Philippe le Savoyard, ou l'Origine des Ponts-Neufs

Philippe le Savoyard, ou l'Origine des ponts-neufs, divertissement en un acte et en prose, mêlé de vaudevilles, de Chazet, Armand Gouffé et Georges Duval, 15 ventôse an 9 [6 mars 1801].

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Philippe le Savoyard, ou l'Origine des ponts-neufs

Genre

divertissement

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

15 ventôse an 9 [6 mars 1801]

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Chazet, Armand Gouffé et Georges Duval

Almanach des Muses 1802

Sur la page de titre de la brochure, chez Fabre et chez Barba, an IX (1801) :

Philippe le Savoyard, ou l'Origine des Ponts-Neufs, divertissement en un acte et en prose, mêlé de vaudevilles ; Par Chazet, Armand Gouffé, Georges Duval, Représenté pour la première fois sur le Théâtre du Vaudeville, le 15 Nivose an 9.

La date donnée par la brochure n'est pas la bonne : la création n'a eu lieu que le 15 ventôse an 9 [6 mars 1801], alors que le 15 ventôse correspond au 5 janvier.

Courrier des spectacles, n° 1468 du 16 ventôse an 9 [7 mars 1801], p. 2 :

[Les ponts-neufs (le pluriel varie d'un dictionnaire à l'autre : pont-neufs, pont-neuf) sont des chansons populaires dont l'air est connu de tous et est facile à retenir. Ces chansons, proches des vaudevilles, chantées d'abord sur le Pont-Neuf, sont mentionnées depuis le 17e siècle. La pièce imagine leur origine dans une rivalité entre un chanteur et un charlatan du temps, Philippe de Savoyard et Tabarin, autour de l'exclusivité du spectacle sur le Pont-Neuf et de la possession de l'amour d'une veuve tenancière d'un cabaret. En présence de Boileau, c'est le chanteur qui gagne la compétition : « Philippe obtient la possession du Pont-Neuf et de sa maitresse », à qui on n'a pas besoin de demander son avis; bien qu'elle semble en effet le préférer à Tabarin. La pièce a réussi, et c'est en citant des couplets que le critique veut convaincre de sa qualité. Les auteurs, connus déjà, sont cités.]

Théâtre du Vaudeville.

Il appartenoit aux joyeux auteurs du Val-de-Vire ou le Berceau du Vaudeville, aux citoyens Armand-Gouffé et Georges Duval , de nous offrir Philippe le Savoyard, ou l'Origine des Ponts-Neufs, qui reçut hier l'accueil le plus flatteur. Ils se sont adjoints pour ce dernier ouvrage le cit. Chazet.

Ce petit vaudeville est plein de gaîté, et si quelques scènes sont un peu longues, beaucoup de couplets tournés agréablement rachètent ces légers défauts.

Philippe le Savoyard et Tabarin se disputent sur le Pont-Neuf le mérite d’attirer plus de monde, l’un par ses chansons joyeuses et l'autre par ses tours et son charlatanisme. Ils sont rivaux en amour, et l'objet de leur tendresse est une veuve, cabaretière à la Pomme de Pin. Aucun des deux ne voulant céder, ils conviennent que celui qui attirera le plus la foule aura le Pont Neuf et la belle.

Tabarin, secondé par Colletet, mauvais poëte, est sûr de vaincre Philippe, que Boileau, conduit par un de ses amis, est venu entendre, fait revenir ce critique fameux de sa prévention contre lui.

Boileau veut s’amuser aux dépens de Collelet, et bientôt il voit la foule environner Tabarin ; mais à peine Philippe de son côté a-t-il commencé ses refrains que toute la jeunesse quitte Tabarin : celui-ci est vaincu, et Philippe obtient la possession du Pont-Neuf et de sa maitresse.

Dans le grand nombre de couplets dont fourmille cette pièce il y en a de foibles, mais aussi de très-forts, et ils ont plû généralement, quoi que la plûpart fussent des Pont-Neufs. Nous citerons les trois suivans, dont les deux derniers furent redemandés.

