Les Peuples et les rois, tels qu'ils étoient, ou le Tribunal de la raison

Les Peuples et les rois, tels qu'ils étoient, ou le Tribunal de la raison, pièce en 5 actes, de Cizos-Duplessis, 23 germinal an 2 [12 avril 1794].

Théâtre de la Cité-Variétés

Almanach des Muses 1795.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, Barba, an II :

Les Peuples et les Rois, ou le tribunal de la raison, allégorie dramatique en cinq actes et en prose ; par le citoyen Cizos-Duplessis. Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la Cité, le 23 Germinal, l'an second de la République.

Qu'y a-t-il au-dessus des hommes, que celui qui les forma ?

Les Peuples et les Rois, Acte III, Scène II.

Le texte de la pièce est précédé, p. iii-vii, d'une préface qui défend la pièce contre les reproches qu'on lui a fait, de n'avoir ni plan, ni liaison, ni intérêt. Elle suit un bref avertissement qui revendique la propriété de l’œuvre contre les contrefacteurs :

On dit à l'Auteur que certains Entrepreneurs de Spectacles des Départemens, défigurent le titre des ouvrages dramatiques, changent les noms des personnages, et bouleversent les scènes, pour représenter à l'insu des Auteurs les Pièces imprimées, et se soustraire par cette fraude à la rétribution que la Loi assure aux hommes de lettres : il prévient tous Actionnaires, Entrepreneurs, Directeurs, ou Sociétés dramatiques, que, fort de la Loi, il poursuivra tout Entrepreneur qui, sous quelque forme que ce soit, feroit jouer son ouvrage sans son consentement par écrit.

PRÉFACE

les théâtres, sous un roi, corrompront toujours les cœurs ; car un roi fut toujours un monstre en morale et en politique ; et ce monstre ne peut s'alimenter et conserver sa force épouvantable que par la dépravation des mœurs, par le développement des passions, par l'abrutissement des âmes et par la dégradation complète de tout ce qu'a fait l'Auteur de la nature, défiguré lui-même par les dominateurs de la terre et par leurs esclaves. Cette vérité, qui, dans ce moment auguste, frappe si. vivement les Français, annonce le bonheur des nations et la gloire immortelle d'un Peuple qui, du milieu de tous les vices et de tous les crimes, s'est élancé avec l'audace républicaine vers sa dignité naturelle, et s'en est emparé pour ne plus s'en dessaisir. La Convention nationale, du sommet de la montagne, répand à grands flots les feux régénérateurs ; et, comme le flambeau du ciel, elle voit s'évanouir devant elle les nuages amoncelés par le crime et l'ignorance. Le tyran n'est plus, les factions s'engloutissent dans le sang de ceux qui les formèrent, et le Peuple François ne voit plus que l’Être suprême et ses bienfaits, la Raison qui les désigne et toutes les Vertus qui, seules, peuvent embellir l'existence des hommes. Les théâtres doivent s'empresser d'offrir cette idée consolante à ceux qui peuvent l'apprécier ; trop long-temps ils furent les tribunes de la dissolution et de la politique des rois ; trop long-temps ils célébrèrent l'esclavage des Peuples : qu'ils adoptent enfin, et de bonne-foi, un système plus auguste ; que les accens de l'immoralité ne fassent plus retentir leur enceinte, et que les talens des artistes qu'on y applaudit, ne soient plus consacrés qu'aux grands traits de vertus, qu'au développement des principes qui agrandissent les âmes, qui vivifient l'amour sacré de la Patrie-et de la Liberté ; qui font chérir l'humanité, et respecter son auteur : que la haine des tyrans vigoureusement prononcée., y fasse pâlir tout individu assez lâche pour les aimer encore. Lorsqu'on 1789, 14 décembre vieux style, je publiai le projet des Fêtes nationales ou théâtre des mœurs, les soixante Districts de Paris applaudirent au vœu que je viens de consigner ici, et que je voulois réaliser alors, en formant le premier un établissement consacré à célébrer les grandes vertus : mais l'intrigue sut étouffer cette idée, qui parut se perdre avec celles qu'enfenta l'amour du bien. Elle resta néanmoins dans le fond de mon cœur ; et je m'applaudis aujourd'hui de m'être trouvé d'avance d'accord avec le Comité de salut public et la Convention nationale(1). Les rois n'ont besoin que de vices, la Liberté veut des vertus ; elles seules cimenteront à jamais notre régénération politique. Artistes de tous les théâtres, pénétrez-vous bien de cette vérité, et soyez fiers de pouvoir, par vos talens, préparer la gloire de votre Patrie et le bonheur de l'humanité.

