Le Sultan du Havre

Le Sultan du Havre, folie-vaudeville en un acte et en prose, d'Armand Dartois et Dupin, 21 mai 1810.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Sultan du Havre (le)

Genre

folie-vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

vaudevilles

Date de création :

21 mai 1810

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Armand Dartois et Dupin

Almanach des Muses 1811.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Martinet, 1810 :

Le Sultan du Havre, folie-vaudeville en un acte et en prose, Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 21 mai 1810. Par MM. Armand Dartois et Henry Dupin.

Chassons jusqu'au moindre soupçon :
L'expérience fait connaître
Qu'un mari jaloux sans raison
A bien raison de l'être.
                            Scène II.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1810, tome III, p. 138-139 :

[C’est une arlequinade, donc elle doit une bonne part de son succès au couple d’acteurs qui joue Arlequin et Colombine. On résume l’intrigue (originale ou pas, c’est selon, le lecteur croit reconnaître d’autres histoires), on donne le nom des auteurs, et la critique est faite

Le Sultan du Hâvre, vaudeville en un acte, joué le 21 mai.

Cette pièce est une petite arlequinade qui doit une grande partie de son succès aux talens et aux grâces de M. Laporte et de Mademoiselle Minette.

Arlequin est un mari jaloux, Cassandre, son beau-père, Colombine, sa femme, Gilles et Scapin, imaginent de le corriger d'un défaut aussi rare dans ce siécle ; on lui fait faire un déjeûner sur mer ; on l'endort avec une liqueur préparée, et on le ramène à la maison de Gilles, qu'on a meublée à l'orientale. On lui persuade à son réveil qu'il a été pris, ainsi que sa femme, par un Corsaire, et qu'on va les vendre au Sultan. C'est Cassandre qui fait le sultan; Gilles, l'eunuque ; Scapin, le corsaire. Arlequin est désolé de voir que sa femme, qu'il fait passer pour sa sœur, déploye des talens qui séduisent le Sultan, et devient furieux en apprenant qu'elle passe au sérail. Reconnu pour avoir voulu tromper le Sultan, Arlequin est condamné au pal ; mais, par une grâce spéciale, on commue la peine, et il doit avoir la tête cassée ; on frappe sur une grosse caisse ; il se croit mort ; cependant il relève la tête pour s'assurer du fait ; il retrouve sa femme, son beau-père, ses amis, et s'aperçoit qu'il a été joué. Il promet de se corriger.

Cette mystification est l'ouvrage de MM. Henri Dupin et Dartois.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1810, tome VIII (août 1810), p. 285-289 :

[Ce n’est pas parce que c’est une arlequinade qu’il ne faut pas en faire une vraie critique. Point de départ : le succès des pièces où Arlequin voyage. L’auteur de l’article tient à signaler la faible vraisemblance d’un voyage Le Havre-Turquie en quelques heures et suggère de déplacer le point de départ, tout en souhaitant que, eu égard au plaisir éprouvé à la représentation, « les amateurs du vaudeville n'y regarderont pas de si près ». Le compte rendu nous doit ensuite le résumé de l’intrigue, et il s’exécute, de façon précise, et parfois ironique (« Défendre à une femme de parler ! On sent que la partie n'était pas tenable »). La ruse employée pour ramener Arlequin à de meilleurs sentiments est décrite avec beaucoup de précision, et avec la présence de Scapin, référence obligée de toute ruse recourant à un voyage en bateau. Bien sûr, tout le monde est déguisé, et le critique prend soin de justifier qu’Arlequin ne reconnaisse pas ses amis et sa famille. De même le simulacre d’exécution est raconté par le menu. Reste à porter un jugement. Le critique a senti une certaine réticence du public au moment de l’exécution. Mais l'acteur jouant Arlequin a su détendre l’atmosphère, et la pièce avait déjà fait beaucoup rire. Finalement, la pièce est considérée comme un bon vaudeville, avec de bons couplets (« il y en a de piquans, de spirituels », d’autres plus conventionnels, « sur le babil des femmes et les disgraces des maris »), et qui évitent les couplets faussement poétiques, « bouquets sans parfum et sans fraîcheur ».]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Le Sultan du Havre, folie-vaudeville en un acte, de MM. H. Dupin et Arm. Dartois.

