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Le Paria, la Chaumière indienne

Le Paria, comédie en un acte, mêlée d'ariettes, de Demoustier, musique de Gavaux. La Chaumiere Indienne, aussi en un acte, par les mêmes auteurs, 8 octobre 1792.

Théâtre de la rue Feydeau.

Deux pièces ou une seule ?

Si on en croit le site de Stanford libraries, il faut écrire le Paria ou la Chaumière indienne. Même chose dans l'article de Jackie Assayag, « L’aventurier divin et la bayadère immolée. L’Inde dans l’opéra », dans l'Inde et l'imaginaire, dirigé par Catherine Weinberger-Thomas, Éditions de l'EHESS, 1988. Il souligne l'originalité d'un opéra racontant comment« un paria au cœur simple purifié au contact de la nature » offre l'hospitalité à un savant anglais et lui permet de trouver la vérité.

Par contre, la présentation qu'en font Didier Masseau, Patrick Brasart, Simon Davies, Chantale Meure, Jean-Michel Racault, les éditeurs des œuvres complètes de Bernardin de Saint-Pierre, tome 5 (Classiques Garnier, 2022), p. 56, sépare les deux pièces :

Le 8 octobre 1791, est joué au théâtre Feydeau Le paria ou la Chaumière indienne, sur des paroles de Charles-Albert Demoustier et une musique de Gaveaux (OC, t. I, p. 784-785). Il s’agit en fait de deux opéras-comiques, Le Paria et La Chaumière indienne, joués l’un à la suite de l’autre.

La séparation des deux pièces est peut-être simplement motivée par la volonté de ne pas rompre l'unité de temps : les deux pièces sont séparées par trois ans, comme l'explique l'article du Mercure de France​​​​​ ci-dessous.

Titre :

Paria (le), Chaumière indienne (la)

Genre

comédies mêlées d’ariettes

Nombre d'actes :

1 + 1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

ariettes

Date de création :

8 octobre 1792

Théâtre :

Théâtre de la rue Feydeau

Auteur(s) des paroles :

M. Demoustier

Compositeur(s) :

M. Gavaux

Mercure Français, n° 45 du samedi 10 novembre 1792, p. 45-48 :

[Le compte rendu de cette adaptation au théâtre d’un roman de Bernardin de Saint-Pierre s’ouvre sur le constat de la difficulté d’une telle transformation, en raison de l’écart entre le récit romanesque et la nécessaire action dramatique. Les deux pièces présentées n’en feraient qu’une s’il n’y avait pas trois ans entre les deux actions. Le résumé de l’intrigue est suivi d’un bilan en deux temps. D’abord le constat de l’impossibilité de faire des « discussions philosophiques » dans ce genre de pièce, faute de pouvoir développer les arguments, réduits à de simples assertions. « Il n’y a là de quoi convaincre personne ». Pourtant, malgré ce que le critique considère comme des « fautes contre l’art dramatique », la pièce est remplie de « détails pleins d'esprit, de grace & de sentiment », de « mots très-piquans qui ne sont pas encore sentis, & qui ne feront qu’ajouter à son succès ». Auteur et compositeur sont nommés. La musique de Gavaux est jugée de façon très positive, comme la qualité de son interprétation, puisqu’il est aussi acteur et chanteur. Ces compliments s’étendent à l’ensemble des interprètes.]

On a remarqué souvent que des sujets très intéressans en récit, perdaient en scène une grande partie de leur mérite. Les moyens de l'Auteur Dramatique sont très-différens de ceux du Conteur. Celui-ci, pour présenter avec intérêt des faits simples & uniformes, n'a besoin que de les revêtir de formes gracieuses & piquantes ; il peut passer rapidement sur ce qui touche le moins , & ne s'arrêter que sur les tableaux qui plaisent à l'esprit. Au Théâtre où l'on voit tout, il faut du mouvement & de la variété. Il ne suffit pas que des tableaux soient agréables, il faut encore qu'ils soient attachans, & n'y rien montrer qui puisse choquer la vérité ni les convenances dramatiques On ne parle pas aux yeux comme à la seule imagination.

