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Paméla ou la Vertu récompensée

Paméla ou la Vertu récompensée, comédie en cinq actes, en vers, par le citoyen François de Neufchâteau, 1er août 1793.

Théâtre de la rue Feydeau, ou des Comédiens françois

Titre

Paméla, ou la Vertu récompensée

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

1er août 1793

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

François de Neufchâteau

La carrière de Paméla sur le Théâtre de la Nation, en 1793, ne fut sans difficultés. Voilà ce qu'en dit Henri Welschinger dans son Théâtre de la Révolution (1880), p. 55-62 :

Six mois après la première de l'Ami des Lois, le Théâtre de la Nation représentait une comédie en vers du citoyen François de Neufchâteau, Paméla ou la Vertu récompensée. On cherchait un prétexte pour jeter les Comédiens français en prison et les conduire à l'échafaud. On le trouva dans cette pièce. Il importe de dire comment.

La Gazette nationale du 14.août 1793 donne le compte rendu suivant de la comédie de Neufchâteau :

« Paméla ou la Vertu récompensée, comédie en cinq actes en vers, est une imitation de la Paméla nubile de Goldoni. Milord Bonfil, passionnément amoureux de sa servante Paméla, après avoir vainement tenté de la séduire, veut pour s'en distraire, tantôt la mettre au service de sa sœur, milady Davers, tantôt la marier, tantôt la renvoyer à ses parents. Enfin, malgré les reproches de sa sœur et de lord Arthur son ami, il est décidé à l'épouser lui-même, lorsque le bonhomme Andrews, père de Paméla, tombe à ses pieds, lui déclare qu'il est le comte Oxpen, un des chefs des Montagnards écossais, dont la tête est proscrite. Milord Bonfil est presque fâché de ne pouvoir faire à Paméla le sacrifice des préjugés en lui donnant sa main. Cependant il se trouve que le père de lord Arthur avait obtenu la grâce du comte Oxpen. Cette circonstance met le comble au bonheur de milord et de Paméla, dont le mariage se trouve très-bien assorti.

« Le fond ressemble, comme on le voit, à celui de Nanine, par la raison que Voltaire avait, ainsi que Goldoni, puisé son sujet dans le roman de Paméla par Richardson ; mais ni l'auteur anglais, ni Voltaire, n'a fait son héroïne fille d'un comte ; tous deux ont senti que c'était manquer le but moral de leur ouvrage qui était de combattre le préjugé de la naissance. Voltaire s'en est tiré en homme habile, car de son temps il eût peut-être risqué son succès, s'il n'eût en quelque sorte composé avec la faiblesse de ceux à qui la leçon était destinée. Il a fait sa Nanine fille d'un vieux soldat, dont le métier était alors bien moins honoré qu'honorable. Son comte d'Olban, très-grand seigneur, immolait toujours un sot préjugé à la raison et à son bonheur; mais dans la pièce italienne milord Bonfil épouse son égale ; et, si la vertu est récompensée, ce n'est point par lui, c'est par le Ciel même, par une espèce de miracle.

« Tous les rôles, dans la pièce nouvelle, sont bien faits et bien soutenus, à l'exception peut-être de celui de milady Davers, dans lequel on ne retrouve point ces développements d'orgueil de qualité qui plaisent tant dans le roman anglais et dans la pièce italienne, et qui font un contraste si piquant avec la candeur et la modestie de Paméla. Ce rôle a fourni à Voltaire celui de la baronne. Le vieil intendant Locmann ressemble beaucoup à Blaise de Nanine ; mais deux personnages qui répandent du comique et ajoutent à l'intérêt, ce sont le lord Arthur, homme à demi raisonnable qui se soumet aux préjugés, tout en les blâmant, et un sir Arnold, neveu de milord Bonfil, jeune voyageur qui ne rapporte dans sa patrie que les travers des pays qu'il a parcourus.

« On reconnaît, pour le fond des scènes, la manière si naturelle et si vraie de l'auteur du Bourru bienfaisant ; et dire que cette pièce est écrite par François de Neufchateau, c'est dire pour ceux qui connaissent les ouvrages de ce poète, qu'elle est du style le plus pur et le plus élégant. Elle a eu beaucoup de succès. »

Les Jacobins crièrent au scandale. Suivant leur opinion, cette comédie tendait à faire regretter les privilèges de la noblesse. Le 29 août, à cinq heures et demie, l'ordre de suspendre les représentations arriva et les comédiens engagèrent l'auteur à supprimer les passages qui avaient offensé les oreilles délicates. François de Neufchâteau y consentit, puis écrivit au rédacteur de la Gazette nationale, le 1er septembre 1793, la lettre suivante, pleine de sous-entendus malicieux :

« Jeudi, à cinq heures et quart, les représentations de ma pièce de Paméla ont été suspendues par un ordre du Comité de Salut public de la Convention nationale, et il n'y eut point de spectacle ce soir au théâtre Français (1). Je n'ai su que le jeudi soir, bien avant dans la nuit, quels étaient les motifs de l'arrêté du Comité. J'ai changé sur-le-champ ce qui, en 1793, avait paru prêter à des allusions que je n'avais pas pu prévoir, lorsque je composai ma pièce en 1788, et que je la lus au Lycée en 1789 et 1790. Le vendredi matin, le Comité a vu et approuvé mes changements. Un nouvel arrêté a donné main-levée de la suspension. Il fallait aux acteurs le temps d'apprendre les corrections avec lesquelles cette pièce reparaîtra demain lundi. Je me suis rendu au désir de plusieurs patriotes qui paraissaient fâchés que Paméla se trouvât noble. Elle sera donc roturière et sans doute elle y gagnera. Il est vrai que l'auteur y perd. Ce changement détruit une seconde comédie en 5 actes, en vers, que j'étais tout prêt à donner, d'après deux Paméla maritata italiennes et qui remplissaient mieux l'objet que l'on avait en vue; mais je ne voulais pas laisser le moindre doute sur nos sentiments bien connus. LA LIBERTÉ EST OMBRAGEUSE. Un amant doit avoir égard aux scrupules de sa maîtresse ; et j'ai fait d'ailleurs aux principes de notre Révolution tant d'autres sacrifices d'un genre un peu plus sérieux que celui de deux mille vers n'est pas digne d'être compté.

« Signé FRANÇOIS, DE NEUFCHATEAU. »          

Le 2 septembre 1793, la pièce ainsi modifiée fut reprise et fort applaudie. « Jamais, rapporte Fleury qui remplissait le rôle de milord Bonfil, la jeune Lange ne joua Paméla avec plus de sensibilité, plus de grâce; jamais elle ne mit un plus naïf abandon et jamais aussi je ne la vis plus appétissante à aimer... »

Mais au moment où l'un des personnages, Andrews, prêchant la tolérance religieuse, dit à milord Bonfil :

« Chacun prie à son gré; les amis, les parents
Suivent, sans disputer, des cultes différents, »

un jacobin se lève et s'écrie :

« Vous répétez des vers qu'on a retranchés et qui sont défendus... La pièce est contre-révolutionnaire ! »

On expulse le perturbateur qui va droit aux Jacobins déclarer que le théâtre Français est « un repaire d'aristocrates ». La société de la Liberté et de l'Égalité arrête aussitôt qu'on dénoncera les comédiens de la Nation aux frères de la Commune de Paris. C'était le rôle naturel de cette réunion, dont le courageux André Chénier disait si éloquemment : Que les législateurs journalistes, que les philosophes libellistes, et qu'avec eux tous les histrions, galériens, voleurs avec effraction, harangueurs de clubs ou de halles continuent à me traiter d'aristocrate,de courtisan, d'Autrichien, ďennemi du peuple, etc., je ne leur réponds qu'une chose : c'est que je serai volontiers pour eux tout ce qu'il leur plaira, pourvu que leurs cris et leurs injures attestent bien que je ne suis pas ce qu'ils sont. Je n'imagine pas d'aussi grand déshonneur que de leur ressembler et, quelque nom qu'ils me donnent, s'ils ne le partagent point avec moi, je le trouverai assez honorable (2) ! »

La Comédie-Française méprisa les menaces de la tourbe dénonciatrice, mais le lendemain elle apprit qu'on s'était occupé d'elle à la Convention. Voici comment la Gazette nationale raconte la scène :

CONVENTION NATIONALE.

