-286.

Le critique félicite les auteurs d’avoir eu l’idée judicieuse de reprendre un sujet déjà utilisé à plusieurs reprises depuis un siècle et il rappelle leurs prédécesseurs, dont seule subsiste la pièce de Flins (1790), une comédie épisodique dans laquelle Epiménide se réveillait après un sommeil de 75 ans, de la fin du siècle de Louis XIV à la Révolution naissante. Dans la nouvelle pièce, Épiménide s’est endormi en l’an 7 et se réveille 7 ans après, ce qui fait qu’il a manqué « sept années qui ont été des siécles de gloire », ce que le critique voit comme une erreur ! Bien entendu, à son réveil Épiménide constate les changements qu’il n’a pas connus : son perruquier est mort, la mode a changé, mais il y a des choses plus sérieuses, comme le bouleversement géographique, qui lui fait penser qu’on est revenu au temps de Charlemagne (puisqu’il voit qu’il existe un « empire français »). Il constate la multiplicité des changements glorieux que le pays a connus en si peu de temps (puisqu’il revoit ses amis à peine changés). Sa conclusion : Bonaparte « est revenu d’Égypte », où Épiménide l’a laissé en 1799. La pièce est joyeuse : « de charmans couplets, des évolutions militaires, une fête populaire », « une ronde grivoise » achèvent la pièce, qualifiée de « bagatelle, l'une des plus spirituelles et des plus agréables ». Et le critique souligne que la pièce n’est pas une basse flatterie : «  il est difficile de donner à l'éloge un tour plus mesuré, plus délicat ». Mais il lui était sans doute difficile de dire autre chose.]

Pour l'homme d'esprit et de goût, qui se propose de payer un juste tribut d'éloges, et de rendre un légitime hommage, quel qu'en soit l'objet et le motif, c'est le tout que l'invention premiere d'un cadre ingénieux dans lequel viennent se ranger, sans effort et comme à leur place naturelle, toutes les idées qui doivent l'occuper et le remplir : avec ce moyen tout est possible, et tout semble facile ; sans lui, il ne reste de traces que celles d'un effort stérile, et d'une impuissance qui se déguise mal. Il faut donc avant tout, féliciter sur le choix de leur idée principale les auteurs du nouveau Réveil d'Epimenide, donné hier au Théâtre de l'Impératrice. Ces auteurs sont MM. Etienne et Nanteuil, dont l'union s'affermit par les succès qui leur sont communs, et dont l'émulation mutuelle semble s'entretenir par l'amitié. Ils n'ont point le mérite de l'invention de leur sujet : leur titre même annonce à l'avance qu'ils renoncent à toute prétention à cet égard, et qu'ils se bornent à vouloir faire aujourd'hui ce que d'autres ont fait avant eux avec succès dans des circonstances moins favorables.

Leurs prédécesseurs, c'est-à-dire, les auteurs qui avant eux ont profité du long sommeil d'Epiménide et de son étonnemcnt à son réveil, sont le comédien Poisson, le président Hénault, et récemment M. Flins. L'ouvrage de Poisson est tout-à-fait oublié, et l'on n'y reconnaît point l'auteur du Procureur Arbitre qui est resté au théâtre ; celui du président Hénault ne fut pas représenté, et méritait de l'être par l'agrément et la finesse qui y regnent : il fut composé dans le tems de la naissance du drame, et il eût été plaisant d'y entendre Epiménide s'étonner de pleurer à un théatre, où il croyait avoir ri la veille.

La piece épisodique de M. Flins eut le plus grand succès en 1790 ; il avait cet avantage d'avoir laissé dormir son Epiménide cent ans révolus, ainsi que le veut l'histoire ou la fable de ce philosophe, et de l'avoir subitement transporté du siécle de Louis XIV aux premiers jours de la révolution française. Nos auteurs modernes l'ont laissé dormir moins long-tems, ils l'ont trouvé endormi en messidor an 7, et le réveillent en février 1806 ; ils ne méritent cependant aucun reproche : au récit de ce qui s'est passé dans ce petit nombre d'années, Epiménide peut bien croire avoir vécu un siécle. Il n'a qu'un tort, c'est de n'avoir pas choisi pour dormir les années qui ont précédé son sommeil ; on l'en aurait félicité ; mais s'endormir pendant sept années qui ont été des siécles de gloire, c'est mal prendre son tems : Epiménide doit en vouloir à ceux qui n'ont pas fait en sorte de le réveiller plus tôt.

