Le Petit courrier, ou Comme les femmes se vengent

Le Petit courrier, ou Comme les femmes se vengent, vaudeville en deux actes, de Bouilly et Moreau, 20 avril 1809.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Petit courrier (le), ou Comme les femmes se vengent

Genre

vaudeville

Nombre d'actes :

2

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

20 avril 1809

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Bouilly et Moreau

On trouve sur Internet la seconde édition de la pièce, de 1815, chez Roullet, libraire du théâtre de l’Académie Royale de Musique :

Le Petit Courrier, ou Comme les femmes se vengent, comédie en deux actes, en prose, mêlée de vaudevilles ; Par Mrs M. Bouilly et A. Moreau ; Représentée à paris, sur le théâtre du Vaudeville, le jeudi 20 avril 1809.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1809, tome VI (juin 1809), p. 289-293 :

[Un bien long compte rendu pour cette étrange pièce (le critique croit même utile de justifier à la fin la longueur de son article). Il commence par des considérations générales, que je crois ironiques, sur la façon qu’emploient pour se venger les femmes qu’on abandonne, et qui suit d’assez près l’intrigue de la pièce. C’est aussi le scénario d’un vaudeville plus ou moins récent, dont le critique dit être peut-être le seul à se souvenir (signe de son insuccès, sans doute), mais dont il ne donne pas le titre : la femme se déguisait en page, ici, Madame de Saint-Estève se costume en postillon. On arrive ainsi à la pièce, dont l’article résume ce qui précède la pièce, en gardant un ton ironique marqué dans la présentation des détails peu vraisemblables que comporte cette historie de mari abandonnant sa femme le jour même de ses noces. C’est le moment où le critique nous indique la source de la pièce, un roman russe, où la femme est costumée, non en postillon, mais en courrier officiel. Mme de Saint-Estève a bien changé depuis son mariage manqué, et l’article énumère la masse de tout ce qu’elle a appris depuis que son mari l’a abandonnée, et dont elle fait l’étalage une fois revenue au costume féminin. Une large place est faite à l’explication de la situation nouvelle, le château de Saint-Estève racheté par l’oncle de sa femme, mais sans qu’il en sache rien, sa femme déguisée et qu’il ne reconnaît pas, lui montrant ses gravures si bien adaptées à la situation. Saint-Estève tombe aux genoux de celle qui se fait passer pour Mme de Valmire, puis aux genoux de sa femme, toujours non reconnue (elle est voilée, bien sûr). Tout s’arrange, d’autant que le colonel apprend que sa femme est une trinité, elle-même, madame de Valmire, et le petit courrier. La fin de l’article (6 lignes) est déroutante : elle souligne le succès extraordinaire de la pièce (elle « avait attiré un monde prodigieux », elle « a prodigieusement réussi »), mais on peut penser qu’il s’agit d’une antiphrase. Toutefois, le Journal de Paris, n° 112 du 22 avril 1809, p. 831-832, quand il rend compte de la pièce, parle aussi de succès, et dit que, si le fonds n’est pas neuf, « la forme fait passer le fonds », parle de « scènes dialoguées avec finesse », d’un « excellent ton de comédie ».]

Le Petit Courrier ou Comme les Femmes se vengent.

Une femme a toujours une vengeance prête.