Séance du mardi 3 septembre 1793.

Présidence de MAXIMILIEN ROBESPIERRE.

« Barrère a demandé que la Convention approuvât un arrêté pris par le Comité de Salut public, portant que le théâtre dit de la Nation serait fermé, que les acteurs et les actrices seraient mis en état d'arrestation à cause de leur incivisme, et parce qu'ils sont soupçonnés d'entretenir des correspondances avec les émigrés, ainsi que François de Neufchâteau auteur de la pièce intitulée Paméla, et que les scellés seraient apposés sur leurs papiers...

« Le Comité a pris cette nuit des mesures pour raviver l'esprit public. Il est des choses peu utiles en apparence, mais que l'on trouvera nécessaires quand on pensera aux commotions que l'opinion publique a souvent reçues.

« Le Théâtre de la Nation qui n'était rien moins que National a été fermé. Cette disposition est une suite du décret du 2 août, portant qu'il ne serait joué sur les théâtres de la République que des pièces propres à animer le civisme des citoyens. La pièce de Paméla comme celle de l'Ami des Lois a fait époque sur la tranquillité publique.

« On y voyait non la vertu récompensée; mais la noblesse, les aristocrates, les modérés, les Feuillants se réunissaient pour applaudir les maximes proférées par des milords ; on y entendait l'éloge du gouvernement anglais, et dans le moment où le duc d'York ravage notre territoire !...

« Le Comité fit arrêter la représentation de la pièce. L'auteur y fit des corrections ; cependant il y laissa des vers qu'on ne peut pas approuver, tel est celui-ci :

« Le parti qui triomphe est le seul légitime !

« Hier cette pièce fut représentée sur ce théâtre et l'aristocratie, qui est toujours aux aguets, s'y assembla. Pendant la représentation, un patriote, un aide-de-camp de l'armée des Pyrénées, envoyé auprès du Comité de Salut public, fut indigné de voir encore sur la scène des marques distinctives de la noblesse, de voir la cocarde noire arborée, d'entendre applaudir à l'éloge du gouvernement aristocratique d'Angleterre. Il interrompit ; à l'instant il fut cerné, couvert d'injures et arrêté.

Le Comité à qui tous les faits furent rapportés SE RAPPELA DE L'INCIVISME MARQUÉ DANS D'AUTRES OCCASIONS PAR LES ACTEURS DE CE THEATRE, et qu'ils étaient soupçonnés d'entretenir des correspondances avec des émigrés, et fit attention que le principal vice de la pièce de Paméla était le MODÉRANTISME ; il crut qu'il devait faire arrêter les acteurs et les actrices du théâtre de la Nation, ainsi que l'auteur de Paméla.

« Si cette mesure paraissait trop rigoureuse à quelqu'un, je lui dirais : les théâtres sont les écoles primaires des hommes éclairés et un supplément à l'éducation publique.

« L'assemblée applaudit à cette mesure et la confirme.

« La séance est levée à cinq heures.

La Convention, on l'avouera, n'était pas difficile à persuader, et Barrère joua dans cette journée, comme dans beaucoup d'autres, le rôle d'un solennel imbécile. Il mérite bien le surnom que ses contemporains lui donnèrent : Anacréon de la Guillotine !

Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1793, on envoya aux Madelonnettes Dazincourt, Fleury, Bellemont, Vanhove, Florence, Saint-Fal, Saint-Prix, Naudet, Dunant, Champville, Dupont, La Rochelle, Narsy, Gérard, Alexandre Duval; et à Sainte-Pélagie, mesdames La Chassaigne, Raucourt, Suin, Contat, Thénard, Joly, Devienne, Petit, Fleury, Mezeray, Montgautier, Ribou et Lange. Talma et M.-J. Chénier pouvaient se réjouir : le théâtre de la République était débarrassé d'un rival dangereux. Ils avaient entendu sans frémir l'effronté saltimbanque Collot d'Herbois, celui qui avait le mieux prouvé que ce n'est pas en vain que l'on appelle vulgairement des injures des sottises, s'écrier devant une proie aussi belle : « La tête de la Comédie-Française sera guillotinée et le reste déporté !... »

Cette affreuse prédiction se serait réalisée sans le dévouement d'un ancien acteur, Charles de la Bussière, employé du Comité de Salut public, qui fit disparaître, au péril de sa vie, les dossiers des Comédiens français et empêcha ainsi ses camarades de comparaître devant le tribunal révolutionnaire (3). On voit où la politique et les politiciens conduisaient alors les acteurs !...

(1) Le lendemain et les jours suivants on jouait la Mort de César (tragédie de Voltaire),

(2) Journal de Paris, 14 juin 1792,

(3) Voir Mémoires de Fleury, tome II, chapitre XI.

Almanach des Muses 1796.

[Paru après la reprise de la pièce, et ignorant (volontairement ou pas) les événements de septembre 1793).]

Sujet si connu qu'il n'a pas besoin d'explication : c'est le même que Voltaire a traité sous le titre de Nanine.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, an cinquième [1796, vieux style.] ;

Paméla ou la vertu récompensée, comédie en cinq actes, en vers, représentée pour la première fois par les Comédiens françois le premier août 1793, et remise au théâtre de la rue Feydeau, le 6 thermidor dernier. Par le citoyen François de Neufchâteau. Barba.

Qu’est-ce que la Comédie ? C’est l’art d’enseigner la vertu et les bienséances, en action et en dialogue.

Voltaire,Corresp. tome V, letttre 246.)

L'Esprit des journaux français et étrangers, vingt-deuxième année, volume VIII (août 1793), p. 283-288 :

[Un très long compte rendu d’une pièce qui va prendre une importance inattendue dans l’histoire du théâtre de la période révolutionnaire, et de celle de la Comédie Française. Avant les événements qui bouleverseront le Théâtre de la Nation, la question que se pose le critique, c’est de comparer Paméla et Nanine de Voltaire, « qui présente le même sujet ». Il marque nettement sa préférence pour la pièce de Voltaire, celle de Neufchâteau (et de Goldoni, qui serait l’original simplement traduit par Neufchâteau) étant bien trop longue (les deux premiers actes sont une exposition interminable). Sa conclusion est sans appel : « Si un drame, dont l'intérêt est foible & la force comique nulle, est une bonne comédie, parce qu'il renferme de beaux vers, Paméla restera au théatre. » Et cette survie de Paméla passe par de sérieuses modifications : suppression de l’acte 1 et de l’acte 5. « Ce que nous venons de dire concerne bien plus Goldoni que son traducteur », Neufchâteau. Sa part personnelle est indiquée : il a traduit fidèlement la pièce italienne, mais il y a inséré des «  maximes philosophiques & politiques », comme l’affirmation de l’égalité des hommes ou celle de l’égale valeur des différentes religions.]

THEATRE DE LA NATION.

Paméla, ou la vertu récompensée, comédie en vers & en cinq actes; par M. François de Neuchâteau.

