La Partie de chasse

La Partie de chasse, comédie historique en cinq actes et en prose, de Charles Maurice [Descombes], 19 juillet 1814.

Théâtre de l’Odéon.

Titre :

Partie de chasse (la)

Genre

comédie historique

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

19 juillet 1814

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Charles Maurice [Descombes]

Almanach des Muses 1815.

Point de succès ; l'auteur a cependant de l'esprit et du talent. Allons, courage ! qu'il tâche de prendre sa revanche !

L'Almanach des Muses donne comme titre Stanislas, ou la Partie de chasse.

Le Spectateur, ou variétés historiques, littéraires, etc. de M. Malte-Brun, tome second (juin à septembre 1814), n° XIII, p. 116-119 :

[Un long compte rendu pour dire que la pièce est mauvaise. Comme il suit pas à pas la marche de l’intrigue, il a le mérite de nous en donner une image précise et bien utile quand on voit combien l’intrigue est incohérente et complexe. Le critique ne s’est pas amusé en voyant la pièce, mais il se rattrape en écrivant son article. Rien n’échappe à la condamnation, sauf les interprètes, que le critique plaint d’avoir dû jouer une telle pièce.]

Odéon. - LA PARTIE DE CHASSE, comédie en cinq actes et en prose, de M. CH. MAURICE.

Une partie de chasse est ordinairement une partie de plaisir, et nous n'y dérogerons pas. J'en demande pardon au chevalier de Mareuil et à M. Maurice, qui lui prête ces paroles ; mais ils ont bien dérogé dans la leur ; ou s'ils y ont goûté du plaisir, ils ont été des chasseurs plus adroits ou plus heureux que le public, qui a trouvé dans cette partie beaucoup d'ennui et une excessive disposition au bâillement. C'étoit bien la peine d'aller à la chasse !

L'exposition présente une innovation remarquable ; au lieu de la resserrer dans le premier acte, M. Maurice l'a prolongée habilement jusqu'au troisième, de façon qu'il n'en reste plus que deux pour le nœud et le dénouement ; et le spectateur n'est au fait du sujet qu'il poursuit depuis une heure et demie, que lorsqu'il est épuisé de fatigue : mais ce sont des accidens communs à la chasse. La scène est d'abord à Lunéville; le roi Stanislas veut se livrer incognito, et sous le nom de chevalier de Mareuil, au plaisir de la chasse : on en fait les préparatifs pendant la nuit. Le jeune Vannier, surnommé le Soldat du Roi, présente au ministre un général qu'il a ramené de Corfou. Quelques paroles mystérieuses sont prononcées...., et voilà le premier acte.

Le second se passe à vingt lieues de Lunéville, dans le château de Darlemont. Ce gentilhomme, prêt à marier sa fille avec son voisin, son meilleur ami, Valençay, n'en est pas plus gai pour cela. Sombre, rêveur, un chagrin secret le poursuit. Est-ce à cause de ce personnage, que M. Maurice a donné le nom de comédie à son ouvrage ? Ce qui n'est pas davantage comique, c'est l'amour rien moins que pur et fraternel dont brûlent Sophie, la future madame Valençay, et son frère Edouard........ Voilà deux actes. L'action ne marche guère, comme on le voit.... mais patience.

Au troisième acte, des chasseurs égarés demandent l'hospitalité. On devine que c'est le chevalier de Mareuil et sa suite : il est reçu, non sans difficulté ; mais à peine admis, il ordonne, il tranche, il se mêle des secrets de famille avec une telle impudence, que je tremblois à chaque instant de le voir jeté au moins à la porte par les valets.

Heureusement pour la majesté royale, il n'en arrive rien. L'amour antifraternel d'Edouard et de Sophie est avoué par eux ; il amène le taciturne Darlemont à révéler à son ami qu'Edouard n'est point son fils. Passionné autrefois pour la chasse, il déploya une excessive sévérité envers les braconniers ; l'un d'eux, pour se venger, lui ravit un jour son fils Eugène, qui, quelque temps après, fut trouvé mourant dans les bras d'un soldat. Norbert, c'étoit le nom de ce dernier, fut accusé de la mort d'Eugène, et, comme tel, condamné à périr. Un soldat tuer un enfant ! oh les habiles juges, que ceux de Stanislas ! Mais ce Norbert laissoit un fils, et c'est ce fils de l'assassin du sien, que Darlemont a élevé sous le nom d'Edouard.

