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Les Revenants

Les Revenants, comédie-parade en un acte et en prose, mêlée de vaudevilles, de Ségur aîné. 27 germinal an 6 [16 avril 1798].

Théâtre du Vaudeville

Almanach des Muses 1799.

Gilles et Scapin ont fait passer Arlequin pour mort. Gilles veut épouser la fille de Cassandre, promise à Arlequin. Scapin veut s'approprier un dépôt d'argent que le prétendu mort lui a confié. Cassandre a peu des revenans. Gilles lui apparaît comme l'ombre d'Arlequin, et lui ordonne de donner sa fille à Gilles, lorsqu'Arlequin, travesti comme son rival, oppose revenant à revenant, déconcerte les fripons, recouvre son argent et sa maîtresse.

Fonds assez léger, mais des détails spirituels, des couplets dignes du chansonnier le plus agréable que nous ayons aujourd'hui.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Huet, an 6, 1798 :

Les Revenans, comédie-parade en un acte et en prose, mêlée de vaudevilles, Par Le C.en L. P. Ségur l'aîné ; Représentée pour la première fois au Théâtre du Vaudeville, le 27 Germinal an 6.

Courrier des spectacles, n° 420 du 28 germinal an 6 [17 avril 1798], p. 2 :

Théâtre du Vaudeville.

La comédie-parade donnée hier à ce théâtre, sous le titre des Revenans, a eu du succès. L’auteur a été demandé, c’est le cit. Ségur l’aîné. Le journal étant presque entièrement composé quand je suis arrivé, je me vois forcé de remettre à demain l’analyse, le jugement et quelques couplets de cette nouveauté.

Courrier des spectacles, n° 421 du 29 germinal an 6 [18 avril 1798], p. 2 :

[Le compte rendu est fort bien organisé. Il commence par fournir les éléments de l’avant-scène, peu déroutants, puisque c’est une arlequinade, dont on connaît les personnages et l’acheminement vers un dénouement sans surprise. Il s’agit bien d’empêcher Gilles d’épouser Argentine l’amante d’Arlequin et pour cela de tromper Cassandre. Le moyen utilisé, c’est de faire croire au crédule Cassandre que la maison est hantée. Pour échapper au fantôme, il accepte de marier Arlequin et Argentine. Le jugement critique comporte deux reproches, d’abord les habituelles longueurs, qu’on retrouve dans bien des pièces, et des invraisemblances, dont le critique donne un exemple peu convaincant (le fait que père et fille s’endorment ensemble n’est pas naturel, parce que le père est effrayé, et la fille inconsolable de ne pas épouser Arlequin). Fin de la liste des défauts, « tous ces défauts », et passage aux compliments : une pièce « remplie de saillies fines et piquantes, de plaisanteries spirituelles ». Et bien sûr, puisque l’auteur, Ségur aîné, est membre des Diners du Vaudeville, elle comporte des couplets dont on vante « la légèreté, la grace et le trait » : « beaucoup ont été très-applaudis », et le compte rendu en donne deux, « que le public a redemandés ». L’interprétation est vite décrite. « Beaucoup d’ensemble » (et pour les comédiens du Vaudeville, qui jouent une multitude de pièces, anciennes et nouvelles, ce n’est peut-être pas un mince éloge), et la liste des acteurs, trois hommes et deux femmes.]

Théâtre du Vaudeville.

Scapin, à force d’intrigues et de souplesses, est parvenu à faire chasser Arlequin de la maison de Cassandre, et à y introduire à sa place un certain Gilles qui lui a promis bonne récompense s’il peut parvenir à lui faire épouser Argentine, fille de Cassandre et maîtresse d’Arlequin ; celui-ci, avant de quitter la maison, a trouvé le moyen de se ménager une petite communication dans l’appartement de Cassandre. Cette entrée est d’autant plus nécessaire à Arlequin, que le fourbe Scapin a répandu le bruit de sa mort, et qu'il lui faut rassurer sa maîtresse inconsolable de sa perte.