Voici un nouvel essai qui sans doute encouragera le Vaudeville à faire voyager son Arlequin. Sa premiêre course à Alger fut très heureuse ; son voyage à Constantinople, quoiqu'imaginaire, promet d'avoir un égal succès. Les gens scrupuleux sur les vraisemblances trouveront peut être que c'est bien peu d'un sommeil de quelques heures pour supposer un voyage de France en Turquie ; ils diront encore que le Havre est un point de départ assez mal choisi, et qu'il aurait mieux valu placer la scène à Toulon ou à Marseille que dans la Manche. Ils pourraient bien avoir raison ; mais ce n'est point le spectateur, c'est arlequin qu'il faut tromper ; on sait qu'il est fort crédule et non moins ignorant en géographie ;et son aventure étant d'ailleurs fort amusante, il faut espérer que les amateurs du vaudeville n'y regarderont pas de si près,

Voici le fait. Arlequin habite le Havre où il a épousé Colombine, fille de M. Cassandre, en vertu du droit imprescriptible et héréditaire de la famille des Arlequins; mais, ce qui n'est un droit dans aucune famille, il en est excessivement jaloux. Il a battu Gilles et Scapin pour s'être trop approchés d'elle. Cassandre lui-même, le respectable Cassandre, n'a pu éviter la batte du jaloux. Il est vrai que le bonhomme s'y était exposé avec une indiscrétion indigne de son âge. Travesti en amour pour un bal masqué, il avait voulu consulter sa fille sur l'élégance de son habillement. Arlequin l'avait surpris ainsi déguisé en tête-à-téte avec Colombine, et la batte expéditive avait brisé les aîles et le carquois de Cupidon-Cassandre avant qu'il eût pu se démasquer. Cette méprise n'a même pas guéri notre jaloux ; et, pour dernier trait, il vient de défendre à Colombine de parler à d'autre qu'à lui.

Défendre à une femme de parler ! On sent que la partie n'était pas tenable ; aussi s'est-on réuni pour corriger enfin l'imprudent mari. On l'a mené déjeûner à bord d'un vaisseau mouillé en rade. On lui a fait prendre, à son insu, un breuvage soporifique, et on le rapporte endormi dans un appartement de la maison de M. Cassandre, qu'on a eu soin de décorer dans le goût oriental. Gilles en a fourni l'ameublement, Scapin a loué les costumes, et tous deux ont pris des rôles dans la comédie que l'on va jouer. En effet, Arlequin se réveille et s'apperçoit bientôt qu'il n'est pas chez lui ; il appelle Colombine : point de Colombine. Il veut aller la chercher, mais à chaque porte par laquelle il veut sortir, un Turc à larges moustaches et armé d'un sabre le force à rentrer. Cependant Colombine arrive ; il l'interroge, et la bonne pièce lui raconte comment le vaisseau sur lequel ils déjeûnaient a été surpris par un pirate ; comment lui Arlequin s'est défendu comme un lion ; comment elle, sa tendre épouse, a cédé comme une colombe ; comment le bonhomme Cassandre s'est noyé ; comment enfin le corsaire Scapella les a conduits à Constantinople où ils vont être présentés au grand seigneur. Arlequin a un peu de peine à croire toutes ces belles choses. La seule qu'il se rappelle est le déjeûner ; mais un déjeûner est pour un Arlequin une base si solide, qu'il permet enfin à Colombine d'y bâtir tout ce qu'elle veut. Comment d'ailleurs démentir le témoignage de tout ce qui va s'offrir à sa vue ; du capitaine Scapella qui vient lui reprocher d'avoir tué son lieutenant ; du chef des eunuques qui lui annonce l'arrivée de sa hautesse, et de sa hautesse elle-même qui paraît bientôt entourée de ses gardes et se place sur un divan pour l'interroger ? Il est vrai que Scapella, le chef des eunuques et le sultan, ne sont autres que Scapin, Gilles et Cassandre ; mais l'habit turc les déguise assez pour qu'il soit permis à un arlequin de ne pas les reconnaître au milieu du trouble où le jette sa nouvelle situation. Ce qui l'occupe est bien moins d'examiner tous ces personnages, que de savoir comment il jouera le sien. Ce qu'il craint le plus, c'est que Colombine plaise à sa hautesse ; il voudrait ne paraître lui-même qu'un esclave de peu de valeur, afin de n'être point renfermé dans le dangereux sérail, et de pouvoir se racheter à un prix modique. Toutes ses réponses au sultan sont faites dans cet esprit ; mais il a beau faire le modeste, la maligne Colombine dévoile tous ses talens ; elle assure qu'il chante et danse à merveille. Aussi-tôt on lui ordonne de chanter ; il veut s'en dispenser en toussant ; il demande un instrument qui l'accompagne ; mais Scapella le guérit de la toux en le menaçant d'une bastonnade, et Colombine s'offre à jouer de la harpe pour l'accompagner. On le force à danser de la même manière, et Colombine danse avec lui. Le sultan emmène ensuite Colombine, et le chef des eunuques reste seul avec Arlequin.