Je saisis cette occasion pour rendre justice a l'administration du théâtre de la Cité, et aux artistes qui le composent : tout ce qu'il a fallu faire pour l'exécution des Peuples et les Rois a été fait avec le dévouement le plus civique : dépenses, soins et fatigues, ont précédé les représentations ; les talens des acteurs les ont complètement embellies.

Un petit mot sur mon allégorie. Un ou deux journalistes et quelques honnêtes-gens, très-amis des règles académiques, lui ont reproché défaut de plan, défaut de liaison, et même défaut d'intérêt. Défaut de plan ; je leur réponds que je n'avois et ne voulois établir et suivre que celui d'offrir en deux heures de temps, tous les événemens de la Révolution, et les motifs qui la rendirent légitime et indispensable, l'insurrection générale ; le développement des grands principes de la Raison ; le changement d'opinion figuré par la chûte de l'idole dorée, à la voix de cette même Raison, et l'inauguration du pavillon trîcolor ; les obstacles que le tyran, les prêtres et les nobles voulurent opposer au torrent qui devoit les engloutir ; la scène des poignards ; le Comité autrichien avec ses attributs, et dont la Raison dévoile les secrets à deux philosophes ; le renversement du trône ; la découverte des droits de l'homme, foulés aux pieds du roi, indiqués à un Nègre et offerts au Peuple par celui qui .devoit aussi s'en saisir un jour ; l'hydre du fédéralisme étouffé ; le véritable but de la révolution, figuré par le Temple de la Nature, dans lequel le Peuple, conduit par la Raison, trouve toutes les vertus réunies qui célèbrent leur triomphe et celui de l'Egalité et de la Liberté ; l'engloutissement du Tyran, de son Ministre et du Cardinal devant la majesté de l'Être suprême, de la Nation et de l'autel de l'humanité qui s'élève ; tous les emblèmes de la royauté et de la superstition jettés dans le feu, allumé sur l'autel par un homme, avec le flambeau que lui confie la Raison, et la République françoise sortant du milieu de leurs cendres : voilà le plan que j'avois résolu d'offrir aux yeux du Peuple. Il paroît que ce tableau, malgré quelques petites menées aristocratiques, ne lui a point déplu, et que les plans académiques n'ont pas seuls l'avantage de l'instruire et de l'amuser révolutionnairement.

Défaut de liaison. Les événemens se succèdent avec assez de rapidité, se tiennent trop les uns aux autres, et sont trop conformes à la vérité, pour qu'un Patriote ne voie pas dans cette allégorie la seule liaison qui convenoit entre les différens tableaux qui forment cet ouvrage.

Je n'ai rien à répondre à ceux qui n'ont point trouvé d'intérêt dans un ouvrage où la Liberté fait retentir ses accens, où la Raison déploie la majesté de ses grands principes, et dans lequel toutes les vertus sont célébrées et vengées. Je les plains, non comme un auteur qui se croit plus éclairé que ceux qui le jugent, mais comme un citoyen qui trouvera toujours beaucoup d'intérêt dans un écrit consacré à la vérité, à la haine des vices et du crime, au triomphe de l'Egalité, qui multiplie à l'infini les affections de mon cœur, en m'offrant un frère dans chaque homme ; de la Liberté, qui écrase les ennemis du genre humain et me garantit ma dignité naturelle; et de la Raison , qui me rappelle que si l'Être suprême fit tout pour moi, je ne dois point oublier de m'acquitter de mes devoirs envers lui, en concourant, comme tous les bons citoyens, à éclairer mes frères sur leurs droits naturels, en leur répétant le plus souvent et le mieux qu'il m'est possible, qu'entre la divinité et les hommes il n'est point d'autres intermédiaires que nos propres vertus ; elles seules sont des offrandes dignes de lui, elles seules nous offrent des récompenses dignes de nous.

