Raoul Barbebleue

Raoul Barbebleue, comédie en trois actes et en prose mêlée d’ariettes, paroles de M. Sédaine, musique de M. Grétry, 2 mars 1789.

Théâtre Italien.

Titre :

Raoul Barbebleue

Genre

comédie mêlée d’ariettes

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

prose avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

2 mars 1789

Théâtre :

Théâtre Italien

Auteur(s) des paroles :

M. Sedaine

Compositeur(s) :

M. Grétry

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1789, tome IV (avril 1789), p. 315-320 :

[Compte rendu très systématique de la pièce : l’intrigue est longuement expliquée, pour en éclairer les aspects les moins évidents (souci de vraisemblance). Pour le style, la question est écartée : Sédaine ne se soucie pas de bien écrire. A quelques longueurs près, la pièce est bien construite (c’est une des qualités de Sédaine de savoir « amener des situations »). Et la musique est bien adaptée à la pièce, par ailleurs bien jouée.]

Le lundi 2 mars, on a représenté pour la premiere fois, Raoul Barbebleue, comédie nouvelle en trois actes & en prose mêlée d'ariettes, paroles de M. Sédaine, musique de M. Grétry.

Le titre de cet ouvrage indique suffisamment la source d'où il est tiré. Voyons comment on a profité du modele, que tout le monde connoît.

Isaure aime Vergy, & elle en est aimée ; mais les freres d’Isaure ne trouvent point son amant assez riche, ni d'une noblesse assez ancienne, pour approuver leur union. Vergy a reçu les sermens d'Isaure, & elle ne veut point d'autre époux Raoul Barbebleue a demandé Isaure en mariage. Ses richesses, son titre de prince souverain l'ont fait accueillir favorablement par les freres, & il se présente précédé de présens magnifiques. Isaure le reçoit d'abord avec indifférence ; mais l’aspect de ses richesses, l'amour de la parure, la vanité, font chanceler les premiers sentimens de la belle. Ce qu'elle doit à ses freres, à son
nom, la crainte des dangers que Vergy pourra courir si elle le préfere à Raoul, toutes ces idées la tourmentent, & elle se flatte que Vergy sera assez généreux pour se sacrifier au bonheur de son amante. En effet, le très-généreux Vergy ne se fait pas presser pour rendre à Isaure ses sermens ; en conséquence , quand Raoul paroît, elle obéit à ses freres, & elle marche à l'autel.

Au second acte, Isaure est mariée. Raoul, qui a déja tué trois femmes parce qu'elles étoient curieuses, & parce qu'on lui avoit prédit que la curiosité d'une femme causeroit sa mort, Raoul veut éprouver la quatrieme. En la quittant pour aller visiter ses domaines, il lui confie les clefs de tous ses trésors, & lui recommande de ne point se servir de la derniere qu'il lui remet. Cette clef ouvre un cabinet qu'il lui indique, & de obéissance d'Isaure doit résulter son bonheur ou son malheur. Quand il va partir, on lui annonce l'arrivée d'une dame qui demande à être introduite dans le château. Cette dame prétendue est Vergy lui-même, qui, inquiet de la destinée de sa bien-aimée, a pris le nom d'une sœur qu'Isaure a perdue, pour arriver auprès d'elle.