Telle est l’avant-scène de la comédie-parade des Revenans, donnée hier avec succès au théâtre du Vaudeville. Arlequin entre donc dans la chambre de Cassandre, et voulant dissuader Argentine de la nouvelle de sa mort, il lui fait entendre sa voix, mais il est bientôt obligé de retourner dans sa retraite ; Cassandre est saisi d’une frayeur mortelle, il a entendu la voix d’Arlequin, il croit que cette ombre le poursuit par-tout, il ne sait que devenir. Enfin aidé de sa fille, il se décide à faire des visites dans toute sa maison. Pendant ce tems, Scapin conseille à Gilles de prendre la figure d’Arlequin, de se couvrir d’un manteau blanc, d’apparoître sous ce costume à Cassandre, afin de le forcer par la peur à signer le mariage de sa fille avec lui. Arlequin a tout entendu, et il se propose de renverser leurs projets. Cassandre de retour de ses visites, prie sa fille de ne pas le laisser seul la nuit, elle y consent, lui chante une romance que lui a fait Arlequin, Cassandre se couche, s’endort, et bientôt Argentine elle-même succombe au sommeil qui la presse. Gilles entre dans la chambre une torche à la main, et adresse d’une voix funèbre quelques paroles à Cassandre ; celui-ci se réveille en sursaut : la frayeur le saisit, Argentine est épouvantée, mais Arlequin, couvert du même costume, les rassure, et force Scapin et Gilles d’avouer toutes leurs intrigues. Cassandre un peu revenu de sa peur, consent au mariage d’Arlequin avec sa fille.

Tel est le fonds de cette nouveauté, où j’ai remarqué quelques longueurs et des invraisemblances frappantes, entr’autres celle où Cassandre et sa fille s’endorment : il n’est pas naturel qu’un homme aussi peureux que Cassandre, qu’une maîtresse aussi inconsolable qu’Argentine, se livrent si facilement et si promptement au sommeil,

Cet état de tranquillité est trop incompatible avec l’agitation perpétuelle que devroient éprouver des personnages aussi fortement émus. Non-obstant tous ces défauts, cette pièce est remplie de saillies fines et piquantes, de plaisanteries spirituelles. Enfin dire que l’auteur, le cit. Ségur l’ainé, est un des coopérateurs des Diners du Vaudeville, c’est annoncer d’avance la légèreté, la grâce et le trait des couplets.

Beaucoup ont été très-applaudis ; en voici deux entr’autres que le public a redemandés :

Air : Vous m'ordonnez de la brûler.

Dans un bois, sur un gazon frais,
      Si le soir on repose,
Sans les voir on sent qu’on est près
      D’un lys ou d’une rose ;
Ainsi près de toi ranimé,
      Je sens dans mon délire
Qu’ici ta bouche a parfumé
      Tout l’air que je respire.

      VAUDEVILLE.

         Air nouveau.

    Arlequin (au public)

Notre siècle est rempli de sages,
On le juge par leurs écrits,
Et grâce à leurs doctes ouvrages,
Nous ne croyons plus aux Esprits ;
Mais s’il vous paroissoit utile
De nous rendre un peu plus croyans,
Revenez tous au Vaudeville
Nous faire croire aux Revenans.

Cette nouveauté a été jouée avec beaucoup d’ensemble par les cit. Delaporte, Chapelle, Léger, Lenoble, et les citoyennes Blosseville et Hélène.

Le Censeur dramatique, tome troisième (1798), n° 25 (10 Floréal an 6), p. 443-448 :

On a donné, le 27 germinal, sur ce Théâtre, la première Représentation d'une Pièce en un acte, intitulée les Revenans, dont l'Auteur est M. de Ségur, l'aîné. Le plan de cette bluette n'est ni bien compliqué, ni bien neuf. Le voici.

