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Le Père aveugle

Le Père aveugle, comédie en prose & en deux actes ; par M. Charlemagne, 14 septembre 1793.

Théâtre du Palais-Variétés.

Titre :

Père aveugle (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

en prose

Musique :

non

Date de création :

14 septembre 1793

Théâtre :

Théâtre du palais-Variétés

Auteur(s) des paroles :

Armand Charlemagne

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 2 (février 1794), p. 302-307 :

[Compte rendu atypique d’une pièce qui suscite chez le critique un grand enthousiasme. Bien sûr, il commence par nous raconter longuement l’intrigue, très attendrissante, de la pièce : on pourrait dresser un catalogue des situations larmoyantes que la pièce comporte (la fille séduite, le père devenu aveugle à force de pleurer, les enfants au dévouement admirable, l’aubergiste au grand cœur, etc.). C’est le dernier paragraphe du compte rendu qui permet de savoir ce que le critique pense. Et il commence par une série de question ambiguë, dont il n’est pas simple de saisir la portée, et qui permettent peut-être de faire passer des critiques de détail : sur l’abus des coïncidences, tout le monde se retrouvant par un singulier hasard dans la même auberge ; sur le caractère inutilement choquant de la scène où Maurice dérobe de l’argent à l’aubergiste, une scène que le critique condamne parce qu’elle est odieuse, et parce qu’elle ne sert à rien dans la marche de l’intrigue (elle ne se justifie même pas comme moyen de contraste entre le méchant et les bons, tant le geste de Maurice est jugé infâme, odieux). La fin du paragraphe, par contre, est un éloge enthousiaste de la pièce : « les plus purs sentimens d’humanité », « la morale la plus salutaire ». Et c’est ce caractère vertueux qui explique, d’après le critique, le succès de la pièce. Il en vient même à inviter l’auteur à ne plus rechercher un autre succès : « Que son auteur n'en ambitionne jamais d'autre ; car celui-ci est le succès de l’estime : qu'il ne prétende jamais à d'autre triomphe, car celui-ci est le plus beau de tous, puisqu'il est le triomphe de la vertu. »

THÉATRE DU PALAIS-VARIÉTÉS.

Le pere aveugle, comédie en prose & en deux actes ; par M. Charlemagne.

Verseuil séduit une jeune villageoise, & l'emmene dans la capitale. Pendant long-tems on ignore ce qu'ils sont devenus. Le pere de Julienne en éprouve un si violent chagrin , & verse tant de larmes, qu'il en devient aveugle, & qu'il en mourroit, si deux jeunes enans qui lui restent encore, ne le rappelloient à chaque instant à la vie par leurs innocentes caresses.

Ce bon pere ayant appris que sa fille est à Paris avec son séducteur, il forme la résolution d'aller, conduit par ses autres enfans, l'arracher des bras du vice. Ils se mettent en route. Georgette conduit son pere, Alexis porte le bissac, & ces deux aimables enfans sont perpétuellement occupés à soulager leur pere, & à le consoler de l'ingratitude de leur sœur aînée. O vertueuses images de la piété filiale ! que ne vous reproduisez-vous plus souvent aux yeux des hommes !

Ce grouppe délicieux arrive à la porte de l'auberge d'un bourg, situé sur la route de Moulins à Paris ; mais cette auberge est de grande apparence, & le vieillard & ses enfans ont si peu de moyens ! aussi n'y entreroient-ils pas, si le bienfaisant aubergiste, qu'ils intéressent vivement, ne les contraignoit à accepter l'hospitalité. Eh ! comment cet aubergiste ne seroit-il pas sensible au malheur d'autrui ? Il fut lui-même malheureux. Plongé dans la plus affreuse misere, il rencontra, il y a vingt ans, un homme sentimental, qui, le voyant au désespoir à cause du mauvais état de ses affaires, lui donna une bourse avec cent écus, & cette somme a été le fondement sur lequel il a élevé sa fortune. Aussi ne peut-il pas voir un infortuné sans être vivement ému ; aussi s'empresse-t-il à donner l'hospitalité à tous ceux qui lui paroissent en avoir besoin, aussi conserve-t-il la même bourse qui lui fut donnée, & y a-t-il renfermé la somme qui lui a si bien prospéré, pour la donner au premier honnête homme qu'il rencontrera dans la position où il étoit, lorsqu'il reçut ce bienfait.
Cependant se trouvent en même-tems dans l'auberge un intrigant, nommé Maurice, qui ne peut pas en sortir, parce qu'il n'a pas le sou pour payer, & un jeune homme avec une dame, environnés de tout ce qui annonce l'opulence. Que les apparences sont trompeuses ! tout fait présumer qu'ils sont heureux, & le chagrin est dans leur cœur, & le remords dévore leur ame. Il est donc une éternelle justice pour les enfans ingrats & dénaturés ! Julienne, car enfin c'est elle, ne vit plus depuis le moment où Verseuil l'arracha des bras de son pere : elle lui a fait les plus cruels reproches ; ses yeux sont perpétuellement inondés de larmes; & le seul désir, l'unique passion qui l'anime maintenant, est d'aller se jetter aux pieds de l'auteur de ses jours, & d'obtenir son pardon. C'est pour cela qu'elle a quitté Paris avec Verseuil, & qu'ils ont pris la route de Moulins. Pendant qu'elle se livre aux réflexions les plus inquiétantes, Alexis & Georgette entrent dans la salle. Elle les voit, veut approcher pour se jetter dans leurs bras ; mais la sensation que cette rencontre imprévue lui occasionne, est si vive, que ses genoux chancellent, & qu'elle tombe sans connoissance dans les bras de son amant.