Tabarin.

Air : de la vigne-à Claudine.

La femme est- une rose
Dont la tricheur séduit :
Le papillon s'y pose,
Il se blesse et s enfuit.
Son destin me chagrine ;
Je dis avec douceur :
Ah ! faut-il que l’epine
Soit si près de la fleur !

Philippe.

Du jardin de la vie
La. Femme est l’ornement
C’est la rose chérie
Que l’épine défend.
La piqûre chagrine,
Voyez le grand malheur,
Le mal que fait l’épine
Est guéri par la fleur.

On demande à Philippe où il prend son Pégase. Il répond :

Air ; Charmante Gabrielle :

Dans ma joyeuse extase
Je sais chaque matin
Prendre pour mon Pégase
Ce cheval, mon voisin ;
Il me peut à la gloire
        Conduire ici :
Il fit à la victoire
        Voler Henri.

F. J. B. P. G***.          

La Décade philosophique, littéraire et politique, an IX, IIe trimestre, n° 18 (30 Ventôse), p. 565-566 :

[Philippe le Savoyard, un auteur de chansons sévissant sur le Pont-Neuf, est le héros de cette pièce. Le critique considère que ses œuvres sont très supérieures à ce qui se chante aujourd’hui. La pièce n’a guère d’action, une compétition entre ce Philippe et un autre chansonnier, avec Boileau comme juge arbitre. C’est bien sûr Philippe qui gagne, et emporte le prix, à savoir sa maîtresse. La pièce n’est pas sans défauts (un Boileau trop peu présent, un Philippe trop orgueilleux), pas plus qu’elle n’est sans qualités (« de la gaîté dont on a grand besoin ; de l'esprit et des couplets agréables ». Et le critique cite un couplet redemandé, quoiqu’il le juge « roulant sur un cadre un peu usé ». La pièce a été applaudie, et les auteurs nommés.]

Philippe le savoyard.

Les chansonniers du Vaudeville ont en haine ce pauvre Philippe qui ne doit guères le souvenir de son nom qu'à un hémistiche de Boileau : il est pourtant très-vrai que ce Philippe était un chanteur déterminé qui tenait ses assises sur le Pont-Neuf. On prétend même que de ses joyeuses chansons et de leur succès dans le peuple, est venu l'usage d'appeler Pont-Neufs les airs gais et chantans qui réjouissaient nos bons aïeux. Nos musiciens actuels dédaignent un peu cette gloire, et n'y gagnent pas grand chose ; car les chanteurs populaires, dans la disette d'airs gais et faciles, s'avisent d'estropier les romances et les grands airs d'une manière très-affligeante pour la gaîté et pour les oreilles.

La scène est donnée sur le Pont-Neuf, et la décoration qui le représente fidellement, a paru faire plaisir au public.

La pièce n'a presque pas d'action : Philippe est l'amant préféré de madame Crénet, aubergiste ; Tabaria est son rival : la vive et séduisante cabaretière consent à devenir le prix du défi qui doit avoir lieu entre les deux prétendans : Boileau, que le comte du Broussais amène chez madame Crénet, doit être témoin et juge de cet assaut. Tabaria se fait composer une parade par Colletet ; Philippe chante ses chansons, la pomme est au chanteur, le peuple abandonne les tréteaux de Tabaria pour écouter Philippe, et la veuve lui est adjugée.

