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Sémiramis (Desriaux et Catel)

Sémiramis, opéra en trois actes ; livret de Desriaux, musique de Catel, ballets de Pierre Gardel, 14 floréal an 10 [4 mai 1802].

Théâtre de la République et des Arts.

Le nom du chorégraphe n'est pas donné dans les comptes rendus. Le site date.bnf.fr cite le nom de Pierre Gardel.

Titre :

Sémiramis

Genre

tragédie lyrique (opéra)

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

vers

Musique :

opéra

Date de création :

14 floral an 10 (4 mai 1802)

Théâtre :

Théâtre de la République et des Arts

Auteur(s) des paroles :

Desriaux

Compositeur(s) :

Catel

Chorégraphe(s) :

Pierre Gardel

Almanach des Muses 1803

La tragédie de Sémiramis, resserrée en opéra, quelques changemens dans la marche de la pièce, qui ne sont pas tous également heureux ; la plupart des vers de Voltaire conservés, et faisant un peu pâlir ceux que l'on a été obligé de composer pour les chœurs, etc.

Décorations magnifiques ; musique qui annonce un beau talent ; ballet très-bien dessiné, et applaudi avec transport. Du succès.

Courrier des spectacles, n° 1886 du 15 floréal an 10 [5 mai 1802], p. 2 :

[Comme cela arrive souvent, le critique a prévu deux articles, et le premier publié le lendemain de la première représentation, donne d’abord un jugement général sur l'œuvre. Et un jugement assez sévère : après un premier acte brillant, « la verve que le compositeur annonce dans presque tout le premier acte, ne se soutient pas dans les deux autres » : la musique se fait moins éclatante, et se ressent peut-être de « la sévérité des scènes », quand « la terreur y remplace […] la pitié », quand l’intrigue amoureuse cède le pas à la volonté criminelle de Ninias, quand on passe de ce qui est du ressort de l’opéra à ce qui appartient à la tragédie. Réflexion intéressante sur la différence entre les formes dramatiques... Le sujet de Sémiramis à l’opéra n’est pas neuf, la tragédie de Voltaire ayant eu un prédécesseur à l’opéra. La nouvelle version est loin de la perfection du fait du choix d’un sujet ingrat. Auteur et compositeur ont été demandés et ont été nommés. Le compositeur seul a paru. Et c’est sur les débuts prometteurs d’un chanteur que l’article se clôt.

Théâtre des Arts.

Il est bien difficile qu’une tragédie réduite en opéra obtienne un succès brillant à la scène lyrique, si la beauté de la composition ne répond pas entièrement à celle du sujet. La Sémiramis. que l’on a donnée hier pour la première fois au théâtre des Arts a paru laisser beaucoup à desirer, pour être placée au nombre des ouvrages dont la réussite soit complette ; la verve que le compositeur annonce dans presque tout le premier acte, ne se soutient pas dans les deux autres. Les idées de chant et d’accompagnement y sont moins variées, les oppositions moins ménagées, les effets moins frappans. La sévérité des scènes qui prêtent moins à la mélodie a peut-être arrêté les élans du compositeur. La terreur y remplace en effet la pitié ; le spectateur perd de vue la passion d'Arsace pour Azéma, et ne voit plus que Ninias prêt à frapper sa mère ; l'intérêt de la première situation peut gagner encore aux charmes de la musique, et à l’éclat de la pompe théâtrale; mais l’intérêt de la seconde n’est plus du ressort de l’opéra, il appartient tout entier à la scène tragique ; il est nul si on délaye dans une déclamation chantée des incidens qui se pressent pour amener le dénouement. C’est alors que tous les détails d’accessoirs dont on veut orner la scène, deviennent déplacés au point de prendre en quelque sorte un air de parodie.

Nous justifierons ces remarques par les développemens dans lesquels nous entrerons au prochain numéro. Nous dirons seulement que l'auteur de Sémiramis n’est pas le seul qui ait été séduit par un sujet auquel Voltaire avoit donné toute la magie d’un opéra. On donna en 1718 une Sémiramis tragédie lyrique en cinq actes avec un prologue, paroles de Roy, musique de Destouche, et cet ouvrage ne réussit pas.

Celui qu’on a représentée hier, quoique très-imparfait, offre du moins par-tout les traces d’un véritable talent, et pour le poëme ainsi que pour la composition, il est facile de voir que les imperfections ont leur source principalement dans le choix du sujet.

