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La Rançon de Duguesclin, ou les Moeurs du quatorzième siècle

La Rançon de Duguesclin, ou les Mœurs du quatorzième siècle, comédie en trois actes, en vers, par M. Arnault, de l'Institut, 18 mars 1814.

Théâtre Français.

Titre

Rançon de Duguesclin (la), ou les Mœurs du quatorzième siècle

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers libres

Musique :

non

Date de création :

18 mars 1814

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Arnault

Almanach des Muses 1815.

Mœurs inconnues de la plupart des spectateurs, et dès lors surprise étrange, qui, se changeant en malveillance, a forcé l'auteur de retirer sa pièce après la première représentation.

Mercure de France, tome cinquante-huitième, DCLVI, mars 1814, p. 584-585 :

[Le procès de la pièce est vite bouclé : inutile de parler d’une pièce qu’on ne verra plus. L’auteur s’est trompé (ce n’est pas un débutant).]

Théâtre Français. — Première représentation, de la Rançon de Du Guesclin, ou les Mœurs du quatorzième Siècle, comédie en trois actes et en vers.

Le Théâtre Français n'est pas heureux en nouveautés; celle-ci a eu le même sort que Fouquet.— Il serait tout-à-fait superflu aujourd'hui de parler d'un ouvrage qui probablement ne reparaîtra plus sur la scène. Tout ce que l'on peut dire, c’est que l'auteur, en essayant des routes nouvelles, s'était étrangement égaré.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 19 année, 1814, tome II, p. 159-163 :

[Un compte rendu un peu étrange : il résume très longuement, très minutieusement, l’intrigue de la pièce, et il juge la pièce en quelques minuscules lignes, pour dire qu’elle fait partie « de ces tentatives malheureuses » fréquentes à l’époque, pas clairement caractérisées, et qui sont sans doute ces étranges comédies mettant en scène des héros de notre histoire, et « que le goût français s’obstine à réprouver ». (on retrouve la même idée dans le compte rendu de l’Esprit des journaux français et étrangers.)]

THÉATRE FRANÇAIS.

Duguesclin, ou les Mœurs du quatorzième siécle, comédie en trois actes et en vers libres, jouée le 18 mars.

Le premier acte se passe dans une auberge tenue par le juif Issacar qui, fidèle à la loi de Moïse, prête au dernier [denier ?] trente, et trouve son profit dans les malheurs publics. Il loge et nourrit les chevaliers français, anglois, bretons : son hôtellerie est neutre. Il leur avance même, sur de bons gages, les sommes nécessaires à leur rançon, lorsque le sort de la guerre les a rendus prisonniers; enfin,

Il prête à tous, sur tout..... excepté sur parole.

Il ne se fie pas même à celle de Duguesclïn, et ce n'est qu'en engageant ses domaines, que le guerrier a obtenu de l'israélite trente mille écus. La moitié de cette somme doit payer sa rançon au général anglois Jean Chandos, et l'autre moitié servira de dot à sa nièce Clémence, qui est aimée du brave Clisson. Mais Duguesclin sait mieux se battre que cqmpter. Attendri par le sort de ses compagnons d'armes et des malheureux cultivateurs victimes de la guerre, il rachète les uns, soulage les autres, et il a déja dépensé quinze mille écus, quand il arrive à l'hôtellerie d'Issacar qui lui remet le reste de la somme. Une scène entre Duguesclin et son écuyer-intendant qui lui reproche sa prodigalité, a été le signal des premiers murmures du parterre. Le héros ordonne au juif de porter les quinze mille écus à la Dame Duguesclin, dont le château est voisin de l'hôtellerie. Il le charge en outre de quelques commissions. Issacar craint de les oublier, et prie le chevalier de les lui mettre par écrit ; mais ni lui, ni son écuyer ne savent même signer leur nom : aussi Duguesclin dit-il au juif :

                            Où donc est l'important
            Qu'un gentilhomme sache écrire ?
C’est par d'autres talens qu'il doit servir l'état :
            Mon père étoit un bon soldat,
Il saura la Bretagne et ne savoit pas lire.

