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Le Réveil d'Epiménide à Paris ou les Etrennes de la liberté
Le Réveil d'Epiménide à Paris, ou les Etrennes de la liberté, comédie en un acte, en vers, de Carbon de Flins des Oliviers, 1er. janvier 1790). Paris, Maradan, in-8°.
Théâtre de la Nation.
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Titre
Réveil d’Epiménide à Paris, ou les Etrennes de la liberté
Genre
comédie
Nombre d'actes :
1
Vers / prose ?
en vers
Musique :
non
Date de création :
1er janvier 1790
Théâtre :
Théâtre de la Nation
Auteur(s) des paroles :
Carbon de Flins des Oliviers
Almanach des Muses 1791
Très-jolie pièce de circonstances. On sait qu'Epiménide dormoit cent ans. Il se réveille précisément en 1789, après la révolution. Son étonnement à tout ce qu'il voit, amène des scènes comiques et des détails brillans d'esprit. Ces sortes de comédies n'exigent ni plan, ni intrigue : celle-ci a l'avantage d'être attachée à un grand événement, dont la mémoire ne peut périr au bout de l'année.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Maradan, 1790 :
Le Réveil d'Epiménide à Paris, comédie en un acte, en vers. Par M. de Flins ; Représentée sur le Théâtre de la Nation, par les Comédiens François ordinaires du Roi, le premier Janvier 1790.
Le texte de la pièce est précédé d'un « avertissement » où l'auteur défend sa pièce, et s'élève contre les nombreuses imitations qui en ont été faites. Cet avertissement n'est plus dans l'édition de 1791
AVERTISSEMENT.
Cette petite Pièce a été accueillie avec bonté. Le seul rôle de Censeur a excité quelques murmures. On a trouvé de l'exagération dans ce trait, Je ne sais pas écrire ; je n'ai qu'un mot à répondre : je connois l'original que j'ai voulu peindre, et si je le nommois, je ne trouverois plus de contradicteurs.
Après la huitieme représentation du Réveil d'Epiménide, on a donné sur le Théâtre de Monsieur une Comédie épisodique intitulée I'Epiménide François ; cette Piece n'est autre chose que le Réveil d'Epiménide arrangé pour un Théâtre de la Foire ; on a tout pris, le sujet, les personnages, les scènes, et même des vers : j'étois à la premiere représentation, et j'ai beaucoup applaudi ; mais j'en avois honte, car c'étoit applaudir à ma Pièce. Je me trouvai à côté d'un bel esprit attaché à ce Théâtre ; lorsque le Paysan dit ce vers :
« Nous avons lu les droits de l'homme ; »
le bel esprit s'écria : Non, il n'y a rien d'égal à cela dans l'Epiménide qui se donne aux François ; cela peut être, mais ce vers est copié mot pour mot dans le Réveil d'Epiménide,
L'Auteur du Théâtre de Monsieur a gardé l'anonime ; mais c'est, dit-on, un ancien Acteur des Boulevards : si cela n'est pas, cela doit être. Messieurs les Auteurs de la Chronique de Paris, dont le Journal est à la fois équitable et piquant, ont bien voulu faire la plupart de ces remarques.
Tous les autres Journalistes ont dit que le vol étoit permis depuis les jours de la liberté ; et ils ont jugé que pour l'esprit, le goût, la mesure et le stile, l'Epiménide du Théâtre de Monsieur étoit fort supérieur à celui du Théâtre de la Nation. Ce Jugement ne m'a ni fâché ni surpris ; je n'ai point été humilié par la préférence, je n'aurois pu l'être que par la Comparaison.
Il existe, dit-on, deux autres Epiménides ; l'un est de Poisson, et l'autre du Président Haynaut : je ne les ai jamais lus ; et je ne connois de Comédies épisodiques que les Fâcheux, de Moliere, le Mercure Galant, de Boursaud, et deux charmantes Pièces de M. de La Harpe, les Muses rivales et Molière à la nouvelle Salle.
Quelques gens trouveront peut- être un peu d'Aristocratie dans la scène du Délateur ; mais les bons esprits et les gens vraiment courageux m'en sauront gré ; nous sommes assez puissans pour pardonner : au jour du combat, le courage est dans l'audace ; au jour de la victoire, il est dans la Modération.