Darlemont adopte bien le fils de son plus cruel ennemi, mais son héroïsme ne va point jusqu'à lui donner sa fille. Le jeune homme, instruit de sa destinée, se dispose à voyager, seul remède aux grandes peines de l'âme. Mais le chevalier de Mareuil n'est point de cet avis ; lui seul a le fil pour sortir de ce labyrinthe : il s'explique, un peu longuement à la vérité, mais enfin il s'explique ; et aussitôt le soldat du roi, Vannier, devient cet Eugène tant pleuré par Darlemont. Mais que devient Edouard ? Lecteur indulgent, qui peut-être éprouvez, à la lecture de cette analyse, quelque peu de l'ennui que m'a causé l'ouvrage, avez-vous oublié qu'au premier acte Vannier a présenté au ministre un étranger venant de Corfou ? eh bien ! ce général n'est autre que le soldat condamné à mort ; c'est Norbert, c'est le père d'Edouard.

Double reconnoissance, doubles, triples transports ; innombrables claquemens des bons et nombreux amis de M. Maurice.

On dit cet auteur homme d'esprit : je veux le croire ; sa pièce n'en est pas moins détestable. Il est facile de voir que voulant rattacher son drame aux circonstances politiques, c'est moins Stanislas-le-Bienfaisant, que le bon Louis XVI qu'il a voulu peindre.

De ce rapprochement forcé résulte une marche qui ne l'est pas moins. La phantasmagorie terminant le premier acte a été généralement réprouvée. Par son physique et l'imitation complète du costume et des gestes, Chazel représente, au lieu de Stanislas, un roi non moins vertueux, mais plus infortuné, l'auguste frère de notre souverain. Si M. Maurice eût consulté le goût, d'abord il n'auroit point fait sa pièce ; mais ensuite, il se seroit abstenu de ce moyen d'être applaudi : il auroit réfléchi qu'une apparition semblable, et aussi inattendue, devoit jeter dans l'âme des spectateurs une impression trop douloureuse pour n'être point diamétralement opposée au genre frivole de la comédie : impression que les plus grands efforts de gaîté n'auroient peut-être point effacée ; et chacun sait que M. Maurice n'a pas le défaut d'être trop gai.

Un style négligé, mais emphatique ; des éloges, des adorations perpétuelles sur le roi (Stanislas ou Louis ad libitum), sont les moindres défauts de cet ouvrage. Il est déplacé à l'Odéon ; mais à quel théâtre convenoit-il donc ? Il ne fait pas du tout rire ; ce n'est donc point une comédie Il ne fait pas tirer un mouchoir, pas couler une larme ; le drame le repousse. Il n'offre pas l'intérêt de la curiosité ; le mélodrame le rejette. Puisqu'il ne peut être placé nulle part, laissons-le mourir tranquillement, sa fin ne sera pas longue, et pour nous en consoler, nous irons voir une fois de plus la Partie de Chasse.... de Collé ! Je plains Perroud de son pauvre rôle de Darlemont ; madame Desbordes n'a pas un meilleur lot ; Perrier est contraint de se déguiser en duc. Quant à mademoiselle Delaitre, elle joue rondément le rôle d'un page, et elle y met beaucoup d'enfantillage.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VI, juin 1814, p. 288-295 :

[L’article commence avec humour, par un long détour érudit passant par Alexandrie et Ptolémée Philadelphe, par dire combien il est dur de rendre compte d’une pièce aussi impossible à comprendre, comme si l’auteur avait tout fait pour la rendre obscure. Le critique affirme même avoir attendu autant que possible de rendre son article, pour bénéficier des lumières des autres critiques, mais il a attendu en vain : personne n’est venu l’éclairer. Il lui faut donc s’exécuter et entreprendre cette analyse sans promettre d’être intelligible, et en prenant la liberté de bousculer l’ordre des scènes. Commence alors le long résumé d’une intrigue faite des aventures de gens qui changent de noms, d’assassinés qui ne meurent pas, de gens déguisés, le sommet de l’incroyable étant atteint quand on distingue sur la scène « lugubrement éclairée » une apparition, Louis XVI, l’arrière-petit-fils de Stanislas, sorte de dénonciation de l’assassinat du roi imputé à quelques régicides : il s’agit d’absoudre le peuple français d’un crime dont il aurait horreur (on est en 1814, et le trône de France est occupé par un autre arrière-petit fils de Stanislas). Mais le critique trouve la scène fort inconvenante. On finit par arriver à un dénouement dans lequel le bon roi Stanislas, sous un nom et un statut d’emprunt (le chevalier de Mareuil, chasseur), s’attache à expliquer non sans peine tous les mystères d’une intrigue incohérente dans un long discours. Le style ne contribue pas à adoucir le jugement du critique : il est « incorrect, lourd et prétentieux » et rien ne justifie qu’on ait employé pour désigner la pièce le mot de comédie (ce serait même « un de ses plus grands torts ». Les acteurs principaux ne sont pas ménagés non plus : l’un faute d’un rôle convenable, l’autre pour son jeu excessif. Les acteurs secondaires sont meilleurs. Ajoutons que, dans l’esprit du critique reste en permanence en arrière plan la vraie partie de chasse, celle d'Henri IV, la pièce de Collé, de 1774, et qui retrouve toute son actualité en 1814 (on la joue et on l’imprime).]

