Le Rêve en action, ou Dix années et deux heures

Le Rêve en action, ou Dix années et deux heures, féerie mêlée de vaudevilles, 16 juillet 1814.

Théâtre du Vaudeville.

Titre

Rêve en action (le), ou Dix années et deux heures

Genre

féerie mêlée de vaudevilles

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

16 juillet 1814

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

 

Journal des arts, des sciences et de la littérature, n° 305 (cinquième année), 5 juillet 1814, p. 18 :

[Le Journal des arts revient à de nombreuses reprises sur la pièce, avant la première et après. Le jugement porté est négatif.]

La pièce féerie en trois actes que l’on répète au Vaudeville, s’appelle le Rêve en action. Elle est tirée d’un conte de L. Andrieux, et attribuée à un auteur connu à ce théâtre par d’anciens succès.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, n° 307 (cinquième année), 15 juillet 1814, p. 71 :

Ce journal [le Journal de Paris] n’est pas toujours heureux en nouvelles de théâtre. « le Rêve en action, que l’on va jouer cette semaine au Vaudeville, est, dit-il, l’ouvrage d’un de nos joyeux chansonniers, qui, depuis plusieurs années, s’était condamné au silence. Il paraît que les circonstances l’ont tiré de son assoupissement. » Le fait est que cette pièce avait déjà été répétée au Vaudeville il y a plus d’un an, et qu’un voyage de l’auteur en a seul éloigné la représentation.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, n° 308 (cinquième année), 20 juillet 1814, p. 89-91 :

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Première représentation du Réve en action, ou Dix années en deux heures, féerie en 3 actes.

Un vieux conte espagnol, rajeuni par le talent de M. Andrieux, a fourni le sujet de cet ouvrage ; mais cette seconde métamorphose n'a pas été heureuse. Voici comment l'auteur du vaudeville a voulu adapter ce conte à la scène.

Le magicien Benetto, qui habite la capitale de la Perse, est condamné, par un pouvoir supérieur au sien, à rester dans l'indigence jusqu'à ce que l'un de ceux dont il lui est permis de faire la fortune, ait consenti, par reconnaissance, à la partager avec lui. Jusqu'ici il n'a eu que de nombreuses preuves de l'ingratitude des hommes : il veut néanmoins tenter encore une épreuve ; mais pour ne plus en être la dupe, ce ne sera qu'en rêve qu'il enrichira son nouveau protégé. C'est sur le savetier Faliska, son voisin, qu'il va faire cette expérience. Ce savetier, toujours joyeux, toujours content, voudrait, pour être au comble du bonheur, être à la tête d'un magasin d'étoffes. Benetto lui promet de combler ses vœux, et Faliska s'engage à lui abandonner la moitié de sa fortune.

L'épreuve commence : Usbeck, jeune apprenti du savetier, et amoureux de la sœur de Faliska, vient avec Zulminette, apprendre à celui ci qu'un de ses parens qui vient de mourir lui laisse une superbe boutique d'étoffes de toute espèce. Faliska, averti par le sorcier que c'est à lui qu'il le doit, ajourne sa reconnaissance, ajourne également le mariage d'Usbeck avec sa sœur, et prend déjà l'insolence d'un parvenu.

Quelques années lui semblent s'écouler, et il est devenu un des plus riches financiers de Persépolis. Usbeck est son intendant, mais il ne le juge plus digne de devenir son beau-frère. Au milieu d'une fête que donne Faliska, Benetto parait sous la livrée de la misère ; le savetier enrichi lui refuse le moindre secours, tandis qu'il prodigue l'or aux flatteurs qui l'entourent. Usbeck et Zulminette, au contraire, offrent à l'indigent une bourse et un riche écrin.