C'est ce même esprit qui conduira toujours ma plume dans l'Ouvrage périodique si fidele au titre de Modérateur Quelques gens ont pensé que ce titre ne convenoit pas à un Journal rédigé par un grand Poëte ; mais ils se sont trompés. M. de Fontanes confirme tous les jours cette vérité que les esprits les plus élevés sont aussi les plus sages, tandis que les esprits médiocres et les hommes sans caractère, n'ayant point d'assiette par eux-mêmes, sont entraînés par les événemens et l'esprit public, vers ces deux extrêmes, plus voisins qu'on ne croit, la licence ou la servitude.
Mercure de France, tome CXXXVIII, n° 2 du samedi 9 janvier 1790, p. 91-96 :
[Le Réveil d’Epiménide a été créé quelques jours après l’Esclavage des Nègres d’Olympe de Gouge, qui n’a pas très bien réussi (deux représentations...). Après avoir rappelé sans plus les ouvrages exploitant la même veine, le critique souligne combien le moment présent est particulièrement propice à ce nouveau retour du philosophe au long sommeil. Après cent ans de sommeil, il trouve un monde bien différent de celui qu'il connaissait, même s’il croit reconnaître son épouse dans la jeune fille qui assiste à son réveil : la pièce fait défiler toute une galerie de gens qui ont à souffrir de l’ordre nouveau qui se met en place et dont ils se plaignent : un gazetier, un amateur de procès, un censeur royal, un abbé, un maître de danse. L’article donne quelques exemples de leurs griefs contre la révolution qui les prive de leurs avantages indus. Pour faire son travail consciencieusement, le critique fait quelques menus reproches à la pièce (dont un manque de vraisemblance qui ne nous paraît guère flagrant), pour mieux en souligner « combien peu nous avions à reprendre ». Il préfère souligner l’importance des changements apparus dans les quelques mois qui viennent de s’écouler, et il y voit la preuve que « la Fable », expression voilée de la vérité, est fille du despotisme : désormais le recours à ce voile est inutile, « c'est sous ses propres traits que nous la verrons désormais ». Quelques mots sur les interprètes, remarquables, concluent l’article.]
Un véritable succès, & un succès mérité, c'est celui du Réveil d'Epiménide , ou les Etrenncs de la Liberte.
Cc n'est pas M. de Flins qui a eu le premier l'idée d'adapter à la scène, Epiménide qui se réveille après un sommeil de cent ans. Le Président Hénaut & Philippe Poisson l'avoient fait avant lui; mais si le cadre qu'il a choisi n'est pas neuf, le tableau auquel il l'a fait servir, l'est complètement, & ne pouvoit manquer de l'être, puisque c'est l'histoire des évènemens politiques qui viennent de se passer, & qui se passent encore sous nos yeux : à coup sûr un pareil tableau ne pouvoit ressembler à aucun autre, & M. de Flins ayant projeté d'offrir le spectacle de la révolution actuelle, se trouvoit à l'abri du plagiat.
Nous n'ajouterons qu'une réflexion ; c'est qu'Epiménide, qui dormit cent ans dans la Grèce, n'avoit pas besoin, pour voir beaucoup de choses nouvelles, de dormir aussi long-temps à Paris ; & il avoit, en s'y réveillant, de quoi s'étonner encore jusqu'au moment de se rendormir. D'après ces réflexions, on voit que c'étoit une idée très-heureuse, que de ramener sur la scène le sujet d'Epiménide, qui ne pouvoit être que rajeuni par les circonstances, & qui l'est encore autant par la manière dont l'Auteur l'a traité. M. de Flins a fait plaisamment endormir son Héros le jour où il venoit de se marier. Il s'est endormi sous Louis XIV ; c'est après la révolution actuelle qu'il se réveille. Le hasard veut que la petite-fille de la personne qu'il alloit épouser avant son sommeil, ressemble parfaitement à son aïeule ; Epiménide, à son réveil, qui peut passer pour une résurrection, la prend pour sa prétendue, & l'entretient de son amour posthume. La jeune personne, qui a prévu la méprise, a voulu s'en amuser un instant, pour voir ce que c'étoit qu'un amant
Dans le Siècle de sa grand'mère.
On sent que l'erreur d'Epiménide ne peut pas durer long-temps. Cependant la nouvelle de son miraculeux réveil s'est répandue; & les curieux accourent pour le voir ; c'est ainsi que l'Auteur fait passer en revue divers personnages, qui développent le tableau presque général des heureux évènemens de nos jours. Ces personnages se plaignent tous de la révolution, & cette manière de la célébrer, outre qu'elle est plus piquante en effet, devient plus gaie & plus dramatique. Il en résulte des scènes épisodiques, toutes brillantes d'esprit & de gaîté, & dont le style, tantôt élevé, tantôt gracieux, se trouve toujours à la hauteur du sujet.