Duguesclin ne pouvoit arriver plus à propos. Felton et plusieurs autres capitaines anglois, souvent vaincus par lui, ont résolu de se venger en s'emparant de son château pendant qu'il est prisonnier de Chandos. Trois de ces officiers y ont pénétré déguisés l'un en charbonnier, l'autre en marchand d'eau-de-vie, et le troisième en porte-balle chargé de rubans, de lacets, et. autres bagatelles à l'usage des femmes. Il résulte de leur rapport que la place n'est défendue que par des femmes, quelques soldats invalides et un gros abbé goutteux, oncle de Duguesclin, et qui, suivant la coutume d'un grand nombre d'ecclésiastiques de ce temps-là, porte tour-à-tour le casque et la mitre. La victoire ne leur paroît pas douteuse. Au commencement du second acte, on voit la noble Dame Typhaine Raguenelle, épouse de Duguesclin, occupée à filer pendant que sa nièce Clémence achève de broder une écharpe pour Clisson. Clémence querelle sa tante sur ses fréquentes distractions. Madame Typhaine lui fait part des inquiétudes qui la tourmentent, et que redouble encore l'idée que ce jour est un vendredi, jour de mauvais présage ; le moine guerrier partage ses. alarmes. Madame Duguesclin rappelle que son mari a été battu par Chandos un vendredi ; sa nièce lui répond que, puisque Chandos a été vainqueur ce même jour-là, le vendredi n'est donc pas malheureux pour tout le monde. L'abbé attribue aussi à l'influence de ce jour funeste certaines mauvaises rencontres, et le mot fatal de vendredi justifie le préjugé qu'on a contre lui ; car, répété vingt fois, il est vingt fois accueilli par des sifflets.
Duguesclin paroît ; il entame avec sa famille une conversation qui est interrompue par la nouvelle que le château est investi. Un héraut ennemi se présente, ignorant l'arrivée de Duguesclin. Celui-ci se nomme, et renvoye le héraut porter son cri de guerre. Il oublie qu'il est encore prisonnier, puisque sa rançon n'est pas payée ; il compte sur les bijoux de sa femme ; mais il apprend qu'elle a fait de son écrin le même usage qu'il a fait de sa bourse. Clémence offre sa dot, il faut bien l'accepter ; tout-à-coup arrive le chevalier Hougar, qui jadis a sauvé la vie à Duguesclin. Il est prisonnier du. juif Issacar, auquel l'anglois Felton l'a cédé en payement. Duguesclin, oubliant sa position critique, n'écoute que l'amitié et la reconnoissance, et Hougar emporte la somme qui étoit à la fois la dot de Clémence et la rançon de Duguesclin. Felton vient lui-même chercher les clefs du château. Duguesclin, indigné, lui demande s'il se sent assez fort pour les prendre : « Vous sentez-vous assez libre pour les défendre ? lui répond l'anglois. » Le héros comprend alors tout ce que va lui coûter son imprudente prodigalité. N'ayant pas d'argent à donner, il paye Felton en fanfaronnades, il lui dit que, si son bras est enchaîné, sa tête est libre, « et, pour te repousser, ajoute-t-il, il suffira de mes avis et de cette arme. » Il lui montre la quenouille de sa femme.
Duguesclin donne ses ordres pour la défense, assigne à chacun son poste : l'abbé prend une masse d'arme. Bertrand se fait enfermer pour ne pas violer sa parole : bientôt après il brise sa porte à coups de hache, et il va s'élancer sur les assiégeans, quand il est retenu par un officier anglois qui lui annonce que la paix est faite.

Felton est ramené prisonnier, et Duguesclin reçoit de l'or et des récompenses, au nombre desquelles est l'épée de connétable que lui décerne le Roi de France.

Il faut placer la pièce de Duguesclin au rang de ces tentatives malheureuses qu'on a faites depuis quinze ans pour introduire sur notre scène un genre que le goût français s'obstine à réprouver. La pièce est tombée tout-à-fait.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, avril 1814, p. 287-298 :

[Avant de parler de la pièce du jour, le critique rapporte la tentative de l’auteur de la pièce de justifier le sous-titre de son ouvrage. Il dénonce une justification qui renvient à dire au public qu’on le juge ignorant. Après ce début qui ne manque pas de mauvaise foi, il peut passer à l’analyse de la pièce, annoncée par une formule prenant le lecteur à témoin. Cette analyse est fortement critique envers l'œuvre, accusée de malmener la personnalité de Duguesclin (« Est-ce son ignorance qu'on veut nous faire admirer ? »), de ridiculiser dame Typhaine, obsédée par le vendredi porte-malheur comme le personnage du moine qui adhère à ses craintes superstitieuses, sans oublier qu’elle manque de vraisemblance (comment Duguesclin peut-il entrer dans son château assiégé ?). Le héros est montré comme incapable de gérer l’argent dont il a tellement besoin. Assez vite, le public a montré son mécontentement, sous l’avalanche du mot vendredi, puis quand les deux dames se mettent à chanter, et surtout à la fin, quand « la comédie est devenue presqu'une pantomime » et qu’il a fallu deviner ce qui se passait sur la scène. La responsabilité de l’échec incombe à l’auteur : la pièce a été bien montée (des costumes exacts, trop exacts même et de ce fait peu faciles à porter), et les acteurs et actrices ont fait leur devoir : « Talma et Michot ont tiré le meilleur parti qu'ils ont pu des rôles de Duguesclin et du gros abbé ». Le compte rendu s’achève sur une question de fonds. La pièce appartient à « un genre que le goût français s'obstine à réprouver », la comédie historique, emprunté aux Anglais et aux Allemands, dans lequel on voit les grands personnages dans la vie quotidienne, ce que les Français ne peuvent tolérer. On pourrait mieux le montrer à propos d’une meilleure pièce que ce Duguesclin.]