Enfin Faliska, à qui le sorcier a fait subir une disgrâce passagère qui n'a pu le corriger, devient premier visir, et pousse l'ingratitude jusqu'à vouloir faire arrêter l'auteur de sa fortune. Benetto, révolté, termine le rêve de son indigne protégé : il se retrouve dans son vil costume, et voit, pour punition, sa sœur et Usbeck jouissant réellement du sort brillant qu'il n'a fait que réver.

Tous les lieux communs de la morale, tous les traits les plus connus sur le changement que les honneurs appportent dans le caractère, etc., sont reproduits dans cet ouvrage avec une profusion qui aurait fatigué les auditeurs les plus patiens. Le premier acte avait été écouté avec beaucoup de froideur ; les deux autres ont été joués au milieu de huées, de bravos ironiques, de sifflets, que redoublaient de temps en temps des traits du plus mauvais goût, ou des trivialités comme la suivante ; quand Faliska éprouve une disgrâce, l'un de ses flatteurs l'abandonne, en lui chantant :

Tir- t’en, tir’ t’en, tir’ t’en comme,
Tir’ t’en comme tu pourras.

Ce mélodieux refrain a été accueilli par un tumulte tel, que les deux autres courtisans s'en sont tirés comme ils ont pu, en se sauvant sans rien dire.

Les couplets sont, en général, de la plus grande nullité ; on a cependant distingué celui-ci :

        Air : du Vaudeville d'Abuzar.

J'ai vu souvent plus d'un flatteur,
Sorti de l'obscure indigence,
Pour écraser le bienfaiteur,
Abuser de la bienveillance
Tel on voit l'avide écuyer,
Des courses disputant la gloire,
Déchirer les flancs du coursier
Qui le conduit à la victoire.

On a aussi applaudi le suivant, dont l'idée n'est pas neuve, mais qui est assez bien tourné :

Du moment qu'on est décoré,
Aisément on s'en fait accroire ;
De mille flatteurs entouré,
Du passé l'on perd la mémoire.
Sur nos sentimens, sur nos cœurs,
Le pouvoir a trop d'influence ;
Jamais le chemin des grandeurs,
Ne mène à la reconnaissance.

Joly s'est donné beaucoup de peine et de mouvement pour égayer le rôle de Faliska ; ses efforts n'ont pas été heureux. Mlle. Rivière, habituée à chanter, depuis un mois, les couplets au public, sans qu'ils arrivent à leur adresse, a encore rempli cette tâche avec tout le dévouement possible.

On nommait tout haut dans la salle l'auteur que personne ne demandait. Ses anciens succès à ce théâtre doivent lui rendre cette chûte plus douloureuse, mais peuvent aussi lui donner l'espoir de prendre sa revanche.                              M.

Les brèves des Bulletins de Paris du même numéro du 20 juillet reviennent sur la première de la pièce, p. 93 :

Samedi 16 Juillet. La première représentation du La première représentation du Réve en action avait attiré une foule considérable au Vaudeville. L'ouvrage était si court, quoiqu'en trois actes, et les acteurs, assaillis par les sifflets, brusquaient tellement leurs rôles, qu'on est sorti du spectacle avant neuf heures et demie. Aussi les plaisans se demandaient-il  : A quel spectacle irons nous en sortant d'ici ?

Dimanche 17 JUILLET. On rapportait ce matin, dans une société, le trait suivant : Hier soir, à la première représentation du Rêve, au Vaudeville, un auteur fameux du boulevard racontait, avant le lever de la toile, à qui voulait l'entendre, que dans la pièce nouvelle, on devait avoir beaucoup profité d'une pièce qu'il avait composée jadis sur le même sujet, et confiée à l'auteur de l'ouvrage qu'on allait jouer. Après le résultat de la représentation, le réclamant s'est empressé de dire aux mêmes personnes : Au fait, il n’y a que le premier acte qui ressemble à ma pièce ; le reste s'en éloigne tout à fait. (Le premier acte seul avait été joué sans encombre.) Ce mot ne rappelle-t-il pas l'épigramme de Racine :

Entre le clerc et son ami Coras, etc.