Ces observations peuvent s'appliquer au Paria & à la Chaumiere Indienne, deux petites Pieces que l'on donne au Théâtre de la rue Feydeau, lesquelles n'en font qu'une, & qui ne sont divisées que parce qu'il y a un intervalle de trois ans entre la premiere & la seconde. Tout le monde connait le Roman de Bernardin-Saint-Pierre, d'où elles sont tirées. Un Paria, c'est-à-dire un Indien de la lie du Peuple, d'une Caste odieuse aux nobles enfans de Brama, devient amoureux d'une jeune veuve, qu'un préjugé barbare engage à se brûler sur le tombeau de son époux. Il parvient à la rendre sensible, & l’emmene dans ses forêts. Tel est le sujet de la premiere Piece. Dans la seconde, la jeune Bramine a épousé le Paria. Ils ont un enfant, & sont heureux. Des Brames, à la tête desquels est le Prêtre qui voulait brûler la veuve, sont surpris dans la forêt par un violent orage. Le Paria leur offre un asile ; mais l'horreur qu'ils ont pour un homme de cette Caste les empêche de l'accepter. Un Anglais, qui les accompagne, & qui voyage pour trouver le bonheur & la vérité, se montre moins scrupuleux. Il cause avec les jeunes époux, est touché de la simplicité de leurs mœurs, & paraît convaincu qu’ils possedent le bonheur qu'il cherche si vainement. Cependant l'orage redouble, les Brames mourant de froid & de peur, surmontent leur répugnance, & entrent dans la Chaumiere. Le Grand-Prêtre reconnaît son ancienne victime, & veut l'enlever pour prix de l'hospitalité qu'il en reçoit. L'Anglais s'y oppose, & demande qu'il pardonne au Paria, si celui-ci lui prouve qu'il possède le bonheur. La discussion s'engage, & le Brame, qui s'avoue vaincu assez facilement, ernbrasse ces heureux époux , & se réconcilie avec la Caste de la Nature.

Nous n'ajouterons aucune réflexion à cet exposé Nous dirons seulement que les discussions philosophiques ne peuvent absolument s'allier avec de petits sujets au Théâtre, ni même dans les Livres ; car comme les raisonnemens n'y sauraient être approfondis, tous les argumens sont de simples assertions, Tels sont, en effet, ceux du Paria : quand le Brame lui dit qu’il est riche, qu'il est considéré, qu'il jouit des honneurs, &c. son adversaire se contente de répondre : Ah ! qu'il est loin du bonheur. Il n'y a là de quoi convaincre personne, & en effet, il était difficile de persuader en un seul mot à un Prêtre riche, & jouissant de toutes les commodités de la vie, que le bonheur consiste à être pauvre, à avoir une femme & un enfant, au milieu d'un désert.

Mais si l'on peut reprocher à cet Ouvrage quelques fautes contre l'Art dramatique, on ne peut contester à l'Auteur une foule de détails pleins d'esprit, de grace & de sentiment. Il y a même beaucoup de mots très-piquans qui ne sont pas encore sentis, & qui ne feront qu’ajouter à son succès. La Piece est de Dumoustiez, déjà connu avantageusement sur ce Théâtre & sur plusieurs autres. La Musique est ds Gavaux, à qui on doit déjà celle des Deux Suisses. Son talent s’est encore plus développé dans cet Ouvrage, où l’on trouve plus d'énergie, & même plus d’esprit & d’entente de Scène, avec des chants également gracieux. Il y joue & chante d’une maniere très-agréable le rôle du Paria ; Madame Scio celui de l’Indienne : tous les autres rôles sont aussi fort bien exécutés.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 12 (décembre 1792), p. 310-315 :

[Le compte rendu conteste le bienfondé de la transformation du roman de Bernardin de Saint-Pierre en pièce de théâtre : il y a toute une série de difficultés à cette transformation, que le critique énumère longuement, et qui tiennent pour l’essentiel à la capacité de montrer dans l’espace d’une pièce tant d’épisodes, et de à rapprocher des événements distants de trois ans, ce qui est contraire aux règles (unité de temps, de lieu) comme à la vraisemblance dramatique.