THÉATRE DE L’ODÉON.

La Partie de Chasse, comédie nouvelle historique en cinq actes.

J'ignore s'il y avait des journaux et des feuilletons, à Alexandrie sous le règne de Ptolémée Philadelphe ; mais, si l'on connaissait déjà cette belle et utile institution, les rédacteurs ont dû être bien à plaindre quand il a fallu qu'ils fissent l'analyse du poëme de Cassandre, composée par Lycophron, si justement surnommé le Ténébreux. Je sens leur peine par celle que j'éprouve aujourd'hui à rendre un. compte exact et clair de la nouvelle pièce de M. Maurice. On dirait qu'imitant Lycophron, il s'est plu à rendre son ouvrage si obscur, qu'il pût faire, comme lui, impunément le serment de se pendre si jamais personne parvenait à y rien comprendre. Lycophron ne s'est pas pendu et M. Maurice se porte encore fort bien, malgré le succès de sa Partie de Chasse.

Je me figurais si bien les difficultés et la fatigue que j'éprouverais à suivre M. Maurice dans le dédale qu'il a créé, et dans lequel il a lui-même, j'en suis sûr, beaucoup de peine à se retrouver, que j'ai reculé de quelques pas pour laisser mes confrères s'engager avant moi dans les détours tortueux du labyrinthe. « J'aurai, me disais-je, plusieurs guides au lieu d'un, et sans doute ils porteront dans cette épaisse obscurité une lumière qui guidera mes pas. Je profiterai de leur secours en ayant, suivant l'usage, grand soin de dissimuler le service qu'ils m'auront rendu. » Eh bien, l'espoir que je fondais sur ma paresseuse poltronnerie a été tout-à-fait déçu ; la lueur des flambeaux qui ont éclairé mes confrères était si faible, si incertaine, qu'elle n'est pas venue jusqu'à moi, et leur a suffi à peine pour les conduire eux-mêmes.

1l faut pourtant que j'entreprenne le voyage et que j'en donne la relation : mais, pour me servir de l'expression de M. C., nouveau rédacteur de l'article des spectacles dans le Journal des Débats, où l'on semble résolu à essayer successivement toutes les lettres de l'alphabet, si je pêche en cette occasion par le défaut de clarté, je ne serai pas le seul coupable.

Je ne suivrai pas servilement dans sa marche l’auteur qui s'est amusé à placer au troisième acte une espèce d'exposition, j'intervertis l'ordre des scènes et je me borne à expliquer le sujet le plus intelligiblement que je pourrai.

Le roi Stanislas à qui le goût pour la chasse sert de prétexte pour chercher les occasions de satisfaire le goût plus noble de la bienfaisance, a résolu de prendre pendant vingt-quatre heures le nom de chevalier de Mareuil, et cette résolution est annoncée à la cour avec une mystérieuse solemnité qui ferait croire que le salut du prince et de l'état sont attachés à ce caprice d'incognito. Le premier acte long, froid, obscur, est tout-à-fait inutile, puisqu'on n'y apprend qu'à moitié quelques évènemens dont on perd le fil au deuxième acte, qui n'a aucun rapport avec le premier. L'auteur semble ne l'avoir composé que pour le terminer par une scène de fantasmagorie. Sur le dernier plan du théâtre lugubrement éclairé, on voit une espèce d'apparition. Est-ce Stanislas qui s'avance à pas lents ? Non, c'est son arrière-petit-fils, ce prince vertueux dont les malheurs et la mort seront pour la France un éternel sujet de douleur et de honte. On croit reconnaître, à cette distance très-éloignée, ses traits, sa taille, sa démarche : on a imité jusqu'à son costume. L'intention de l'auteur, en faisant apparaître ce royal revenant; a été de fournir une nouvelle preuve que le crime de quelques régicides est en horreur au peuple français, qui entoure d'hommages posthumes la mémoire d'un roi qui régnerait encore s'il eût eu moins d'aversion pour les actes d'une juste sévérité ; mais plus l'effet de l'illusion est frappant, plus on sent qu'il est contraire à toutes les bienséances. C'est sur un autel expiatoire et non sur un théâtre, que doit être exposée la ressemblance de Louis XVI. Revenons à la pièce.

