Le Sigisbé, ou le Fat corrigé

Le Sigisbé, ou le Fat corrigé, opéra en trois actes et en vers, paroles de Marmontel, musique de Louis Piccinni. 5 ventose an 12 [25 février 1804].

Théâtre de l'Opéra Comique

Titre :

Sigisbé (le), ou le Fat corrigé

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

vers

Musique :

oui

Date de création :

5 ventose an 12 (25 février 1804)

Théâtre :

Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Marmontel

Compositeur(s) :

Louis Piccinni

Almanach des Muses 1805

Horace, jeune fat sans expérience, a quitté Caroline qu'il devait épouser, et depuis huit jours est devenu le sigisbé d’Éléonore, femme du sénateur Fabio. Caroline, après la mort de son père, vient chercher un asile dans cette maison, et instruit Eléonore ainsi que Fabio de l'infidélité de son amant. Ceux-ci lui promettent de le punir.

Eléonore donne un rendez-vous à Horace ; mais un orage survient, et le mari ne dort pas. Horace est contraint de sauter par un balcon : on l'arrête, on le jette dans une prison ou il n'a que le choix ou de mourir, ou d'épouser une demoiselle voilée qu'on lui amène. Il se décide enfin à ce dernier parti et reconnaît Caroline qu'il regrettait d'avoir abandonnée.

Dialogue facile et spirituel, du comique, musique agréable, du succès.

Courrier des spectacles, n° 2556 du 6 ventôse an 12 [26 février 1804], p. 2 :

[Sur un livret posthume de Marmontel, la musique d’un débutant, fils d’un compositeur illustre. Le public était venu nombreux, mais la pièce, qui a eu du succès, a paru froide, avec des longueurs dans les dialogues. Mais il y avait aussi «  des scenes bien faites et agréablement filées, des surprises habilement amenées », et le dialogue est « digne de Marmontel » : une garantie de qualité. Le critique détaille ensuite points positifs (une scène « très plaisante » au premier acte, hélas un peu répétée dans la scène suivante) et points moins positifs (après un premier acte « assez bien accueilli », l’acte deux l’a été moins favorablement, et le troisième a failli mal tourner et a été sauvé par un couplet, dont le pouvoir est égal à l’Opéra-Comique à ce qu’il est au Vaudeville : le compositeur a été nommé et a paru. Toutefois le critique met en garde le jeune compositeur : s’il a été applaudi, c’est pour l’encourager, et sa musique montre certes de la facilité, mais elle est aussi monotone et manque de vigueur. Il cite essentiellement deux passages remarqués. L’analyse du sujet est centrée sur la volonté d’une jeune femme de retrouver celui qui se prend pour un Sigisbé aux pieds d’une rivale. Celle-ci et son mari font tomber le séducteur dans un piège, et le contraignent à épouser une mystérieuse jeune femme, qui n’est autre que celle qu’il voulait abandonner. (et qu’il regrettait d’avoir abandonnée). Il ne reste plus qu’à souligner le talent des deux interprètes principaux, et de l’ensemble dont ont fait preuve les autres.]

Théâtre Feydeau.

Première représentation de Sigisbé, ou le Fat corrigé.

Cet ouvrage posthume de Marmontel, mis eu musique par Louis Piccinni, fils du célèbre compositeur de ce nom, avoit attiré une foule de curieux. Il a obtenu du succès, mais en général il a paru froid, et quoique les actes en soient assez courts les longueurs dans le dialogue ont refroidi plusieurs fois l’attention du spectateur. Il y a cependant, et le dialogue, sauf quelques négligences, est digne de Marmontel.

Le premier acte sur-tout offre une scene très-plaisante, celle où Eléonore effraie et rassure tour-à-tour Horace, en lui peignant les dangers auxquels s’expose un Sigisbé galant et entreprenant, et en feignant ensuite de céder à ses instances amoureuses. Il est malheureux que la même situation se retrouve en partie dans la scene suivante, lorsque Fabio vient renouveler et augmenter les allarmes du Sigisbé, en racontant qu’il a été témoin de la mort de deux ou trois galans de cette espece que l’on a fait sauter dans le canal à Venise.

