Ne pas croire ce qu'on voit

Ne pas croire ce qu'on voit, comédie en un acte mêlée de vaudevilles, de Gersain et Année. 29 germinal an 7 [18 avril 1799].

Théâtre du Vaudeville

Almanach des Muses 1800

Henri, méfiant par caractère, soupçonne la fidélité de Linval, qu'il accuse d'avoir trahi Lucile sa sœur. Il s'est donc brouillé avec lui. Sophie, maîtresse de Henri, veut réconcilier les deux amis, et imagine de les réunir dans une partie de chasse. Mais un orage survient, ils ne peuvent quitter la maison, et Linval se cache dans un cabinet, où Henri veut entrer. Sophie refuse d'ouvrir la porte, Henri prend de l'ombrage, et sa jalousie s'accroît, lorsque la suivante de Sophie lui apprend qu'elle a favorisé la fuite de Linval. Sa fureur est au comble ; mais Linval vient lui parler de son amour pour Lucile, et dissiper d'injustes soupçons. Les amis sont réconciliés, et les amans sont unis.

Peu de fonds. Des couplets malins et bien tournés.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, à l'Imprimerie Demonville, an VII :

Ne pas croire ce qu'on voit, comédie-vaudeville en un acte, Par les Citoyens Gersin et Année. Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre du Vaudeville, le 29 Germinal, an 7.

Courrier des spectacles, n° 787 du 30 germinal an 7 [19 avril 1798], p. 2-3 :

[La pièce nouvelle a été un succès, marqué par la demande des auteurs. Le couplet d’annonce a d’entrée été redemandé, mais l’acteur préposé à cette tâche avait un couplet prêt pour cette occasion et qui réclamait d’avance l’indulgence du public (ce n’est pas une idée bien nouvelle). L’intrigue combine querelle d’amis et querelle d’amoureux (la jalousie, dans les deux cas...). Le jaloux, Henry, soupçonne son ami de ne pas être fidèle à sa sœur, et soupçonne sa fiancée de le tromper avec cet ami. Tout s’arrange, sur la seule déclaration de fidélité de l’ami. Les défauts ne manquent pas dans cette pièce : « un plan foible, rarement de la gaieté dans l’action, des scènes décousues et des entrées et des sorties peu motivées », rien que de très habituel. Comme souvent, ce sont les couplets qui ont permis de sauver la pièce, même si on peut leur reprocher d’être répétitifs et parfois pleins de marivaudage (ce n’est manifestement pas un compliment) et d’obscurité. Le critique achève son article en citant un dernier couplet parmi ceux qui ont été redemandés.]

Théâtre du Vaudeville.

Ne pas croire ce que l’on voit, comédie en un acte donnée hier pour la première fois à ce théâtre a obtenu un succès flatteur. Les auteurs ont été demandés, ce sont les citoyens Gersain et l’Année, déjà connus par Arlequin Décorateur.

Couplet d'annonce chanté par le cit. Delaporte, jouant le rôle d’Arlequin décorateur.

Air du vaudeville d'Arlequin afficheur.

Ce matin-sans être apperçu
J’avois tapi ma mine noire ; Mais dirai-je ce que j’ai vu,
Puisque je ne dois pas le croire ?
Ai-je vu mal ? Ai-je vu bien  ?
A décider, moi je renonce :
Enfin je n’annoncerai rien
Dans mon couplet d'annonce.

Bis, s'est-on écrié de toutes parts, le citoyen Delaporte s’avance et dit :

Je recommencerois bien mais

Je crains d’abuser maintenant *
Du bien que votre main dispense :
Tant de défauts, dans un instant
Reclameront votre indulgence ;
Ménagez bien cette faveur
Pour chaque moment de foiblesse,
Afin d’en avoir pour l’auteur
A la fin de la piece.

Henry, jeune homme naturellement méfiant, a conçu de violens soupçons sur la fidélité de Linval, qu’il accuse d’avoir trahi Lucile sa sœur. Il s’est en conséquence brouillé avec Linval, qu’il a juré de ne plus revoir.