Un seigneur, nommé Darnevîlle, très-jaloux de ses droits de chasse, est odieux aux braconniers qui exercent contre lui la plus cruelle vengeance ; ils assassinent son fils Eugène, âgé de cinq à six ans. Ce malheureux enfant est trouvé mourant entre les bras d'un soldat, nommé Norbert, déjà connu par des actions d'éclat ; en vain il proteste de son innocence, en vain il jure qu'il prodiguait des secours à l'enfant, il est condamné à mort. Ce jugement assez leste, et rendu sans preuves n'a heureusement pas son exécution.

Le roi, éclairé par le duc d'Ossay [sic], son ministre, commue la peine de Norbert en exil, et le fait partir pour Corfou, où ses exploits l'élèvent au grade de général. Cependant le petit Eugène est rappelé à la vie, et Stanislas, qui l'a fait enlever, au lieu de le rendre à son père, conçoit l'idée d'une surprise, dont il se ménage le plaisir pour une quinzaine d'années plus tard. Eugène est élevé à la cour sous le nom de Valmiers, et passe pour le neveu du duc d'Orsay ; il porte le glorieux surnom de soldat du roi et avoue modestement qu'il se croit un héros.

Darneville, privé de son fils, s'est créé une. consolation aussi étrange que le plaisir du roi. Il apprend que Norbert laissait un fils en bas âge ; il l'adopte,et le fait élever comme le sien, sous le nom d'Edouard. Il faut se prêter complaisamment à la supposition, que jamais tous ces événemens, toutes ces substitutions de personnages, tous ces changemens de nom, ne sont venus à la connaissance de personne.

Darneville a souvent gémi sur les suites cruelles de la vengeance ; il a erré de contrée en contrée ; partout sa douleur l'a suivi. Enfin, il se fixe en Lorraine, prend le nom de Darlemont, mais rien ne peut dissiper sa tristesse, ni les tendres soins de sa fille et d'Edouard, ni la franche amitié de son joyeux voisin Valencey,. auquel il va donner la main de Sophie sans s'inquiéter si cette jeune personne pourra aimer un homme déjà sur le retour de l'âge.

Edouard a conçu pour Sophie un sentiment plus vif que la tendresse fraternelle; en proie aux remords, en horreur à lui-même, il confie le secret de son coupable amour à Valencey, en le priant d'obtenjr pour lui de Darlemont la permission de voyager.

Valencey se charge de cette démarche, qui amène entre lui et son ami une explication qu'on peut regarder comme l'exposition de la pièce : elle se trouve au troisième acte. Le poëte Beuglant, dans Cadet-Roussel, un peu plus avisé que M. Maurice, place l'exposition de la tragédie à la fin pour que le public s'en souvienne mieux en sortant. C'est alors qu'on apprend une grande partie de ce que j'ai déjà raconté, la cause des douloureuses exclamations de Darlemont toutes les fois qu'il entend parler de la. chasse, et le motif de ses longues et fréquentes retraites. dans une chambre où il a fait élever un tombeau vide de son Eugène et qu’il remplit de ses larmes.

Valencey, instruit qu'Edouard n'est pas le frère de Sophie, consent, de la meilleure grace du monde, à lui céder tous ses droits à la main de sa prétendue ; mais Darlemont, par une contradiction assez bizarre, repousse la proposition de ce mariage ; il cesse tout-à-coup de voir dans Edouard son fils adoptif ; il se souvient qu'il doit la vie à l'assassin d'Eugène. Le départ du pauvre jeune homme est résolu.

Sur ces entrefaites, des chasseurs égarés demandent l'hospitalité. A leur tête est le chevalier de Mareuil dont le départ a été annoncé au premier acte. Ce chevalier agit sans façon comme chez lui ; il tranche, ordonne, distribue les appartemens, change l'heure et le lieu des repas, en un mot, il fait le maître et presque le roi, à la grande surprise et au grand mécontentement de Valencey qui le regarde comme un pauvre gentilhomme. Tous les mots à double sens, adressés à un roi qu'on croit un simple particulier, ont été dits et répétés cent fois, et cent fois plus ingénieusement dans l'ancienne Partie de Chasse que dans la nouvelle.