Raoul, qui connoît vraisemblablement très-mal les parens de la femme qu'il a épousée, reçoit fort bien la fausse sœur , & se réjouit même de son arrivée. Il recommande qu'on ait pour elle les plus grands égards, & il sort. Vergy témoigne à Isaure ses craintes, ses soupçons ; il parle avec émotion des trois premieres femmes de Raoul : il l'engage à respecter les ordres de son époux. Isaure, de son côté, le blâme de son indiscrétion, lui remontre qu'il a exposé ses jours & son honneur en entrant dans le château, & l'engage à se retirer. Restée seule, la curiosité la sollicite ; elle y cede bientôt, entre dans le cabinet, & en sort avec des cris affreux, le trouble & la mort dans l'ame. A ses cris, Vergy revient, la questionne, entre dans le réduit fatal, le quitte avec horreur, & vient dire ce qu'il y a vu. Trois corps , trois têtes attachées sur un poteau, avec cet écriteau : Curiosité punie. Après quelques gémissemens, on espere qu'en gardant le silence sur ce qu'on a vu, & en fermant le cabinet, Raoul ne s'appercevra de rien ; mais la clef se brise dans la serrure. Le sort qui attend l'infortunée, n'est plus équivoque ; on cherche à intéresser un vieux serviteur de Raoul ; on attend de lui qu'il favorisera la fuite des deux sœurs. Vain espoir ! Quand Raoul a quitté le château, le pont-levis ne se baisse qu'à son retour. Il faut pourtant chercher des ressources. Vergy écrit, on attache sa lettre avec une pierre à un roseau , on la lance au-delà du fossé ; un page la ramasse, monte à cheval, & la porte aux freres d'Isaure. En attendant ce qui arrivera, les vassaux de Raoul donnent une fête champêtre à la belle Isaure. Cette fête termine le second acte.

Au troisieme acte, on attend Raoul ; il vient, demande ses clefs. Isaure tremble, dit qu'elle va les chercher. Pendant son absence, la clef cassée instruit Raoul de tout. La mort d'Isaure est résolue ; en vain elle tombe aux pieds de son époux, il est inflexible. Les prieres, les discours de la fausse sœur ne produisent pas plus d'effet. Raoul descend dans le souterrain du cabinet, & ordonne à sa femme d'y descendre quand il l'appellera. Vergy se place à une fenêtre qui donne sur la campagne ; & Isaure lui demande s'il ne voit rien venir. Raoul appelle, on lui demande du tems ; enfin Vergy voit des cavaliers qui accourent. Raoul remonte à l'instant , veut entraîner sa femme ; Vergy se fait connoître, propose un combat singulier, que Raoul refuse. Il met le jeune-homme sous le glaive de ses gardes ; il se saisit d'Isaure quand les portes sont enfoncées. Les freres d'Isaure arrivent avec main-forte ; on repousse la garde de Raoul, qui succombe bientôt lui même sous les coups d'un écuyer qui s'attache à lui seul. Vergy épouse lsaure.

Voilà l'analyse, exacte autant que possible, de Raoul Barbebleue. Nous ne parlerons pas du style, parce que M. Sédaine paroît avoir toujours dédaigné d'écrire. Il s'est fait une maniere qui sans doute ne trouvera guere d'imitateurs. Quant au fonds de l'ouvrage, nous examinerons les observations qu'on a faites publiquement, & rien de plus. On a trouvé que Vergy devoit aimer peu, puisqu'il rendoit si facilement à lsaure ses sermens Cette réflexion peut être fausse pour ceux qui connoissent les premieres mœurs de la chevalerie. On a demandé pourquoi M. Sédaine introduisoit Vergy chez Raoul ; on a remarqué que c'étoit donner à celui-ci des armes contre sa femme. L'auteur a senti cette faute, puisqu'il la fait lui-même relever par Isaure : il avoit besoin de Vergy, il ne peut avoir d'autre excuse. La clef se casse ; pourquoi se casse-t-elle ? Si elle ne se brisoit point, comment Raoul sauroit-il ce qui s'est pscsé ? M. Sédaine ne nous a point mis à même de résoudre cette question. La fête, à la fin du second acte, est déplacée. Il y a dans cette fête intention de contraste; mais comme ce contraste laisse languir l'action dont il veut remplir le vide, il est difficile de repousser l'objection. Vergy, chevalier, amant d'Isaure, joue un rôle foible auprès de sa maîtresse, qui ne peut attendre que la mort : la sœur Anne, une femme timide, hors d'état de défendre Isaure, auroit donné à la situation plus d'intérêt. Cela peut être ; mais l'auteur a eu soin de ne point donner d'armes à Vergy ; & puisqu'il falloit rendre Isaure heureuse à la fin de la piece, en lui faisant épouser son amant, il falloit bien qu'il fût là. Pourquoi n'est-ce- pas un frere d’Isaure qui tue Raoul ? C'est peut-être la faute des acteurs.