[Voici l’épigramme en question, inspirée à Racine par le destin de l’Iphigénie en Tauride de Le Clerc et Coras, que certains attribuaient à Racine et qui connut les affres de la chute :

Entre Le Clerc et son ami Coras,
T
ous deux auteurs rimant de compagnie,
N'a pas longtemps sourdirent grands débats.
Sur le propos de leur Iphigénie,
Coras lui dit : « Le pièce est de mon cru. »
Le Clerc lui répond : « Elle est mienne, et non vôtre. »
Mais aussitôt que l'ouvrage a paru,
Plus n'ont voulu l'avoir fait ni l'un ni l'autre.]

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, juillet 1814, p. 287-294 :

[Derrière un titre qui promet ce que l’époque permet en effet (« parcourir en quelques jours l'espace de plusieurs siècles »), se cache, non une féerie politique (c’est le moment qui crée cette illusion), mais une féerie morale dont l’objet est de montrer « que l'ingratitude est un des vices naturels de l'homme ». Le sujet de la pièce est emprunté à un conte espagnol imité par M. Andrieux, qui ne ‘la pas adapté pour le théâtre, comme s’il avait cru que ce n’était pas possible. Il s’agit d’une histoire de sorcier qui a besoin de faire la fortune d’un homme pour se libérer de l’emprise d’un génie. Le pauvre homme est bien sûr confronté à l’ingratitude : celui qu’il a enrichi ne lui montre aucune reconnaissance, jusqu’à ce que l’enchantement cesse, et que tout retourne à l’état antérieur. Après avoir résumé l’intrigue, le critique insiste sur l’effort qu’il a fallu faire pour réaliser ce qu’il présente comme un exploit. Il considère que la morale est en général ennuyeuse au théâtre, surtout quand « elle est délayée dans trois actes de lieux communs et de maximes bannales », mais on n’ose pas la siffler, et l’incident provoqué par un couplet maladroit a seul permis au public de se mettre à siffler. On trouve dans la pièce beaucoup de prétention à la philosophie et à la gaîté, mais elle déçoit sur les deux points, au point que ce sont ceux qui applaudissent qu’on traite de « cabale ». Les interprètes n’ont pas pu sauver la pièce, dont l’auteur (anonyme) n’a pas réussi à utiliser la baguette de la magie pour réussir. Dernier point : la richesse des changements à vue, du grand spectacle.]

Le Rêve en action, ou Dix années en deux heures, féerie vaudeville en trois actes.

Quelque merveilleux que soit ce titre : Dix années en deux heures, il n'offre rien, à l'époque où nous vivons, qui paraisse choquer la possibilité ni même la vraisemblance. Nous sommes accoutumés à parcourir en quelques jours l'espace de plusieurs siècles, et, à l'exception du déluge universel, il n'existe pas dans l'histoire du monde un évènement signalant à longs intervalles les siècles dans lesquels il arrive, dont nous n'ayons eu la répétition dans la courte période de vingt-cinq ans. Si l'homme est naturellement curieux, jamais génération n'a dû être plus satisfaite que la nôtre ; elle a assisté au spectacle le plus prodigieux, le plus varié, le plus.... C'est dommage qu'on nous ait fait payer les places un peu cher.

Beaucoup de personnes qui ne savaient pas le secret de la comédie, ont cru facilement que la pièce nouvelle annoncée au Vaudeville, était une féerie politique, au moins par allégorie ; elles se sont trompées ; c'est tout simplement une féerie morale dont le but est d'établir cette vérité plus vraie que nouvelle, que l'ingratitude est un des vices naturels de l'homme.

Le sujet de cette pièce est un conte espagnol que M. Andrieux a imité avec autant de grace que de succès ; et il y a de la témérité à vouloir mettre en pièce le conte d'un auteur qui fait également bien les pièces et les contes, et qui mieux que personne aurait appliqué à son sujet un cadre dramatique, s'il avait cru qu'il lui fut avantageux.