Si son mari ou son amant l'abandonne, elle se déguisera en petit garçon , en postillon, en jockey, en valet-de-chambre, et suivra ainsi son infidèle, qui ne manquera pas d'aimer de tout son cœur, sous ce costume, celle qu'il ne pouvait souffrir en habits de femme ; c'est un moyen sûr et ordinaire pour ramener un inconstant. Ensuite la dame reprendra sa forme naturelle à quelque déguisement près, se fera adorer sous ce nouveau personnage, et l'amant ou le mari qui ne s'était jamais douté de tant de charmes, se trouve tout étonné d'être amoureux de sa maîtresse ou de sa femme ; et voilà comme les femmes se vengent. Il est vrai que c'est un assez sot rôle à faire jouer à un homme que de le mystifier pendant des mois entiers, et de le faire soupirer et se désespérer sans le savoir aux pieds d'une femme dont il sait à merveille qu'il ne se soucie pas. Je crois que, pour en rester sur la vengeance de la femme, on fait très-bien de nous arrêter au moment du dénouement, sans nous dire ce que deviendra, passé le premier moment de surprise, le renouvellement d'amour qu'elle se sera donné tant de peine pour inspirer. Il se trouve, à la vérité, une situation plus favorable, et c'est celle qu'on emploie depuis quelque temps : c'est par exemple, lorsqu'un mari ne connaît pas du tout sa femme et la fuit sans savoir pourquoi ; alors elle devient pour lui une nouvelle connaissance, et c'est un moyen de plaire. Il y a peu de temps, si je m'en souviens, et je suis peut-être seul à m'en souvenir, qu'on nous a donné un vaudeville où le mari avait eu tant d'humeur d'épouser sa femme, qu'il avait pris le parti de ne la pas regarder, même du coin de l'œil, pendant la cérémonie : il l'avait quittée tout de suite après ; en sorte que, bien qu'il l'eût épousée, il ne l'avait jamais vue, et qu'elle avait pu, sans craindre d'être reconnue, se déguiser en page pour courir après lui. Ici, comme il faut varier les costumes, c'est en postillon que s'est déguisée Mme. de Saint-Estève pour regagner le cœur de son mari. Elle avait quatorze ans lorsqu'ils se marièrent ; dix ans se sont passés depuis ce temps-là ; ainsi Saint-Estève peut fort bien ne pas la reconnaître, d'autant que, parée pour le jour de sa noce par une vieille tante qui l'avait élevée au fond du Périgord, elle avait paru à Saint-Estève aussi ridicule dans ses atours que dans ses manières ; de plus, excessivement innocente, ce que Saint Estève trouva souverainement choquant dans une fille de quatorze ans dont il venait de faire sa femme ; en sorte qu'il ne vit de remède à tant de chagrins que d'aller courir le monde, faire beaucoup de sottises et de dettes comme c'est l'usage, dit-il, de tous les jeunes gens de qualité, et ce jeune homme de qualité, qu'on appelle le colonel Saint-Estève, parce qu'apparemment c'était aussi l'usage dans le temps où il y avait des jeunes gens de qualité qu'ils se fissent désigner par leurs titres militaires ; ce colonel donc, devenu un héros, a fait des prodiges de valeur à je ne sais quelle bataille, dans je ne sais quelle guerre et sous je ne sais quel général, mais il a été blessé mortellement. Etre blessé mortellement, c'est ordinairement, comme on sait, être blessé de manière à n'en pouvoir revenir : mais il n'en est pas ainsi quand Mme. de Saint-Estève s'en mêle. Elle a été chercher son mari sur le champ de bataille, s'est fait son médecin sous la figure d'un jockey, et par la connaissance qu'elle a des simples (je ne sais si ce sont de ceux qui croissent ou de ceux qui assistent au Vaudeville), elle a guéri en un tour de main ses blessures mortelles ; je vois qu'on aurait pu avec espérance de succès lui donner à médicamenter cet excellente jument de Roland à qui son maître ne connaissait d'autre défaut que celui d'être morte.

Che morta là, sù l'altra ripa giace.
    La potrai far tu medicar di poi
    Altro disetto in lei mon mi dispiace (1).

