Scipion l’Africain

Scipion l’Africain, trait historique en un acte, avec un prologue, de Billardon de Sauvigny, 20 Nivôse an 6 [9 janvier 1798].

Théâtre de la République

Titre :

Scipion l’Africain

Genre

« ni une tragédie , ni une comédie, ni un drame »

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

20 nivôse an VI (9 janvier 1798)

Théâtre :

Théâtre de la République

Auteur(s) des paroles :

[Billardon de] Sauvigny

Almanach des Muses 1799.

Pièce de circonstance, hommage rendu au héros de l’Italie.

Pièce en un acte et en vers, de Sauvigny, jouée le 20 nivôse an 6 (9 janvier 1798). Elle s'inscrit dans une riche série de pièces à la gloire de Bonaparte, héros des guerres d'Italie, et futur conquérant de l'Angleterre...

Courrier des spectacles, n° 323 du 21 nivôse an 6 [10 janvier 1798], p. 2-3 :

[Objet dramatique en un acte, la pièce est définie de façon négative avant d’être décrite comme « une seule scène, dans laquelle on représente le trait de Scipion, empêchant la noblesse Romaine d’abandonner Rome ». Mais le critique juge sévèrement la façon dont est présenté un Marcellus imaginaire, qui fait penser au Marcellus de l’histoire, qui n’était « sûrement pas l’efféminé Marcellus qu’on peint dans cet ouvrage » et quis ert simplement de faire-valoir à Scipion, mis en parallèle avec Bonaparte : le critique remercie l’auteur « d’avoir saisi l’occasion de célébrer le héros Français » à travers le héros romain avec lequel il a tant de traits communs. Avant la pièce, un prologue permet à l’auteur d’expliquer ce qu’est sa pièce, « d’un genre nouveau » selon l’auteur, et qu’il présente de façon fort peu modeste. Le ton du critique est ici sarcastique : il a eu l’impression que l’auteur, aux œuvres peu connues, s’égalait aux plus grands classiques. Demandé, l’auteur n’a pas paru. Reste à évoquer la distribution : l’acteur qui joue dans le prologue un rôle de marchand a trop chargé son rôle. Un acteur qui a très bien joué le rôle de Scipion est un vrai acteur de tragédie. Un troisième a joué avec chaleur le rôle de Marcellus, alors qu’un autre « a mis trop de monotonie dans celui de Lélius », un rôle « très-foible », mais il fallait d’autant plus « le soigner ».]

Théâtre de la République.

La pièce donnée hier à ce théâtre sous le titre de Scipion l’Africain, n’est ni comédie, ni tragédie, pas même drame. Qu’est-ce que c’est donc ? on pourrait dire une seule scène, dans laquelle on représente le trait de Scipion, empêchant la noblesse Romaine d’abandonner Rome. Le personnage de Marcellus qui engage les Romains à quitter leur patrie, est imaginaire, et d’autant plus mal inventé, que vers le même temps exista le célèbre Marcus Claudius Marcellus, général Romain, qui vainquit deux fois Annibal, et qui n’est sûrement pas l’efféminé Marcellus qu’on peint dans cet ouvrage, dont le seul mérite consiste à présenter un parallèle assez heureux entre Scipion et Buonaparte. On doit savoir gré à l’auteur de cette pièce d’avoir saisi l’occasion de célébrer le héros Français, en mettant sur la scène un grand homme avec lequel il a tant de ressemblance, qu’il a été aisé de le reconnoître bientôt, et de faire de nombreuses applications. Le public a applaudi à plusieurs reprises ce passage non équivoque :

                                          Et c’est à vingt-huit ans
Qu’il a presque effacé nos plus grands conquérons.

Le prologue qui précède cet ouvrage est une conversation entre un marchand de la rue Saint-Denis, qui vient au spectacle, et un des acteurs qui doit jouer dans la pièce nouvelle, prologue dans lequel l’auteur apprend que la pièce que l'on va représenter est d'un genre nouveau. Si l’auteur ne lui fait pas dire que ce genre est au-dessus de celui de Molière et de Racine, on voit que c’est par pure modestie, car il se contente de décrier l’auteur de Phèdre, qui n'a sûrement rien fait qui égale les Illinois, la Mort de Socrate, ni même Scipion l’Africain. Comme il se pourrait faire que grand nombre de mes lecteurs ne connussent pas aux titres des deux premiers ouvrages quel est l’auteur du dernier, je crois devoir leur apprendre que c'est le cit. Sauvigny, qui a été demandé , mais qui n’a pas paru, au grand regret de ses amis qui auraient fort désiré le voir.

Le cit. Dugazon. qui avoit fait beaucoup rire dans la petite comédie des Héritiers, quoiqu’en chargeant un peu son rôle, a tellement chargé celui du marchand dans le prologue, qu’on n’a pas entendu la moitié de ce qu’il a dit.