On eût desiré que la scène du défi devînt plus piquante ; que Boileau jouât un personnage moins subalterne, surtout, que Philippe, dans son joyeux délire, n'eût pas l'air si sûr de ses avantages sur le poëte satyrique, et ne se comparât point avec Homère. Mais on a trouvé dans l'ouvrage de la gaîté dont on a grand besoin ; de l'esprit et des couplets agréables. En voici un surtout qu'on a redemandé ; quoique roulant sur un cadre un peu usé, il a cependant une tournure piquante ; et si l'on veut bien croire que l'idée est de Philippe lui-même, le reproche d'avoir usé la pensée, ne tombe que sur ceux qui l'ont suivie :

DU jardin de la vie,
La femme est l'ornement ;
C'est la rose çhérie
Que l'épine défend :
La piqûre chagrine,
Voyez le grand malheur !
Le mal que fait l'épine
Est guéri par la fleur.

La pièce a été fort applaudie ; elle est des CC. Armand Gouffé, Georges Duval et Chazet.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIe année, tome sixième, Germinal an 9, p. 119- :

[Article repris dans l’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, tome VIII, floréal an IX [mai 1801], p. 198-202 (en donnant pour tire Philippe le Savoyard, ou l’Origine des Ponts-Neufs.

Le sujet de la pièce, c’est une anecdote un peu mince qui fait se rencontrer quelques gloires littéraires (ou non) du XVIIe siècle, Tabarin et Philippe les chansonniers qui se disputent la main de madame Crenet (il faut une intrigue amoureuse dans ce genre de pièce), Colletet et Boileau les écrivains. La pièce a eu « quelque succès », obtenu par des moyens un peu démagogiques (le public a reconnu dans l’ouverture des airs à la gloire d’Henri IV). Sinon, ni action, ni intérêt. Et la figure que la pièce donne de Boileau (auteur d’une grande importance en ces temps lointains) est critiquée. Une scène manquée entre Colletet et Boileau, une scène réussie entre Boileau et Philippe. Des couplets inégaux, et le compte rendu cite ceux qu’il juge les meilleurs. Auteurs demandés, acteurs félicités.]

Philippe le Savoyard, ou l'Origine des Ponts-Neufs.

Les auteurs du Val-de-Vire viennent de donner au Vaudeville cette pièce, dont le sujet lui appartenoit de droit. Elle a été jouée, 1e 15 ventôse, avec quelque succès.

Le théâtre représente le milieu du Pont-Neuf, où on voit la statue d'Henri IV.

Tabarin, et Philippe, joyeux chansonnier, se disputent une place sur le Pont-Neuf et dans le coeur de M.me Crenet, qui tient, à la place Dauphine, le cabaret de la pomme de pin. Le public qui accouroit en foule aux parades de Tabarin, l'a abandonné depuis que Philippe a paru sur le Pont-Neuf. Le comte Dubroussin, fameux gourmet, veut faire revenir Boileau de la prévention où il est contre le Savoyard ; il l'amène dîner à la pomme de Pin. A peine Boileau est-il arrivé, que Colletet apporte à Tabarin une parade qui doit lui faire faire sa fortune. Il est annoncé par les cris de tout le monde qui se moque de lui. Son habit est crotté jusqu'au milieu du dos, des papiers sortent de toutes ses poches, en un mot sa tournure annonce un mauvais et pauvre auteur. Un décroteur lui offre de le nettoyer, une poissarde veut lui vendre un bouquet, et un fiacre veut le faire monter dans sa voiture. Quelle mortification pour Colletet, d'essuyer ces affronts en présence de Boileau. C'est devant Boileau lui-même, et en présence de la foule rassemblée sur le Pont-Neuf, que les deux rivaux doivent se disputer la main de M.me Crenet, qui doit se donner à celui qui aura l'approbation générale. En vain Tabarin s'efforce-t-il de se faire entendre ; il commence vingt fois la parade de Colletet, dont le premier hémistiche est :

Dans ce vaste univers....

La foule, attentive aux chansons joyeuses de Philippe, le force de se taire, et chante en chœur le refrain du Pont-Neuf, qui est : Autant en emporte le vent. Précisément un coup de vent s'élève, et emporte tous les papiers de Colletet et sa parade, que Tabarin tenoit à la main. Ils s'enfuient tout honteux ; tout le monde les suit et les hue. Philippe, vainqueur, reçoit des mains de Boileau la veuve qui se donne à lui de bon cœur. Le carillon de la Samaritaine qui se fait entendre, accompagne le vaudeville de la fin.