Saint-Estève, enchanté d'un si rare talent et d'un si rare service, ne veut plus quitter son cher Charles dont il a fait son ami et son postillon. Dans un roman appellé le Courrier russe , d'où est tiré ce vaudeville, Saint-Estève, au lieu d'avoir fait des exploits à la guerre, après avoir fait des sottises dans tous les pays, est allé en Russie se faire exiler en Sibérie ; c'est là que l'a pris le courrier russe qui n'est pas un simple postillon, mais un courrier chargé d'ordres de la cour, et même de quelqu'inspection sur les prisonniers, voyageant en chariot ou en traîneau, et non pas courant la poste à franc étrier , et rendant les plus importans services à Saint-Estève qui ne s'aviserait jamais de penser qu'il en pût faire son domestique. Ici Mme de Saint-Éstève est venue de l'armée en courrier devant la voiture de son mari, ce qui prouve qu'elle s'est bien fortifiée depuis son mariage ; elle n'a pourtaut pas passé tout son temps à apprendre son métier de postillon : elle a appris la botanique, le dessin, la peinture même ; elle a appris aussi la morale et la philosophie, car elle fait de très-longues tirades sur la liberté de la campagne, sur l'agrément des voyages, qui présentent une foule d'idées et de plaisirs au philosophe. Mais ce n'est que quand elle sera déguisée en femme qu'elle dira tout cela ; nous n'en sommes pas encore là. Mme. de Saint-Estève, toujours courant, a amené son mari dans le château de Livry où ils furent mariés , et qui appartenait à Saint-Estève, mais qu'il a vendu pour payer ses créanciers, un peu étonné seulement de ce que le prix de cette terre a suffi pour acquitter toutes ses dettes, qui montaient à deux fois davantage ; il ne sait pas que le propriétaire actuel est un oncle de Mme. de Saint-Estève, revenu depuis six mois d'Amérique, et qui a acheté la terre au nom de sa nièce, tandis que celle-ci a payé toutes les dettes de son mari. Il suppose, on ne sait pourquoi, que c'est cet acquéreur avec lequel il ne croit avoir aucun rapport, qui a payé toutes ses dettes, et il vient pour l'en remercier. Tout ceci était l'avant-scène, et la pièce commence. Le petit courrier, aussitôt qu'il est arrivé avec son maître, le quitte pour aller terminer, dit-il, au Reincy une affaire d'amour entamée avant son départ, et Mme. de Saint-Estève arrive, sous le nom de Mme. de Valmire, nièce du propriétaire actuel de Livry. Saint-Estève, en la voyant, dit un mot de certaines ressemblances extraordinaires, et puis il n'en est plus question. Il devient subitement amoureux de Mme. de Valmire. On va dîner, il sort de table encore plus enchanté ; on va se promener, il s'échappe pour venir retrouver Mme. de Valmire, qui lui montre des dessins allégoriques, où elle a représenté l'Hymen essayant en vain de fixer l'Amour, et le fils de Cypris brisant les liens de fleurs dont on veut l'entourer. Saint-Estève ne peut tenir à tant de charmes ; il tombe aux pieds de Mme. de Valmire ; 1'oncle arrive, fait d'abord un peu le fâché, puis s'appaise au point de prier Saint-Estève d'épouser sa nièce ; celui-ci ne demanderait pas mieux, sans sa femme : l'oncle lui propose de divorcer. Pendant qu'il y réfléchit, on lui apporte une lettre de Mme. de Saint-Estève, arrêtée, dit-elle, à la poste voisine, et venant visiter Mme. de Valmire qu'elle a connue en Suisse. Mme. de Valmire sort pour l'aller recevoir, et on fait bientôt demander à Saint-Estève s'il veut voir sa femme ; comme il suppose qu'elle vient lui parler du divorce, il y consent; elle entre voilée, et il ne la reconnaît ni à la tournure, ni à la voix, car elle a changé de robe. Il lui parle d'abord très-brutalement, mais elle répond avec tant de graces, de douceur, d'amour, que voilà de rechef Saint-Estève à genoux, et jurant qu'il ne se séparera jamais de sa chère femme, dont il est devenu amoureux encore bien plus vîte que de Mme. de Valmire. En vérité cet homme-là a une telle facilité à prendre de l'amour que c'est tout-à-fait méchanceté s'il n'avait pas essayé d'en avoir un peu pour sa petite femme de quatorze ans. Pendant cette seconde génuflexion arrive encore l'oncle, et tout le monde avec lui ; le voile se lève, transports mutuels, on rappelle au colonel son ami Charles. J'ai juré, dit-il, qu'il ne me quitterait jamais. Je m'en souviens, mon colonel, répond Mme. Estève du ton du petit postillon Nouvelle surprise, nouvelle reconnaissance, et la pièce finit au milieu des applaudissemens universels. Comme ce vaudeville est intitulé comédie, qu'il avait attiré un monde prodigieux, et qu'il a prodigieusement réussi, j'ai cru devoir en rendre compte avec quelque détail. Quelques jolis couplets ont été redemandés. Les auteurs, demandés aussi, sont MM. Moreau et Bouilly.

P.          