La mere du lord Bownfeld s'étant intéressée au sort d'une jeune fille de campagne, l'amene à Londres, & prend soin de son éducation. Cette bienfaisante Lady meurt après avoir recommandé Paméla à son fils. Celui-ci en devient éperduement amoureux. En fera-t-il sa rnaîtresse ? Paméla est trop vertueuse. En fera-t-il sa femme ? Paméla n'est qu'une simple servante. Le combat entre l'amour & le préjugé fait tout l'intérêt de la pièce, & imprime sur toutes les actions & toutes les pensées de Bownfeld un caractere d'indécision qui le fait changer à chaque instant de résolution. Il aime Paméla, & il rougit de son amour ; il veut l'épouser, & le préjugé le retient ; il délire que sa sœur l'emmene avec elle ; & quand elle est sur le point de partir, il défend à Paméla de sortir de chez elle ; il veut lui-même se laisser entraîner à la campagne, & malgré les efforts du lord Arthur, il est à peine sorti de la ville, qu'il y rentre aussi-tôt.

Mais pendant son absence, un jeune écervelé, lord Reynolds, neveu de sa sœur, est sur le point d'outrager Paméla. Heureusement pour elle, Bownfeld survient, & Reynolds auroit vraisemblablement à se repentir de ses procédés, si l'arrivée du pere de Paméla n'adoucissoit son amant. Ce bon vieillard, tremblant pour l'honneur de sa fille, depuis le moment où il a appris la mort de sa bienfaitrice, vient la chercher pour la ramener à la campagne.

Cette résolution accable lord Bownfeld, & au moment où il va déclarer au pere de Paméla qu'il veut l'épouser, celui-ci lui apprend sous le secret qu'il est un de ces anciens gentilshommes d'Ecosse qui furent proscrits en Angleterre pour avoir favorifé le parti de Stuart contre Guillaume. Je suis, ajoute le vieillard, ce fameux comte d'Olstein, chef du parti catholique. Le parti des vaincus, dans les révolution!, étant toujours en butte aux persécutions, je fus contraint de me cacher dans un hameau, où depuis vingt ans je vis avec ma respectable époufe du travail de mes mains. Le lord-miniftre Arthur étoit sur le point de me faire rentrer dans mes biens en m'accordant magrace ; mais une mort inopinée l'en a empêché.

On devine tout le reste : lord Arthur fait ce que son pere n'a pu faire, & lord Bovnfeld épouse Paméla au grand contentement de toute sa maison, & même de sa sœur & du neveu Reynolds.

Nous n'examinerons pas si Paméla auroit dû occuper une place sur la scene françoise, à côté de Nanine, qui présente le même sujet ; mais nous examinerons si Goldoni & M. François de Neufchâteau ont tiré tout le parti possible de cette fable. Le combat que livre l'amour à la vanité, dans le cœur de Bownfeld, étoït-il suffisant pour occuper le spectateur pendant cinq actes ? nous ne le pensons pas. Aussi les deux premiers sont-ils languissans, & n'offrent-ils d'autre aliment à l'attention, que l’exposition du sujet & le développement de certains caracteres. Celui de Paméla est bon. Pouvoit-on le faire mauvais, en copiant Richardson ? Mais il falloit, pour qu'il ressortît ce beau caractere , lui donner un contraste, comme Voltaire n'a pas manqué de le faire dans Nanine. On nous dit bien, dans Paméla, que la sœur de lord Bownfeld eft une méchante femme ; mais nous ne le voyons pas, & c’est pourtant ce qu'il eût été assez essentiel de nous montrer. Ce ne sont pas des paroles ou des récits qu'il faut dans la comédie ; ce sont des actions. Ce qu'on voit se grave profondément dans l'esprit ou dans le cœur ; ce qu'on entend effleure à peine l'un & l'autre. Paméla n’est d'ailleurs pas assez éprouvée, pas assez contrariée ; si son amant & elle n'avoient pas soin de combattre eux-mêmes leur passion, ils seroient d'accord dès la premiere scene. Le caractere d'Arthur est bon, & contraste bien, par l'auftérité de ses principes & sa froideur, avec la pétillante vivacité & inconstance du principal personnage ; mais celui de Reynolds est parfaitement inutile, parce qu'il ne vient que pour faire un outrage, aussi gratuit que tardif, à Paméla, sur la vertu de laquelle nous savons si bien à quoi nous en tenir. Etoit-ce. la peine d'amener Reynolds sur la scene pour lui faire dire quelques impertinences sur les voyages, & ne servir à rîen ? Reynolds devoit égayer & intéresser, ou être utile au dénouement, il n'est rien de tout cela; donc il devroit être exclu. Cette perte nous eût d'autant moins été sensible, qu'il vient nous donner de l'humeur, en faisant sortir Bownfeld de son caractere, lorsqu'après avoir entendu le bavardage de Reynolds, il appelle ses gens, pour leur ordonner d'apporter un verre d'eau à ce jeune étourdi, parce qu'il doit avoir soif après avoir tant parlé. Un lord pourroit-il s'oublier lui-même auprès de ses gens, jusqu'au point de vouloir les rendre les témoins ou les instrumens de cette triviale plaisanterie.

La sœur de Bownfeld n'est pas plus liée au sujet. Elle ne fait ni ce qu'elle veut, ni ce qu'elle doit faire. Pourquoi est-elle là ? pourquoi ne part-elle pas, quand elle a résolu de partir ? C'est ce qu'il seroit bien difficile de dire. Auffi, aimerions-nous mieux que l'on se bornât à nous annoncer que la sœur du milord est venue, pour emmener Paméla, que de voir cette milady promener son inutilité sur la scene. A la bonne heure, qu'on nous montre dans les accessoires des personnages dont la physionomie ne dit que peu de chose, comme l'intendant & de Mme. Jeffe. Mais les traits des caractères principaux, des caracteres qui sont faits pour inspirer de l'intérêt par eux-mêmes, ou augmenter celui qu'on doit prendre à leurs contraires, doivent être dessinés avec autant de hardiesse que de pureté. Si tous les traits d'un tableau ne sont pas bien distincts, si les teintes se confondent, si les ombres ne font pas valoir les clairs, nous n'avons sous les yeux que trouble & confusion. Sans ordonnance, il n'y a pas plus de comédies que de tableaux.

Si un drame, dont l'intérêt est foible & la force comique nulle, est une bonne comédie, parce qu'il renferme de beaux vers, Paméla restera au théatre. Mais, pour obtenir cette prérogative, il faudra qu'on en supprime le premier acte, qui fait languir l'exposition, & le cinquieme, dans lequel le dénouement se trouve délayé. Alors Paméla sera le pendant de Nanine ; & si le style magique de Voltaire, comparé à celui de M. François de Neufchâteau, pouvoit lui faire quelque tort, cet aimable auteur se rappelleroit sans doute qu'il s'est ménagé lui-même des motifs de consolation, en disant dans ses vers à Goldoni.

Tout artiste ne saisit pas
La ressemblance d'une belle :
Vénus ne livra ses appas,
Qu'au ciseau du seul Praxitele.

Ce que nous venons de dire concerne bien plus Goldoni que son traducteur ; ce que nous allons ajouter est particulier à celui-ci. Quoiqu'il ait assez fidellement traduit Paméla, & qu'il n'ait presque rien changé dans la disposition du sujet, il y a pourtant dans ce drame des choses qui appartiennent à M. François de Neufchâteau seul ; elles sont faciles à reconnoître. De ce nombre, sont les maximes philosophiques & politiques qu'il y développe. Pour les distinguer au premier coup-d'œil, il suffit de faire attention que l'avocat vénitien écrivoit en Italie, & qu'il n'auroit jamais pu y dire, sans s'expofer, que le principe de l'égalité des hommes est la grande loi de la nature, & enfin que toutes les religions sont également bonnes pour les honnêtes gens. Nous ignorons si Goldoni pensoit tout cela ; mais nous savons bien que s'il l'avoit dit, l'inquisition l'auroit empêché de donner le Bourru bienfaisant en France.