Le cit. Baptiste ainé a donné une couleur mâle au personnage de Scipion, qu’il a parfaitement rendu. On eut dit qu’il jouissoit d’être appelé à représenter Buonaparte, que le public, dans son transport, avoit mis à la place du héros Romain. On peut dire en général que cet acteur saisit admirablement tous ses rôles, et quelqu’agréable qu’il soit dans la comédie, il semble qu’attendu sa taille et son maintien, il est mieux placé dans la tragédie.

Le personnage de Marcellus a été joué avec chaleur par le cit. Després. A l’égard des autres rôles, ils sont peu importans ; j'observerai seulement que le cit. Brion a mis trop de monotone dans celui de Lélius. Il est vrai que le rôle est très-foible, mais c’étoit peut-être une raison pour le soigner d’avantage.

L. P.           

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1798 (vingt-septième année), tome II (février 1798, pluviôse, an VI), p. 196-198 :

[Dans ce sujet emprunté à l’histoire romaine, c’est la dimension politique qui intéresse le critique, au point qu’il se dispense de nous faire le résumé de l’intrigue : l’auteur est soupçonné d’avoir voulu rendre un hommage de plus « au héros de l'Italie », Bonaparte. Mais cet hommage est jugé apparemment peu adapté à son sujet, et être « un fardeau » plus qu’un plaisir. La question de l’écriture semble être au coeur de la réflexion : si le style n’est pas sans mérite, l’auteur a voulu « diminuer un peu la hauteur du cothurne », ce qui se manifeste dans le prologue, où il fait parler la nourrice de Scipion avec « un langage plus rapproché du naturel », ce qui aboutit à un « mélange disparate du langage populaire & de celui de Melpomène ». Pour le critique, c’est ramener « l'art tragique au quatorzième siècle ». L’exemple donné montre ce que peut produire sur le plan de l’art un tel présupposé. Indignation du critique : l’art n’a pas à imiter servilement le parler des personnages, imiter suppose d’épurer, et de faire « mieux que la nature ». Le débat s’élargit : l’esprit républicain n’est pas synonyme de nivellement, comme dans le « système de Robespierre, dont les effets destructeurs sont rappelés.]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE

Scipion l'Africain.

Ce n'est, à proprement parler, ni une tragédie , ni une comédie, ni un drame que la pièce en un acte intitulée : Scipion l'Africain ; c'est un de ces opuscules de circonstance qui servent de prétexte aux allusions du moment, & qui profitent de cette ressource pour se montrer quelques jours & retomber ensuite dans l'oubli le plus profond.

L'auteur n'a eu probablement en vue que de donner un millième témoignage de l'admiration & de la reconnoissance nationale au héros de l'Italie, au pacificateur du continent : mais quand on connoît le caractère d'un grand homme ; quand on sait qu'il aime mieux mériter sa gloire que d'en entendre toujours parler, il me semble qu'il faudroit le servir selon son goût, craindre de lui faire un fardeau de sa célébrité, ou lui assaisonner du moins la louange de manière à la lui faire goûter malgré lui.

Au surplus, l'ouvrage considéré seulement comme de circonstance, n'est pas sans mérite du côté du style ; il annonce une plume exercée : on y trouve cependant des taches impardonnables, mais qui tiennent sans doute à l'intention expresse que l'auteur avoit témoignée dans son prologue, de diminuer un peu la hauteur du cothurne.

C'est surtout ce prologue qui dut affliger, révolter même les gens de goût, en voyant un homme de lettres distingué, auteur des Illinois, de la Mort de Socrate, de Gabrielle d'Etrées, ravaler lui-même la dignité d'un art, dont il a prouvé qu'il avoit la connoissance, le goût & le sentiment, retrécir la carrière au lieu d'en reculer les limites, & sous le faux prétexte d'une imitation plus vraie de la nature, introduire le mélange disparate du langage populaire & de celui de Melpomène. C'est là qu'on n'a pas dû entendre dire sans un frémissement d'indignation poétique, que la nourrice de Scipion devoit parler un langage plus rapproché du naturel que la nourrice de Phèdre dans le divin Racine. On attendoit, d'après cette assertion bizarre, à la voir parler en prose & même en patois.

Comment le C. S***. n'a-t-il pas senti qu'il ramenoit ainsi l'art tragique au quatorzième siècle ? Qu'il donnoit, comme l'hôtel Rambouillet, la victoire à Pradon sur Racine ? N'est - il pas plus naturel, en effet, de dire comme l'Hypolite de Pradon :

Depuis que je vous vois, j'abandonne la chasse.

Que de dire comme celui de Racine :

Mon arc, mes javelots , non char, tout m’importune.