Duguesclin, ou les Mœurs du quatorzième siecle, comédie en 3 actes et envers.

L'auteur de cette pièce a essayé, dans une lettre publiée par un journal, de justifier ou d'expliquer le second titre de sa comédie : les Mœurs du quatorzieme siecle. La nécessité de l'explication prouve seule le mauvais choix du titre. Sans doute l'auteur n'a pas eu la prétention de nous offrir dans le cadre d'une pièce en trois actes un tableau complet des mœurs d'un siècle. Il a pu, il a dû même en saisir et en rassembler quelques traits ; et l'observation des mœurs du siècle où il place son action n'est elle pas une des conditions imposées au poëte dramatique ? S'y conformer n'est que remplir un devoir ; il est au moins inutile d'en faire I'objet d'un avertissement public.

Il est facile de deviner la réponse que l'auteur pourrait faire à ces réflexions : « Les mœurs que j'ai dû peindre, dirait-il, sont si différentes des nôtres, qu'il m'a été permis de craindre que mon tableau ne déplût par sa vérité même. Ce mélange d'héroïsme et de bonhommie, d'ignorance et de vertu, de superstition et de franchise, ne pouvait-il pas sembler bizarre et choquant à des spectateurs nés dans un siècle où les lumières et la civilisation ont fait tant de progrès ; et nos ancêtres, malgré le respect qui leur est dû, ne devaient-ils pas paraître bien grossiers à leurs neveux devenus si polis et si délicats ? Je sais bien que, par une convention tacite entre l'auteur et le spectateur, celui-ci doit se reporter au temps et aux lieux où vivaient les personnages qui paraissent devant lui ; mais nous sommes si habitués à ne voir sur nos théâtres que des héros grecs et romains, tandis que nous jugeons les grands hommes nos compatriotes indignes du cothurne ; notre première éducation nous a tellement familiarisés avec l'histoire et les usages de Rome et de la Grèce, lorsqu'on nous laissait ignorer à-peu-près l'histoire de notre pays et les mœurs de nos pères, qu'il est plus facile à beaucoup de spectateurs de remonter à deux ou trois mille ans qu'à quatre siècles ».

Ces raisons sont au moins spécieuses ; c'est dire en termes polis : « j'ai dû prendre et j'ai pris des précautions contre l'ignorance de ceux qui à la première représentation viendraient se constituer juges de ma pièce. Ma lettre est une espèce de petit mémoire que j'ai fait distribuer avant la décision de mon procès ». Hélas ! Ce mémoire a eu le sort de tant d'autres ; il n'a pas empêché celui qui le publiait de perdre sa cause, et je vais tâcher de mettre les lecteurs en état de décider si en conscience il pouvait la gagner.

Le premier acte se passe dans une auberge tenue par le juif Issacar qui, fidèle à la loi de Moïse, prête au denier trente et trouve son profit dans les malheurs publics. Il loge et nourrit les chevaliers français, anglais, bretons ; son hôtellerie est neutre. Il leur avance même, sur de bons gages, les sommes nécessaires à leur rançon, lorsque le sort de la guerre les a rendus prisonniers, enfin :

Il prête à tous, surtout.... excepté sur parole.

Il ne se fie pas même à celle de Duguesclin, et ce n'est qu'en engageant ses domaines, que le guerrier a obtenu de l'israélite trente mille écus d'or. La moitié de cette somme doit payer sa rançon au général anglais Jean Chandos, et l'autre moitié servira de dot à sa nièce Clémence, qui est aimée du brave Clisson. Mais Duguesclin sait mieux se battre que compter. Attendri par le sort de ses compagnons d'armes et des malheureux cultivateurs victimes de la guerre, il rachète les uns, soulage les autres, et il a déjà dépensé quinze mille écus quand il arrive à l'hôtellerie d'Issacar qui lui remet le reste de la somme. Une scène longue et froide entre Duguesclin et son écuyer-intendant qui lui reproche sa prodigalité, a été le signal des premiers murmures du parterre. Le héros ordonne au juif de porter les quinze mille écus à la dame Duguesclin, dont le château est voisin de l'hôtellerie. Il le charge en outre de quelques commissions. Issacar craint de les oublier, et prie le chevalier de les lui mettre par écrit ; mais ni lui, ni son écuyer ne savent même signer leur nom ; il ne faut pas oublier que dans ce bon temps les actes publics dans lesquels un gentilhomme figurait, finissaient ordinairement par ces mots : Et le dit très-haut et très-puissant seigneur N.., attendu sa grande noblesse, a déclaré ne savoir signer. Aussi quand le juif offre la plume à l'écuyer, celui-ci lui répond :