Les auteurs ont été demandés ; ce sont pour les paroles, le cit. Desriaux, avantageusement connu par les poëmes des opéra de Démophon et de la Toison d'or, et pour la musique, le cit. Catel, professeur au Conservatoire. Ce dernier seul a paru. Le citoyen Roland qui débutoit par le rôle de Ninias, et qui donne des espérances flatteuses, a été également demandé, et a recueilli dans les applaudissemens du public, des encouragemens très-mérités.

B * * *.          

La Toison d’or, tragédie lyrique en 3 actes, livret de Desriaux, musique de Vogel,créée à l’Académie royale de musique le 5 septembre 1786.

Courrier des spectacles, n° 1888 du 17 floréal an 10 [7 mai 1802], p. 2-3 :

[Deuxième article, nettement plus développé, et un peu chaotique. Il s’ouvre sur l’examen du livret, qui reprend autant que possible les vers de Voltaire dans son Sémiramis. mais il a fallu sacrifier des éléments pour introduire ce qui appartient à la tragédie lyrique, « tels que cérémonies religieuses, pompe militaire, fêtes, etc. ». C’est le rappel utile du caractère de spectacle intégral qu’est l’opéra. Ces « détails » sont au premier acte très bien insérés, « la danse est bien placée, aussi produit-elle un grand effet ». On ne peut en dire autant pour le troisième acte, où « tout se trouve hors d’harmonie avec le ton des situations et la nature de la catastrophe terrible qui doit terminer l’action ». Les critiques sont ici très méticuleuses et montrent combien il faut respecter des codes précis dans la représentation d’un opéra. Par contre les chœurs sont bien placés. On passe de là au « poëme » : les bons livrets sont rares, et l’habitude s’est prise de donner le pas à la musique sur la poésie « et c’est un grand malheur » : « des vers harmonieux » doivent inspirer le compositeur. Or, ici, « la multiplicité des alexandrins » avec leur coupe uniforme n’a pas inspiré le compositeur, dont l’enthousiasme à écrire n’a pas dépassé le premier acte, lui-même pas exempt de faiblesses. L’article examine des morceaux particuliers, pour en critiquer le style, ou au contraire pour en souligner la valeur. Le bilan global est peu favorable : si certains airs sont remarquables, « dans le reste de l’ouvrage le musicien ne soutient plus ses premières conceptions ». Le critique revient ensuite sur la prestation du débutant, Romand, dont il dit le plus grand bien : « en tout, une excellente méthode ». Il lui reste juste à travailler les notes aiguës, pour n’user de la voix de tête « que le plus rarement possible ». La danse a droit elle aussi à un traitement très favorable. Le critique décrit une série de pas qui ont frappé, le summum étant atteint dans le « ballet singulier des Africains », une danse « qui surpasse tout ce que l’imagination peut supposer ». L’article s’achève par l’habituelle évocation des costumes et des décors. marqués le suns et les autres par le luxe et la pompe. Certains décors sont critiqués cependant : celui de l’acte trois « ne répond nullement à l'idée de grandeur et de majesté qu’en ont donnée les anciens historiens ». Celui de l’acte deux est bien plus beau, même s’il est trop coloré, au-delà de « la vraisemblance en architecture ».]

Théâtre des Arts.

Première Représentation de Sémiramis.

L’auteur a conservé le plus souvent qu’il lui a été possible , les vers de Voltaire ainsi qu’il le dit lui-même dans sa préface, et par-tout où il a été obligé de trancher les idées pour resserrer l'action, il a sauvé les sacrifices avec intelligence, en suivant toujours la marche observée dans la tragédie ; l’adresse consistoit sur-tout à placer à propos les détails qui sont du genre de la scène lyrique, tels que cérémonies religieuses, pompe militaire, fêtes, etc.