Ce premier acte a été assez bien accueilli, le second l’a été moins favorablement, et le troisième auroit été peut-être suivi de signes manifestes d’improbation, mais un couplet (et un couplet est quelquefois assez puissant à l’Opéra-Comique comme au vaudeville pour changer en un instant la face des choses), un couplet chanté par Gavaudan, en l’honneur de l’auteur de Sylvain et Lucile, etc., a étouffé les murmures , et les applaudissemens qui se sont alors fait entendre ont enhardi quelques personnes à demander l’auteur de la musique. M. Louis Piccinni a été amené sur le théâtre et accueilli par des marques flatteuses de la satisfaction générale. Cependant il ne doit pas se dissimuler que c’est sur-tout à titre d’encouragement qu’il les a reçus. Car si son coup d’essai sur notre scene lyrique annonce de la facilité, on a pu lui reprocher aussi de la monotonie, et peu de vigueur. On a cependant distingué au premier acte trois couplets chantés par madame Scio sur les devoirs du Sigisbé, et le quinque qui le termine. Ces deux morceaux sont bien écrits et font honneur au talent du musicien.

Horace, jeune homme encore sans expérience, a quitté Caroline, fille de Lelio, qu’il devoit épouse , et depuis huit jours il est devenu le Sigisbé d’Eléonore, femme du sénateur Fabio. Caroline vient après la mort de son pere chercher un asyle dans cette maison, et lorsqu’elle fait part de l’infidélité d’Horace, Eléonore et Fabio lui promettent de le faire renoncer à son emploi.

Eléonore lui donne un rendez vous vers minuit. Horace, quoique poltron, se trouve à l’heure et au lieu indiqués. Un orage survient, on l’introduit ; mais le mari ne dort pas. Il se sauve sur un balcon, d’où il saute par frayeur dans la cour : on l’arrête, on le jette dans une prison, où il n’a que le choix ou de mourir, ou d’épouser une demoiselle voilée que l’on amene. Il se décide enfin à ce dernier parti, et reconnoit Caroline , qu’il regrettoit d’avoir abandonnée.

Le rôle d’Eléonore, qui est la cheville ouvriere de cet ouvrage, ainsi que celui du Sigisbé, sont parfaitement rendus par mad. Scio - Messié et M. Gavaudan.

Les autres rôles sont joués avec beaucoup d’ensemble par MM. Solié, Dozainville, et mesd, Gavaudan et Desbrosses.

F. J. B. P. G***.          

Mercure de France, littéraire et politique, tome quinzième (an xii), n° CXL du 12Ventose an 12 (Samedi 3 Mars 1804), p. 517-519 :

[L’article s’ouvre sur un aveu de déception : le critique voulait savoir ce qu’est un Sigisbé, élément typique de la galanterie italienne, et il n’a pas appris grand chose. La pièce a simplement montré « un fat qui, pour toute punition, épouse sa maîtresse ». L’action annoncée comme « très-simple », est ensuite résumée (et elle ne paraît pas si simple que cela), avant de porter un jugement sévère sur le livret de feu Marmontel, qu’on aurait pu d’après lui laisser dans « l'oubli auquel il semblait » avoir été condamné. Son héros est un niais et un poltron, dont on s’étonne que sa maîtresse le recherche. Même la fermeté qu’il montre à la fin ne rachète pas sa lâcheté initiale. Grâce à quelques scènes réussies et la qualité de sinterprètes, la pièce a pu aller à son terme. Un couplet final à la gloire de Marmontel a eu un effet posotif sur le succès de la pièce. Le musicien a été demandé, mais le critique ne prend pas position sur son travail : « Les journalistes sont divisés sur le mérite de la musique ; ce serait aux connaisseurs de prononcer. » Prudence plutôt étonnante, et peut-être inquiétante !]

Théâtre Feydeau.

Le Sigisbé, opéra en trois actes et en vers, de feu M. Marmontel, musique de M. Louis Piccinni.

Le Sigisbé a complètement trompé notre attente. Nous espérions qu'on nous ferait bien connaître la galanterie italienne, et sur-tout la nature des droits et des fonctions du Sigisbé, desquels on parle diversement. Nous sommes revenus du spectacle tout aussi peu instruits sur ce point que nous y étions allés. Nous avons vu une mystification un peu moins longue que celle du Trésor ; une action dont la scène, en supprimant le nom de Sigisbé, et avec très-peu de changement d'ailleurs, eût pu être placée en France comme en Italie ; un fat qui, pour toute punition, épouse sa maîtresse.

L'action est très-simple, et aurait pu être renfermée en un acte. Horace devait épouser Caroline, fille de Lélio, qui lui est tendrement attachée. Mais depuis huit jours, il est le Sigisbé de la femme du sénateur Fabio, qu'il n'a pourtant pas vue ; ce qu'on expliquera comme on pourra. Sa vanité lui persuade qu'il sera glorieux pour lui de se faire aimer de la femme d'un sénateur, et son amour propre, que rien ne sera plus facile. Instruite de ce projet, sa maîtresse vient s'en plaindre à Fabio, qui était l'ami de son père. Fabio charge une cantatrice de sa maison, de jouer le rôle de sa femme, et de berner l'infidèle.