. . . . . . . . . . Allons, vous voulez rire ;
A la plume, Issacar, moi je mettrais la main :
             Me prenez-vous pour un vilain ?
Eh! que n'écrivez-vous vous-même.

ISSACAR.

                                                   On a beau dire,
             Et se moquer d'un écrivain ;
L'art d'écrire est au rang de ces arts nécessaires
             Qu'un noble a tort de dédaigner.

L'ÉCUYER.

             Vous feriez bien moins vos affaires
             Si les nobles savaient signer.

DUGUESCLIN.

Ma mère le disait, et dans cet art utile
Voulait absolument que je devinsse habile ;
             Mais du moine qui s'employait
             A me donner tant de science,
Mon indocilité lassa la patience.
             Vainement l'on me rudoyait ;
             Loin d'être à ce qu'elle voyait,
             De prouesses anticipées
Ma tête était remplie, et mes doigts n'assemblaient
             Que des lettres qui ressemblaient
             A des lances ou des épées.
             Pourquoi le tourmentez-vous tant,
Dit un jour mon aïeul ? Où donc est l'important
             Qu'un gentilhomme sache écrire ?
C'est par d'autres talens qu'il doit servir l'état :
             Mon père était un bon soldat,
Il sauva la Bretagne et ne savait pas lire.

Ces vers sont faciles ; ils ont le mérite de rappeller avec exactitude de petits détails de l'enfance du bon Bertrand ; mais sont-ce les traits sous lesquels il convient de peindre le grand connétable ? Est-ce son ignorance qu'on veut nous faire admirer ? Continuons l'analyse.

Duguesclin ne pouvait arriver plus à propos. Felton et plusieurs autres capitaines anglais, souvent vaincus par lui, ont résolu de se venger en s'emparant de son château pendant qu'il est prisonnier de Chandos. Trois de ces officiers y ont pénétré déguisés l'un en chaudronnier, l'autre en marchand d'eau-de-vie et le troisième en porte-balle chargé de rubans, de lacets et autres bagatelles à l'usage des femmes. Il résulte de leur triple et long rapport que la place n'est défendue que par des femmes, quelques soldats invalides et un gros abbé goutteux oncle de Duguesclin, et qui, suivant la coutume d'un grand nombre d'ecclésiastiques de ce temps-là, porte tour-à-tour le casque et la mitre. La victoire ne leur paraît pas douteuse. C'est dans une salle du château que se passent les deux derniers actes. Au commencement du second on voit la noble dame Typhaine Raguenelle, épouse de Duguesclin, occupée à filer pendant que sa nièce Clémence achève de broder une écharpe pour Clisson. Clémence fait la guerre à sa tante sur ses fréquentes distractions qui laissent souvent le rouet immobile. « A quoi pensez-vous, lui demande-telle » ? La tante qui se pique de posséder à fond l'astrologie judiciaire, rompt le silence par ce vers :

Je pense que la lune entre dans son déclin.

CLÉMENCE.

Et qu’en augurez-vous, sage et docte Typhaine ?

TYPHAINE.

             Qu'avant la semaine prochaine
             Nous
ne verrons pas Duguesclin.

Ces vers, et sur-tout le premier, ont provoqué un brouhaha auquel ont succédé des éclats de rire quand Clémence a continué :

             Quittons ce bizarre entretien.
             Si nous chantions pour nous distraire.

Et les deux dames se sont mises à chanter, mais à chanter..... Enfin ce n'est pas leur métier. Le gros abbé qui vient de passer la revue de la petite garnison arrive pour entonner le dernier couplet ; il s'écrie :

             J'aime à voir l'ennemi marcher
             Vers nos champs ouverts à la gloire ;
             Les pas qu'il fait pour nous chercher
             Rapprochent de nous la victoire.

On a trouvé l'hyperbole un peu forte.