Un Gazetier, qui croit que ce qui est ne vaut pas ce qu'on imagine, invite très obligeamment à souscrire pour son Journal ; un grand Amateur de procès vient déplorer pathétiquement l'abolition de la chicane ; un Censeur royal déclame piteusement contre la liberté de la presse ; un Abbé, qui étoit très-bienfaisant envers des Cousines, se plaint du mal qu'on leur a fait, en supprimant la pluralité des bénéfices ; un Maître à danser, qui avoit ses meilleurs Ecoliers parmi les Aristocrates, s'écrie que tout est perdu ; mais comme on lui dit que la danse va reprendre de nouveau, il sort en disant que l'Etat est sauvé, &c. Ces divers originaux égayent la scène par des traits fort plaisans, qui ont été vivement saisis.
Le Gazetier vante son Ouvrage comme
Un Journal excellent
Qui, le matin dès qu'on s'éveille,
Apprend dans tout Paris ce qui, dans le Brabant,
S'est à coup sûr passé la veille.
L'Amateur de l'ancienne procédure criminelle, se plaignant amèrement de l'Assemblée Nationale qui la réforme en entier, s'écrie douloureusement :
Ils ont aboli tout, tout jusqu'à la torture
Si l'on veut avoir une idée de la manière de l'Auteur dans le style noble, voici quelques vers qui en feront juger favorablement :
Il a vécu naguère en ces jours si fameux
Où brillèrent Condé, Turenne & la Victoire ;
Où Louis fit servir ses Peuples à sa gloire,
Immola tout pour elle, & ne fit rien pour eux,
Admiré des Sujets qu'il rendit malheureux.
On peut bien faire à l'Auteur quelques observations, qui, en satisfaisant au besoin de la critique, n'ôteront rien au mérite de l'Ouvrage. Epiménide, par exemple, sait qu'il est de sa destinée de s'endormir pour cent ans, puisqu'il déplore en paroissant, le malheur qu'il a, chaque fois qu'il se réveille, de se voir étranger à tout, de ne plus connoître ni Maîtresse, ni Ami. Pourquoi donc prend-il pour sa prétendue celle qui n'est que la petite-fille de celle-ci ? Il est un peu invraisemblable que la ressemblance des traits puisse occasionner cette méprise.
Ensuite nous aurions désiré un peu plus d'action de la part d Epiménide, c'est-à-dire, plus de motifs pour les scènes qui se passent devant lui. Un exemple fera mieux entendre cette observation. Epiménide demande son Tailleur, son Notaire & son Procureur ; il voit entrer trois Militaires ; on sent que l'explication doit amener naturellement la nouvelle de l'établissement de la Garde Nationale ; & c'est ainsi à peu près que nous aurions voulu qu'on motivât les autres scènes épisodiques, dont les Acteurs, pour la plupart, n'arrivent que parce qu'ils sont appelés par le besoin de les faire paroître.
Il y avoit aussi dans la scène du Censeur royal quelques détails qui avoient déplu ; mais l'Auteur les a fait disparoître à la seconde représentation.
Ce que prouvent le mieux nos observations, c'est qu'il faut que la critique trouve toujours à redire ; & ce que nous avons repris, est d'un genre à faire voir combien peu nous avions à reprendre.
Qu'on nous permette, avant de finir cet Article, d'exprimer un sentiment que nous avons éprouvé en voyant ce joli Ouvrage. L'Auteur y parle de plusieurs objets qui sembloient, il y a un an, interdits pour jamais aux Muses dramatiques ; & il en parle avec une franchise d'expression qui cause autant de surprise que de plaisir. M. de Flins n'a fait que suivre en cela l'heureuse impulsion donnée à tous les esprits La révolution qui vient de s'opérer dans l'ordre politique a dû nécessairement donner de nouvelles formes à l'expression de pensée. On voit que nous venons de sortir de cet ordre de choses où le voile allégorique devient la ruse innocente du philosophe. C’est une nouvelle preuve que la Fable, qui n'est que l'allégorie morale, est née sous la verge du Despotisme. En effet, le Fabuliste tient toujours un peu du Courtisan, il n'a qu’une véracité timide ; & il nous prouve que sous un pouvoir tyrannique, la vertu même a besoin de mentir, de feindre au moins, pour être utile. La Vérité avoit besoin de prendre un voile autrefois pour se montrer parmi nous ; c'est qu'elle y étoit étrangère, c'est sous ses propres traits que nous la verrons désormais : elle est dans son pays.
