Le Retour du/d'un croisé

Le Retour du/d'un croisé, grand mélodrame en un petit acte, de Blaise Bethmann (Alexandre Duval), 27 février 1810.

Théâtre de l’Impératrice.

La pièce est connu sous le titre du Retour du croisé ou du Retour d'un croisé. Elle est attribuée à un dénommé Blaise Bethmann, qui est un pseudonyme choisi par Alexandre Duval.

L'Odéon : histoire administrative, anecdotique et littéraire de Paul Porel et Georges Monval, p. 245, fournit la date de la première représentation :

Le 27 février, nouveau succès avec Le Retour D'un Croisé ou le Portrait mystérieux, grand mélodrame en un petit acte, en prose, parodie de carnaval des mélodrames alors en vogue « avec tout son spectacle ». L'auteur, M. Blaise Bethmann, « qui désire garder l'anonyme », n'était autre qu'Alexandre Duval.

Titre :

Retour du/d'un croisé (le)

Genre

parodie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

27 février 1810

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Blaise Bethmann (Alexandre Duval)

Mercure de France, tome quarante-unième, n° CCCCL du samedi 24 mars 1810, p. 242 :

[On lit rarement des critiques aussi enthousiastes pour un spectacle somme toute secondaire : tous les compliments sont là, «  une nouveauté aussi spirituelle et aussi piquante », «  cent traits de dialogue, cent mots spirituels et plus plaisans les uns que les autres », « cette folle et charmante plaisanterie », etc. La pièce a même été mal jugée par une partie du public, qui n’en a pas vu la portée parodique. La fin de l’article semble indiquer que l’auteur est connu du critique.]

SPECTACLES. — Théâtre de l'Impératrice. Le Retour du Croisé, grand mélodrame en un petit acte.

Il y a long-tems que le Carnaval n'avait vu éclore une nouveauté aussi spirituelle et aussi piquante que le Retour du Croisé. Nous n'en donnerons cependant pas l'analyse : parodie du genre mélodramatique, son intrigue ressemble à celle de tous les mélodrames, ou plutôt elle en rassemble toutes les tragiques extravagances, toutes les niaises gaietés, Rien n'y manque, ni tyran, ni victimes, ni ballets, ni cachots, ni sur-tout le pompeux étalage de la sensiblerie foraine. Mais ce n'est point en en donnant le récit que nous pourrions amuser nos lecteurs, et leur faire sentir le mérite de l'ouvrage ; il faudrait rapporter cent traits de dialogue, cent mots spirituels et plus plaisans les uns que les autres, qui rendent sensible à chaque instant la parodie de l'événement qui vient de se passer, et criblent d'autant de coups la muse du mélodrame. Le succès de cette folle et charmante plaisanterie n'a pourtant pas été complet à la première représentation. Des champions du mélodrame s'y sont opposés à bon escient ; de bonnes ames y ont été trompées ; elles ont cru de bonne foi que l'auteur avait voulu partager la gloire de nos tragiques des boulevards ; elles ont jugé l'ouvrage comme s'il eût été de la composition de M. Guilbert-Pixérécourt, et sous ce point de vue elles l'ont trouvé beaucoup trop gai et point assez pathetique. Il leur a semblé sur-tout que l'auteur n'avait pas su tirer parti de son sujet. Dieu fasse paix à des juges aussi candides ! Mais heureusement pour l'auteur il en a eu de plus avisés aux représentations suivantes, et son succès a été toujours en croissant. Nos lecteurs ne s'en étonneraient pas s'il n'avait pas jugé à propos de garder l'anonyme.

Mercure de France, tome quarante-unième, n° CCCCLIII du samedi 3 mars 1810, p. 5-8 :

[Avant la représentation, un acteur est venu saluer le public et a récité un prologue destiné à éclairer le public sur les intentions de l’auteur, « un de nos meilleurs auteurs comiques ».]

PROLOGUE DU RETOUR D’UN CROISÉ (1)

UN ACTEUR, après avoir salué trois fois.