Scapin est un coquin, comme à-peu-prêt tous les Scapins du Monde. Il est le Confident de Gilles, et le sert dans son amour pour Argentine ; en récompense, ce dernier fait pour lui de grandes dépenses dans tous les cabarets. Gilles n'a pas manqué de divorcer d'abord d'avec Rosette, sa femme ; il l'a quittée, ne l'a pas vue depuis et même la croit morte ; d'un autre côté, Scapin a eu le talent d'escamoter à Arlequin, Amant préféré d'Argentine, une somme de mille écus, qui faisoit toute sa fortune ; en sorte que M. Cassandre, père d'Argentine, homme prudent, a cru devoir, pour le consoler de cette perte, lui retirer son consentement qu'il lui avoir donné, et le mettre à la porte de chez lui. Argentine regrette toujours son cher Arlequin, que l'on croit mort de désespoir. Cassandre lui-même se fait des reproches ; et comme il a une grande peur des Revenans, il s'imagine toutes les nuits entendre la voix d'Arlequin, et voir son ombre errer. Scapin a beau chercher à le rassurer, en lui observant que les Revenans sont des contes de grand'mères ; Cassandre lui répond très judicieusement que l'on a beau se moquer de nos grand'mèrcs, nous ne sommes devant elles que des enfans. Pour Argentine, elle refuse toujours d'épouser Gilles, malgré les sollicitations de son père, qui trouve son intérêt à ce mariage. Elle persiste dans son refus, quoique Scapin prétende qu'elle se lassera bientôt d'aimer un mort.

Cependant Arlequin n'est pas mort, il loge a côté de M. Cassandre ; il s'est même ménagé une porte secrète pour entrer chez lui à volonté ; enfin il entend tout ce qui s'y dit, ainsi que Rosette, femme de Gilles, avec laquelle il se lie d'intérêt ; car, quoiqu'elle ait beaucoup à se plaindre de Gilles, et qu'elle annonce même un très grand desir de l'étrangler, cette Mme Rosette, ainsi que tous les grands caractères de son espèce, est une personne fort sensible au fond, et elle aime beaucoup son mari, par la raison, dit elle, que les meilleures femmes aiment toujours les plus mauvais sujets. Arlequin dit qu'Argentine ne lui ressemble guère, qu'elle n'aime pas les mauvais sujets, attendu qu'elle n'a jamais aimé que lui. Au surplus, il ne manque pas de s'étonner de la fidélité qu'Argentine est capable de garder à un mort, et observe avec quelque fondement, qu'il y a peu de femmes aujourd'hui capables d'imiter son exemple, puisqu'elles ne sont pas même fidèles aux vivans. I1 ne sait pas encore ce qu'il doit penser de ce qui se passe, il craint seulement que son ami Scapin ne soit plus son ami, parce qu'il est trop l'ami de Gilles qui n'est pas son ami, enfin après avoir tenu conseil avec Rosette sur ce qu'ils devoient faire, Arlequin croit qu'on peut mettre Argentine dans le secret d'autant, ajoutet-il, qu'on peut s'en fier à une femme pour garder ua secret, surtout quand c'est le sien ; en conséquence, il lui .chante une chanson par la cheminée. Bientôt toute la maison est en alarme ; Cassandre,.surtout, croit plus que jamais aux Revenans ; Argentine y est fort disposée, elle-même ; Scapin lui observe que l'on croit toujours entendre la voix de ce qu'on aime ; Gilles répond que l'on entend aussi la voix de ce qu'on n'aime pas ; car il croit avoir entendu aussi celle de sa femme qu'il connoît capable de revenir de chez les Morts tout exprès pour le faire enrager ; il. lui semble pourtant que si elle est morte, son métier est de se tenir tranquille. Cassandre et sa fille vont faire la visite pour voir si quelqu'un n'est pas caché. Scapin profite de ce moment pour conseiller à Gilles de tirer parti de la foiblesse de M. Cassandre, pour le décider, par la peur, ainsi que sa fille, en se déguisant, la nuit en Revenant, pour le forcer à le rendre heureux. Gilles s'étonne que la peur puisse faire de si belles choses ; mais Scapin lui répond qu'il n'est qu'un imbécille, s'il ignore que la peur a tout fait. Au surplus, comme Gilles paroît embarrassé de se métamorphoser en Revenant, Scapin lui conseille de prendre Ratcliffe pour modèle; en un mot, de se mettre en Roman anglais. Ceci convenu, Gilles sort pour revenir en Revenant.