Madame Typhaine fait part à l'abbé des inquiétudes qui la tourmentent ; et que redouble encore l'idée que ce jour est un vendredi, jour de mauvais présage ; le moine guerrier a trop de bon sens pour ne pas partager des alarmes aussi bien fondées. Madame Duguesclin rappelle que son mari a été battu par Chandos un vendredi ; sa nièce lui répond que, puisque Chandos a été vainqueur ce même jour-là, le vendredi n'est donc pas malheureux pour tout le monde. L'abbé attribue aussi à l'influence de ce jour funeste certaines mauvaises rencontres, et le mot fatal de vendredi justifie le préjugé qu'on a contre lui ; car répété vingt fois il est vingt fois accueilli par des huées et des sifflets, qui ont empêché une grande partie du public d'entendre les quatre plus jolis vers de la pièce. L'abbé peint ainsi l'évêque de Limoges sous les ordres duquel il a été étrillé un vendredi :

             Pasteur édifiant et chevalier courtois,
             Saint prélat et bon militaire,
             Près de qui j'étais à-la-fois
             Aide-de-camp et grand vicaire.

Duguesclin paraît ; il entame avec sa famille une conversation qui est interrompue par la nouvelle que le château est investi. On se demande naturellement comment les ennemis, qui ont des forces autour de la place, l'y ont laissé pénétrer impunément ; ils ne pouvaient ignorer son arrivée puisqu'il est descendu et qu'il a commandé un repas splendide dans l'auberge d'Issacar fréquentée par les officiers de tous les partis. C'est sans doute pour prévenir cette objection que l'auteur fait dire au brave Bertrand  :

                    J'avais un cheval frais
Et qui si lestement a fourni sa carrière,
Qu'il semblait partager mes propres intéréts.

Un héraut ennemi qui se présente,ignorant l'arrivée de Duguesclin, il demande quelle est la dame qui commande au château, et lui dit avec une politesse menaçante :

            Avec votre permission,
      Permettez qu'ici je vous somme
      De vous rendre à discrétion
Sur l'heure.... ou bien vous verrez comme....

Duguesclin se nomme et renvoie le héraut porter son cri de guerre. Il oublie qu'il est encore prisonnier, puisque sa rançon n'est pas payée ; il compte sur les bijoux de sa femme, mais il apprend qu'elle a fait de son écrin le même usage qu'il a fait de sa bourse. Clémence offre sa dot, il faut bien l'accepter ; tout-à-coup arrive le chevalier Hougar, qui jadis a sauvé la vie à Duguesclin. Il est prisonnier du juif Issacar, auquel l'anglais Felton l'a cédé en paiement. Sans discuter ici jusqu'à quel point est vraisemblable, même dans les mœurs du quatorzième siècle, cette vente d'un chevalier faite à un juif par un autre chevalier, je suis l'auteur et la pièce ; Duguesclin, oubliant sa position critique, n'écoute que l'amitié et la reconnaissance, et Hougar emporte la somme qui était à-la-fois la dot de Clémence et la rançon de Duguesclin. Felton vient lui-même chercher les clefs du château. Duguesclin indigné lui demande s'il se sent assez fort pour les prendre : « Vous sentez-vous assez libre pour les défendre, lui répond l'anglais ? » Le héros comprend alors tout ce que va lui coûter son imprudente prodigalité. N'ayant pas d'argent à donner, il paie Felton en fanfaronnades indignes de son caractère, il lui dit que, si son bras est enchaîné, sa tête est libre ; « et pour te repousser, ajoute-t-il, il suffira de mes avis et de cette arme ». Il lui montre la quenouille de sa femme.

Duguesclin donne ses ordres pour la défense, assigne à chacun son poste ; l'abbé prend une masse d'arme et refuse une épée ; en disant :

            L'église à ses agens
      Ne permet pas de se défendre
Avec cette arme-là ; j'assomme bien les gens ;
      Mais je ne dois pas les pourfendre.

Et Mme. Typhaine répète son éternel refrain :

Je vous l’ai dit et je vous le redis,
Méfiez-vous des vendredis.

A dater de ce moment la comédie est devenue presqu'une pantomime ; tout ce qu'on a pu deviner, c'est que le loyal Bertrand craignant que sa bravoure impétueuse ne lui fasse violer sa parole, commande qu'on l'enferme dans la salle, et c'est par une fenêtre qu'il dirige les mouvemens de la garnison. Il criait ses ordres de toutes ses forces; mais le parterre criait plus fort que lui. Enfin il n'y tient plus, il brise la porte à coups de hache, il va s'élancer sur les assiégeans, quand il est retenu par un officier anglais qui lui annonce que la paix est faite.

Felton est ramené prisonnier, et il pleut chez Duguesclin des courriers [sic], de l'or, des récompenses, au nombre desquelles est une épée qui, suivant les apparences, est celle du connétable que lui décerne le roi de France.