MESSIEURS, dans cet instant permettez à mon zèle...
    (Il s'arrête comme si le public murmurait. )
Ne vous effrayez pas. Non, ce n'est presque rien :
            Tous nos acteurs se portent bien,
Et s'habillent déjà pour la pièce nouvelle.
Mais je viens humblement de la part de l'auteur
            Solliciter votre indulgence ;
Cet auteur est de Chartre, et de plus il commence.
Epris dès le berceau du talent enchanteur,
De son compatriote, un ami de Thalie,
            Que le sort trop tôt nous ravit,
Que vous connaissez tous, et dont l'aimable esprit
Rendit aux amateurs la bonne comédie...
            Mais finissons sur ce sujet :
Celui qui vous peignit la querelle des frères,
Qui traça le tableau des vieux célibataires,
            De l'annonce n'est point l'objet.
C'est son compatriote , auteur du mélodrame
            Que l'on va donner à l'instant,
            Qui veut vous apprendre comment
L'amour de ce beau genre est entré dans son ame.

            Le jeune homme arrive à Paris,
            Brûlant d'entrer dans la carrière
            Où s'illustra le grand Molière....
            Mais jugez comme il est surpris !
            A l'exemple de nos ancêtres,
            Il veut admirer nos grands maîtres ;
            Il trouve leurs temples déserts.
Quel abandon !'dit-il, et quel est ce travers ?
Quoi ! le génie en France a perdu son empire ?
Un vieillard lui répond avec un malin rire :
« Monsieur veut voir du monde, à ce qu'il me paraît,
» Qu'il aille au boulevard. » — Il y court, en effet.
Il trouva d'amateurs une enceinte garnie,
Et de petits héros en grande compagnie :
Quand il eut écouté la pièce jusqu'au bout,
Bon, du Français, dit-il, j'ai vu quel est le goût.
Il aimait autrefois qu'un ouvrage tragique,
Dans ses nobles fureurs peignit la passion,
Que dans la comédie on trouvât du comique,
            Et l'esprit joint à la raison :
La mode a tout changé; bien loin que je l'en blâme,
Je décerne le prix au brillant mélodrame.
            Il réunit la majesté
            Du pathétique à la gaité,
            Et la force de la pensée
Aux charmes d'un beau style et de la vérité.
Je suis poëte aussi ! la route m'est tracée !
    Par le plus grand des modernes auteurs.
            Formons une trame bien noire,
            Prenons dans quelque vieille histoire
            Des paladins, grands ferrailleurs ;
            Ayons des enfans, des voleurs,
            Des ermites prédicateurs,
            Des geoliers que l'on fera boire :
Embellissons le tout de rochers, de créneaux ;
            Et si sur quelques beaux chevaux
            Je puis promener mes héros,
Je cours à la fortune et peut-être à la gloire.

Sans suivre trop le plan qui vous est exposé
L'auteur a fait pour nous le Retour du Croisé.
Il vient, il nous le lit, nous recevons l'ouvrage.
Or, messieurs, si ce genre est par nous adopté,
Vous devez vous en prendre à la nécessité.
Loin d'un public nombreux nous sommes sans courage.
            Nécessité contraint le sage ;
            On n'a pas toujours le moyen
            De demeurer homme de bien.

            Afin d'éviter un naufrage
            Dans le mélodrame nouveau,
            Nous avons vêtu nos actrices
De ce qu'au magasin on avait de plus beau,
En clinquant magnifique, en brillant oripeau.
            Vous verrez au fond des coulisses.....
Mais non ; je me tairai pour vous surprendre mieux.
Veuillez bien écouter : l'ouvrage est sérieux,
Pathétique souvent, et même ténébreux.
            Si le carnaval qui commence
Ne vous porte pas trop à prendre un ton joyeux,
            Notre succès n'est pas douteux.
            Si l'auteur est plein d'innocence,
            Si dans la bouche des héros
            Il a bien placé la sentence ;
Si le tyran gesticule à propos,
S'il a donné la raison à l'enfance,
            A son niais l'impertinence,
            Ce grand œuvre doit être admis.
Messieurs, un mélodrame attire l'affluence ;
            De grâce, qu'il nous soit permis
            De compter sur votre indulgence :
Oui, vous serez contents, j'en suis certain d'avance ;
            Et vous aurez la complaisance
            D'en faire part à vos amis.