Ce n'est pas le tout que d'embrouiller et de serrer le nœud d'une pièce, il faut le dénouer. L'auteur a chargé de ce soin le bon, le trop bon Stanislas, qui ne tranche pas le nœud gardien [sic] comme l'impatient macédonien ; il se donne la peine de débiter un long discours, pendant que son chancelier est là. Après avoir souvent repris haleine, il parvient à faire, tant bien que mal, comprendre à tout le monde que Norbert, condamné à mort comme assassin, est le plus brave homme du monde ; qu'Eugène n'est pas mort : que Valmiers est le fils de Darlémont, qui n'est pas Darlemont, mais Darneville; qu'Edouard est fils de Norbert, et que le fils d'un général peut bien épouser la fille d'un gentilhomme. On crie, ou s'embrasse ; le ministre fait un beau compliment au roi; et personne n'en fait à l'auteur, que quelques amis aussi bons juges que bons prophètes. Ils- répétaient partout, depuis quelques jours, que cette pièce aurait un succès si prodigieux, qu'il faudrait élargir l'enceinte si souvent trop vaste de l'Odéon, et qu'elle produirait de quoi faire en or les colonnes du péristyle.

Le style de ce chef-d'œuvre est incorrect, lourd et prétentieux : et cependant L'auteur a prouvé même ce jour qu'il faut marquer d'une pierre noire, jour qui vit naître et mourir Mascarille, qu'il savait écrire avec une facile pureté. Un de ses plus grands torts, qui est pourtant le plus facile de .tous à réparer, est d'avoir intitulé la Partie de Chasse Comédie. Jamais aucun ouvrage n'a moins ressemblé à une comédie que celui-là.

Perroud, malgré toute la souplesse de son talent, n'a tiré qu'un parti médiocre du rôle ingrat de Darneville ; ce n'est pas la faute de l'acteur. Au lieu de la noble familiarité et de la gaîté spirituelle qui caractérisaient Stanislas, Chazel n'a montré que le grossier abandon et la lourde joie d'un paysan goguenard entre deux vins. Cet auteur, pour emprunter un mot de Garrick, a l'organe aviné.

Les autres rôles moins importans ont été joués d'une manière satisfaisante. Mademoiselle Delatre sera beaucoup mieux sous le costume de page dans quelques mois.

A. Martainville.                         


 

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 19e année, 1814, tome IV, p. 179-183 :

[L’essentiel est dit dans la première phrase : la pièce est un imbroglio sans exemple. L’analyse se charge de le montrer, et y réussit assez bien. Le premier acte ne sert à rien, le deuxième ne sert qu’à amener une scène de fantasmagorie « contraire à toutes les bienséances : on y voit « une espèce d’apparition », c’est Louis XVI, imité très exactement, jusque dans sa démarche et son costume. L’analyse se poursuit avec l’histoire de Darneville, de son fils Eugène et du soldat Norbert, qui se trouve condamné à mort pour avoir tenté de tuer Eugène, qui est de ce fait condamné à mort sans preuve et que le Roi gracie et envoie en exil, où il se distingue en devenant général. Quant à Eugène, il est sauvé, mais il n’est pas rendu à son père et reste auprès du roi sous un pseudonyme. Le père, inconsolable, élève le fils de Norbert avec sa fille. Il veut marier celle-ci à un vieil ami, alors qu’elle est aimée du fis de Norbert, qui se croit son frère. Quand le jeune homme annonce qu’il veut s’éloigner de sa bien aimée, tout le passé resurgit (et c’est alors qu’on apprend tout ce qui précède : l’exposition au troisième acte !). Tout pourrait s’arranger, si Darneville (le père d’Eugène) se mettait à rejeter celui qu’il a adopté et élevé, parce qu’il est le fils de celui qui a été condamné pour le meurtre d’Eugène. Heureusement, le Roi arrive incognito, ce qui permet de faire une belle scène de quiproquo, le Roi étant traité comme un simple particulier, occasion de sous-entendus « dits et répétés cent fois plus ingénieusement dans l'ancienne Partie de Chasse que dans la nouvelle ». Après cette multitude malentendus, la pièce se dénoue toute seule par la grâce du roi : Eugène apparaît, et le fils de Norbert peut épouser la fille de Darneville : il n’y a plus qu’à faire l'éloge du Roi (on est en juillet 1814...). Pour dénigrer encore un peu la pièce, le critique ajoute que « le style de cet ouvrage est incorrect », que les deux interprètes principaux sont plutôt mauvais, à la différence des acteurs moins importants, qui ont joué « d’une manière satisfaisante ». Un dernier paragraphe revient sur la campagne de publicité des amis de l’auteur, qui avaient annoncé le succès de la pièce, ce qui est bien loin de ce qui est arrivé. Le Théâtre de l’Odéon est resté vide, et le restera tant qu’on y jouera de telles pièces. Quelle sévérité !