Ah ! laissons à la médiocrité l'Espoir de déprécier ce qu'elle ne peut atteindre ; refléchissez que par suite d'un principe semblable, il faudrait faire parler le peuple sur la scène, comme le trop fameux père Duchesne le faisoit parler dans ses feuilles dégoûtantes ; & disons-nous bien au sujet de limitation, que les arts doivent avoir pour but :

L'art n'est qu'imitateur : mais il corrige, épure,
Et l'art, quand il fait bien, fait mieux que la nature.

Le comble de la bizarrerie est surtout de penser que l'esprit républicain consiste à niveler tout, jusqu'aux esprits. Ah ! nous n'avons que trop éprouvé combien étoit désastreux ce systême de Robespierre & de ses vandales complices : ils conduisirent, en peu de mois, la nation la plus illustre & la plus éclairée à la dégradation apparente la plus complète, & la firent passer du mépris des lumières à la confusion, bientôt à l'oubli des principes sociaux, & même à celui des affections précieuses qui nous furent données pour notre bonheur.

Cessons donc de calomnier les républiques, en leur prêtant des vues étroites, pusillanimes & barbares, surtout en les croyant sans cesse inconciliables avec la perfection des arts ; & répétons-nous bien que, si c'est le courage qui les fonde, ce sont eux seuls qui éternisent.

Dans le Théâtre révolutionnaire (1788-1799), Paris, 1869,p. 416-417, E. Jauffret juge sévèrement la pièce :

Scipion l'Africain est une pièce informe, que le public n'aurait pas eu la patience d'entendre jusqu'au bout, si l'auteur ne s'était en quelque sorte placé sous la protection du nom glorieux de Bonaparte, dont son œuvre n'avait pour but que de célébrer les hauts faits. Elle est remplie des plus violentes imprécations contre le gouvernement britannique. On sait que le Directoire avait fait inscrire dans tous les lieux publics cette devise : Guerre au gouvernement de la Grande-Bretagne. Le citoyen Sauvigny, autrefois Billardon de Sauvigny, ex-garde du corps du roi de.Pologne, Stanislas-Auguste, ex-poète privilégié de madame du Barry, ex-censeur royal par la protection de la duchesse de Chartres, le citoyen Sauvigny s'était inspiré de cette menace ; mais, en dépit de son patriotisme, Apollon était resté sourd à sa voix.

Henri Welschinger, le Théâtre de la Révolution, 1789-1799, p. 127-128 :

[Un document intéressant sur le fonctionnement de la censure au théâtre en 1798...]

Théâtre de la République.

Rapport du 2 nivòse an VII (22 décembre 1798).

Scipion l'Africain.

Au directeur du théâtre de la République.

« Je viens de remettre, citoyen, au citoyen Sauvigny le manuscrit de sa pièce intitulée Scipion l'Africain avant sa descente à Cartage (sic). Le mérite de l'à-propos et du sujet de cet acte vous déterminera sans doute à en accélérer la représentation dans ce moment; et le public ainsi que le gouvernement ne pourront que vous savoir gré de vos efforts à célébrer au moins allégoriquement un héros favori de la victoire et un des fermes appuis de la liberté.

Salut.          

P.-S. Les vers suivants de la scène XIV, page 22, nous paraissent devoir être supprimés. La malveillance en abuserait :

« Marcellus dit à ses complices :

« .    .    .    .    . O malheur ! o regrets superflus !
Liberté, je t'invoque et déjà tu n'es plus !
Citoyens, quel affront pour des cœurs aussi braves ?
N'a-t-on pas sans pudeur affranchi nos esclaves ?
Et pourquoi ? pour frapper d'un mépris plus certain
Le nom, la dignité de citoyen romain.
Fatigués, tourmentés par des ruses perfides,
En proie à la disette, écrasés de subsides,
Jouets de nos tyrans et du Ciel en courroux,
Voyez tous les fléaux accumulés sur nous !... »

L.-Henry Lecomte, Napoléon et l'Empire racontés par le théâtre (Paris, 1900), p. 27 :

Théâtre de la République, 20 nivôse an VI (9 janvier 1798) : Scipion l'Africain, trait historique en 1 acte, avec prologue, par Sauvigny.

Le prologue est une conversation entre un marchand de la rue Saint-Denis, qui vient au spectacle, et un des acteurs jouant dans la pièce, dans laquelle l'auteur déclare que cette pièce est d'un nouveau genre. Quant à l'ouvrage, il n'a guère qu'une scène rappelant le trait de Scipion empêchant la noblesse d'abandonner Rome. Mais il présente un parallèle assez heureux entre Scipion et Bonaparte : il fut aisé de reconnaître ce dernier, le public fit de nombreuses applications et souligna surtout de bravos ce passage non équivoque :

                         Et c'est à vingt-huit ans
Qu'il a presque effacé nos plus grands conquérants !

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