Les acteurs et les actrices bien pénétrés qu'ils défendaient une place assiégée, sont restés bravement sur la brêche, malgré l'épouvantable fracas de l'artillerie du parterre, et ce n'est qu'après avoir épuisé leurs munitions qu'ils ont fait une retraite glorieuse. L'auteur seul n'a pas obtenu les honneurs de la guerre. Le théâtre avait fait quelques dépenses pour les costumes qui, malgré leur exactitude ou plutôt à cause de leur exactitude même, n'ont paru ni agréables ni avantageux. L'habillement et surtout la coiffure des dames du 14°. siècle ne conviennent pas du tout à la beauté colossale de Mlle. Georgis ; Mlle. Mars a rencontré une nouvelle occasion de prouver que tout lui sied à merveille.

Talma et Michot ont tiré le meilleur parti qu'ils ont pu des rôles de Duguesclin et du gros abbé.

Il faut placer la pièce de Duguesclin au rang de ces tentatives malheureuses qu'on a faites depuis quinze ans pour introduire sur notre scène un genre que le goût français s'obstine à réprouver.

Les Anglais, les Allemands permettent qu'on leur présente les hommes supérieurs au milieu des scènes ordinaires de la vie, et de ces habitudes domestiques qui les rapprochent du commun des hommes. Les Français ne veulent les voir que placés dans des situations et entourés d'événemens dignes de leur nom et de leur génie. C'est ce goût bien prononcé de la nation, ce goût qu'il faut respecter, qui a rendu le théâtre français le plus noble des théâtres de l'Europe.

On pourrait étendre beaucoup les observations sur ce sujet, mais elles seraient mieux appliquées à un ouvrage dont le mérite et le succès pourraient faire craindre une espèce de révolution dans les idées dramatiques reçues et consacrées en France. Duguesclin ne sera pas dangereux.

A. MARTAINVILLE.                           

Ch. Nodier, Mélanges de littérature et de critique, tome premier (Paris, 1820), p. 372-380 :

[Recueil de critiques littéraires, parues dans la presse. Dans cet article consacré à la pièce d'Arnault, il semble qu'il soit peu question de la Rançon de Duguesclin. Mais c'est que Nodier préfère élargir son propos à la comédie historique dont la pièce d'Arnault est à ses yeux un exemple, malheureusement peu abouti : il fallait qu'Arnault accepte les règles de la comédies ou qu'il ose s'en affranchir. Mais il s'est montré trop peu audacieux...]

La Rançon de Duguesclin; par M. ARNAULT.

LA comédie historique est un genre inconnu des anciens. Les rhéteurs et les gens de goût n'ont jamais regardé la comédie que comme une peinture instructive des mœurs prises dans leur état le plus universel. Un tableau local peut avoir du prix pour une nation en particulier, et servir d'une manière très-curieuse à l'éclaircissement de son histoire, à l'intelligence de son génie et de ses coutumes ; mais il ne peut devenir classique pour les nations en général, quelqu'achevé qu'il soit d'ailleurs. La comédie peint les vices, les passions, les ridicules de l'homme, tels qu'ils sont dans tous les temps à quelques légères modifications près ; mais elle ne s'attache ni à des exceptions de temps, ni à des exceptions de caractère, sans dévier de ses principes. Un caractère de Plaute diffère très-peu du même caractère traité par Molière, et seroit comique à la Chine, comme à Rome et à Paris, tandis qu'un personnage historique a des formes qui lui sont propres, et que toutes les combinaisons possibles ne parviendroient jamais à reproduire. On voit que ces deux espèces de drames sont essentiellement distinctes, et qu'il n'est pas plus permis de les confondre entr'elles, que de ranger dans la même catégorie le tableau de genre et le tableau de famille. Ce n'est pas une raison pour bannir la comédie historique, c'en est une pour ne pas la juger d'après les règles de l'autre, qui ne sauroient lui être communes. Elle repose sur une théorie particulière, et jusqu'ici arbitraire encore. La poétique d'un genre ne s'établit dans une nation que lorsqu'il y a produit des chefs-d'œuvre.

Les Anglois et les Allemands ont peut être inventé la comédie historique. Un grand nombre de pièces de Shakespeare sont de véritables histoires sous une forme dramatique. Il n'a fait que mettre en action ce qui étoit en récit, et peindre les effets à côté de leurs causes, en expliquant les événemens par les passions qui les ont produites. Cette manière d'écrire l'histoire est éminemment philosophique ; elle a surtout l'avantage d'être populaire, et d'attacher les grands souvenirs à de grandes émotions. On peut croire que le théâtre historique de Shakespeare a influé plus heureusement sur l'esprit public des Anglois que l'adresse de leur politique.