THÉATRE DE L'ODÉON.

La Partie de Chasse, comédie historique en cinq actes et en prose, jouée le 19 juillet.

II est difficile de voir un imbroglio pareil à celui que l'on vient d'honorer du titre de comédie. Nous allons tâcher d'en donner une idée par l'analyse suivante.

Le Roi Stanislas, à qui le goût pour la chasse sert de prétexte pour chercher les occasions de satisfaire le goût de la bienfaisance, a résolu de prendre, pendant vingt-quatre heures, le nom du chevalier de Mareuil, et cette résolution est annoncée à la cour avec une mystérieuse solennité qui feroit croire que le salut du Prince et de l'Etat est attaché à ce caprice d'incognito. Le premier acte est tout-à-fait inutile, puisqu'on n'y apprend qu'à moitié quelques événemens dont on perd le fil au deuxième acte, qui n'a aucun rapport avec le premier. L'auteur semble ne l'avoir composé que pour le terminer par une scène de fantasmagorie. Sur le dernier plan du théâtre lugubrement éclairé, on voit une espèce d'apparition. Est-ce Stanislas qui s'avance à pas lents ? Non, c'est son arrière-petit-fils, ce prince vertueux dont les malheurs et la mort seront pour la France un éternel sujet de douleur. On croit reconnoître, en l'apercevant à cette distance éloignée, ses traits, sa taille, sa démarche : on a imité jusqu'à son costume. Mais, plus l'effet de l'illusion est frappant, plus on sent qu'il est contraire à toutes les bienséances. C'est sur un autel expiatoire et non sur un théâtre, que doit être exposée la ressemblance de Louis XVI. Revenons à la pièce.

Un seigneur, nommé Darneville, très-jaloux de ses droits de chasse, est odieux aux braconniers qui exercent contre lui la plus cruelle vengeance ; ils assassinent son fils Eugène, âgé de cinq à six ans. Ce malheureux enfant est trouvé mourant entre les bras d'un soldat, nommé Norbert, déja connu par des actions d'éclat ; en vain il proteste de son innocence, en vain il jure qu'il prodiguoit des secours à l'enfant : il est condamné à mort. Ce jugement, rendu sans preuves, n'a heureusement pas son exécution. Le Roi, éclairé par le duc d'Orsay, son ministre, commue la peine de Norbert en exil, et le fait partir pour Corfou, où ses exploits l'élèvent au grade de général. Cependant le petit Eugène est rappelé à la vie, et Stanislas, qui l'a fait enlever, au lieu de le rendre à son père, conçoit l'idée d'une surprise, dont il se ménage le plaisir pour une quinzaine d'années plus tard. Eugène est élevé à la cour sous le nom de Valmiers, passe pour le neveu du duc d'Orsay, et porte le glorieux surnom de soldat du Roi.

Darneville, privé de son fils, s'est créé une consolation aussi étrange que le plaisir du Roi. Il apprend que Norbert laissoit un fils en bas âge ; il l'adopte, et le fait élever comme le sien, sous le nom d'Edouard. Il faut se prêter à la supposition, que jamais tous ces événemens, toutes substitutions de personnages, tous ces changemens de nom, ne sont venus à la connoissance de personne.

Darneville a souvent gémi sur les suites cruelles de la vengeance; il a erré de contrée en contrée ; partout sa douleur l'a suivi. Enfin, il se fixe en Lorraine, prend le nom de Darlemont ; mais rien ne peut dissiper sa tristesse, ni les tendres soins de sa fille et d'Edouard, ni la franche amitié de son joyeux voisin Valencey, auquel il va donner la main de Sophie sans s'inquiéter si cette jeune personne pourra aimer un homme déja sur le retour de l'âge.