Les principaux rôles de cette petite Pièce ont été fort bien joués par Mme. Petit, & MM. Vanhove, Dugazon , Dazincourt & Sainfal.
Mercure de France, tome CXXXVIII, n° 8 du samedi 20 février 1790, p. 116-117 :
[Le succès du Réveil d’Epiménide fournit l’occasion pour le critique de souligner combien les événements présents occupent de place sur les théâtres : on ne joue plus que des pièces de circonstance, avec des succès divers, naturellement.]
THÉATRE DE LA NATION.
Les nombreuses scènes politiques dont nous sommes les témoins et les acteurs, qui font les destins de la France, et occupent l'attention de l'Europe entière, ce riche et magnifique tableau de la révolution, que chaque moment semble développer à nos regards, entraîne si fortement les esprits, que les talens, qu'il ne réduit point au silence, s'occupent à le retracer, à en entretenir le Public, qui a l'air d'en apprendre les détails, quand on ne fait que lui répéter ses propres pensées, et qui est flatté des récits qu'on lui fait, parce que c'est l'histoire de ses conquêtes. Cet intérêt d'ailleurs est si grand, qu'il paroît exclusif et les Muses semblent croire que vouloir en détourner l'attention publique, est s'exposer à n'être point écouté. De là toutes ces Pièces appelées de circonstance, qui se succèdent si rapidement sur tous nos Théatres. Toutes n'y ont pas le même succès, parce que tous les Auteurs ne s'y présentent pas avec les mêmes talens, ou avec le même bonheur.
Nous avons parlé d'Epiménide. Son succès s'est toujours soutenu depuis la première représentation; et ce premier essai dramatique de M. de Flins, a donné une idée très-avantageuse de son talent.
L'Esprit des journaux français et étrangers, 1790, tome II (février 1790), p. 329-336 :
[Article largement repris du Mercure de France ci-dessus.]
Un véritable succès, et un succès mérité, c'est celui du Réveil d'Epiménide, ou les Etrennes de la Liberté.
Ce n'est pas M. de Flins qui a eu le premier l'idée d'adapter à la scene, Epiménide qui se réveille après un sommeil de cent ans. Le président Hénaut & Philippe Poisson l'avoient fait avant lui. La piece de Poisson, froide, bizarre, mal versifiée, n'offre presque rien de ce qu'annonce de curieux un pareil sujet ; celle du président Hénaut est vive, piquante, élégamment écrite en prose, & remplie de traits saillans, amenés par l'étonnement où se trouve Epiménide, à la vue des changemens arrivés pendant son sommeil, dans les bâtimens, dans les meubles, dans la maniere de vivre en général, & dans les spectacles même. Il croit rêver en considérant tout ce qui l'entoure : ces fauteuils baissés de plus d'un pied ; ce lit qui, comme suspendu en l'air & semblant ne tenir à rien, a pris la place d'un bon lit à quatre colonnes ; ces fenêtres coupées jusqu’au plancher, & qui mettent la chambre tout à jour ; ces porcelaines délicates & que l'on craint de toucher, substituées à des vases d'argent commodes & solides. C'étoit alors le tems où la passion pour les drames commençoit à régner ; Epiménide, assistant à la représentation d'une piece comique, ne revient pas de ce qu'on y fond en larmes : « comment, s'écrie-t-il ! depuis hier au soir on pleure à la comédie ! » C'étoit celui où Rameau avoit introduit un nouveau genre de musique, que les partisans de Lully ne pouvoient souffrir ; & notre philosophe, qui trouve qu'on lui écorche les oreilles, se sauve indigné, quand un bon vieillard qu'il rencontre, lui dit : « Mon enfant, dieu vous conserve ce goût-là. C'étoit celui de nos peres : aujourd'hui tout a changé ; nos musiciens ont quitté la nature pour les tours de force ; nos poëtes ne font plus que des épigrammes ; la morale se débite par traits, & la politique par bons mots. On est devenu avare de paroles, bientôt on ne parlera plus que par gestes ; & la belle maniere c'est de dire en quatre mots, ce qui auroit besoin de quatre lignes. A mesure que l'on a plus pensé, on a rogné les phrases, au lieu de les allonger ; & le grand mérite, c'est que personne ne vous entende »
Si le cadre qu'a choisi M. de Flins n'est pas neuf, le tableau auquel il l'a fait servir, l’est completement, & ne pouvoir manquer de l'être, puisque c’est l’histoire des événemens politiques qui viennent de se passer, & qui se passent encore sous nos yeux : à coup sûr un pareil tableau ne pouvoit ressembler à aucun autre ; & M. de Flins, ayant projeté d'offrir le spectacle de la révolution actuelle, se trouvoit à l'abri du plagiat.