L'esprit des journaux, français et étrangers, année 1810, tome III (mars 1810), p. 267-273 :

[Le compte rendu de l’Esprit des journaux apprécie aussi la parodie de mélodrame que l’Odéon, Théâtre de l’Impératrice (le second Théâtre-Français) ose produire contre les théâtres spécialisés dans le mélodrame. Il met en avant les qualités de l'œuvre, et en particulier l’efficacité de la parodie, qui reproduit bien les procédés du mélodrame en les caricaturant. L’erreur d’une partie du public est signalée (signe à la fois que la parodie est efficace, puisqu’on peut s’y tromper, mais aussi qu’elle risque de manquer son but). Et la fin de l’article évoque une possible vengeance des théâtres du boulevard, dont il suggère qu’ils ont « de bien autres armes » (une menace ?).]

THÉATRE DE L’IMPÉRATRICE.

Le Retour du Croisé.

La nouveauté du jour est le Retour due Croisé, à l'Odéon ; ce n'est pas une tragédie, une comédie, un drame, un vaudeville, ni un mélodrame, mais un peu de tout cela ; c'est à vrai dire la parodie piquante d'un genre nouvellement introduit parmi nous, et dont le succès a de beaucoup passé les espérances. Cette parodie est une déclaration de guerre au mélodrame : c'est une bombe lancée de l'Odéon sur les théâtres de l'Ambigu-Comique et de la Gaieté ; mais ces derniers ont des moyens préservatifs certains : en vain on leur rappelle leur origine et la source de leur fortune, ils répondent comme le notaire du Glorieux :

Oh ! nous autres bourgeois nous tenons à l'espèce.

Ils donnent chacun deux mélodrames par mois, et n'ont pas un jour de demi-recette ; dans cet état on n'a rien à craindre des hommes de goût, de la critique et des parodistes.

Pour attaquer un genre aussi bien en crédit , et pour prouver à l'Odéon quelquefois désert, combien le public a tort d’assiéger les portes du mélodrame, un prologue était assez nécessaire ; celui du mélodrame de l'Odéon est très-piquant, et écrit avec beaucoup de facilité.

[Ici le critique insère le prologue cité ci-dessus.]

Et de suite le mélodrame s'annonce par un lugubre charivari d'orchestre : une nuit profonde couvre le théâtre : l'action est intéressante , l'intrigue forte, les événemens sont vifs et pressés. L'histoire d'un comte de Falaise, Croisé, privé d'un œil, revenant de combattre les Infidèles et retrouvant sa femme près de l'être [?], y est développée dans tout ce qu'elle peut offrir d'intéressant et de merveilleux. Le comte débite un pompeux galimathias d'inintelligibles sentences ; sa chaste épouse ne parle que par sermens, le féroce baron accumule les épithètes et les gestes furibonds ; le chevalier Fleur-d'Amour, a le langage de l'Astrée ; le niais a sa partie obligée dans le plus burlesque dialogue ; c'est absolument comme au mélodrame, et l'auteur n'a pas trouvé de meilleur moyen de le tourner en ridicule que de l'imiter.

A la première représentation, quelques spectateurs bénévoles ont tant soit peu pris le change, et ont sérieusement reproché à l'auteur cette gaieté singulière du dialogue dans un sujet aussi pathétique ; mais depuis ils ont consenti à reconnaître la plaisanterie et à la trouver bonne ; à chaque représentation, quelque trait bouffon est ajouté, quelque moyen de parodie est imaginé, et il est impossible de ne pas applaudir en riant beaucoup à l'idée d'une telle parade et à son exécution.

On a voulu connaître l'auteur : un acteur a nommé M. Betmann, de Chartres, en ajoutant qu'il désirait garder l'anonyme. Ce M. Betmann, anonyme, nous paraît bien être un ami éclairé de la bonne et franche comédie ; son attaque du mélodrame est ingénieuse, vive et piquante : le ridicule est bien saisi, et les acteurs y ajoutent par l'imitation la plus grotesque du tragique des héros du boulevart ; mais notre auteur a affaire à forte partie ; il n'a pour lui que beaucoup d'esprit et de gaieté : son ennemi a de bien autres armes, et son champ de bataille est bien mieux choisi.                                S.

(1) Un de nos meilleurs auteurs comiques a donné au théâtre de l'Impératrice, sous le titre du Retour d’un Croisé, une petite pièce, très-ingénieuse. C'est une parodie de la plupart des mélodrames. Voici le prologue qu'un acteur est venu réciter avant la pièce.

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