(1) Elle est là étendue morte sur l'autre rive, tu pourras la faire médicamenter : pour moi c'est là le seul défaut qui m'oblige à m'en défaire.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome II, p. 401-403 :

[Le compte rendu s’ouvre par le récit de ce qui précède la pièce, et le critique ne se prive pas pour souligner les invraisemblables d’une histoire plutôt romanesque. Quand il entreprend le résumé de l’intrigue, il s’amuse à souligner le ballet des costumes du petit Courrier, qu’on voit sous trois tenues différentes. Une fois le dénouement dévoilé (et rendu un peu risible : ce mari qui reprend la femme qu’il a abandonnée «  autant par goût que par reconnoissance » – elle lui a sauvé la vie...), le jugement est plutôt sévère : les défauts s’accumulent, « larmoyant, sans intérêt et sans vraisemblance ; […] surtout très-long », tout ce qui rend une pièce insupportable. Le critique explique comment il aurait fallu que le pauvre Courrier s’y prenne pour se faire reconnaître, et la méthode qu’il (ou elle) a employée est soigneusement ridiculisée. En plus, tout cela vient d’autres pièces, que le critique énumère, « rien n'est moins neuf que le fonds, et moins gai que les détails » (rien pour sauver la pièce donc, ni l’ensemble, ni les détails, qui jouent pourtant souvent un rôle de compensation des autres défauts). Les auteurs ont déçu. Une actrice est mieux traitée : elle « a joué avec à-plomb le rôle très-fatigant du Courrier » (mais est-ce vraiment un compliment ?).]

Le Petit Courrier, ou Comme les Femmes se vengent, vaudeville en deux actes, joué le jeudi 20 avril.

Le colonel Saint-Estère, par un de ces arrangemens de famille assez communs autrefois que les enfans faisoient la volonté de leurs parens, a épousé une petite sotte de quatorze ans, élevée en province, gauche dans ses manières, ridicule dans sa mise. Il a obéi en l'épousant ; mais, nouveau Richelieu, il l'a quittée aussitôt, et a couru dissiper son ennui au milieu des camps. Dédaigner une petite femme de quatorze ans, parce qu'elle est novice et un peu gauche, il y a peu de gens qui pensent ainsi. On aime assez à former sa femme soi-même : ce n'étoit pas le goût du Colonel, au surplus chacun a le sien. Il va à l'armée, y est blessé ; sa femme, déguisée en courrier, se rend près de lui, le soigne dans sa- maladie, et lui rend la vie, aidée probablement par un chirurgien. Voilà comme les femmes se vengent ! Le colonel s'attache à ce courrier généreux, ne veut plus le quitter, et voilà Madame Saint-Estève courant la poste avec son époux. Cependant je ne sais pas trop ce que c'est que l'emploi d'un courrier auprès d'un colonel : je doute que les courriers entrent dans les salons ; et celui-ci, qui ne quitte jamais le colonel, est reçu en société avec lui.

C'est ici que la pièce commence. Le colonel arrive au Rainci chez un riche propriétaire, oncle de sa femme. Son courrier le quitte alors pour aller voir une personne qu'il aime, et revient en femme sous le nom de Madame de Valmire. Saint-Estève en devient amoureux sur le champ,.et veut l'enlever à M. Désétamines, botaniste assez sot : mais on annonce Madame Saint-Estève. Le petit Courrier a encore changé d'habit, et revient avec un grand voile qui, en se levant, fait voir à M. le colonel que sa femme est très-formée depuis dix ans. Cet homme, qui n'aime pas les beautés neuves, s'accommode d'une figure à la vue de laquelle son petit Courrier l'avoit accoutumé, et reprend sa femme autant par goût que par reconnoissance. Ce petit drame romanesque a le défaut d'être larmoyant, sans intérêt et sans vraisemblance ; il est .surtout très-long. Madame de Valmire, pour subjuguer Saint-Estève, auroit dû déployer des grâces, des talens, de la gaieté ; elle arrive à la fin du premier acte ; on dîne entre le premier et le second ; elle explique ensuite au Colonel des gouaches allégoriques où l'Hymen et l'Amour ne sont pas oubliés ; puis elle revient voilée, et se fait reconnoître. Les différens motifs sont pris de Berenger, dont nous avons rendu compte dans le Numéro de Février, du Nègre par amour, des Rivaux d'eux-mêmes, etc., etc. Rien n'est moins neuf que le fonds, et moins gai que les détails. On attendoit mieux de deux auteurs qui ont souvent réussi, MM. Bouilli et Moreau.

Madame Hervey a joué avec à-plomb le rôle très-fatigant du Courrier.

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