Un nommé Benetto meurt de faim avec le don d'enrichir les autres. Vous croyez peut-être que c'est un alchimiste, ou un de ces hommes à projets qui, d'une voix affaiblie par un long jeûne, vous promettent des trésors et finissent par vous demander un petit écu à compte sur ses millions futurs ? non : M. Benetto est un sorcier tout de bon, un magicien qui tient parole, comme il y en avait tant autrefois ; ils se divertissaient à enrichir subitement les pauvres diables qui s'y attendaient le moins. Quel dommage que la race de ces braves gens-là soit éteinte ! C'était un espoir pour les malheureux auxquels il reste, il est vrai, les loteries. Il paraît cependant que Benetto n'est pas un grand sorcier, un magicien de la première classe, puisqu'il est soumis au pouvoir d'un génie supérieur qui l'a condamné à languir dans l'indigence jusqu'à ce qu'un homme enrichi par ses bienfaits soit assez reconnaissant pour partager avec lui sa fortune qu'il lui devra. Ce génie croit avoir, en d'autres termes, condamné le pauvre Benetto aux travaux perpétuels ; c'est une espèce de moraliste peu prévenu en faveur des vertus de l'espèce humaine ; c'est le Larochefoucault des magiciens. Benetto a fait mille épreuves, et a fait mille ingrats. Quoiqu'on ait dit que c'est une des choses qu'on a le plus de plaisir à faire, notre sorcier commence à se lasser de ce plaisir ; il essaie cependant une dernière expérience sur le savetier Faliska, son voisin, dont la pauvreté n'altère point la gaîté luronne. Il lui annonce qu'il va l'enrichir, et Faliska paie cette bonne nouvelle par les plus belles promesses. A l'en croire, il ne désire les richesses que pour avoir les moyens de prouver sa reconnaissance à son bienfaiteur. « Ma fortune, lui dit-il ma vie, tout est à vous : je ne suis pas de ces gens qui promettent monts et merveilles avec l'intention de ne rien tenir. » ll rassure .aussi Usbeçk son apprenti, amoureux et prétendu de sa sœur Zulminetta, en lui disant qu'il n'y a que les sots qui se méconnaissent dans la prospérité. Mais,

Fiez-vous, fiez-vous aux vains discours des hommes.

A peine est-il riche, qu'il dédaigne Usbek pour son beau-frère, et se contente d'en faire son premier commis et son intendant. Plus ingrat envers Benetto, il lui refuse tout secours. Le magicien pousse cependant l'épreuve jusqu'au bout. Faliska dépense trois mille sequins pour donner une fête qui attire chez lui une foule de flatteurs et de parasites. Benetto renouvelle ses instances ; il n'obtient que de nouveaux refus que le parvenu croit adoucir, en lui promettant sa protection auprès des personnages de considération qui honorent sa fête de leur présence. Le génie persécuteur de Benetto triomphe sans doute de cette nouvelle expérience sur l'ingratitude du cœur humain ; mais il est d'heureuses exceptions. Usbek et Zulminetta s'efforcent de réparer lés torts de Faliska en offrant à Benetto un riche écrin et une bourse remplie d'or.

Pendant la fête, deux nouveaux amis, deux nobles protecteurs du savetier dépoissé lui persuadent qu'ils l'ont recommandé à la cour ; il reconnaît cette faveur par des présens maguifiques.

Jamais on n'encense une idole
Sans lui faire payer l’encens.