Cette comédie a été jouée avec cet ensemble & cette réunion de talens qu'on ne trouve qu'au théatre de la nation.

(Journal des spectacles.)

L'Esprit des journaux français et étrangers, vingt-troisième année, volume 2 (février 1794), p. 148 157 :

[A l’occasion de la publication du texte de la pièce, des informations précieuses sur les tentatives précédentes d'adaptation du roman de Richardson, et sur les ennuis que Paméla a valu à son auteur et aux comédiens qui l'ont joué...]

PAMÉLA ou la Vertu récompensée, comédie nouvelle en cinq actes & en vers ; par M. François Neufchateau. A Paris, I793, & se trouve chez les marchands de nouveautés.

On l'a dit & répété cent fois ; plus un roman est estimable, plus il est ingrat à mettre en scene. Nous ne rapporterons pas les raisons que l'on en a données : nous nous contenterons d'en faire l'application au roman de Paméla de Richardson, qui n'a pu inspirer dignement deux de nos auteurs les plus connus. En 1743, Boissy donna, aux Italiens, Paméla, ou la vertu mieux éprouvée, comédie en trois actes, en vers. Boissy avoit tiré son sujet du roman de Richardson, qui occupoit alors tout Paris ; mais sa piece n'eut pas un succès aussi brillant. La fête, qui en fait le dénouement, très-ridicule à lire, mais fort agréable à la représentation, la fit jouer treize fois, dans le courant de la même année. Lachaussée, qui avoit fait réussir au théatre tant de romans, n'y put faire applaudir celui de Paméla. Sa Paméla, en 5 actes & en vers, n'alla pas jusqu'à la fin. Un vers burlesque décida son sort. Un acteur se plaignoit de n'avoir pas assez de tems pour faire une commission ; un autre lui répondoit :

Vous prendrez mon carrosse afin d'aller plus vîte.

Ce vers fit redoubler les huées contre la piece, qui tomba tout à plat. Paméla est imprimée dans les œuvres de Lachaussée ; mais on n'y trouve point ce vers, non plus qu'une foule d'autres qui étoient plus ridicules encore. C'est au sujet de la Paméla de Lachaussée qu'on cite l'anecdote suivante. Au sortir de la premiere & derniere représentation de cette comédie, quelqu'un demanda, à la porte : comment va Paméla ? Un mauvais plaisant lui répondit : Elle pâme, hélas !

Six ans après parut la Nanine de Voltaire, qui offrit le sujet de Paméla, manqué par Lachaussée & par Boissy ; mais peur-être cette comédie n'auroit-elle pas eu tant de succès, si son auteur eût suivi à la lettre le roman de Richardson : il ne lui a pris que son idée ; il a créé son cadre, ses personnages & son action.

En 1771, les comédiens italiens donnerent la Buona fìgliola, parodie dont le sujet, ainsi que celui de Nanine, est tiré du roman de Paméla. Avant la premiere représentation, Carlin, qui venoit de jouer un rôle d'Arlequin, vint annoncer, suivant l'usage, & dit au public, après beaucoup de lazzis : « Messieurs, on va vous donner la Buona figliola ou la bonne enfant..... Mes camarades veulent vous persuader que c'est une piece nouvelle ; n'en croyez rien..... je ne veux pas qu'on vous trompe ; je suis trop honnête....... Il y a dix ans que la piece est faite....... Bon ! elle a couru l'Italie , l'Allemagne , l'Angleterre..... Vous vous appercevrez sans doute qu'elle a un air de physionomie avec Nanine : je sais bien pourquoi..... Elles sont sœurs..... elles ne sont pas du même pere, mais de la même mere : elles descendent en droite ligne de cette madame Paméla, qui a fait tant de bruit ! »

M. Monvel a pris quelques idées de Paméla dans une comédie en trois actes, en vers, intitulée : l'Heureuse indiscrétion. Enfin, Goldoni a fait deux Paméla ; l'une Paméla nubile, nommée Paméla Fanciulla, dans les premieres éditions de Turin & de Venise, & qu'il a faite sur le premier volume du roman ; l'autre est Paméla Maritata, qu'il a tirée du second volume de Richardson : l'une & l'autre furent traduites sur le champ, c'est-à-dire, en 1759, par M. Bonnel de Valguier. C'est la Paméla nubile que M. François Neufchâteau a imitée dans la comédie en cinq actes, en vers, donnée avec succès l'année derniere sur le théatre de la nation. L'auteur s'est écarté considérablement de Boissy, de Lachaussée, & même de Voltaire. Nous ne donnerons point ici un extrait détaillé de l'intrigue de cette piece, dont nous avons déjà présenté une idée dans notre volume d'août 1793. Quoique l'auteur ait plus suivi Goldoni que le roman de Richardson, on sait toujours que Paméla, fille de pauvres paysans, est simple servante chez mylord B.... que son maître, enivré de ses charmes, tente de la séduire par tous les moyens possibles ; que Paméla, vertueuse, résiste à ses attaques multipliées, & que le lord, touché de la vertu de cette intéressante créature, finit par triompher des préjugés, en l'épousant. Ce sont les moyens que l'auteur a employés pour en venir là, qu'il faut examiner. Premiérement il a introduit, comme Lachaussée, dans sa piece, myladi Dawers, rôíe insignifiant & désagréable : il y a-introduit de plus le jeune étourdi de neveu de la Dawers, mylord Ernold, rôle au moins inutile. En second lieu, l'auteur a fait, d'après Goldoni, une faute très-grave selon nous ; c'est d'avoir rendu noble le pere de Paméla ; c'est d'en avoir fait un comte Ostein, gentilhomme proscrit depuis l'affaire des Stuarts, & qui a été obligé de se cacher, dans un village, sous les haillons de la misere. Nous en demandons pardon à l'auteur : mais il nous semble que ce roman, ajouté au roman, tue le but moral de l'ouvrage : 1e préjugé n'est plus vaincu par mylord : ce n'est plus seulement la vertu qui est récompensée, c'est aussi la naissance, & ce jeu du hasard vient à propos pour lever tous les scrupules de mylord, de sa sœur & de son ami Arthur. Peut-être, si l'on n'eût pas découvert un noble dans le pere Andrews, mylord n'eût-il jamais épousé Paméla ; en vain en avoit-il formé le projet avant de connoître Andrews, ses amis, ses parens n'y eussent jamais consenti : voilà ce qu'on peut se dire, & dès ce moment le but moral n'existe plus ; Des considérations locales avoient pu engager Goldoni à inventer cette fable : mais en France, dans ce moment-ci, elle n'étoit plus nécessaire. Il est vrai qu'en supprimant les rôles de myladi Dawers, de son neveu, en adoptant, d'après le roman , d'après Voltaire, &c. la pauvreté & la naissance obscure du pere Andrws, on n'auroit pu faire que trois actes de cet ouvrage : mais n'y auroit-il pas gagné ? 1l est un peu long, de l'aveu de tout le monde : en trois actes l'action eût été plus serrée & la morale plus pure.