Rosette avoit dit à Arlequin qu'il ne lui paroissoit pas trop poli d'écouter aux portes, mais il avoit répondu que cétoit la faute de, ceux qui les y avaient mis ; aussi se doute-t-on bien qu'il avoit écouté toute la conversation de Scapin, et qu'il se promet bien d'en tirer vengeance. En effet, lorsque Gilles arrive en Revenant, Arlequin, qui a eu tout le tems de prendre un costume semblable, l'effraie, le rosse, fait avouer à Scapin qu'il est le voleur des mille écus ; puis il se découvre, après avoir mis Gilles entre les mains d'un Esprit plus méchant que lui. (L'on se doute bien qu'il est question de Rosette qui arrive aussi en Revenant.) La paix se fait, Scapin rend les mille ecus, Gilles reprend sa femme, et Arlequin sa Maîtresse.

Nous nous garderons bien de mettre plus de prétention à critiquer cette Pièce qu'on n'a mis de prétention à la faire. Ceux qui ont vu jadis le Revenant au Théâtre des Variétés, y reconnaîtront facilement le même cannevas et presque la même marche. Quant au style, nous avons essayé d'en donner un échantillon par notre Extrait. Quant aux Artistes qui y. ont représenté, nous aurons encore peu de choses à en dire. M. Chapelle a mis dans le rôle de Cassandre le naturel et la gaieté qu'on lui connoît. M. Léger a été, dans rôle de Gilles, ce qu'il est dans les Gilles. M. Laporte a tiré du rôle d'Arlequin tout le parti qu'on peut tirer d'un assez mauvais rôle, et a fait trouver aimable bien des choses qui ne l'étoient guère. Mlle Blosseville a récité le sien tout couramment, sans manquer un seul mot. M. Lenoble n'a pas dit le sien aussi couramment ; mais en récompense, il y a mis de l'intelligence lorsque sa mémoire ne lui a pas fait banqueroute. Enfin Mlle Hélène a tiré parti du sien. Elle fait des progrès visibles ; sa prononciation est beaucoup plus nette, son jeu plus décent ; on voit enfin qu'elle sent ce qu'elle dit ; il seroit à souhaiter maintenant qu'elle fût un peu plus à la Scène, et qu'elle mît plus de nuances dans sa diction.

A la fin de la Pièce, Arlequin a chanté le couplet suivant, sur un air nouveau :

Notre siècle est rempli de Sages,
On le voit bien à leurs Écrits ;
Grâces à leurs doctes Ouvrages,
Nous ne croyons plus aux Esprits.
Pourtant, si vous croyez utile
De nous rendre un peu plus Croyans,
Venez souvent au Vaudeville,
Et nous croirons aux Revenans.

Ce petit couplet a satisfait le Public qui l'a beaucoup applaudi, quoique le dénouement l'eût un peu refroidi. On a demandé l'Auteur, qui a été nommé, et accueilli par acclamations.

On avoit donné, en premier, une Représentation de Nice, Vaudeville en un acte, à la fin duquel M. Julien, qui remplissoir le rôle principal, a annoncé la Pièce nouvelle, par le Couplet suivant, sur l'air de la Prise de tabac :

Souvent, grâce à notre folie,
Les Morts ont fait peur aux Vivans ;
Étant enfans, je le parie,
Vous aviez peur des Revenans (bis)
Si le courage est nécessaire,
Aujourd'hui ce n'est que pour nous ;
Car ici, par un sort contraire,
Les Revenans ont peur de vous.

D'après la base César, la pièce a été jouée 24 fois au Théâtre du Vaudeville du 15 avril 1798 au 11 août 1799 (20 fois en 1798, 4 fois en 1799)

 

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