Un événement imprévu trouble la fête et la joie du nouvel Amphytrion [sic]. On vient arrêter Faliska au nom du visir, et c'est Benetto qui est l'exécuteur de l'ordre. Aussitôt les bons, les tendres amis de Faliska s'éloignent de lui comme d'un homme atteint d'un mal contagieux. A la cour la disgrace est pire que la peste; cette dernière présente encore l'espoir d'hériter. Mais bientôt ils reviennent plus ardens, plus dévoués que jamais, la disgrace de Faliska n'a été qu'un nuage passager, il a obtenu avec sa liberté la place de visir. Le savetier visir est accablé des félicitations des courtisans toujours prêts à louer le passé, le présent et même au besoin le futur. Sa nouvelle prospérité achève de lui ôter la mémoire ; il ne voit plus dans le premier auteur de sa fortune que l'homme qui est venu l'arrêter. Il donne l'ordre de le saisir : tout-à-coup l'enchantement cesse ; le prétendu visir se retrouve savetier, comme il était deux heures auparavant, car tout ce qui s'est passé sous les yeux du spectateur, tout ce que je viens de raconter au lecteur n'était qu'un rêve. Faliska, en se réveillant, laisse échapper les rênes de l'empire pour ressaisir le tirepied de savetier.

Benetto récompense Usbek et Zulminetta, dont la reconnaissance vient de l'affranchir du joug d'un pouvoir supérieur, et c'est à leurs prières qu'il accorde la grace de Faliska.

Les lecteurs doivent me savoir quelque gré de la fidélité de cette analyse dont l'exactitude paraîtra surprenante surtout aux personnes qui auront assisté à cette orageuse représentation; mais j’étais placé prés du théâtre ; j'écoutais par conscience au lieu de siffler par divertissement, et puis il y a des graces d'état.

Si la morale est presque toujours ennuyeuse, même exprimée avec toute la concision possible, quel effet ne doit-elle pas produire à un théâtre où l’on ne va guère 1a chercher quand elle est délayée dans trois actes de lieux communs et de maximes bannales ? Chaque couplet de la pièce est un huitain édifiant !

La morale fait bâiller, mais on n'ose pas la siffler tout haut ; aussi le public révérencieux a-t-il laissé passer le premier, acte avec une tranquillité qui avait cependant, pour les observateurs, quelque chose de menaçant. Au commencement du deuxième acte, Usbek, dont le rôle était refroidi par Armand, excellent, acteur pour la saison, chante un couplet dans lequel il dit que le monde est un vaste théâtre où chacun est tour-à-tour siffleur et sifflé ; c'était imprudemment réveiller le chat qui dort ; l'auteur a été sifflé en attendant qu'il soit siffleur, et l'orage provoqué par ce couplet a été en crescendo jusqu'à la fin de la pièce.

Les malins n'ont pas. manqué d'occasion de s'égayer, surtout aux adieux des perfides courtisans de Faliska ; ils lui chantent : Tir’ t'en, tir’ t'en, tir’ t'en comme, tir' t'en, t'ir t'en, tir’ t'en comme tu pourras ;le parterre s’est amusé à répéter en chorus ce refrain euphonique.

L'ouvrage, qui annonce beaucoup de prétention à la philosophie et à la gaîté, dégoûterait de l'une et n'inspire pas l'autre. L'ennui eût justifié le titre du Rêve en action si quelques mauvais coucheurs n'eussent réveillé leurs voisins. Alors chacun s'est piqué de faire du tapage, et par une innovation assez heureuse, et qu'il est utile de conserver, c'est aux rares applaudisseurs qu'on a crié à bas la cabale !

Battu [sic] avec leurs propres armes, ils se sont tus, et les acteurs, abandonnés à leurs propres forces, ont fait preuve sinon de talent, au moins de courage.

Joly qui ne porte avec grace et gaîté que le poids d'un petit rôle, d'une courte caricature, a traîné avec une lourde monotonie le fardeau des trois actes ; mais enfin il l'a traîné, et mademoiselle Rivière, qui depuis quelque temps s'aguerrit au couplet, a mimé imperturbablement le couplet au public.

On attribue cette pièce malencontreuse à un auteur connu par d'anciens succès ; le repos l'a rouillé ; il faut que la veine malheureuse dans laquelle le théâtre du Vaudeville se trouve depuis quelque temps soit bien prononcée, puisque la baguette de la magie n'a pu la rompre.