Edouard a conçu pour Sophie un sentiment plus vif que la tendresse fraternell e; en proie aux remords, en horreur à lui-même, il confie le secret de son coupable amour à Valencey, en le priant d'obtenir pour lui de Darlemont la permission de voyager.

Valencey se charge de cette démarche, qui amène entre lui et son ami une explication qu'on peut regarder comme l'exposition de la pièce : elle se trouve au troisième acte. C'est alors qu'on apprend une grande partie de ce que j'ai déja raconté, la cause des douloureuses exclamations de Darlemont toutes les fois qu'il entend parler de la chasse, et le motif de ses longues et fréquentes retraites dans une chambre où il a fait élever un tombeau vide de son Eugène, et qu'il remplit de ses larmes.

Valencey, instruit qu'Edouard n'est pas le frère de Sophie, consent, de la meilleure grâce du monde, à lui céder tous ses droits à la main de sa prétendue ; mais Darlemont, par une contradiction assez bizarre, repousse la proposition de ce mariage ; il cesse tout-à-coup de voir, dans Edouard, son fils adopiif; il se souvient qu'il doit la vie à l'assassin d'Eugène. Le départ du pauvre jeune homme est résolu.

Sur ces entrefaites, des chasseurs égarés demandent l'hospitalité. A leur tête est le chevalier de Mareuil dont le départ a été annoncé au premier acte. Ce chevalier agit sans façon, comme chez lui ; il tranche, ordonne, distribue les appartemens, change l'heure et le lieu des repas ; en un mot, il fait le maître et presque le Roi, à la grande surprise et au grand mécontentement de Valencey qui le regarde comme un pauvre gentilhomme. Tous les mots à double sens, adressés à un Roi qu'on croit un simple particulier, ont été dits et répétés cent fois plus ingénieusement dans l'ancienne Partie de Chasse que dans la nouvelle.

Ce n'est pas le tout que d'embrouiller et de serrer le nœud d'une pièce, il faut le dénouer. L'auteur a chargé de ce soin le bon Stanislas, qui se donne la peine de débiter un long discours, et parvient à faire, tant bien que mal, comprendre à tout le monde que Norbert, condamné à mort comme assassin, est le plus brave homme du monde ; qu'Eugène n'est pas mort ; que Valmiers est le fils de Darlemont, qui n'est pas Darlemont, mais Darville [sic] ; qu'Edouard est fils de Norbert, et que le fils d'un général peut bien épouser la fille d'un gentilhomme. On s'embrasse, et le ministre fait un beau compliment au Roi.

Le style de cet ouvrage est incorrect, et prétentieux ; Perroud, n'a tiré qu'un parti médiocre du rôle ingrat de Darneville. Au lieu de la noble familiarité et de la gaieté spirituelle qui caractérisoient Stanislas, Chazel n'a montré que la lourde gaieté d'un paysan goguenard. Les autres rôles moins importans ont été joués d'une manière satisfaisante.

Quelques amis de l'auteur avoient répandu le bruit que cet ouvrage devoit faire courir tout Paris, et remplir la salle, si souvent déserte, de l'Odéon. Hélas! leur prophétie n'a pas été accomplie ; et, si ce théâtre n'a pas de meilleurs ouvrages pour attirer la foule, tout ce que l'on y déclamera sera toujours : vocem clamantis in deserto.

L'auteur de la nouvelle Partie de Chasse est M. CHARLES MAURICE.

A. P. Chaalons d’Argé, Histoire critique et littéraire des Théâtres de Paris, année 1822 (Paris, 1824), p. 498-501:

[Nouvelle mouture de la Partie de chasse dont Stanislas est le héros...]

Un trait sans exemple, arrivé il y a quinze ans, dans une ville de France, et dont le héros ne fixa pas autant l'attention qu'il le méritait, a fourni la première idée du drame de M. Benoit ou l'Adoption, joué d'abord à l'Odéon, sous le titre de Stanislas ou la Partie de chasse. Voici comment un journal présentait ce trait dans le temps.