Nous n'ajouterons qu'une réflexion, c’est qu'Epiménide, qui dormit cent ans dans la Grece, n'avoit pas besoin, pour voir beaucoup de choses nouvelles, de dormir aussi long-tems à Paris ; & il avoit, en s'y réveillant, de quoi s'étonner encore jusqu’au moment de se rendormir.
D'après ces réflexions, on voit que c'étoit une idée très-heureuse, que de ramener sur la scene le sujet d'Epiménide, qui ne pouvoit être que rajeuni par les circonstances, & qui l’est encore autant par la maniere dont l'auteur l'a traité. M. de Flins a fait plaisamment endormir son héros le jour où il venoit de se marier. Il s’est endormi sous Louis XIV ; c'eſt après la révolution actuelle qu'il se réveille. Le hasard veut que la petite-fille de la personne qu'il alloit épouser avant son sommeil, ressemble parfaitement à son ayeule ; Epiménide, à son réveil, qui peut passer pour une résurrection, la prend pour sa prétendue, & l'entretient de son amour posthume. La jeune personne, qui a prévu la méprise, a voulu s'en amuser un instant, pour voir ce que c'étoit qu'un amant
Dans le siecle de sa grand'mere.
On sent que l'erreur d'Epiménide ne peut pas durer long-tems.. Cependant la nouvelle de son miraculeux réveil s'est répandue ; & les curieux accourent pour le voir ; c'est ainsi que l'auteur fait passer en revue divers personnages, qui développent le tableau presque général des heureux événemens de nos jours. Ces personnages se plaignent tous de la révolution, & cette maniere de la célébrer, outre qu'elle est plus piquante en effet, devient plus gaie & plus dramatique. Il en résulte des scenes épisodiques, toutes brillantes d’esprit & de gaîté, & dont le style, tantôt élevé, tantôt gracieux, se trouve toujours à la hauteur du ſujet.
Un gazetier, qui croit que ce qui est ne vaut pas ce qu'on imagine, invite très-obligeamment à souscrire pour son journal ; un grand amateur de procès vient déplorer pathétiquement l'abolition de la chicane ; un censeur royal déclame piteusement contre la liberté de la presse ; un abbé, qui étoit très-bienfaisant envers des Cousines, se plaint du mal qu'on leur a fait, en supprimant la pluralité des bénéfices ; un maître à danser, qui avoit ses meilleurs écoliers parmi les aristocrates, s'écrie que tout est perdu ; mais comme on lui dit que la danse va reprendre de nouveau, il sort en disant que l'état est sauvé, &c. Ces divers originaux égaient la scene par des traits fort plaisans, qui ont été vivement saisis.
Le gazetier vante son ouvrage comme
Un journal excellent
Qui, le matin dès qu'on s'éveille,
Apprend dans tout Paris ce qui, dans le Brabant
S'est à coup sûr passé la veille.
L'amateur de l'ancienne procédure criminelle, se plaignant amerement de l'assemblée nationale qui la réforme en entier, s'écrie douloureusement
Ils ont aboli tout, tout jusqu’à la torture.
Si l'on veut avoir une idée de la maniere de l'auteur dans le style noble, voici quelques vers qui en feront juger favorablement :
Il a vécu naguere en ces jours si fameux .
Où brillerent Condé, Turenne & la victoire ;
Où Louis fit servir ses peuples à sa gloire,
Immola tout pour elle, & ne fit rien pour eux ;
Admiré des sujets qu'il rendit malheureux.
Mais les endroits de la piece qui ont sur tout obtenu des applaudissemens universels, sont ceux où il est question de la bonté du roi, du bonheur qu'ont les Parisiens de le posséder :
Plus on le voit de près, & plus il est aimé ;
& des sacrifices auxquels il s’est soumis pour rendre la liberté à son peuple, pour le rétablir dans ses droits. Ces morceaux, dans lesquels M. de Fleins a employé l'éloquence du cœur, ont été accueillis avec transport.