Quoi qu'il en soit, écoutons la piece, et figurons-nous Epiménide sur son lit, habillé comme il l'était au moment où il s'est endormi, et reposant sous la surveillance d'un ami, médecin et naturaliste.

On sait qu'Epiménide, après avoir dormi cent ans selon les uns, soixante-quinze selon les autres, ou sept ans selon nos auteurs, croit tout uniment avoir passé une bonne nuit, quoiqu'un peu agitée ; cette fois, il se réveille l'imagination frappée des dangers publics, des troubles intérieurs, des progrès de l'ennemi. Il sait que Suwarow menace nos frontieres, et les factieux la capitale : les articles du Journal du soir de la veille agitent encore son esprit, lorsqu'il voit apprêté et servi le déjeûner que mange depuis sept ans à son attention, et en attendant son réveil, un valet commis à sa garde.

Ce valet s'est absenté un moment : Epiménide s'assied et déjeûne : à son retour, le valet croit voir le diable à table ; il se rassure cependant, s'approche et se ressouvient que le médecin, ami d'Epiménide, a recommandé la plus grande discrétion. Il ne peut s'empêcher cependant de laisser échapper quelques mots, quelques dénominations qui frappent Épiménide, et qui le font accuser ce valet d'être un fou ; mais cet étonnement redouble quand, demandant son perruquier, qu'il appele plaisamment son journal du matin, il apprend que le malheureux est mort : il se récrie contre cette mort qu'il nomme subite, et qui, selon son valet, a suivi une maladie de langueur de deux années ; il demande un autre coeffeur ; survient un artiste dont le ton, le costume, les opinions sur-tout et les expressions lui paraissent très-étonnantes, très-indiscretes, très-impolitiques, très-dangereuses : après sa toilette, inquiet des progrès de l'ennemi qui menace Gênes, il veut jetter un coup-d'œil sur la carte, il regarde, il s'arrête:. : il lit : royaume de Baviere, royaume d'Italie, Empire français.... « Eh mais, dit-il, quelle erreur ! cette carte est du tems de Charlemagne » ..... Il était aisé aux auteurs de multiplier les surprises de cette nature : elles naissaient à chaque instant sous leur plume : ils les ont distribuées avec art et avec mesure. Epiménide finit par soupçonner que pendant une des léthargies auxquelles il est accoutumé, beaucoup d'événemens extraordinaires sont arrivés : mais quand on les lui rapporte en substance, quand on lui peint rapidement nos malheurs effacés, les ennemis vaincus, l'ordre rétabli, les factions anéanties et la fortune se déclarant fidele au génie ; quand on lui parle d'une administration réguliere et forte, d'un code civil uniforme, d'une tolérance parfaite, d'une liberté sage, d'un Empire glorieux, d'une campagne sans exemple et d'un prince sans modele..., alors il refuse de croire : il reconnaît la figure de ses amis, un siécle ne s'est donc pas écoulé, quelques années ont donc suffi..... « Eh bien, dit-il, je veux vous croire ; mais il est donc revenu d'Egypte.... » C'est en effet le mot de l'énigme qu'Epiménide avait besoin d'apprendre pour mettre sa raison d'accord avec la vérité.

De charmans couplets, des évolutions militaires, une fête populaire donnée à des grenadiers de retour de la Grande-Armée, une ronde grivoise pleine de verve et de gaîté terminent cette bagatelle, l'une des plus spirituelles et des plus agréables qu'ait jamais fait naître le desir de célébrer de mémorables et glorieux événemens. Aucun n'a pu avoir un succès plus complet, plus unanime, plus mérité ; c'est qu'il est difficile de donner à l'éloge un tour plus mesuré, plus délicat ; il était impossible sur-tout de mieux interpréter les sentimens publics ; car si aucun de nous n'a dormi comme Epiménide, il n'est personne qui, comme lui, ne s'étonne, n'admire et ne soit tenté de croire avoir fait un songe heureux.                 S....

