La Petite Nan[n]ette

La Petite Nan[n]ette, opéra-comique en 2 actes. Paroles et musique du Cousin Jacques. 29 frimaire an 5 [19 décembre 1796].

Théâtre de la rue Feydeau.

Almanach des Muses 1798.

Nanette est la fille d'une victime du tems de la terreur. Seule avec sa mère, qui n'a plus de ressources, elles se retirent toutes deux dans un village ; la mère se fait blanchisseuse, et la fille entre au service d'un vieux fermier. On s'apperçoit bientôt qu'elles ne sont pas nées pour ce genre de travail. Le fermier les éprouve : elles montrent des sentimens délicats : il marie Nanette à son fils, et assure l'existence de la mère.

Des détails charmans ; de l'esprit de parti ; du succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Moutardier, an V, 1796 :

La petite Nannette, opéra-comique, en deux actes. Représenté pour la première fois à Paris, au Théâtre Feydeau, le 19 Frimaire, An cinquième. (Vendredi 9 Décembre 1796, vieux-stile). Paroles et Musique du Cousin-Jacques. Dédié, par la reconnaissance, à mon ami Gaveaux.

La Décade philosophique, littéraire et politique, Cinquième année de la République, Ier trimestre, n° 9 du 30 Frimaire, 20 décembre 1796, p. 557 :

Théâtre de la rue Feydeau.

On a donné avec succès un opéra comique en vaudeville intitulé : la Petite Nannette du Cousin-Jacques. Ne nous corrigerons-nous jamais du ridicule des applications au spectacle ? Et les auteurs ne se guérirons-ils pas de chercher un genre de succès si peu flatteur ?

Revue bleue (revue politique et littéraire, tome 48, n° 13 du 26 septembre 1891, p. 415-416 :

[Article consacré à l’examen de l’action de la censure sur la Petite Nannette. Double intérêt historique, puisqu’on voit comment travaille al censure en 1796, et qu’on voit aussi comment on réagit en 1891 à la suppression de la censure.]

La Censure et l'Opéra.

En France, le bruit du théâtre a toujours été affaire d'État. Il éclate parfois sans qu'on y pense; mais, si on vient à y penser, que de précautions !

C'est pourquoi la censure fut inventée. La Commission du budget vient de conclure à sa suppression. Mais, sous tous les régimes, disons-le bien, ce fut un dangereux métier. Sans boussole, sans règle fixe, l'infortuné censeur flottait au vent qui variait sans cesse. Il fallait être inflexible sur les questions de principe, tout en les sacrifiant dès qu'un personnage était ou pouvait être en jeu. Pour celui qui manquait de flair, il n'y avait en vérité que des rebuffades à recevoir. On l'accusait en même temps de mollesse excessive et de vigueur absurde.

La première République fut particulièrement un temps d'épreuves pour la censure, lorsque cette république cessa d'être terrible. Il fallait ménager tout et tous ; penser à la veille, au jour... et au lendemain.

Nous avons entre les mains un petit opéra comique qui en est la preuve amusante ; en voici le titre : La Petite Nannette, représentée pour la première fois à Paris au théâtre Feydeau, le 19 frimaire, an V (vendredi, 9 décembre 1796).

Notre exemplaire a ceci de particulier qu'il porte les corrections de la censure, qui l'a ainsi paraphé :

« Vu au Bureau central du canton de Paris, qui, outre les changements faits à cet ouvrage, en a indiqué plusieurs autres auxquels il sera nécessaire de se conformer.

« Le 16 frimaire, an VIII de la république,

« Les administrateurs,

« Piis, Du Bois. »

On jugera de son œuvre en comparant les deux colonnes qui suivent :

TEXTE DE LA « PETITE NANNETTE »
.

CORRECTIONS MANUSCRITES DE LA CENSURE.

Blaise. – Page 5 : J’veux l’épouser... Quand j’li parle d’ça, ai- me rebute avec un air chagrin, etc.

A supprimer à partir de : quand j’li parle.

– Page 6 : C’est un queuq’z’un comme i’faut.

Queuq’z’un d’capable.

– J’sommes venu m’y faire laquais. Oh ! j’dis !... laquais !... c’n’est pas ça ; car un laquais, c’est un fainéant, et moi je r’tourne la terre, etc.

J’sommes venu m’y établir (le reste est supprimé).

Nannette. – Page 11 : Cette Providence, qui semble délaisser la vertu sur la terre et se plaire à combler les méchants de toutes sortes de prospérités. Vous, par exemple, veuve par la cruauté de, etc.

Claudine. Comme tant d'autres, mon enfant, qui certes nous valent bien.

Nannette. Mais, enfin, qu'avait fait mon malheureux père? etc.

CLAUDINE, lui imposant silence. Paix, ma fille, point de murmures! Cette Providence semble se taire quelquefois, mais tout à coup elle impose silence aux méchants... Nous en avons eu des preuves.