On n'a pas moins goûté un vaudeville qui termine la piece ; & on a redemandé deux couplets, dont l'un finit par ces quatre vers :
A l'Europe redoutables,
Soyons libres désormais ;
Mais soyons toujours aimables,
Conservons l’esprit François.
L'autre est chanté par Epiménide, qui demande aux dieux de lui faire la grace de toujours se
réveiller
Au milieu des bons François.
On peut bien faire à l'auteur quelques observations, qui, en satisfaisant au besoin de la critique, n'ôteront rien au mérite de l'ouvrage. Epiménide, par exemple, sait qu'il est de sa destinée de s'endormir pour cent ans, puisqu’il déplore en paroissant, le malheur qu'il a, chaque fois qu'il se réveille, de se voir étranger à tout, de ne plus connoître ni maîtresse, ni ami. Pourquoi donc prend-il pour sa prétendue celle qui n'est que la petite-fille de celle-ci ? Il est un peu invraisemblable que la ressemblance des traits puisse occasionner cette méprise.
Ensuite nous aurions désiré un peu plus d'action de la part d'Epiménide ; c'est à-dire, plus de motifs pour les scenes qui se passent devant lui. Un exemple fera mieux entendre cette observation. Epiménide demande son tailleur, son notaire & son procureur ; il voit entrer trois militaires ; on sent que l'explication doit amener naturellement la nouvelle de établissement de la garde nationale ; & c'est ainsi à -peu-près que nous aurions voulu qu'on motivât les autres scenes épisodiques, dont les acteurs, pour la plupart, n'arrivent que parce qu'ils sont appellés par le besoin de les faire paroître.
Il y avoit aussi dans la scene du censeur royal quelques détails qui avoient déplu ; mais l'auteur les a fait disparoître à la seconde représentation.
Ce que prouvent le mieux nos observations, c'est qu'il faut que la critique trouve toujours à redire ; & ce que nous avons repris, est d'un genre à faire voir combien peu nous avions à reprendre.
Qu'on nous permette, avant de finir cet article, d'exprimer un sentiment que nous avons éprouvé en voyant ce joli ouvrage. L'auteur y parle de plusieurs objets qui sembloient, il y a un an, interdits pour jamais aux muses dramatiques ; & il en parle avec une franchise d'expression qui cause autant de surprise que de plaisir. M. de Flins n'a fait que suivre en cela l’heureuse impulsion donnée à tous les esprits La révolution qui vient de s'opérer dans l'ordre politique a dû nécessairement donner de nouvelles formes à l'expression de la pensée. On voit que nous venons de sortir de cet ordre de choses où le voile allégorique devient la ruse innocente du philosophe. C’est une nouvelle preuve que la fable, qui n’est que l'allégorie morale, est née sous la verge du despotique. En effet, le fabuliste tient toujours un peu du courtisan ; il n'a qu'une véracité timide, & il nous prouve que sous un pouvoir tyrannique, la vertu même a besoin de mentir, de feindre au moins, pour être utile. La vérité avoit besoin de prendre un voile autrefois pour se montrer parmi nous ; c’est qu'elle y étoit étrangere ; c’est sous ses propres traits que nous la verrons désormais : elle est dans son pays.
Les principaux rôles de cette petite piece ont été fort bien joués par Mde. Petit & MM. Vanhove, Dugazon, Dazincourt & Sainfal.
L'Esprit des journaux français et étrangers, 1790, tome V (mai 1790), p. 59-64 :
[Article repris du Mercure de France, tome CXXXVIII, n° 12 du samedi 20 mars 1790, p. 81-87. Le dernier paragraphe de l’article du Mercure n’a pas été repris dans L’Esprit des journaux : je le fais figurer à la suite.
Long article écrit à l’occasion de la publication de la pièce. Le jugement est globalement très positif : versification facile, élégante, pleine de goût, plaisanterie fine et délicate (même si l’auteur de l’article regrette certains vers, dont ceux qui critiquent la pompe de la royauté : on est en 1790 !). Exemples abondants montrant combien les temps ont changé. La fin de l’article formule quelques réticences, mais c’est la loi du genre : toujours conseiller à l’auteur de prendre garde !]