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1806, tome II p. 178 :

[Rappel de l’histoire du sommeil d’Epiménide, puis de son destin au théâtre, revenant au Réveil d’Epiménide de 1790, où le philosophe passait de l’absolutisme au siècle de la liberté. Le critique rapproche aussi ce réveil d’une autre pièce, le Convalescent de qualité, dans laquelle un aristocrate qui vit reclus découvre brutalement les changements que la Révolution a apportés. Dans la nouvelle pièce, le réveil a lieu après sept ans, et le changement entre 1799 et 1806 suffit à bouleverser Epiménide qui ne croit possible que tout ait eu lieu en si peu de temps quand il apprend le Retour d'Égypte. Le critique y trouve « des allusions délicates et piquantes », et la pièce finit par une fêtes et des exhibitions militaires comme on les aime alors au théâtre.]

L'histoire rapporte qu'Épiménide, philosophe grec, dormit pendant quarante ans, et qu'au bout de ce temps on le prit pour un imposteur, que ses parens et ses amis ne voulurent point le recevoir, et qu'il fallut qu'il produisît les témoignages les plus évidens pour se faire reconnoître. Au commencement de la révolution, on joua un Réveil d'Épiménide, où l'on supposoit que ce philosophe s'étant endormi pendant la monarchie, se réveilloit dans le siècle de la liberté, et voyoit avec plaisir les institutions républicaines et tous les changemens opérés dans la France en aussi peu de temps. On donna aussi, à la même époque, le Convalescent de qualité, où l'on voyoit un duc qui avoit été malade pendant quelque temps, et qui, sortant pour la première fois, demandoit ses cordons et ses ordres, vouloit aller à la Cour, étoit tout étonné de s'entendre appeler citoyen et d'être tutoyé par son valet. Ici l'on suppose qu'Épiménide s'est endormi en l'an VII, et qu'il se réveille après la bataille d'Austerlitz. On conçoit son étonnement à mesure qu'il apprend tout ce qui s'est passé ; d'abord il refuse de le croire, et dit : Pour faire de si grandes choses il faudroit un siècle ou des miracles. Il croit avoir dormi 50 ans au moins. Il ne devient un peu plus crédule qu'en apprenant le Retour d'Égypte. Rien alors ne le surprend plus. Tous les détails de cette petite pièce renferment des allusions délicates et piquantes. Elle est terminée par une fête, des chants et des évolutions militaires. Les auteurs sont MM. Étienne et Nanteuil.

Archives Littéraires de l'Europe ou Mélanges de littérature, d'histoire et de philosophie, Volume 9 (1806), Gazette littéraire (Février 1806), p. xxxvi :

[Dans la course aux hommages à l’Empereur après Austerlitz, Picard a battu l’Opéra-Comique : la Prise de Passau n’a été jouée à l’Opéra Comique que le 8 février ! Les auteurs ont fait dormir Epiménide sept ans seulement, mais quel changement en sept ans ! Le compte rendu ne cesse d’insister sur l’émerveillement qu’il éprouve en voyant combien tout a changé en si peu de temps. Il s’agit bien sûr de chanter le héros vivant. Et il est difficile de le faire au théâtre ou dans l’épopée, sans avoir le recul que donne le temps écoulé. Mais les deux auteurs y sont arrivés.]

Picard avoit devancé l'Opéra-Comique ; c'est le-5 février qu'on a joué sur le théâtre qu'il dirige le Nouveau Réveil d'Epiménide, par MM. Etienne et Nanteuil. Ce cadre étoit fort bien choisi. Lorsque M. Flins des Oliviers s'en servit il y a quinze ans, il supposa que son Epiménide avoit dormi tout un siècle. MM. Etienne et Nanteuil n'ont pas eu besoin d'un sommeil de plus de sept années pour faire réveiller leur dormeur, dans un siècle nouveau. Ce rapprochement seul formoit déjà un éloge indirect assez ingénieux de l'époque qu'ils célèbrent. Le plus grand nombre de ceux qu'ils donnent dans le cours de la pièce à l'empereur naît ainsi du fonds même des choses, n'a point l'air d'être médité, et n'en devient que plus flatteur. C'est pour cela sans doute que le Nouveau Réveil d'Epiménide jouit d'un succès prolongé, tandis que les autres pièces que nous avons déjà citées n'ont eu que celui du moment. Au reste, il est juste d'observer que des événemens si grands et si mémorables ne peuvent appartenir au théâtre ou à l'épopée que long-temps après avoir figuré dans l'histoire. Tout ce que la muse dramatique peut faire lorsqu'ils sont aussi récens, c'est de les célébrer d'une manière indirecte. La muse lyrique seule peut chanter ses héros vivans.

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