J'aillais oublier de parler des changemens de décorations et de costumes à vue. La précision paraissait d'autant plus admirable, qu'il était impossible de distinguer, dans le nombre, le sifflet du machiniste. C'est une pièce à grand spectacle ; c'est cent fois pis qu'à l'opéra et au boulevard.                              Martainville .

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 19e année, 1814, tome IV, p. 184-185 :

[Beau récit d’une chute en deux temps. La pièce est condamnée, en partie pour des raisons morales (on ne peut pas faire du théâtre avec « un vice tellement bas » que l’ingratitude). La réaction du public est montrée dans ce qu’elle a de vulgaire et d’excessif.]

Le Rêve en action, ou dix ans en deux heures, féerie en trois actes, mêlée de vaudevilles, jouée le 16 juillet.

Un titre aussi bizarre devoit faire attendre un ouvrage original. La féerie, en excluant la règle des unités, sembloit un moyen pris par l'auteur pour rassembler en peu de momens tout ce qui pouvoit arriver à son héros, de comique ou d'intéressant pendant l'espace de dix ans. Point du tout. Que la pièce dure dix ans ou dix minutes. Jamais on n'a mieux prouvé que le temps ne fait rien à l'affaire. Séduit par l'idée d'un fort joli conte de M. Andrieux, intitulé le Doyen de Badajoz, l'auteur s'est égaré sur ses traces, comme s'égareront tous ceux qui ne sauront point distinguer l'art de la narration, de l'art de l'action dramatique.

L'ingratitude est un vice tellement bas, qu'il ne peut prêter à des intentions comiques. On se sent ému d'indignation contre l'homme qui chasse honteusement celui à qui il doit son bien-être ; et l'on ne peut sourire en voyant Faliska, c'est le héros du Rêve en action, refuser l'aumône au Magicien qui a fait sa fortune. Dans un drame, la punition,de l'ingrat formeroit une catastrophe justement tragique ; mais des flonflons et des tiretantaine ne sont pas une punition suffisante pour un monstre tiré de la classe la plus vile, et élevé en un clin-d'œil à la dignité de grand-vizir.

On a furieusement abusé au théâtre de ces élévations subites et de ces chûtes méritées. Rien n'est plus commun que ces scènes de flatteurs et de parasites entourant les personnages puissans, et les fuyant quand la faveur les abandonne. Si les amis de l'auteur du Rêve sont de ceux-là, et qu'ils aient loué son ouvrage à sa table, il ne doit pas compter sur eux pour se consoler de sa chûte. C'est une des plus terribles et des plus méritées dont le Vaudeville ait donné l'exemple depuis longtemps, et cependant le Vaudeville n'est pas avare de ces exemples-là. L'auteur a cru son premier jugement injuste; il en a appelé

« Du parterre en tumulte au parterre attentif. »

Cette fois le parterre a cédé ses droits aux loges. Ce sont les premières qui ont, fait l'office d'exécuteurs de la justice théâtrale. La salle est devenue un théâtre Les acteurs ont été changés en spectateurs. Les injures ont volé des loges au parterre; le parterre n'a pas voulu être en reste. La plume se refuse à tracer les grossières expressions dont les amis et les ennemis de la pièce se sont gratifiés ; et, en vérité, l'ouvrage ne méritoit pas de faire tant de scandale. Il seroit mort d'inanition d'esprit et de gaieté, sans compter le défaut de conduite et d'intérêt.

On attribue cette pièce à deux auteurs; l'un est célèbre par des succès d'un genre bien opposé à celui du Vaudeville, puisque son empire est celui des Boulevarts du Temple, et son esprit celui du Mélodrame. L'autre avoit abandonné le Vaudeville depuis dix ans : l'Enfant prodigue n'a pas été bien reçu chez son père. Par pari refertur.

Ajouter un commentaire

Anti-spam