Pour que la pièce réussisse, il faudrait considérablement la resserrer. Il y a aussi des scènes « qui ne sont paqs d’un bon goût », et le caractère du docteur anglais est considéré comme manqué parce qu’il ne ressemble pas à celui que dresse Bernardin de Saint-Pierre. Si le critique a vu « des tableaux très-agréables », il regrette que l’esprit vienne « se placer à côté de la nature », mais «  par-tout où la nature cherche à briller seule, l'esprit est déplacé ». On attendait mieux d’un auteur confirmé comme Demoustier.

La musique est présenté de façon très positive (« écrite avec pureté & très-souvent en maître » : le public a beaucoup aimé cette musique. Félicitations aussi aux interprètes (du moins pour ceux qui sont cités !). Par contre, si « les décorations sont pittoresques », les costumes nuisent à la vraisemblance, parce qu’ils ne sont ni vrais ni agréables à l'œil.]

La Chaumiere Indienne, roman moral de M. Bernardin de S. Pierre, est un de ces ouvrages philosophiques, dont le fonds, consacré entiérement à des discussions, à des controverses morales, ne peut fournir que peu d'effets à la scene. Il est si difficile de réduire ce qui exige de l'étendue, si difficile d'ajouter de nouveaux épisodes à un cadre où il n'y a rien de trop, si difficile encore d'assujettir aux regles, ou au moins à la vraisemblance dramatiques, deux actions entre lesquelles il s'écoule tout-à-coup trois ans, & dont le rapprochement ne peut se faire que dans l'ordre qu'a suivi M. de S. Pierre, & non en les renversant, comme l'a fait l’auteur de l'opéra donné sous le titre du Paria, en un. acte, suivi de la Chaumiere indienne, aussi en un acte. Toutes ces difficultés, qui naissoient d'un sujet mal choisi pour la scene, n'ont pu être surmontées par l'auteur, d'ailleurs estimable, de cet ouvrage, & c'est sans doute ce qui a nui au succès de son poëme. Voyons d'abord ce que c'est que le Paria qui précede l'acte de la Chaumiere Indienne.

L'auteur a mis ici en action le récit que fait le Paria au docteur, dans l'ouvrage de M. de S. Pierre, de sa vie errante dans la ville de Delhi, & de la maniere dont il a fui avec une jeune bramine destinée à être sacrifiée, sur un bûcher, aux mânes de son époux. Aiéma, jeune veuve , vient apporter des mets funéraires sur la tombe de son époux : elle verse des larmes. Le Paria (1) s'en approche : elle fuit. Ici commence ce langage si délicat que M. de S. Pierre leur fait tenir, en posant chacun une fleur emblématique sur le tombeau. Le Paria lui démontre combien les prêtres de Brama l'abusent, en lui persuadant qu'elle doit se sacrifier pour son époux. Le grand bramine arrive : il assemble les prêtres ; on allume le bûcher. Pendant la cérémonie, une terreur panique vient saisir tons les Indiens ; ils tombent la face contre terre, & le Paria leur enleve Azéma aux yeux seuls du docteur anglois, que l'auteur a amené là, peut-être mal-à-propos, & qui favorise leur fuite. Les Indiens, revenus de leur stupeur, s'apperçoivent que la victime leur est échappée : ils courent après elle, tandis que l'Anglois s'amuse aux dépens de vieilles femmes indiennes & de jeunes bayaderes qui envient le sort d'Azéma. Voilà le Paria.