Voilà des observations que nous devions faire : à présent nous parlerons du mérite de cette piece : nous dirons qu'il y a des scenes d'une grande beauté ; que les passions y sont peintes avec infiniment d'art ; qu'elle est écrite par une plume exercée, & qu'au milieu de quelques vers peu soignés, on en rencontre une foule d'autres qui arrachent les applaudissemens. En un mot, cet ouvrage arrive après Nanine, & il réussit ; c'est une preuve de son mérite & du talent de son auteur, homme estimable, connu déjà dans la république des lettres par des ouvrages de société, qui lui ont fait une réputation distinguée. Quoi qu'il en soit, c'est à cause de cette piece que l'ancien théatre de la comédie françoise a été fermé. Nos lecteurs trouveront dans les pieces ci-jointes les circonstances de cet événement, dont les détails sont encore peu connus dans l'étranger.

Lettre de M. François Neuchâteau, aux auteurs du Journal des spectacles.

Jeudi , à cinq heures un quart, la représentation de ma piece de Paméla a été suspendue par un ordre du comité de salut public de la convention nationale, & il n'y eut point de spectacle, ce soir, au théatre françois. Je n'ai su que le jeudi soir, bien avant dans la nuit, quels étoient les motifs de l'arrêté du comité. J'ai changé sur le champ ce qui, en 1793, avoit paru prêter à des allusions que je n'avois pas pu prévoir lorsque je composai ma piece en 1788, & que je la lus au lycée en 1789. Le vendredi matin, le comité a vu & approuvé mes changemens. Un nouvel arrêté a levé la suspension. Il falloit aux acteurs le tems d'apprendre les corrections, avec lesquelles cette piece reparoîtra demain lundi. Je me suis rendu au désir de plusieurs personnes, qui paroissoient fâchées que Paméla se trouvât noble. Elle sera donc roturiere, & sans doute elle y gagnera. Il est vrai que l'auteur y perd. Ce changement détruit une féconde comédie en cinq actes, en vers, que j'étois tout prêt à donner, d'après celle de Goldoni(1), & qui remplissoit mieux l'objet que l'on avoit en vue ; mais on étoit impatient, & je n'ai pas voulu laisser le moindre doute sur mes sentimens bien connus. La liberté est ombrageuse : un amant doit avoir égard aux scrupules de sa maîtresse ; & j'ai fait d'ailleurs, aux principes de notre révolution, tant d'autres sacrifices, d'un genre un peu plus sérieux, que celui de deux mille vers, n'est pas digne d être compté.

Paris, le 1er. septembre, 1793.

Voici maintenant ce qui s'étoit passé à la convention nationale, relativement à Paméla, son auteur, & les artistes du théatre de la nation.

Un membre, parlant au- nom du comité de salut public, dit qu'en vertu de la loi du 2 août dernier, qui prononce une peine contre les théatres qui cherchent à pervertir l'esprit public, le comité avoit cru devoir arrêter la veille : 1°. que le théatre françois, appellé Théatre de la nation, seroit fermé ; 2°. que les acteurs & actrices de ce théatre,  ainsi que François Neufchâteau, auteur de la comédie de Paméla, seroient mis en état d'arrestation ; 3°. que les scellés seroient apposés sur leurs papiers, pour être examinés par le comité de sûreté générale ; ce qui fut décrété.

Cette catastrophe devoit être d'autant plus inattendue pour les personnes comprises dans ce décret d'arrestation, qui croyoient sans doute avoir donné une toute autre idée de leurs sentimens politiques, par l'adresse suivante à la convention.

« Vous venez de donner à la France la constitution que le peuple attendoit avec impatience ; mais vous-avez promis d'asseoir l'édifice des loix sur ses deux bases immortelles : l'instruction publique & les instructions sociales. Tandis que vous vous occupez dé ces deux grands objets, permettez aux acteurs du théatre de la nation de venir vous soumettre une idée importante, dont l'exécution va lier leur spectacle à l'éducation publique. Un homme-de-lettres (François Neufchâteau) nous a proposé d'élever l'art dramatique à sa hauteur, en faisant un nouvel-emploi des chef-d'œuvres tragiques, & en les classant de maniere à donner sur la scene une espece de cours d'histoire en tableau & en action ; il a développé ce plan dans un discours qui en démontre les avantages pour le public, pour les lettres & pour notre art. Nous nous sommes hâtés d'adopter une idée qui exige de nous, il est vrai, de grands sacrifices & des- travaux considérables, mais qui a se mérite inappréciable à nos yeux, de rendre nos efforts plus-utiles encore à nos concitoyens. Nous sommes résolus d'essayer, l'an prochain, cette application- nouvelle de nos richesses littéraires, & nous nous proposons de donner successivement, à partir du premier janvier, toutes les tragédies dont les sujets ont trait à l'histoire romaine, au nombre d'environ quarante ; nous les jouerons dans l'ordre & la série exacte des événémens & des faits, en sorte qu'on pourra suivre, dans les historiens, le cours des actions que l'on viendra. voir au théatre. Le discours qui détaille les divers avantages de ce cours d'histoire, d'un, genre si piquant & si neuf, forme le prospectus de fessai que nous voulons faire ; mais comme le projet se lie, ainsi que vous le concevez sur cette simple annonce, & à l'instruction publique, & aux institutions sociales, nous avons cru devoir d'abord présenter aux législateurs l'hommage de notre dessein. Représentans du peuple, vous agréerez cette entreprise, car vous êtes trop éclairés pour ne pas juger à l'instant de l'utilité dont peut être, au régime d'un peuple libre, le moyen de l'instruction déguisée en plaisir. Personne d'entre vous n'ignore l'emploi qu'on a fait des spectacles dans les gouvernemens les plus vantés & les plus sages. Les Grecs & les Romains en firent un objet de leur politique ; d'autres peuples font des spectacles l'ornement de leurs fêtes, & une partie intégrante de leur culte religieux. Mais combien notre vue est plus grande & plus digne de vous être soumise ? Ce ne sont point des préjugés que nous voulons entretenir, c'est un enseignement nouveau que nous aspirons à répandre.

L'histoire, ce témoin des tems, ce flambeau de la vie, l'histoire qui dormoit muette dans les livres, va s'animer par nous & ressusciter tour-à-tour les plus grands personnages & les plus célebres époques du premier, du plus colossal des peuples de l'antiquité. Le tableau des vertus romaines est digne des yeux des François, qui sauront y puiser de quoi surpasser leurs modeles. C'est ce tableau vivant que nous allons offrir ; heureux, si cette tentative obtient votre suffrage, & si vous nous donnez les moyens qui dépendent de votre autorité, d'étendre, même aux classes pauvres, le bienfait de ce nouveau genre d'instruction nationale ! »

Le décret de la convention, rendu le 3 septembre dernier, à 3 heures après-midi, fut exécuté le même jour ; & le théatre de la nation, ci-devant de la comédie françoise, reste encore fermé. La destinée de ce spectacle ayant long-tems été aussi intimement liée à celle des belles-lettres en France, nous avons cru que ces détails ne seroient point indifférens à nos lecteurs.

(Journal des spectacles ; Annonces & avis divers, &c.)

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1795, volume 3 (mai juin 1795), p. 233-234 :

[A l’occasion de la reprise de la pièce, un rappel de sa genèse, de Richardson à Goldoni, traité comme le plus français des Italiens... Une large place est faite à l’interprétation, remarquable par la qualité des acteurs du Théâtre Feydeau. Un nom est cité, celui de Molé. Les changements faits à la pièce concernent la période de la Terreur (celle où la pièce a valu quelques ennuis à ses auteurs et à ses interprètes), d’où leur succès.]

THÉATRE DE LA RUE FEYDEAU.