A cet égard tout est bien dans le premier acte ; Ninias sous le nom d’Arsace a vaincu les barbares, il revient à la cour de Sémiramis, et il est entouré de tout l’éclat du triomphe ; c’est alors que la danse est bien placée, aussi produit-elle un grand effet ; nous désirerions pouvoir dire la même chose des danses du troisième acte ; mais outre qu'elles n'offrent pas de détails heureux, elles sont tout à-fait en contre-sens avec le caractère de la situation. Un trône dressé contre des murs de l’enceinte de la ville, un hymen dont les apprêts ont 1ieu hors d’un temple, ce qui n’est nullement dans les mœurs orientales, une fête pour ainsi dire sur le seuil de la tombe de Ninus, tout se trouve hors d’harmonie avec le ton des situations et la nature de la catastrophe terrible qui doit terminer l’action. Nous ne nous arrêterons pas à l’inconvenance de faire figurer les Prêtresses dans la danse ; c'est une faute trop facile à faire disparoître.

La manière dont les chœurs ont été placés est beaucoup plus heureuse, et n’étoit pas moins délicate. Ils sont presque tous très identifiés avec le sujet et versifiés avec soin.

La rareté des bons poèmes depuis quelque tems a donné l’habitude de regarder la musique comme ce qui constitue un opéra de préférence à la poésie ; c’est un grand malheur ; car des vers harmonieux forment pour ainsi dire les premières idées du compositeur ; et quiconque entend exécuter Armide, s’écrie involontairement que le poème n'a dû coûter aucun travail sensible au génie de Gluck.

La multiplicité des vers alexandrins assujettit le musicien à une coupe uniforme ; et l’opéra de Sémiramis, tant pour le chant que pour le récitatif se ressent de ce défaut. La plume du compositeur a pu se fatiguer de ces règles toujours les mêmes, et il en résulte, qu’à l’exception de quelques morceaux , le premier acte est le seul qu’il ait traité avec chaleur et d’une manière suivie. Cependant il n’est pas exempt d’endroits foibles, ou qui laissent trop percer l’étude des ouvrages des maîtres les plus célèbres. Quelques traits de l’ouverture se trouvent dans cette cathégorie.

Le chœur d’introduction est d’un style gracieux et pur ; l’air d’Azéma dans sa réponse à Assur est d’un chant agréable, mais qui laisse peut-être à desirer plus de dignité. Dans ce morceau comme dans plusieurs autres, le compositeur s’est écarté de cette belle unité de ton qui soutient l’attention de l’amateur, tandis que l’usage ou plutôt l’abus de la variété des modulations dans un même air, le désoriente, le distrait de l’intérêt de la situation pour le forcer à se rendre compte de ces changements, et des règles d’après lesquelles on les a opérés.

L’air d’Assur, commençant par ces mots : Contre un rival que je détesse [sic], prouve plus de verve, les basses ont un langage bien marqué, la période est mieux arrondie, mieux terminée. Le chœur des femmes de la suite de Sémiramis est sur une idée d’harmonie aussi simple qu’heureuse ; il y a encore des beautés dans l’air chanté par mademoiselle Maillard, remplissant le rôle de Sémiramis, et le musicien a sur-tout saisi avec habileté le sens de ces vers, que l’actrice d’ailleurs a supérieurement rendus.

Viens-tu pour m’entraîner vivante
Dans l’affreux séjour des Enfers.

Mais le style de la marche ainsi que celui du chant placé dans la bouche du Grand-Prêtre, manque de couleur et de force. On ne trouve aucune image sur ce vers qu’il étoit peut-être important de saisir, et qui prêtoit par la seule coupe de l’hémistiche :

Le sang de Ninus crie et demande vengeance.

Cependant l’accompagnement est pittoresque, sur les paroles prononcées par l’oracle.

Nous ne parlerons pas du chœur qui accompagne la pompe du triomphe ; il manque absolument de caractère, mais il s’en faut qu’on puisse faire le même reproche à la composition de l’air de la danse des Africains ; elle mérite d’être mise en comparaison avec ce que les meilleurs maîtres ont créé en ce genre, fait Ressortir encore davantage la beauté de l’un des pas les plus étonnans dont la cit. Gardel ait enrichi la scène de l’Opéra.

Au second acte on remarque un cantabile très-bien chanté par le citoyen Roland remplissant le rôle d’Arsace ; mais dans le reste de l’ouvrage le musicien ne soutient plus ses premières conceptions ; les idées de chant sont foibles, incertaines ; sans liaisons entr’elles, le récitatif languit, les instrumens d’harmonie dominent quelquefois un peu trop dans 1'accompagnement, et les harpèges on la coupe de ce dernier , rentrent trop souvent dans le genre de ceux que l’on connoît déjà.