Page 11 :

Claudine, chante.

Méchants, malgré tous vos succès,
Il punira tous vos forfaits.


 


 

Méchants, malgré tous vos projets,
Sa main préside à nos succès.

– Page 18 : C'est, sans comparaison, comme ces prédicateux d'autrefois, etc.

A supprimer.

– Page 21 : Not' Révolution donne assez d’quoi excuser les bons cœurs.

A remplacer par : Nous avons toujours assez d'quoi excuser les bons cœurs.

Blaise. Page 24 : J'ons souvent pensé, surtout dans c'temps-ci, où j'ons vu des culbutes, des culbutes et des culbutes. Enfin, apparemment, il fallait ça, pisque ça y est.

Supprimer à partir de : surtout; et remplacer par : car je suis t'un queuq’z'un qui pense, moi, tel que vous me voyez.

Page 24 :

Le père Bontemps, chante.

C’ti là qu'est au haut du pouvoir
C’ti là qu'aujourd'hui chacun r'nomme
Tout grand qu'il est, i'peut d'main s'voir
Encor pus petit que l'pus petit homme.


 


 

Ceux-là qui du poids d'leur orgueil
Nous écrasiont tant q'nous sommes
I'd'v'nont souvent en un clin d'œil
Encore pus p'tits q'les pus petits hommes.

– Page 47 : C'est quasi comm' une révolution. N'examinons pas les pourquoi ci ? pourquoi ça ? Nous y sommes, n'est-ce pas   Tàchons d'nous en tirer l'moins mal que nous pourrons ; c'est l'parti l'pus sage.

A supprimer.

– Page 47 : On peut aimer sa patrie et ne pas être grossier comme des manants, etc.

A supprimer.

– Page 48 : C'est alors seulement qu'on pourra parler de libarté!

A supprimer.

Claudine. – Page 49: Son père, comme tant d'autres, a péri victime de ces temps orageux qui, j'espère, ne reviendront jamais en France.

A remplacer par : Son père fut la victime... Mais ne rappelons pas des souvenirs capables de réveiller la haine, quand nous avons si grand besoin du repos et de la concorde.

Le père Bontemps. Faut l'espérer, comme vous dites. Diantre! c'est ben assez d'une fois.

Le père Bontemps. C'est juste, ma voisine. Car aussi ben ce qui est passé est passé... et ça ne r'viendra plus.

– Page 50 :

Claudine, chante.

Est-ce par des cris indécents
Qu'on change la face des choses ?
Quel Français n'a depuis sept ans
Sur ses pas trouvé que des roses ?
Peut-on se plaindre en bonne foi
Quand on regarde autour de soi ?
Qu’on me cite des malheureux,
Quel que soit leur sort, que j’ignore,
Qui ne rencontrent autour d’eux
D’autres plus malheureux encore !


 


 

A supprimer.

Valentin. – Page 59 : Le bonheur depuis si longtemps exilé de la France...

Le bonheur tant désiré.

– Il n'y a qu'une voix unanime en France.

... Unanime parmi nous. (Le censeur avait d'abord mis : unanime dans la république et, – porté en marge : substituer le mot république à celui de France. – Puis il s'est ravisé.)

Blaise. – Page 73 : Ah! j'vois bin q'vous voulez r’veiller le chat qui dort, mais vous m'aimerez toujours bin.

Supprimer : voulez réveiller le chat qui dort.

Blaise à Valentin. – Page 73 : Et vous quitt'rez vot' panache.

A supprimer.


 

On se demande bien des choses à la lecture de ces corrections souvent contradictoires :

Pourquoi supprimer le panache ? - Parce que Valentin est dans la pièce un sous-officier de cavalerie. La censure ne veut pas blesser l'armée.

Pourquoi supprimer le chat qui dort ? Parce que sous le Directoire on était, paraît-il, plus prude qu'on ne croit. Du moins il y avait des intermittences.

Pourquoi mettre et supprimer tour à tour le mot république ? Parce que certaines oreilles commençaient à perdre l'habitude de l'entendre.

Pourquoi empêcher de dire que depuis dix ans on n'avait pas toujours été sur des roses et qu'on ne verra plus le retour de temps orageux ? Parce qu'il y a des jacobins auxquels cela déplaira.

Pourquoi ne pas vouloir qu'on méprise les laquais et les gens grossiers ? – Parce que cela déplairait à l'aristocratie et aux ouvriers.

Et pourquoi barrer c'ti-là ? – Pourquoi ? Vous ne voyez donc point que c'est Bonaparte !

.      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .

En vérité, je le répète, le métier de censeur d'opéra n'était pas aisé en 1796.

Lorédan Larchey.

D'après la base César, la pièce, due, texte et musique, au fameux Cousin Jacques, a été jouée 30 fois du 7 décembre 1796 au 29 juillet 1797.

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