Le chef- d'œuvre des comédies historiques est le fameux drame de Goëthe,intitulé Goetz de Berliching, ou l'Homme à la main de fer. Ce Goëtz de Berliching fut le héros d'un siècle héroïque et romanesque, dont l'imagination recherche avec avidité les traditions les plus légères. C'étoit le temps des guerres civiles de l'Allemagne, celui où la féodalité mourante achevoit sa lutte inutile contre le pouvoir des empereurs, et disputoit au despotisme un reste de liberté dont elle avoit été longtemps la seule garantie. Les châteaux des seigneurs étoient autant de forteresses peuplées d'une foule d'ilotes armés, qui n'attendoient que le signal de leur maître pour porter la dévastation chez ses voisins. Les couvens, destinés dans des siècles plus sages à servir d'asile au malheur, étoient devenus eux-mêmes des espèces de casernes où des moines désœuvrés s'exerçoient aux fureurs de la guerre, et cachoient la cuirasse sous le froc. Les grands avoient contracté, au milieu des démêlés sanglans qui les divisoient, l'habitude de la férocité ; et la ruse, rivale presque toujours heureuse du courage, suppléoit pour les foibles aux droits de la force. Le peuple même, tourmenté par ces grandes tempêtes publiques, se formoit un caractère puissant qui impose dans l'histoire, mais qui coûte cher dans la réalité. Il avoit des sentimens exaltés et des passions violentes qui se concilient souvent avec la gloire et jamais avec le bonheur. Sur cette scène agitée planoit une religion rigoureuse, des superstitions austères, des institutions effrayantes. La plus terrible de toutes, le tribunal secret, régnoit à la place de la justice, et faisoit trembler jusqu'aux rois. Voilà le sujet du drame de Goëthe : il n'a pas négligé un de ces traits, il les a revêtus des couleurs les plus énergiques de son imagination sombre et forte ; il a évoqué un siècle tout entier :

Horrendum, informe, ingens,

et il l'a montré à sa patrie sans rien dissimuler de sa grandeur et de sa difformité.

Je dis ce qu'a fait Goëthe, et je conviens qu'on n'en peut pas faire autant sans génie; mais le génie a beau faire, quand il n'a pas le choix des moyens, et qu'il est réprimé par les règles. Quand Shakespeare et Goëthe ont eu quelque grande époque de l'histoire à présenter aux yeux, rien ne les a forcés à circonscrire le champ du tableau ; personne n'a été assez hardi pour tracer un cercle autour d'eux, et pour leur défendre de sortir de cette limite étroite, sous peine d'extravagance et de ridicule. Le poète allemand, le poète anglois, embrassent librement tout l'espace qui convient à leur projet ; le lieu s'agrandit, le temps se prolonge avec leur plan ; le siècle qu'ils peignent leur appartient ; le pays qu'ils décrivent est à leur disposition ; la succession de leurs scènes est une longue galerie où les jours, les mois, les années se suivent avec la physionomie qui leur est propre. L'esprit entraîné par ce genre de prestige n'est pas maître de se prévenir contre son erreur ; il transige sans s'en apercevoir avec l'enchanteur qui l'abuse et qui le ravit. Les événemens se pressent, se multiplient, disparoissent pour faire place à d'autres, sans lui laisser le temps de réfléchir sur leur prodigieuse rapidité ; c'est bien un siècle qu'il a parcouru, dont il a suivi toutes les vicissitudes; et quand ce siècle s'abîme dans le passé, au bout de quelques heures d'illusion, fatigué des impressions innombrables et toujours diverses qu'il vient de recevoir, il croit avoir vieilli avec lui.