Le réveil d'Epiménide à Paris, comédie en un acte, en vers ; par M. de Flins, représentée sur le théatre de la nation par les comédiens françois ordinaires du roi, le 1er. janvier 1790. A Paris, chez Maradan, libraire, rue St.-André-des-Arts, hôtel de Château-Vieux ; à Nantes, chez Louis, libraire ; à Bruxelles, chez le Charlier, libraire, successeur de Dujardin.
On est bien aise qu'un sujet aussi sérieux que la révolution ait produit un ouvrage si agréable, au milieu de tant de brochures où l’esprit de parti ennuie tous ceux qu'il n'égare pas, comme le mauvais vin déplaît à tous ceux qui n'ont pas envie de s'enivrer. Nous avons l'obligation de cet ingénieux vaudeville, qui a ramené au théatre la gaîté françoise, à M. de Flins, jeune auteur de beaucoup d’esprit & de talent, qui s'étoit déja égayé du ton des honnêtes gens, sur les discordes politiques, dans un très-joli badinage, intitulé Voyages de l'Opinion, où, tout en riant, il a fait voir qu'il savoit écrire en poëte, & penser en homme judicieux & en bon citoyen. Sa petite piece d'Epiménide a eu beaucoup de succès, & le mériroit par une foule de détails charmans dont elle est ornée. (*) Elle est versifiée avec facilité, avec élégance, avec goût. La plaisanterie en est fine & délicate, ce qui n'empêche pas que de tems en tems l'auteur ne sache placer à propos des vers marqués au coin de la poésie, tels que ceux-ci :
Ainsi donc a péri cette pompe orgueilleuse
D'un roi qui, dévoré de chagrin & d'ennui,
Mit toujours sa grandeur entre son peuple & lui.
Nous ne croyons pas que toute cette pompe doive périr entiérement. Il ne faut pas qu'elle soit repoussante ; mais elle est nécessaire à la dignité de la couronne & à celle de la nation ; & la pompe du trône peut très-bien se concilier avec la popularité du prince.
On ne peut pas caractériser mieux & en moins de mots ce qu'étoit le peuple françois avant la révolution, que dans ces vers que dit Epiménide ;
Que j'aurai de plaisir à vivre dans Paris
Parmi ce peuple respectable,
Qui n'étoit que le plus aimable,
Lorsqu’il étoit le plus soumis !
Il faut espérer que lorsqu’il aura bien appris à n'être soumis qu'à la loi & au prince, il ne sera pas moins aimable que lorsqu’il étoit soumis au pouvoir arbitraire, Seroit-il plus difficile d'être heureux & doux en jouissant de la liberté, qu'en étourdissant sur la servitude ?
L'auteur amene successivement différens personnages propres à marquer les changemens de la chose publique ; un journaliste, un colporteur, un abbé, un robin, un censeur royal, un maître à danser, un gentilhomme aristocrate, un paysan, &c. & il n'y a pas une de ces scenes épisodiques qui n'offre des traits heureux. Voici des détails fort gais dans celle du journaliste.
Si ces Messieurs vouloient souscrire ?
. . . . . . . .
C’est pour un journal excellent,
Qui, le matin dès qu'on s'éveille,
Apprend dans tout Paris ce qui, dans le Brabant,
S’est à coup sûr passé la veille.
Moi, je ne puis pas concevoir
Comment de Gand ou de Bruxelles,
Vous pouvez, le matin, nous donner des nouvelles,
Tandis que le courrier n'arrive que le soir.
Je n'attends pas les faits, Monsieur, je les devine.
Les courriers sont d'une lenteur !
Et ce qu'on apprend d'eux après tant de longueur,
Ne vaut pas ce qu'on imagine.
Mais tromper le public !
Le public eſt fi bon !
Il ne veut qu'être ému; c'eſt à quoi je m'applique.
Je ne vois que complots & conjuration ;
Je mets par-tout du fer, des mines, du canon.
Ah !! Messieurs, sans l'invention
Que deviendroit la politique ?
Le journaliste se met à écrire.
L'archevêque a perdu sa cuirasse & ses bottes,
Et l'on n'égorgea près de Gand
Que quatre-vingt-deux patriotes.
Ce qu'il y a de bon, c’est qu'on ne peut trouver ici aucune exagération. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les gazetiers regardent l'invention comme leur premier talent & leur meilleur revenu. On sait l'histoire de celui qui, après la guerre de 1741, écrivit à l'empereur pour lui demander une récompense, « attendu, disoit-il, qu'il lui avoit entretenu une armée de 3o mille hommes pendant toute une campagne, dans un canton d'Allemagne où ce prince n'avoit jamais eu un bataillon. »
La scene sur la censure détruite produit cette réflexion d'Epiménide, qui contient une grande vérité fort bien exprimée.