Welchinger, dans le Théâtre de la Révolution (Paris, 1881), p. 204-205, se montre particulièrement sévère envers la pièce :

Le citoyen Cizos-Duplessis lutte de folie avec le citoyen Desbarreaux [auteur de les Potentats foudroyés par la Montagne et la Raison ou la Déportation des rois de l'Europe, joué à Toulouse « vers la même époque »]. Il fait représenter le 23 germinal an II (12 avril 1794) sur le théâtre de la Cité une allégorie dramatique en cinq actes et en prose, « les Peuples et les Rois ou le Tribunal de la Raison », pièce absolument insensée. On y trouve toute sorte de personnages : la Raison, les Anglais, un capitaine de vaisseau, un duc de Saint-Elie, un chevalier de Nantignac, un archevêque, un cardinal, un roi, etc.

Le premier acte commence par une bataille et Jacques, le laboureur, dit en montrant les soldats qui s'égorgent :

« Peuples, aimez les rois, car voilà leur ouvrage. »

Le duc trahit son armée et son pays ; il fait appel à la terreur, à la superstition et au mensonge, mais le peuple vient renverser la statue du Roi et la Raison enchaîne le Roi au chant de la Marseillaise. Le Roi, le cardinal et le duc disparaissent dans les flammes, tandis qu'apparaissent sur le théâtre :

à droite :

L'Amour fraternel l'Amour conjugal, la Pudeur, la Bienfaisance, le Travail, le Génie.

à gauche :

L'Amour filial, la Maternité, la Paternité, l'Agriculture, le Civisme, le Courage.

et qu'on place au milieu les bustes de J.-J. Rousseau, de Marat, de Lepelletier et de Brutus ! Pendant ce jeu de scène, l'orchestre joue une marche religieuse à laquelle succède un ballet... Et dire que cela a été joué et applaudi !

Dans La Déroute de l'armée de Cobourg, ou les environs de Charleroi, d'André Bellement éditée par André Tissier avec la collaboration de Ling-Ling Sheu, p. 59, notre 55, l'introduction détaille longuement le décor nécessaire pour jouer la pièce de Cizos-Duplessis :

Un autre exemple caractéristique, Les Peuples et les Rois, tels qu'ils étaient, ou le tribunal de la Raison (Cité-Variétés, 12 avril 1794), où il y avait vingt-sept personnages, et, en plus, des laquais, des paysans et des paysannes, un corps de soldats anglais et de soldats français, et « le peuple ». Le décor du Ier acte voulait au fond de la scène, à gauche, une colline sur laquelle un camp était placé : de riches moissons couvraient une partie de la scène. Ailleurs, des chaumières isolées, la mer ; à droite, un village, avec des arbres ; tout annonçait une violente tempête, et le tonnerre grondait jusqu'à la fin de l'acte. L'acte II se situait dans le palais du duc de Saint-Élie, et l'acte III dans une forêt épaisse. L'acte IV est inénarrable, avec le sang versé, les lampes funèbres, le tocsin, les canons... et la Marseillaise ; enfin, l'acte V supposait un désert, où s'élevait le Temple de la Nature, surmonté des bustes de Marat, de Jean-Jacques Rousseau, de Brutus ; au cours d'une marche religieuse, le roi, le duc et un cardinal disparaissaient dans les flammes ; et la pièce se terminait par un ballet.

D'après la base César, la pièce a été jouée 13 fois au Palais des Variétés, du 10 avril au 2 juin 1794.

(1) Cette idée fut reproduite il y a huit mois dans un mémoire que je remis au Comité d'instruction publique ; je demandois qu'il fût établi un théâtre ou deux, sous la dénomination de théâtres du Peuple, qui auroient été ouverts trois fois par décade, et gratis. Les citoyens y seroient venus par tour et par billets sectionnaires. Mais par l'heureuse impulsion que donne le Comité de salut public, et l'auguste décret qui met les vertus à l'ordre du jour, tous les théâtres vont devenir théâtres du Peuple, et mes vœux sont remplis.

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