Je respecte les règles et l'exemple des classiques. Ces règles sont la sauvegarde du goût, et il n'est pas permis de les enfreindre partout où il est possible de les pratiquer ; mais je ne pense pas qu'on puisse, sans y déroger, créer en France le genre de comédie dont je parle. Presque toutes les actions de la vie humaine qui servent d'objet à la comédie, sont très-susceptibles de se réduire au cadre borné des unités. On conçoit très-bien le développement d'un caractère, même dans l'espace de vingt-quatre heures, puisqu'il est préparé par l'avant-scène et admis par une convention tacite entre le spectateur et le poète ; mais les mœurs du quatorzième siécle, par exemple, soumises à cette dimension stricte et incommode, seroient le tour de force de l'esprit, et il n'en résulteroit jamais un effet heureux. Ce qui détermine le caractère d'un siècle, ce sont de grands traits épars dans sa durée, et dont le rapprochement forcé a quelque chose de disparate et de révoltant. Quand on parle d'un siècle, on donne l'idée d'un espace immense, et la curiosité s'indigne si on ne lui montre qu'un jour. C'est mesurer Atlas avec le thyrse du Pygmée. J'en dis autant du personnage historique qui se dérobe à la loi de l'unité des temps, parce que l'ensemble d'un personnage historique n'est pas tel qu'on puisse le juger sur quelques circonstances données. Il y faut l'épreuve de tous les événemens, celle du temps lui même qui met les hommes dans leur jour véritable, bien mieux que ne pourroient le faire des circonstances combinées à plaisir. Je le répète, la comédie historique est peut-être un genre utile et digne d'être cultivé ; mais si l'on a la hardiesse d'établir ce genre chez nous, il ne faut pas être téméraire à demi. Il faut le créer comme les anciens l'eussent fait sans doute, libre de toute gêne, et c'est une entreprise qui demande l'autorité d'un grand talent. Voilà pourquoi l'auteur de la Rançon de Duguesclin donnoit de grandes espérances.

Je le dis avec regret, mais je dois le dire : ces espérances n'ont pas été justifiées, parce que le poète qui les auroit justifiées, s'il étoit possible de le faire, s'est trompé sur son sujet et sur la manière de le présenter. Il a rétréci sa conception sur les formes ordinaires du théâtre ; il a rapetissé l'histoire pour la lier aux intrigues banales de nos comédies ; au lieu de peindre les mœurs à grands traits dans une action vaste, comme il en étoit très-capable, il les a esquissées timidement dans de petits dialogues qui ne pouvoient avoir ni noblesse ni intérêt. Les usages et les superstitions d'un siècle reculé qui auroient enrichi d'effets très-brillans une composition bien entendue, s'approprient mal à un imbroglio sans originalité. Les détails de mœurs sont précisément ce qui a été le plus mal accueilli à cette représentation : c'est peut-être même cette partie de l'ouvrage qui a empêché son succès, ou, si l'on veut, qui a déterminé sa chute, et il n'en est pas moins vrai que la plupart de ces détails étoient sentis avec beaucoup de justesse, et exprimés avec beaucoup d'esprit; mais il manquoit un fond à ce canevas, et c'est à défaut d'un fond heureux qu'il n'a présenté qu'un mélange de nuances mal assorties. Que l'auteur relise Shakespeare dont il paroît avoir fait une grande étude, il sentira bien que si Shakespeare a su rendre si intéressantes des circonstances que notre public a trouvées triviales et puériles, c'est qu'elles n'étoient, pour Shakespeare, qu'un accessoire extrêmement foible dans un tableau immense. C'étoit un coup de pinceau naïf qui faisoit valoir les traits vigoureux, les teintes fortes et sublimes auxquelles il étoit opposé. Les plus beaux génies ont employé ces moyens et souvent avec bonheur; mais aussi avec quelle rare prudence ! Dans la Cène de Léonard de Vinci, Judas vient de faire un faux mouvement qui a renversé la salière, et personne ne s'avise de trouver cela ridicule ; mais si l'on diminue l'importance du sujet, et qu'on augmente en raison inverse l'importance de ce léger épisode, il n'y aura rien de plus pitoyable.

Cette doctrine littéraire n'est pas trop du genre de celles que l'on est convenu de chercher dans les journaux ; il auroit été plus piquant, et surtout il auroit été plus facile de persifler en huit colonnes un écrivain d'un mérite rare, dont l'envie n'a pas oublié les succès J'ai mieux aimé l'appeler à en préparer d'autres, qu'il sera digne d'obtenir dès qu'il osera moins, ou dès qu'il osera davantage. Le plus sûr est de suivre la voie commune, et de n'avoir pas contre soi les préventions de son siècle. La politesse épurée de notre théâtre, la délicatesse irritable de notre parterre, sont peut-être des obstacles aux progrès de la comédie ; mais je crois ces obstacles invincibles aujourd'hui, et je ne m'attends pas à voir jamais accueillir la simplicité des histoires antiques et des premières mœurs sur une scène accoutumée aux raffinemens élégans des salons. La comédie a ses âges comme tous les arts, et son dernier âge est depuis long-temps arrivé chez nous pour toute la partie instruite de la nation. S'il naissoit un Shakespeare en France, ce grand homme auroit sans doute le bon esprit de se faire le poète du peuple, et il faudroit malheureusement l'attendre au mélodrame.

Dans la base La Grange de la Comédie Française, la Rançon de Du Guesclin, ou les Mœurs du XIVe siècle, comédie en 3 actes en vers, d’Antoine-Vincent Arnault, n’a connu que sa première représentation, le 17 mars 1814.

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