Non, je ne doute plus du bonheur de la France.
Voilà de son bonheur la plus ferme assurance.
Elle est libre : à mes yeux le plus grand des bienfaits,
C’est d'avoir aboli la censure, exercée
Pour entourer les rois d'infortunés muets ;
Les tyrans n'ont d'abord enchaîné la pensée
Que pour enchaîner les sujets.
Heureusement quelques-uns de ceux que l'on vouloit rendre muets avoient conservé, à leurs risques & périls, le don de la parole, & ceux-là l'ont rendue à tous les autres.
Nous ne voulons épuiser ni les citations, ni la louange ; & plus un ouvrage est fait pour être lu, moins il a besoin d'extrait. L'auteur, qui est fort bon plaisant, sait aussi user du droit de placer à propos des plaisanteries connues & bonnes à conserver. Un robin qui regrette la torture, s'écrie, en parlant des accusés :
Ah ! si l'on veut tous les en croire,
Aucun d'eux ne sera pendu.
C'est le mot de ce général russe qui, obligé de faire enterrer précipitammant les morts après une action, s'apperçut de quelques délais dans ceux qui exécutoient ses ordres. On lui dit que c'étoient quelques soldats que l'on mettoit à part, parce qu'ils donnoient encore signe de vie. « Enterrez, enterrez (dit-il) Vraiment, si l'on veut les en croire, on n'en enterreroit pas un ».
Ces autres vers d'un aristocrate, très-scandalisé de la liberté de penser :
Aujourd'hui dans ce Paris,
C’est un despotisme effroyable :
Tout le monde y dit son avis,
rappellent le mot du feu maréchal de Richelieu ; mot très-remarquable & qui est de caractere & de mœurs : « dans cette académie françoise, c'est un despotisme effroyable : tout le monde y fait ce qu'il veut ».
On ne pourroit mêler aux éloges dus à l'auteur que très-peu d’observations sur le style Ce vers, par exemple, que dit le conseiller Fatras, en parlant des philosophes,
Des superstitions infâmes délateurs,
nous paroît pécher contre la convenance, M. Fatras, tout Fatras qu'il est, ne peut pas accoller ensemble ces deux mots Sans doute les fanatiques soutenoient la superstition ; mais il se gardoient bien de l'appeller ainsi ; ils la nommoient religion.
La sévérité qu'exige l’estime qui est due au talent de l'auteur, peut aussi nous autoriser à lui dire qu'en général les scenes sont plutôt ébauchées que remplies, & plus l'esquise est facile & brillante, plus on a droit de désirer que le tableau soit fini. On voit que l'auteur qui a produit comme en se jouant, n'a pas fait tout ce qu'il pouvoit faire. Pour une jolie bagatelle, le reproche n'eſt pas grave ; mais ce peut être un avertissement que dans des sujets plus importans, il doit se croire obligé de faire tout ce dont il est capable, & ne pas s'en tenir à son premier apperçu, quelque heureux qu'il soit.
(Mercure de France.)
Dernier paragraphe de l’article du Mercure de France :
M. de Flins est le digne coopérateur de M. de Fontanes dans un Journal intitulé le Modérateur, distingué par les bons esprits de la foule des Journaux : il remplit son titre et a dû réussir. M. de Fontanes écrit et pense en homme supérieur ; cependant j'oserai lui observer que pour vouloir toujours paroître modéré, il n'est pas toujours équitable. Entre deux partis, dont l'un ne pèche que par quelques excès, et dont l'autre soutient une cause essentiellement mauvaise, vouloir tenir la balance absolument égale, peut conduire quelquefois à des résultats peu justes, et donner lieu à la mauvaise cause de croire qu'on la justifie, quand il ne faut seulement que mettre de la mesure dans la bonne.
D'après la base César, œuvre de Claude-Marie Louis-Emmanuel Carbon de Flins des Oliviers, a pour titre complet Le Réveil d'Epimenide à Paris, ou les Etrennes de la liberté et a été jouée au Théâtre de la Nation, du 1er janvier 1790 au 24 novembre 1791 (25 fois en 1790, 6 fois en 1791).
(*) Journal de Février, page 329 & suivantes-
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