La piece de Paméla, qui avoit eu un grand succès lors de ses premieres représentations, en a obtenu un bien plus complet encore. Elle est du petit nombre de celles données pendant le cours de la révolution qui ne tirent point leur mérite du tems & des circonstances qui les ont fait naître ; cet ouvrage intéressant par le fonds du sujet, donné par Richardson, & qui se trouve parfaitement à l'ordre du jour, par le plan couçu en plus grande partie par Goldoni, célèbre auteur italien, que la France a également le droit de réclamer, par la diction & la facilité de la poésie, enfin par plusieurs tirades analogues à la révolution, sera dans tous les tems vu & applaudi par les gens de goût.

S'il est généralement vrai que dans les pieces de théatre, l’acteur est naturellement associé avec l’auteur pour la gloire du succès, c'est sur-tout dans les pieces qui se donnent aujourd'hui sur le théatre de la rue Feydeau ; le petit nombre de sujets qui y ont pris des engagemens sont chers au public par la double harmonie qui regne entr'eux, soit comme sociétaires, soit par l’accord de leurs talens, dont l'ensemble ne présente aucune disparate. Le cit. Molé a ajouté à ce mérite bien précieux & bien rare, en se chargeant du rôle d’Andreuss, pere de Paméla.

L'auteur a sait de légers changemens ; mais il a ajouté plusieurs vers, & même des tirades qui, ayant rapport au regne de la terreur, ont été applaudis avec transport.

Courrier des spectacles, n° 108 du 5 floréal an 5 [24 avril 1797], p. 2-3 :

[A l'occasion d'une reprise de Paméla, Le Pan revient sur la pièce, en commençant par une longue analyse du jeu des acteurs, ceux qu'il félicite, puis ceux qu'il trouve peu adaptés à leur rôle, souvent pour des questions d'âge : certaines actrices sont trop jeunes pour le rôle, d'autres trop douces pour un rôle où il faut « un cœur […] hautain et […] méchant ». le critique s'attendait à une distribution plus homogène. La représentation a pourtant été réussie, malgré les longueurs que François de Neufchateau a introduit... dans la pièce de Goldoni. Car Le Pan voit dans la pièce française une traduction de l'italien, tout en reconnaissant que « le traducteur s'est beaucoup éloigné de son original » : chez Goldoni, pas de mélange de sentiments alternativement hauts et bas, pas trace de « ces malheureux principes philosophiques qui ont troublé le repos des peuples en tournant la tête de certaines gens ». Goldoni ne parle que « le langage de la raison », sans jamais s'en prendre à la religion. On ne trouve pas dans sa pièce l'effrayante longueur du débat entre Ausping et milord Bonfil. L'article s'achève sur des considérations sur le changement de costume, annoncé et non effectué, de Milord Arthur (il y a là une question de convenances sociales qui nous échappent un peu), et sur l'expression de la douleur manifestée par ce même Milord Arthur à un moment où la pièce peint un personnage rêveur. « Nous croyons qu’il doit s’en tenir là ; il nous semble qu’aller plus loin, c’est perdre tout décorum, et détruire l’intérêt. ».]

Théâtre Feydeau.

On donna hier à ce théâtre une représentation de Paméla. M.rs Dazincourt, Fleury et Molé, ainsi que M.lle Lange, sont dans cette pièce ce qu’ils sont partout. Peut-être même peut-on dire qu’il n’est aucun rôle dans lequel M.lle Lange soit mieux placée que dans celui de Paméla. La position de cette infortunée, la candeur de son caractère, cadrent bien avec l’amabilité de la figure et la douceur de la voix de M.lle Lange. On ne sauroit mieux peindre l’innocence et la dignité de la vertu que l’on veut outrager : aussi a-t-elle généralement été applaudie. M. Fleury a rendu le rôle passionné de milord Bonfil, avec toute la force imaginable ; son jeu muet a sur-tout la plus grande expression. M. Molé offre, dans le personnage d’Andreuss, la plus belle tête qu’il soit possible de voir. Nous l’avons entendu comparer à Brizard, et son jeu le rapproche encore plus de ce célèbre acteur. A l’égard des autres rôles, nous ne pouvons dissimuler que la distribution ne nous en paroît point heureuse. M.lle Devienne est trop jeune, trop jolie, et sur tout trop fine pour le rôle de M.me Jeffre, dont le caractère et sa qualité dans la maison exigent au moins 40 ans, et plus de sérieux. On dit dans l’ouvrage que Paméla est trop jeune pour rester chez un maître qui n’est point marié. Pourquoi M.me Jeffre, encore jeune, y resteroit-elle davantage ?

M.lle Mars est sûrement plus mal placée encore dans le rôle dur de milady Daure. Outre sa jeunesse, comment persuader aux spectateurs qu’une figure aussi agréable, qu’une voix aussi douce cachent un cœur si hautain et si méchant  ?

M. Damas ne nous paroît pas mieux dans le rôle d’Arthur. Cet acteur promet et tient sans doute déjà beaucoup ; il ne peut que gagner auprès de M. Fleury, dont il doit chercher à acquérir l’aisance et l’à-plomb. Il seroit injuste d’exiger de lui qu’il égalât déjà les maîtres de l’art ; on ne peut, quant à présent, que l’engager à éviter de lever les épaules, et de jetter si souvent son corps en avant ; mais nous le répétons : le temps et l’étude corrigeront ces défauts. Pour revenir au rôle d’Arthur, nous croyons qu’il ne convient nullement à un homme de l’âge de M. Damas, que sa jeunesse, et sur-tout sa vivacité naturelle rendent peu propre à un rôle de Mentor, sur-tout d’un Mentor Anglais.

M. Armand nous paroît trop foible dans le rôle d’Ernold. Ce jeune acteur a sans doute des dispositions. Nous n’oublions pas de quelle manière il a joué dans les trois Fils, mais il faut convenir qu’il faut avoir plus d’usage de la scène pour rendre un rôle d’étourdi, genre que M. Fleury a porté si haut.

Nous pensons donc que cette pièce est bien loin de présenter l’ensemble que l’on est accoutumé à trouver à ce théâtre. Quoi qu’il en soit, elle est vivement applaudie, malgré les longueurs que M. François de Neufchâteau a introduites dans cet ouvrage que bien des gens croient être de lui, parce que l’affiche ne porte pas que c’est une traduction de Goldoni.

Il est vrai que le traducteur s’est beaucoup éloigné de son original. On ne voit pas dans Goldoni cet assemblage ridicule de sentimens, tantôt nobles et élevés, tantôt communs et bas ; on n’y voit pas un lord épouser la fille d’un roturier ; on n’y trouve pas ces malheureux principes philosophiques qui ont troublé le repos des peuples en tournant la tête de certaines gens.

Certes, sous ce rapport, la pièce de M. François de Neufchateau n’est pas une traduction de Goldoni, qui n’a jamais parlé que le langage de la raison, et qui ne s’est jamais permis de dénigrer la religion de son pays, ni aucune autre. Il se seroit bien gardé aussi d’ajouter à la longueur insupportable de l’explication qu’Ausping est contraint de donner à milord Bonfil. Il ne faut rien moins que les talens de M.rs Molé et Fleury pour faire supporter la dernière scène du 4.e acte.

Nous nous permettrons deux observations sur M. Fleury ; la première c’est qu’il paroît étrange qu’il revienne au 4.e acte dans un habit de voyage, lorsqu’il a dit dans le 3.e à milord Arthur :

Je veux changer d’habit,

et que celui-ci lui répond :

Ces soins sont superflus,

et qu’ensuite Bonfil, après avoir appelé M.me Jeffre pour lui donner des ordres avec précipitation, sort avec Arthur en lui disant :

Cher Arthur, partons vite.

La seconde observation est relative à la douleur que M. Fleury manifeste à la 14.e scène du 3.e acte. Nous ne trouvons pas naturel qu’il répande des larmes devant Paméla ; et l'auteur en effet ne le peint que rêveur. Nous croyons qu’il doit s’en tenir là ; il nous semble qu’aller plus loin, c’est perdre tout décorum, et détruire l’intérêt.