La cantatrice y consent, emploie toutes les ruses de la coquetterie, pour faire croire à Horace qu'elle est sensible à son mérite, et lui donne un rendez-vous pour la nuit suivante. Fabio vient porter la terreur dans l'ame du Sigisbé, en lui contant les tragiques aventures de plusieurs galans sacrifiés à la jalousie des époux qu'ils avaient outragés. Horace, poltron à l'excès, voudrait pouvoir se dérober à sa bonne fortune. Le tonnerre se fait entendre ; il lui rend grâce comme à un libérateur, croyant qu'il fera manquer le rendez-vous ; mais une duègne vient le chercher, et il la suit en gémissant de son bonheur. On le force à se réfugier sur un balcon, où il est exposé à l'orage, puis à sauter du balcon dans la cour : il y trouve une corde à l'aide de laquelle il veut escalader les murs ; mais elle tenait à une grosse cloche. Le sénateur et tous ses gens accourent. On jette le galant dans une espèce de prison, où un notaire vient lui proposer de faire bien vite son testament. Confus et repentant, il lègue tous ses biens à Caroline. On lui apporte un breuvage empoisonné qu'il doit avaler, à moins que pour calmer, dit-on, les craintes jalouses du sénateur, il ne consente à épouser une femme voilée qu'on lui amène. Il résiste avec plus de courage qu'il n'en avait fait paraître jusque là. Sa maîtresse alors ôte le voile qui la couvrait : il tombe à ses genoux et l'épouse.

L’œuvre posthume de Marmontel, méritait, à notre avis, l'oubli auquel il semblait l'avoir condamnée. Son Sigisbé est d'une niaiserie, d'une poltronnerie qui en font un vrai paillasse. On est étonné que Caroline puisse regretter un misérable de cette espèce, et courir après lui. La fermeté qu'il témoigne à la fin de la pièce, après qu'on l'a vu si lâche pendant tout son cours, ne peut plus ennoblir ce vil et ridicule personnage. Gavaudan l'a très-bien rendu. La scène de la cloche, celle du testament, et auparavant celle de la cantatrice avec Horace, ont fait arriver le drame sans encombre jusqu'à la fin, malgré plusieurs momens de vide et d'ennui. Rien n'a plus contribué à le soutenir, que l'aisance, l'esprit, la finesse, la grâce du jeu de mad. Scio.

Un couplet très-adroit chanté à la fin de la pièce, a produit le meilleur effet, et lui a valu le demi-succès qu'elle a obtenu.

Jadis l'auteur de Lucile,
De Zémire et de Silvain,
Charma la cour et la ville ;
Tel fut son heureux destin.
Puisse aujourd'hui l'indulgence,
D'accord avec la raison,
Marquer sa reconnaissance
A l'Ami de la maison.

Le musicien a été demandé. Les journalistes sont divisés sur le mérite de la musique ; ce serait aux connaisseurs de prononcer.

Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome neuvième, prairial an XII [mai 1804], p. 246-249 :

[Le livret de la pièce est dû à Marmontel, mort en 1799. L’article détaille longuement le déroulement de l’intrigue sans prendre position sur sa valeur. Puis c’est d ela musique qu’il est question, en termes laudatifs. Elle est «  d'une facture pure et savante, mais simple et naturelle », elle s’accorde parfaitement aux paroles et aux caractères. On sent que le critique, en la décrivant de façon positive, décrit en même temps tout ce que ne doit pas être une musique : celle de Piccini ne couvre pas la voix des chanteurs, qu’on comprend (il paraît que c’est rare !), et les « accompagnemens enfin sont de véritables accompagnemens » (ils ne prennent pas le pas sur les paroles). Après une liste des meilleurs morceaux, on passe à l’interprétation, jugée remarquable.]

THÉATRE FEYDEAU.

Cigisbè, ou le Fat corrigé, comédie en trois actes et en vers ; ouvrage posthume
de Marmontel, musique de M. Louis Piccini.