Trois ans sont écoulés ; ce même Paria & son épouse Azéma, sont occupés à bercer leur enfant à l'entrée de leur chaumiere, sous l'ombrage des figuiers-bannians. Un orage affreux se sait entendre : on apperçoit une foule d'indiens, de reispoutes & de bramines qui descendent une montagne escarpée, & qui portent le docteur anglois sur un palanquin. A l'entrée de la chaumiere, où le Paria leur offre l'hospitalité, tous se récrient, tous fuient : le docteur est le seul qui accepte les mets & l'asyle qui lui sont offerts ; il ne reconnoît point les infortunés dont il a favorisé la fuite, & questionne le Paria, dont les réponses & la philosophie l'enchantent. Le docteur a trouvé près de lui la solution de tous les problêmes qu'il avoit en vain proposés aux savans des quatre parties du monde. II ne s'agit point jci des trois questions sur la vérité, qui sont la base du roman de M. de $. Pierre, mais de questions semblables sur le bonheur que le Paria goûte avec son Azéma. Cependant l'orage recommence ; les mêmes indiens reparoissent ; le docteur cherche à leur persuader que le Paria est un homme, est leur frere : celui ci sort de sa chaumiere, pour leur laisser un libre asyle : enfin les indiens y entrent ; mais bientôt le bramine, chef des reispoutes, reconnoìt Azéma pour la victime qu'il cherche depuis trois ans ; il veut la faire enlever avec le Paria : l'Anglois lui fait promettre qu'il pardonnera à ces tendres époux, s'ils lui apprennent ce que c'est que le bonheur, & où on le trouve. Ici commence une controverse qui est faite avec infiniment de goût & d'esprit : enfin le Paria prouve au Bramine qu'être pere, chérir une épouse vertueuse, & n'étudier que dans son cœur, c'est avoir trouvé le bonheur. Le bramine, frappé de la vérité de cette morale, oublie la différence des castes ; il embrasse l'homme de la nature ; tous les indiens se confondent dans leurs bras, & on les rend, en les quittant, à leur chaumiere, à leurs plaisirs, à leur tranquillité, à leur innocence.

Cet ouvrage, qui n'offre point de vraisemblance dans le fonds, attendu que l'auteur a été obligé d'ajouter au cadre qu'il avoit choisi, pourroit cependant avoir des succès, s'il étoit considérablement resserré. Les scenes qui suivent la fuite du Paria avec Azéma, & la résolution de les arrêter que forment les indiens dans le premier acte, ne sont pas d'un bon goût. Le caractere du docteur anglois est absolument manqué, en ce qu'il est plaisant, badin, satyrique, & qu'il ne ressemble pas du tout au docteur de l'ouvrage de M. de S. Pierre. Il y a des tableaux très-agréables ; mais l'esprit vient souvent se placer à côté de la nature ; & par-tout où la nature cherche à briller seule, l'esprit est déplacé ; ce reproche peut tomber principalement sur le trio du second acte, où il est question de l'académie : le premier couplet que chante le docteur est bien, les autres sont de trop. En un mot, c'est un ouvrage qui exigeroit beaucoup de correction pour qu'il pût ajouter à la réputation de son auteur ; car il sort de la plume d'un homme qui a prouvé un véritable talent dans plusieurs genres ; il est de M. Demoustier, auteur du Conciliateur, d'Alceste à la campagne, de l'Amour filial, &c. &c.

La musique, de M. Gavaux, artiste distingué de ce théatre, doit lui faire infiniment d'honneur : elle est écrite avec pureté & très-souvent en maître : le style en est aimable, & le chant doux & agréable. Plusieurs morceaux prouvent un vrai talent dans le grand genre ; de ce nombre sont le chœur des bramines dans le premier acte, l'orage du second, le morceau : Allons sortons de la chaumiere, quoique peut-être un peu trop long : enfin le public , qui a singulièrement goûté la musique de ce jeune compositeur, l'a demandé à la fin : il a paru. Les principaux rôles de ces deux pieces sont très-bien joués par Mesd. Scio, Lesage, & MM. Gavaux, Valliere, Châteaufort, &c. Les décorations sont pittoresques ; mais les costumes ne sont ni vrais. ni agréables à l’œil. Nous conseillons aux acteurs de ce théatre, de négliger le moins qu'ils pourront cette partie essentielle de la vraisemblance.

César :les deux actes sont donnés pour une pièce unique en deux actes, le sic paria, ou la Chaumière indienne (je ne sais pas ce que signifie ce titre). Elle a connu 12 représentations, du 8 octobre au 19 décembre 1792.]

(1) On appelle Paria un indien d'une autre caste que les brames, un homme qui adore la nature, sans partager let dogmes des prêtres de Brama. Ceux-ci ont rendu la caste des Parias si odieuse, que personne n'ose s'approcher d'eux, & qu'on se croit souillé en les touchant, ou seulement en acceptant quelque chose qu'ils ont touché.

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