Au reste, cet ouvrage, où il n'y a pas le mot pour rire, eſt une véritable tragédie, dans toute l'étendue du terme. Mais M. Sédaine n'a probablement cherché qu'à amener des situations ; & il faut convenir qu'il y a souvent réussi Celle où se trouve Isaure, après avoir satisfait ses désirs curieux ; le moment où elle rend les clefs à Raoul, & celui où, n'attendant plus que la mort, elle demande à son amant s'il ne voit rien venir, sont vraiment de nature à intéresser vivement, & suffisent pour assurer le succès de ce drame. Il a été, en général, très-applaudi ; & il le sera, sans doute, encore davantage, quand on en aura fait disparoître des longueurs, qui en refroidissent l'action.

La musique, composée par M. Grétry, est bien propre à soutenir sa réputation : obligé d'y prendre souvent un ton très-élevé ; il a eu l'art d'en descendre par des transitions fort heureuses, & d'allier aux cris de la fureur & de la vengeance, les accens les plus sensibles & les plus douloureux. Plus cette composition sera entendue, plus elle sera goûtée.

Cette piece a été établie avec soin. Mad. Dugazon, chargée du rôle d'Iſaure, en a rendu tous les détails & toutes les nuances, avec une vérité & une expression qui ont souvent arraché des larmes. Mrs. Michu & Chenard se sont fort bien acquittés, l'un du rôle de Vergy, & l'autre de celui de Raoul.

L’article de l’Esprit des journaux français et étrangers reprend pour l’essentiel l’article du , n° 11, du 14 février 1789, p. 93-99. Il diffère pourtant à la fin (les trois derniers paragraphes, à partir de « Au reste, cet ouvrage... ». Les changements apportés gomment des aspects importants mis en lumière par le Mercure de France : la question du genre, liée à celle de la liberté des théâtres ; la question des convenances, toujours épineuse ; le jeu des acteurs (les diffiérences sont sensibles d’une rédaction à l’autre).

Mercure de France, n° 11 du 14 février, p. 98-99 :

Il y a de l’intérêt dans l'Ouvrage, mais quand il y en a, il découle toujours d'incidens ou de situations atroces. Nous craignons que cela ne soit vrai. De pareils sujets ne devroient jamais être portés sur la Scène, & sur-tout sur la Scène Lyrique. Nous le voudrions. On appelle Raoul une Comédie , & on a tort. Oui, on a tort ; mais la Tragédie est interdite au Théatre Italien : il falloit un titre à l'Auteur.

La musique a fait un plaisir général. Des motifs heureux & pleins de mélodie y tranchent avec des morceaux de la plus vigoureuse expression. Les caractères sont bien saisis, bien observés, bien en opposition. L'orchestre offre dans les accompagnemens, des intentions dramatiques très savantes, & qui produisent un grand effet. Pour tout dire, plus cette composition sera entendue, plus elle sera goûtée.

Le rôle ingrat & difficile de Raoul a fait beaucoup d'honneur à M. Chenard. Madame Dugazon a montré dans Isaure un talent d'autant plus distingué, qu'à compter du nœud de la Pièce, elle est toujours dans la même situation, & qu'elle a su varier son expression sans quitter la ligne sur laquelle est placé l'intérêt de son personnage.

D’après la base César, la pièce a été abondamment jouée au Théâtre Italien tout au long de la dernière décennie du XVIIIe siècle : 20 fois en 1789 (à compter du 2 mars), 9 fois en 1790, 15 en 1791, 14 en 1792, 12 en 1793, 5 fois en 1794, 9 fois en 1795, 9 fois en 1796, 11 fois en 1797, 2 fois en 1798, 5 fois en 1799 (soit 111 représentations parisiennes, auxquelles s’ajoutent 3 représentations au Théâtre de Caen, en 1791 et 1792).

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