Le sénateur vénitien Fabio, dont la femme est à Rome, auprès de son père, a reçu à sa maison de campagne, près de Vérone, la fameuse Gabrielle, cantatrice dont le nom est connu de toute l'Europe. Un jeune Véronais, nommé Horace, fort infatué de sa figure, vient voir Fabio :il prend Gabrielle pour la femme de ce sénateur, et se hasarde de lui faire sa cour. La cantatrice, qui voit que ce personnage , par ses galanteries ridicules, lui fournit une occasion de s’amuser, la saisit aussitôt, et voilà Gabrielle changée en dame de château, qui veut avoir un Cigisbé. Horace, qui était près d'épouser une jeune personne qu'il aimait et donc il était aimé, l'abandonne par vanité, se propose à la prétendue dame et est accepté : il la croit grande dame et prétend la séduire. La jeune .fille, dont la famille est sous la protection du sénateur, vient se plaindre à lui de l'infidélité de son amant, que Gabrielle se propose de corriger par une leçon forte. En conséquence, elle lui fait éprouver tous ses caprices ; tantôt elle le traite avec dédain, tantôt elle lui fait entrevoir des espérances ; enfin, dans une scène aussi bien filée que parfaitement jouée, elle lui donne un rendez-vous, en l'invitant à tâcher de plaire à Fabio, qu'elle dit être fort jaloux. Dans la scène suivante, peut-être plus comique encore, le sénateur expose à Horace les dangers que l'on court dans une intrigue avec des femmes de qualité. Cependant Horace, malgré sa timidité, qui n'est due qu'à son inexpérience, et on a peut-être eu tort de prendre pour la poltronerie, accepte le rendez-vous que la prétendue femme de Fabio lui donne par écrit, à la fin du premier acte.

Au second acte, il est introduit chez la dame ; mais à peine y est-il entré qu'elle entend son mari, et saisie d'une frayeur simulée, elle pousse le jeune homme sur le balcon extérieur de son appartement : ne s'y croyant pas encore en sûreté, Horace saute dans là Cour, et pour sortir de la maison il se décidé a escalader le mur, à l'aide d'une corde qu'il apperçoit ; mais cette corde tient à une cloche dont le bruit glace notre fuyard d'épouvante. On accourt à ce vacarme, on se saisit de l'Amoureux,. et il est conduit au dongeon , où il passe une nuit bien différente de celle qu'il s'était promise.

Au commencement du troisième acte, les réflexions d'Horace le conduisent naturellement à regretter sa Caroline et à gémir de son infidélité. Bientôt un des valets du sénateur, déguisé en notaire, vient lui faire signer un testament ; forcé ensuite de choisir entre une coupe qu'il suppose empoisonnée, et la main d’une fille voilée qu'on lui présente, le souvenir de Caroline exalte son imagination, et il préfère courageusement la mort, mais alors Caroline, touchée de son repentir, se dévoile ; et ils sont unis.

La musique de cet ouvrage est d'une facture pure et savante, mais simple et naturelle. On n'y trouve point de ces recherches bizarres, de ces effets déplacés, de ces éclats que quelques compositeurs modernes ont mis à la mode ; mais elle s'allie toujours avec la situation et le caractère des personnages ; elle est bien déclamée, d'une mélodie agréable, et les accompagnemens pleins d'esprit et de grace ont, en outre, le mérite très- rare aujourd'hui, de ne couvrir ni de fatiguer la voix, et de laisser constamment entendre les paroles ; ces accompagnemens enfin sont de véritables accompagnemens ; et M. Louis Piccini, instruit à une excellente école, a eu le bon esprit de n'en faire jamais la partie principale.

On a remarqué, dans le premier acte, un air chanté par Mme. Gavaudan avec beaucoup de sensibilité ; un autre air de M. Solié, où le compositeur a peint, avec une grande vérité, un homme à bonnes fortunes qui va à un rendez-vous ; l'entrée du Cigisbé et le quintetto qui termine le premier acte.

Nous ne parlons pas des couplets chantés par Mme. Scio ; presque tout le mérite de ces petits airs est dans le talent de la cantatrice et dans l'esprit des paroles ; il suffit au compositeur, d'une idée heureuse qui seule ne prouverait rien en sa faveur. Nous pouvons encore citer une jolie polonaise, au second acte, chantée par Mme. Gavaudan, avec beaucoup de grace et de légèreté ; le final du second acte, et enfin celui du troisième.

Nous ne doutons pas que cet ouvrage ne se soutienne long-temps au théâtre, et que la musique de M. Louis Piccini, ne fasse encore, par la suite, plus de plaisir, parce qu'elle sera mieux sentie et mieux entendue.

Le rôle de Cigisbé avait été confié à M. Gavaudan, qui le chante fort bien et le joue avec une perfection rare. Mme. Scio, chargée du personnage de Gabrielle, en a parfaitement saisi l'esprit ; les diverses nuances de coquetterie, de fierté, de feinte tendresse, qui rendent ce rôle un des plus difficiles qu'il y ait à l'Opéra comique: rien ne lui a échappé. Mme. Gavaudan, Mlles. Desbrosses, MM. Solié et Dozainville, dans des rôles moins importans , ont aussi su contribuer au succès de l'ouvrage.

L'attribution de la musique ne va pas de soi : on la trouve attribuée à Louis Piccinni, mais ce pourrait être une autre façon de prénommer Alexandre Piccinni,

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