« Notre ville vient d'être témoin d'un fait aussi admirable qu'extraordinaire, un homme a adopté le fils de l'assassin du sien. » —

Au premier acte, la scène se passe à Lunéville, dans le palais de Stanislas alors grand duc de Lorraine et retiré dans ses possessions, après de malheureux événemens que tout le monde connaît. Ce monarque est enfermé dans son cabinet et travaille avec le duc de Volny, son premier ministre. Isidore, le page, veille à la porte du cabinet du Roi. Un jeune officier survient, c'est Valincour, neveu du duc de Volny. Il arrive de Livourne, où il a rempli une mission dont il rend compte à son oncle. Après que celui-ci a donné des ordres à Isidore pour une partie de chasse qui doit avoir lieu dans la journée, et pendant laquelle le Roi voyagera sous le nom de M. Benoit, Valincour amène un général arrivant de Corfou, le baron de Sarmé. A la voix de ce général, le ministre croit le reconnaître ; il éloigne son neveu, et Volny ainsi que SaImé se remettent mutuellement leurs traits. On apprend que ce général fut autrefois condamné à une peine qu'on n'explique pas, et qu'il dut beaucoup à Volny qui était alors magistrat. En ce moment, on annonce que le Roi part pour la chasse. Des seigneurs, des gardes précèdent le monarque qui aperçoit Sarmé et lui fait signe de le suivre.

Au second acte, on est à Ligny, dans le château de M. Dormesson. Sa famille, qui se compose d'Ernest son fils, et de Cécile sa fille, se prépare à faire une partie de pêche, tandis que Francheville, l'ami de la maison, va tirer quelques perdrix. Dormesson paraît dévoré de chagrin ; chaque jour, il passe des heures entières dans un pavillon retiré, sans qu'on puisse deviner quel motif l'y attire. On le voit toujours aussi témoigner une secrète horreur pour la chasse, et cette aversion lui fait refuser de voir des chasseurs qui demandent l'hospitalité. On devine que c'est le Roi et toute sa suite, c'est-à-dire, Volny, Sarmé, Isidore et Valincour. Sous le nom de M. Benoit, le prince qui n'est connu de personne dans le château, s'y installe avec son monde, et surprend la famille Dormesson par la connaissance qu'il montre de tout ce qui regarde chacun de ses membres. On se loge. C'est ici que Dormesson, et Francheville qui doit épouser la fille de ce dernier, ont une longue conversation dans laquelle s'explique l'intrigue, et qui en même temps empêche de trouver odieux l'amour que ressent Ernest pour Cécile Dormesson a perdu depuis quinze ans un fils adoré, nommé Eugène, par l'effet d'une affreuse catastrophe. Un soldat l'a assassiné. Ce coupable était le mari de celle qui avait allaité Eugène, et qui vivait dans la maison avec son propre enfant, frère de lait de ce dernier, comme chez de tendres protecteurs. La loi a frappé ce malheureux qui protesta constamment de son innocence et que l'on accusa, en outre, d'avoir dérobé les restes de sa victime que personne ne put retrouver. Dans l'excès de son désespoir, et par un de ces actes inouis d'un héroïsme inconcevable (s'il n'était prouvé), Dormesson a voulu revoir son fils dans l'enfant nourri du même lait, dans celui qui lui rappelait le plus cruellement son Eugène, il a adopté cet infortuné, innocent du crime de son père, l'a élevé comme son véritable fils, et ce jeune homme, c'est Ernest ! ! !

Cependant le Roi veille sur tout ce qui se passe dans la maison, donne audience au général Sarmé et lui dit de voir son ministre. Sa suite s'inquiète pour lui de toutes les allées et venues qu'on remarque dans le château ; Stanislas les rassure, et se joue de ces alarmes en se donnant, aux yeux de tous, un air de sorcellerie, qui sert au mieux ses desseins. Enfin, Ernest a une touchante entrevue avec Dormesson et Cécile. Il leur fait ses adieux et part. Mais le Roi le ramène à ses parens et se mêle tellement des affaires de cette famille, qu'il attire sur lui les remontrances et les plaisanteries de Francheville, bien persuadé qu'il parle à M. Benoit. Dormesson est lui même prêt à quitter sa demeure, quand une lettre l'y retient par la demande qu'on lui fait de ses enfans ; elle est du Roi présent à cette scène, et qui jouit de la surprise, de l'inquiétude générales. Enfin il se montre revêtu des marques de sa grandeur, et raconte ce qu'il a fait pour tant de malheureux. Il en résulte que Sarmé, devenu général, est le soldat faussement accusé du meurtre d'Eugène, que ce dernier est Valincour; et que, par conséquent, les deux pères retrouvent chacun son fils. Valincour est celui que Dormesson a tant pleuré, et Ernest, celui de Sarmé qui se nommait autrefois Roger. Le monarque répand les faveurs, distribue les récompenses : il fait Dormesson duc de Valincour, Roger comte, et unit les deux amans qui n'ont entre eux aucun rapport de parenté. La pièce finit par le vœu que de tels monarques soient immortels.

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