Nous soumettons ces réflexions à M. Fleury , qui peut mieux que personne les apprécier.

L. P.          

L’Esprit des journaux français et étrangers, trente-unième année, germinal an X [avril 1802], p. 184-185 :

[A l’occasion d’une reprise de Paméla de François de Neufchâteau, une mise au point sur les persécutions dont la pièce a été victime, et que le critique trouve tout à fait injustifiées.

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE.

A défaut de nouveautés, le Théâtre-Français vit de reprises : celle de Paméla a fourni une nouvelle occasion de développement à Mlle. Bourgoing. Cette jeune actrice a, dans les larmes un peu de monotonie : si elle veut faire des progrès dans sa carrière, il faut, je pense, qu'elle s'occupe de devoir plus à son talent qu'à sa jolie figure. Dans tous les arts, c'est reculer que de ne pas avancer.

La pièce est jugée depuis long-temps. Les persécutions injustes qu'elle a suscitées à son auteur, ajoutent même à l'intérêt qu'elle inspiroit déjà. Le jeu de Molé & de Fleury contribue encore à son succès.

On assure que le C. François (de Neufchâteau) a rendu plainte contre un journaliste qui s'étoit permis de l'injurier dans sa personne, dans ses intentions & dans sa conduite politique, à propos de cet ouvrage, & qu'il a obtenu de son détracteur une réparation. Puisse cet exemple éclairer quelques-uns de nos libellistes effrénés , qui semblent avoir pris pour devise le mot de l'abbé Desfontaines au lieutenant de police d'Argenson, & qui mériteroient presque tous la réponse du magistrat !

[L’abbé Desfontaines aurait dit à d’Argenson, ministre de la guerre qui lui reprochait un de ses libelles : « Mais, monseigneur, il faut bien que je vive. » D’Argenson aurait répondu : « Je n’en vois pas la nécessité. » (Mémoires du Marquis d’Argenson, Paris, 1825, p. 76, note 1).

Julien Louis Geoffroy, Cours de littérature dramatique, Volume 4 (seconde édition, 1825), p. 138-142 :

[En 1802, Geoffroy critique violemment une pièce où il voit d'abord une attaque contre la religion.]

FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU.

PAMÉLA, ou LA VERTU RÉCOMPENSÉE.

Le plus grand mérite de ce drame est d'avoir fait emprisonner l'auteur et toute la comédie en masse ; je cherche en vain la cause de cette persécution : assurément l'ouvrage était digne de trouver grâce aux yeux des fanatiques révolutionnaires ; il respire l'anarchie et l'irréligion ; mais peut-être les habits dorés de milord Bonfil et de milord Arthur auront-ils blessé les yeux des sans-culottes ; peut-être ces titres honorifiques, ces noms de lord et de pair auront-ils effarouché les oreilles des patriotes purs ; et puis il y a des propositions d'une morale relâchée, qui devaient paraître alors très-mal sonnantes et sentant l'hérésie :

La solitude est douce à qui hait les méchans.

On sait qu'on fermait alors les barrières, et qu'on regardait comme suspects ceux qui voulaient quitter Paris pour fuir les méchans.

Souvenons-nous d'aimer, oublions de punir.

La maxime est fausse en morale comme en politique, et très-nuisible au bonheur de la société: mais les bourreaux de ce temps-là, qui assassinaient et ne punissaient pas, ont dû surtout la trouver détestable.

Avec fureur on nuit, avec tiédeur on sert.

Le vers est sec et dur, mais vrai ; et l'on sent combien il a dû déplaire, dans un temps où c'était un crime de s'attendrir sur le sort des innocentes victimes de la révolution.

François de Neufchâteau est du nombre de ces honnêtes gens qui ont l'esprit faux et la vue courte, et que leur caractère dispose au fanatisme philosophique ; c'est un homme tout philosophe depuis les pieds jusqu'à la tête. Ces niaiseries, qui seraient ridicules si elles n'étaient affreuses dans leurs effets, lui paraissent le dernier effort de la raison, et même de la vertu ; c'est pour lui une espèce d'évangile que ce code d'inepties et de sottises, qui suppose, dans les écrivains de bonne foi, une parfaite ignorance des hommes et de la société, et, dans les autres, le dernier excès de l'imposture et de la perversité. J'aime à croire que François de Neufchâteau a le cœur droit et les intentions pures ; mais ses lumières sont étrangement bornées, si, même après l'expérience, il voit encore autre chose dans ce qu'il appelle philosophie, que le plus horrible fléau de l'humanité. Malheureusement il a peu cultivé sa raison dans ses premières années. Rimeur très-précoce, il fit des vers à l'âge où les autres enfans apprennent encore à lire : son talent parut alors une espèce de miracle ; mais il a vérifié le proverbe qui dit qu'un prodige à quinze ans est un homme très-médiocre à trente.

Je suis étonné que son respect pour Voltaire lui ait permis de refaire la Nanine de ce grand homme : le sacrilége n'a pas été heureux ; Nanine, pour l'intérêt et le style, est très-supérieure à Paméla, pièce froide et languissante. Ce qui me surprend le plus, c'est qu'on ait pu songer à composer ou à faire représenter une comédie dans un temps où la France n'était qu'un vaste théâtre ensanglanté par les tragédies les plus atroces : il fallait être bien enragé, bien possédé du démon poétique, pour songer à des plaisanteries et à des scènes comiques, quand tous les honnêtes gens versaient des larmes amères. François de Neufchâteau aurait pu se dispenser de prêcher alors au théâtre l'égalité et l'irréligion ; car le plus ignorant des septembriseurs en savait plus que lui sur ces matières importantes.

Fleury a joué le rôle de Bonfil avec cet aplomb, cette noble simplicité et cette rare intelligence qu'on lui connaît. Il a bien saisi le caractère ; son accent est naturel et vrai : jamais il ne se bat les flancs pour paraître sensible. Le petit rôle de Longman est relevé par la finesse de Dazincourt, toujours excellent dans ces personnages de vieux domestiques honnêtes qu'il sait rendre plaisans : cet acteur a le grand secret d'être comique sans être trivial et bouffon. On retrouve l'aimable aisance et l'enjouement de mademoiselle Devienne jusque dans le rôle ingrat et insignifiant de la gouvernante. Il ne faut pas reprocher à mademoiselle Gros d'avoir été froide et faible dans celui de milady Daure ; il faut reprocher à l'auteur d'avoir placé dans sa pièce un si mauvais rôle. C'est dans le personnage d'Andrews que François de Neufchâteau a jeté tout son bavardage philosophique, et il est bien entre les mains de Molé ; on sait avec quel rare talent ce grand comédien débite des tirades, et avec quel art il fait valoir les vers les plus médiocres. Milord Bonfil demande avec raison à Andrews pourquoi, après avoir combattu pour la religion catholique, après avoir tout sacrifié à cette religion, il a élevé sa fille dans le culte des protestans. Andrews répond que l'âge et l'expérience l'ont rendu philosophe tolérant, ou plutôt indifférent à toutes les religions. Il a lu les écrits des esprits forts :

Ces courageux esprits, bravant Genève et Rome,
Ont enfin démasqué le fanatisme affreux,
Et quiconque sait lire est éclaire par eux.

Belles lumières que celles qui tendent à détruire toute religion !

Il n'est plus d'ignorant que celui qui veut l'être.

Le plus ignorant et le plus insensé de tous les hommes est celui qui prend pour de la science les sophismes d'un esprit faux.