Revenue à elle , le nom de son pere est le premier qui agite ses levres ; elle veut le voir, embrasser ses genoux, baigner ses pieds des larmes de son repentir ; elle veut voler auprès de lui. Ah ! dit Georgette, notre pere est ici, mais il dort. Qu'importe ? reprend l'intéressant Alexis, quel est le pere qui peut être fâché qu'on le réveille pour embrasser un de ses enfans ? Alexis & Georgette emmenent Julienne.

Mais l'intrigant Maurice a saisi la premiere occasion qui s'est présentée pour voler les cent écus, qu'il savoit être dans l'armoire de la chambre de l'aubergiste. Heureusement celui-ci s'en est apperçu à tems ; il a fait fermer les portes, & le frippon voyant qu'il va être convaincu, prend le parti de cacher son vol dans le bissac d'Alexis. On vient, on cherche, on découvre la bourse ; tous les soupçons tombent sur le jeune infortuné ; mais par bonheur l'innocence trouve toujours un défenseur. Verseuil, après avoir regardé fixement Maurice, le reconnoît pour un ancien domestique que son pere a renvoyé à cause de ses friponneries ; il l'interroge, le presse, l'embarrasse par ses questions , & le contraint de tout avouer. On chasse ce misérable.

Un pere est toujours pere, & notre bon vieillard a pardonné à Julienne. O malheur ! elle s'apperçoit qu'il est aveugle, & son cœur lui dit que c'est elle qui a causé cette cécité. O remords ! sera-t il possible maintenant que vous cessiez un seul instant d'agiter l'ame de cette fille malheureuse ? Qui la garantira des funestes suites de son désespoir ? Son pere, qui la console lui-même en la pressant contre son sein, & en confondant ses larmes avec les siennes.

En faisant l'aveu de ses fautes, Julienne a appris au vieillard que Verseuil l'accompagnoit. Ne me parles [sic] pas de ce séducteur odieux, s'écrie-t-il avec transport , c'est un serpent qui m'a déchiré le cœur, & dont je voudrois écrafer la tête sous mes pieds. Ah ! si je voyois encore la lumiere du soleil, & qu'un pareil monstre s'offrît à mes yeux, je demanderois au ciel qu'il me privât sur le champ de la vue.

Verseuil répandant alors d'abondantes larmes, supplie le vieillard d'oublier ses torts, & de l'admettre au nombre de ses enfans. Doit-il le repousser? Il veut, en l'épousant, réparer l'honneur de Julienne, Quel est le pere qui ne céderoit point à un si puissant motif ? Celui-ci se laisse fléchir, & il oublie tous ses chagrins en embrassant ses enfans.

Après avoir rendu compte de ces scenes attendrissantes, devons-nous ajouter que notre intéressant aveugle se trouve précisément celui qui, vingt ans auparavant, avoit donné les cent écus à l'aubergiste, qui, étant riche & sans enfans, veut maintenant adopter ceux du vieillard ? Devons-nous dire que Maurice a retrouvé sa femme dans la soubrette de Julienne, & que c'est par ces deux personnages & un garçon d'auberge, nommé Blaisot, que l’auteur a égayé sa piece ? Devons-nous, en nous permettant quelque critique, conseiller à l'auteur de faire disparoître la désagréable tache qui-dépare son agréable tableau, en empêchant Maurice de commettre sous nos yeux un vol si infâme ? II le peut d'autant mieux, que cette odieuse action n'ajoute rien à l'intérêt, & qu'elle est absolument indépendante de l'intrigue. II ne risque donc rien de supprimer une chose qui n'est bonne à rien, & qui, par l'horreur qu'elle inspire, est repoussée si loin du cœur des honnêtes gens, qu'elle ne peut plus contraster avec les bonnes actions des autres personnages. Mais une chose, que nous ne saurions trop dire, que nous ne saurions trop publier, c'est que la piece du Pere aveugle respire d'un bout à l'autre les plus purs sentimens d'humanité, & conséquemment que la morale la plus salutaire s'y trouve développée. Aussi a-t-elle obtenu un très-grand succès. Que son auteur n'en ambitionne jamais d'autre ; car celui-ci est le succès de l’estime : qu'il ne prétende jamais à d'autre triomphe, car celui-ci est le plus beau de tous, puisqu'il est le triomphe de la vertu.

D’après la base César, la pièce d’Armand Charlemagne a été jouée 5 fois au Théâtre des Variétés, du 14 septembre au 22 octobre 1793 (elle avait connu une autre représentation parisienne, à une date et en un lieu inconnu). Puis elle a été reprise au Théâtre des Jeunes Artistes pour 22 représentations, du 20 novembre 1797 au 19 août 1799.

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