On peut aisément se figurer l'agitation qu'il éprouve; et pour l'achever, aux tourmens de la jalousie viennent encore se joindre les angoisses de la peur. Inspiré par l'une et par l'autre, au lieu d'avouer au sultan que Colombine était sa femme, il a déclaré qu'elle était sa sœur ; mais au moment de voir le sultan l'épouser lui-même, la jalousie domine seule et la vérité lui échappe en présence du chef du harem. Pauvre Arlequin ! Il ne sort d'un mal que pour tomber dans un pire. Tromper le sultan dans une matière aussi délicate ! Un pareil crime ne peut s'expier que par le supplice du feu. Arlequin est perdu si sa hautesse est instruite. Tout le crédit du chef des eunuques, tout l'intérêt qu'il prend à lui se réduira dans cette malheureuse affaire à obtenir qu'il ne soit qu'empalé.

Ses persécuteurs lui accordent cependant un moment de repit et d'espérance. Colombine revient habillée en jeune Turc ; on l'annonce comme le favori de sa hautesse ; elle apprend à Arlequin que le sultan garde pour lui sa prétendue sœur et lui donne le choix entre trois de ses esclaves des plus jolies, dont elle lui fait tour-à-tour le portrait. Arlequin est séduit un moment, mais son amour pour Colombine l'emporte ; il déclare que son cœur est pris et qu'il ne peut accepter le présent de sa hautesse. Colombine sort enchantée; mais l'épreuve n'est pas finie et il faut aller jusqu'au bout. On vient annoncer à Arlequin que sa femme a tout avoué et qu'il est condamné au dernier supplice. Le sultan reparaît avec sa suite et lui reproche, non seulement sa tromperie, mais la maniêre dont il s'est conduit en France avec sa femme. Arlequin s'excuse sur le premier article par un couplet qui a été fort applaudi : quant au second, il montre un grand repentir de sa jalousie et témoigne l'intention de ne plus tourmenter Colombine si on veut la lui rendre et lui pardonner. Mais Cassandre, ou plutôt Gilles et Scapin sont inflexibles. Arlequin doit mourir d'un coup de canon. On lui bande les yeux, on le fait mettre à genoux ; puis on apporte une grosse caisse ; un coup de baguette imite le bruit du canon ; Arlequin tombe ; il se croit mort ; ce n'est qu'au bout de quelques minutes qu'il se relève, et qu'en ôtant le mouchoir qui lui couvrait les yeux, il reconnaît Cassandre et Colombine sous leur costume habituel. La mystification dont il vient d'être l'objet s'explique alors d'elle même, et quoiqu'il fût en droit de la trouver un peu forte, il n'hésite point à la pardonner. Nous avons craint un moment que le public ne la jugeât avec moins d'indulgence. Cet appareil de supplice, tout grotesque qu'il était, a déplu. On a trouvé que c'était mettre Arlequin à une épreuve trop cruelle; il a fallu toutes les grâces de Laporte pour faire supporter le moment où il se croit frappé à mort, mais elles n'en ont point égayé la tristesse. Heureusement on avait déjà beaucoup ri. La pièce, dans son ensemble, est du véritable genre du vaudeville. Les couplets sont exempts d'affectation ; il y en a de piquans, de spirituels, et si quelques uns ne contiennent que des plaisanteries rebattues sur le babil des femmes et les disgraces des maris, ce sont au moins des lieux communs meilleurs à rebattre que ceux des zéphyrs, des roses, des épines et de toutes les fleurs dont on nous compose trop souvent, à ce théâtre, des bouquets sans parfum et sans fraîcheur.

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