La Parfaite égalité, ou les Tu et toi

La Parfaite égalité, ou les Tu et toi, comédie en trois actes, en prose, par le citoyen Dorvigny, 3 nivôse an 2 [23 décembre 1793].

Théâtre National, rue de la Loi.

Almanach des Muses 1794

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an 2 :

La parfaite Égalité ou les tu et toi, comédie en trois actes, en prose. Par le Citoyen Dorvigny. Représentée la premiere fois le 3 Nivôse ; sur le Théâtre National, rue de la Loi.

Après la liste des personnages (dans la brochure parue en l'an 3, il est placé avant !), un « avertissement » reprend le début de l'article de la Gazette nationale du 18 nivôse.

Réimpression de l'Ancien Moniteur, tome 19, Gazette nationale, ou le moniteur universel, n° 108, 18 nivose an II (7 janvier 1794), p. 144 :

[Le compte rendu s’ouvre par un certificat de patriotisme délivré à la pièce de Dorvigny, puisqu’elle atteint le but que devraient rechercher toutes les pièces, « de développer parfaitement les décrets qu'on y célèbre, d'en faire sentir l'esprit, d'en montrer tous les avantages, de les faire aimer », tout en étant une bonne pièce, au contraire de tant « d'ouvrages pitoyables dont nos théâtres sont inondés depuis quelques mois », dont le critique se demande si elles ne sont pas le fruit d’une « conjuration payée par Pitt et Cobourg pour empêcher le théâtre d’être au service de la Révolution. La Parfaite égalité a pour objet de promouvoir « le décret qui invite tous les bons citoyens à se tutoyer » (mais ne leur ordonne pas...). Elle montre un citoyen que le décret enchante, opposé à son futur gendre, « espèce de fat, ci-devant conseiller au parlement », qui s’oppose au décret et à une « femme de charge qui refuse que des domestiques qu’elle juge inférieure à elle la tutoient. La future épouse préfère à son fat de prétendant un jeune homme qui partage sa passion et est un tutoyeur passionné. Tout s’arrange : le père paie le dédit au foat prétentieux et marie sa fille comme elle le souhaitait. La pièce est pleine de « détails charmans », et le critique ne lui reproche que « quelques longueurs faciles à retrancher ». C’est la meilleure des (nombreuses) pièces de Dorvigny, dont le patriotisme va jusqu’à faire chanter au cours de la représentation trois couplets sur la musique de la Marseillaise célébrant la prise de Toulon.]

THÉÂTRE-NATIONAL, RUE DE LA LOI.

Parmi les pièces de théâtre qu'a fait naître la révolution. il n'y en a pas de plus jolie, peut-être, que celle donnée le 3 nivôse, au Théâtre-National, sous le titre de Parfaite Egalité. Il n'en est point où les formes, les intentions dramatiques soient mieux observées, mieux remplies, mieux soutenues. Il n'en est point de plus patriotique et qui atteigne mieux le but où doit tendre tout ouvrage de ce genre, celui de développer parfaitement les décrets qu'on y célèbre, d'en faire sentir l'esprit, d'en montrer tous les avantages, de les faire aimer. On pourrait dire qu'elle est patriotique en cela même qu'elle est fort bonne comme ouvrage dramatique ; car il est bien temps de s'élever contre cette irruption barbare d'ouvrages pitoyables dont nos théâtres sont inondés depuis quelques mois. Il semble que ce soit une conspiration payée par Pitt et Cobourg pour faire tomber dans l'avilissement le théâtre français, lui arracher sa gloire si justement acquise, et priver l'art dramatique des moyens puissants qu'il avait de consolider la révolution. Mais revenons à la Parfaite Egalité, qui certes n'est pas complice de cette conspiration.

Le citoyen Francœur, homme fort riche, mais excellent patriote, vient de lire le décret qui invite tous les bons citoyens à se tutoyer. Il en est enchanté, et veut être le premier à établir cet usage dans sa maison. Il exige de son jardinier d'être le premier à s'y soumettre : celui-ci craindrait de lui manquer de respect, mais Francœur lui explique d'une manière très claire et fort à sa portée comment un homme ne peut en déshonorer un autre en le traitant d'égal à égal. Il parvient même à lui faire entendre que c'est par orgueil que des hommes plus puissants que les autres ont exigé d'en être traités chacun d'eux comme s'ils étaient plusieurs. Cette explication, qui donne lieu à des détails aussi naïfs que comiques, est d'autant plus adroite de la part de l'auteur qu'elle est de nature à être fort bien entendue par les gens les moins instruits, et qu'en les faisant rire elle leur apprend des distinctions métaphysiques assez obscures.

L'usage établi par Francœur ne plaît pas à tout le monde. Gourmé, qui doit être son gendre, espèce de fat, ci-devant conseiller au parlement, avec qui la citoyenne Francœur s'est liée trop légèrement par un dédit, en est surtout révolté. Une femme de charge, qui a tout le costume et le goût de l'ancien régime, ne peut souffrir qu'une personne de son âge, une ancienne domestique, soit tutoyée même par un petit marmiton. Ces deux caractères sont très bien et très plaisamment développés. La jeune Francœur, par respect pour son père, n'a osé lui dire qu'elle n'aime point ce Gourmé à qui elle va être fiancée. Son cœur s'est donné à Félix, commis de son père, et qui est parti à sa place dans la première réquisition. Il a eu le bras cassé, et revient demander à Francœur si sa place est encore vacante. Comme Félix n'a pas de bien, Adélaïde n'a pas osé lui laisser connaître son penchant. Une délicatesse semblable a empêché Félix de se livrer à l'amour qu'il ressent de son côté. Cette double disposition rend très piquante la situation où le père, qui accuse sa fille d'avoir trop de froideur pour Félix, les oblige de se tutoyer en sa présence, et même de se donner le baiser fraternel. Félix, désespéré de voir qu'Adélaïde va passer dans les bras de Gourmé, veut quitter la maison. Adélaïde est chargée de le presser de rester. Cette scène, dont le père est témoin caché , amène l'explication. Il se trouve que Félix est le frère naturel de Gourmé, qui le traite avec beaucoup de mépris ; mais Francœur qui a pour lui infiniment d'estime et de reconnaissance, et qui n'avait pas besoin des nouveaux décrets pour être au-dessus des préjugés, lui donne sa fille, paie le dédit à Gourmé, assez puni d'apprendre que ce frère qu'il hait si fort doit partager avec lui la fortune de son père.

Nous n'avons indiqué que les principales situations de cet ouvrage, qui fourmille de détails charmants et auquel on ne peut reprocher que quelques longueurs faciles à retrancher. Il est joué avec beaucoup d'ensemble et de vérité. On a demandé l'auteur ; c'est le citoyen Dorvigny : c'est certainement l'un des meilleurs parmi les cent quarante que cet auteur fécond a donnés au théâtre. Ce même jour il a fait chanter, sur l'air de la Marseillaise, trois couplets, pour annoncer la prise de Toulon, qui ont été applaudis avec tout l'enthousiasme qu'une pareille nouvelle devait inspirer.

La base César connaît 33 représentations de la pièce, la plupart au Théâtre National, du 24 décembre 1793 au 21 décembre 1794.

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