Sophie, maîtresse de Henri, imagine une partie de chasse, où elle espere parvenir à les reconcilier. Mais au moment de partir un orage survient et les force tous à rentrer au logis. Linval est obligé de se cacher dans un cabinet où un moment après Henri veut entrer pour prendre un tableau ; sur le refus que Sophie lui fait de lui ouvrir la porte, il conçoit de la jalousie ; mais elle est à son comble quand après s’être introduit dans le cabinet, et n’y avoir trouvé personne, il surprend la soubrette de Sophie, lui déclarer qu’elle a fait évader l’amoureux. Ce quiproquo excite sa fureur : il veut fuir sa maitresse, mais Linval accourt lui avouer son amour pour sa sœur, et se justifier de ses soupçons mal fondés. Les amis se reconcilient et les quatre amans sont unis.

Un plan foible, rarement de la gaieté dans l’action, des scènes décousues et des entrées et des sorties peu motivées, auroient pu nuire beaucoup à cet ouvrage, mais les couplets généralement fort saillans et bien faits, de l’esprit et de la facilité, ont rendu plus indulgens sur les principaux défauts. On pourroit aussi reprocher aux auteurs d’avoir trop répété les mêmes idées dans leurs couplets, et de n’avoir pas toujours évité le marivaudage et l’obscurité.

Parmi plusieurs couplets qui ont été redemandés, nous citerons le suivant.

Air Nouveau.

      Vieux livres et vieux amis,
Ont perdu leurs avantages,
Et chez nos modernes sages,
      Rien de vieux n’est plus admis ;
C’est par-tout nouveaux usages,
Chez Vénus nouveaux hommages,
Chez Plutus nouveaux visages ;
      Nouveaux auteurs à Marbœuf,
Du nouveau seul on s’accommode ;
Aussi nos gens à la mode
Ont-ils tous un air bien neuf.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, V. année, tome premier, p. 125-126 :

Ne pas croire ce qu'on voit.

La petite pièce donnée sous ce titre au théâtre du Vaudeville, le 29 germinal, a obtenu un succès complet ; mais ce succès est moins dû au fond de la pièce qu'au grand nombre de couplets satyriques et épigrammatiques dont elle est remplie. Une jeune personne veut réconcilier son amant avec le frère de son amie ; pour cela elle arrange une partie de chasse où les jeunes gens doivent se rencontrer. Le mauvais temps empêche la partie d'avoir lieu ; le jeune homme que l'on veut réconcilier, avec son ami vient au rendez-vous ; quelqu'un arrive ; on se trouve obligé de le cacher dans un cabinet, ce qui occasionne quelques mouvemens de jalousie de la part de l'amant qui le prend pour un rival ; après quelques quiproquo peu vraisemblables tout se découvre ; les jeunes gens se réconcilient, et l'amant épouse sa maîtresse.

Les auteurs ont été demandés, ce sont les CC Gersain et Lannée, auteurs d'Arlequin décorateur. Tous leurs couplets étoient remplis d'allusions très-piquantes plusieurs ; ont été redemandés, entr'autres, celui en parlant du goût actuel pour la nouveauté. L'amant dit :

A présent c'est la méthode ;
Aussi nos gens à la mode
Ont-ils tous un air bien neuf.

Celui où l'on dit que le meilleur moyen pour faire bonne chasse, est de prendre au vol.

Celui qui finissoit ainsi:

                      Nous voyons
Dans les bas-fonds force plongeons
Et sur les hauteurs quelques buses.

Et enfin celui où, faisant allusion aux différentes chasses, on disoit que pour quelques-unes, il falloit l'adresse de certain caissier ; mais que pour attendre à la pipée , il est nécessaire d'avoir la patience d'un rentier.

Dans la base César, la pièce est attribuée au seul Gersin, et Année n'est cité comme co-auteur que dans une note.

Les représentations : 25, au Théâtre du Vaudeville, du 18 avril au 17 octobre 1799.

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