L'erreur avait fondé la puissance du prêtre.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Eh ! qu'importe qu'on soit protestant ou papiste ?
Ce n'est pas dans les mots que la vertu consiste.

Eh ! qu'importe qu'on soit juif, mahométan, idolâtre, athée ? Charmante doctrine à prêcher à des catholiques !

Pour la morale, au fond, votre culte est le mien ;
Cette morale est tout, et le dogme n'est rien.

Voilà ce qui s'appelle s'expliquer clairement. Ainsi la religion n'est rien ; car il n'y a point de religion sans dogmes : l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme sont aussi des dogmes, et par conséquent ne sont rien. Vous avez vu, monsieur Neufchâteau, ce que c'est que la morale des gens sans religion : les dogmes sont la sanction de la morale ; sans dogmes la morale est aussi nulle que l'étaient les lois sous l'anarchie des comités et du directoire. Poëte extravagant ! avant de prêcher cette doctrine incendiaire, étudiez les hommes, consultez l'histoire, instruisez-vous : je ne puis vous croire méchant ; l'ignorance et la folie peuvent seules vous excuser. Vous parlez de fanatisme, et vous ne savez pas que les fanatiques sont ceux qui attaquent le culte établi, et non pas ceux qui le défendent ! Si vous cherchez de bonne foi la lumière, méditez cette phrase, dont le développement demanderait un volume ; lisez ce que dit Bossuet sur les troubles de l'Angleterre, et, si vous êtes en état de l'entendre, peut-être frémirez-vous de l'énorme distance qui vous sépare d'un vrai philosophe. (2 pluviose an 10. [22 janvier 1810])

Annales dramatiques, ou dictionnaire général des théâtres, tome 7 (1811), p. 202-204 :

PAMÉLA, ou La Vertu Récompensée , comédie en cinq actes et en vers, par M. François de Neufchateau , aux Français, 1793.

Cette pièce, quoique remplie de maximes les plus philosophiques, fut proscrite dans un tems où la liberté et l'exagération des principes que l'auteur y professe étaient à l'ordre du jour. Elle fut arrêtée dès la seconde représentation ; le théâtre lui-même fut fermé, et l'auteur obligé de fuir ou de se cacher. Nous ne pouvons découvrir dans tout l'ouvrage, d'ailleurs si conforme aux principes du tems, d'autre cause de cette proscription que ce couplet de lord Bonfil dans la dernière scène du quatrième acte ; il s'adresse au père de Paméla :

Rassurez-vous. Long-temps une aveugle puissance
Du fer de la justice égorgea l'innocence.
Quand on y réfléchit, on ne sait pas comment
Nous avons pu souffrir un tel renversement.
Aux talens, aux vertus on a livré la guerre;
La sottise et la peur ont gouverné la terre.
Mais cet esprit féroce enfin s'est adouci,
Le règne des bourreaux est passé, Dieu merci;
Le ministre des lois, tremblant de se méprendre,
Sait qu'en ôtant la vie, il ne saurait la rendre ;
Et nous ne verrons plus renaître la fureur
Qui fit de ce pays un théâtre d'horreur.

L'application des vers de ce passage étoit trop juste pour n'être pas sentie, et la prédiction que contiennent les derniers étoit trop effrayante aux yeux des dominateurs d'alors, pour ne pas attirer leur colère sur la tête de l'auteur.

Au reste, voici l'analyse de l'ouvrage. Paméla, par ses vertus, son esprit et ses grâces, avoit mérité la bienveillance de myladi Bonfil sa maîtresse. Elle vient de perdre cette généreuse et tendre protectrice, et elle reste dans la dépendance de mylord Bonfil qu'elle aime et dont elle est aimée. Jusqu'alors elle n'a cru voir dans ses sentimens pour son jeune maître qu'un tendre respect et une vive reconnaissance ; mais elle y découvre bientôt de l'amour, dès que mylord Bonfil lui déclare le sien. Cette découverte alarme sa vertu ; pour la conserver il faut qu'elle abandonne la maison de son maître : elle le doit, elle le veut; mais quel parti prendre ? Entrera-t-elle au service de myladi Daure, sœur de mylord ? celui-ci ne veut pas soumettre au pouvoir d'une maîtresse impérieuse sa chère Paméla. Se mariera-t-elle ? un vieux domestique de mylord, qui a quelque fortune, lui offre sa main ; mais Bonfil se révolte à la seule idée de livrer tant de charmes à la tendresse d'un vieillard. Ira-t-elle rejoindre son père et sa mère qui vivent dans les montagnes de l'Ecosse ? quelle sera sa situation, en comparaison du sort qu'elle éprouve ! C'est cependant le parti auquel elle s'arrête ; mais mylord ne peut se décider à la laisser partir.

Cependant, ramené à la raison par les conseils et la sagesse de son ami Artur, il adopte et rejette tour-à-tour les trois partis qui semblent convenir à Paméla. Enfin il en prend un plus généreux, et consent à s'éloigner lui-même d'un objet dont il respecte la vertu, et que les préjugés de son rang lui défendent d'épouser. Il part avec le respectable Artur; mais à peine est-il monté dans son carrosse, que la douleur d'un éloignement si cruel l'accable. Peu de tems après on le rapporte évanoui. Dans cet intervalle, Paméla fait ses préparatifs de départ, bientôt on voit arriver son père qui vient pour la chercher : le vieillard demande à parler à mylord ; celui-ci l'accueille avec distinction. Cette bonté encourage Andrewss à lui réveler un secret d'où dépend sa tête. Andrewss n'est point un paysan, il a suivi le parti du roi Jacques, dans les guerres civiles, sous le nom du capitaine Auspingh ; il s'est rendu célèbre par ses exploits ; mais Guillaume ayant triomphé, sa tête fut mise à prix, et dès-lors il se retira dans les montagnes d'Ecosse, où il se fit cultivateur, sous le nom qu'il porte maintenant, et où il épousa une paysanne dont Paméla est la fille chérie. Cette révélation change toute la face des choses : plus d'obstacles, mylord épousera Paméla : il le doit à l'amour, il le doit à la reconnaissance, car Auspingh a sauvé la vie à son père. Paméla ne tarde pas à recevoir cette nouvelle ; elle ne peut croire à tant de bonheur, que lorsqu'il lui est confirmé par son père. Myladi Daure elle-même ne s'oppose plus à ce qu'elle devienne l'épouse de son frère, et l'intrigue se dénoue à la satisfaction de tout le monde, et même à celle de sir Ernold, neveu de mylord, jeune étourdi que l'auteur n'a introduit dans sa pièce que pour y jeter quelque gaîté, car le sujet est fort triste par lui-même. Cet étourdi avait fait quelques insultes à Paméla, dans le dessein de s'égayer; mais son oncle lui pardonne en considération et à la prière de son épouse.

D'après la base César, la pièce a été jouée 10 fois au Théâtre de la Nation du 1er août au 2 septembre 1793. Elle est reprise par le Théâtre Feydeau pour 7 représentations, du 23 juillet au 17 août 1795. Le Théâtre de société de Momus la joue 39 fois du 8 septembre 1795 au 24 mars 1796. Reprise de la pièce au Théâtre Feydeau, où elle est jouée 16 fois (1 fois en décembre 1795, 1 fois en janvier 1796, 4 fois en août et septembre 1796, 10 fois en 1797, du 28 mars au 12 novembre). Elle est jouée dans le même temps 1 fois au Théâtre du Marais (28 août 1796) et 3 fois au Variétés Amusantes, Comiques et Lyriques (25 et 26 décembre 1796 et 26 février 1797).

(1) Paméla Maritata- Il y en a une .autre de l'abbé Chiari, qui m'a servi aussi pour ma piece de Paméla mere.

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