Le public étoit d'avance disposé à l'indulgence : On avoit applaudi dans l'ouverture les airs Vive Henri IV et Charmante Gabrielle ; la décoration, fraîche et jolie, avoit été applaudie, et on s'attendoit à une gaieté plus grande et plus soutenue dans le courant de la pièce. Il y a peu d'action, et encore moins d'intérêt. La rivalité de Philippe et de Tabarin ne suffisoit pas pour toute intrigue, surtout puisque M.me Crenet avoit laissé voir, dès le commencement de la pièce, qu'elle préféroit le Savoyard au bateleur, et qu'il étoit inutile, pour la décider, que l'affluence se portât plutôt d'un côté que de l'autre. Boileau, qui donne à Philippe la main de M.me Crenet, n'en a pas le droit, et sort tout-à-fait de son caractère. La manière dont il est traité dans cet ouvrage, mérite quelques réflexions. Aucun personnage n'est peut-être plus difficile à mettre en scène que Boileau. Ce fameux satyrique doit toujours avoir la réplique en main; il doit toujours être critique et mordant. Mais il ne suffit pas de lui faire lancer des épigrammes ; il faut qu'elles soient justes, et qu'elles ne portent pas à faux. Il étoit loin de l'esprit de Boileau de faire des calembourgs, et il n'auroit jamais pris des jeux de mots pour de l'esprit ; or, nos auteurs l'ont fait parler comme M. De Bièvre. Certes, si Boileau eût fait des jeux de mots, il n'auroit pas été si redouté, et il auroit été tourné en ridicule par ceux qu'il critiquoit, et sur lesquels il n'avoit d'autre avantage que celui de faire peu pour faire bon.

La scène entre Boileau et Colletet n'a pas produit beaucoup d'effet, par la raison que le public connoît toutes les satyres de Boileau, et qu'il ne prend pas grand intérêt aux noms de Cottin, Laserre, Chapelain, dont les ouvrages ne sont à présent lus de personne. Un endroit fort bien fait, est celui où Philippe s'approche de Boileau, et lui serre la main en lui disant : Bonjour, confrère. Ce trait a été senti. Les couplets n'étoient pas tous très saillans ; ceux de Boileau surtout offraient des idées connues, et les refrains de Philippe n'ont pas inspiré autant de gaieté qu'on le croyoit. Nous citerons quelques-uns des meilleurs couplets :

Air : De la vigne à Claudine.
        Tabarin.

La femme est une rose
Dont la fraîcheur séduit,
Le papillon s'y pose,
11 se blesse et s'enfuit :
Son destin me chagrine.
Je dis avec douleur:
Ah! faut-il que l'épine
Soit si près de la leur.

        Philippe.

Du jardin de la vie
La femme est l'ornement,
C'est la rose chérie
Que l'épine défend.
Sa blessure chagrine,
Voyez le grand malheur ;
Le mal que fait l'épine
Est guéri par la fleur.

On demande à Philippe , qui compare le Pont-Neuf au Parnasse, où il prend son Pégase.

Air : Charmante Gabrielle.

Dans ma joyeuse extase,
Je sais chaque malin
Prendre, pour mon pégase,
Ce cheval, mon voisin.
Il me peut à la gloire
        Conduire ici;
Il fit a la victoire
        Voler Henri.

Les auteurs ont été demandés; on a nommé les CC. Armand Gouffé et Georges Duval, auteurs du Val-de-Vire , et le C. Chazet.

Le rôle de Tabarin a été parfaitement joué par le C. Carpentier, dont la caricature étoit bien choisie. Le C. Lenoble a aussi fort bien joué le rôle de Colletet, et le C. Duchaume a mis de la gaieté dans celui du Savoyard.              T. D.

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