Cette première représentation offroit un intérêt de plus dans le début du citoyen Roland, élève du Conservatoire. Ce jeune homme qui devra l’étendue de ses moyens à l'habitude du théâtre, réunit à un organe pur, à une voix claire et juste, à des inflexions toujours placées d’une manière judicieuse, l’art de ménager ses sons, et de prosodier sa déclamation ; point d’ornemens, point de sons appuyés et trainans d’une note à l’autre, en tout, une excellente méthode ; l'étude et la confiance qu’elle inspire après un certain tems, lui rendront plus faciles encore les notes les plus élevées qui appartiennent à la haute-contre, en-sorte qu’il ne fasse usage de la voix de tête que le plus rarement possible.

Nous avons dit un mot de la danse. C’est au premier acte sur-tout qu'elle est remarquable, des groupes dessinés avec un goût extrême, et un pas de cinq très-agréablement dansé par madame Gardel, mesdemoiselles Chevigny, Saulnier, Delitte et Louise ont fait le plus grand plaisir ; mais l’enthousiasme a éclaté lors du ballet singulier des Africains armés de haches. C’est une chose qui surpasse tout ce que l’imagination peut supposer ; point de combats, mais seulement de simples attitudes, des marches et des développemens d’exercice ; par tout du dessin sans exagération, du mélange sans confusion, des mouvemens bien adaptés au caractère et aux repos de la mesure. Le pas du troisième acte entre le citoyen Vestris, mademoiselle Chameroy et madame Gardel, ne présente rien ne nouveau après tout ce qu’on connoît en ce genre ; mais la ressemblance plaît encore avec des talens tels que ceux qu'on vient de citer.

Ce qui peut assurer à l’opera de Sémiramis une suite de représentations, ce sont, indépendamment des beautés dont on vient de donner les détails, la pompe surprenante déployée à la scène, le luxe des costumes et quelques parties des décorations. La première est d’un bel effet, quoique l’optique soit manqué pour les dimensions que doivent présenter à l’œil les murs de la ville placés au-delà de l’Euphrate, les jardins de Sémiramis vus dans le lointain à la décoration du troisième acte ne répondent nullement à l'idée de grandeur et de majesté qu’en ont donnée les anciens historiens ; d'un autre côté le tombeau de Ninus ne dit rien à l’imagination et ne représente exactement qu’une porte dans un mur ; il s’engage d’ailleurs sans grâces dans quelques massifs de cyprès qui ferment la partie latérale de la scène. Ces cyprés sont couronnés par des palmiers, ce que la réflexion a beaucoup de peine à concilier.

La décoration du second acte qui représente une immense galerie vue dans toute sa projection est beaucoup plus belle, quoique les couleurs y soient plus multipliées que ne le comporte la vraisemblance en architecture.

B * * *          

Mercure de France, littéraire et politique, tome huitième (an X), n° XLIC (5 Prairial an 10), p. 344-351 :

Théatre de la République et des Arts.

Sémiramis, tragédie lyrique, en trois actes, arrangée d'après la tragédie de Voltaire par le C. Desriaux, musique du C. Catel.

Le sujet de Sémiramis est, sous des noms différents, et. avec moins de vraisemblance, le même que celui d'Electre, traité, d'après Sophocle, par Crébillon, et par Voltaire lui-même, dans sa tragédie d'Oresle. Sophocle a réuni tout l'intérêt sur le personnage à'Electre ; il s'est bien gardé de chercher à diminuer l'horreur qu'inspirent les crimes de Clitemneslre. Quand Oreste l'immole aux mânes de son père, on ne voit en lui que l'instrument de la vengeance des Dieux ; les coupables sont punis, la vertu malheureuse triomphe, l'auteur a rempli son but. Cette conception éminemment tragique, ce meurtre légitime d'une mère par son fils, a effrayé les modernes. Ils n'ont pu se résoudre à offrir aux spectateurs cet horrible dénouement ; et, dans toutes leurs pièces, par une- supposition heureuse et naturelle, Oreste frappe involontairement sa mère, qui se jette au-devant des coups qu'il porte à l'assassin d'Agamemnon.

La Sémiramis de Voltaire est une des pièces où il a le plus cherché l'effet théâtral, et où il a porté le plus loin la pompe du style. Séduit par l'exemple de Shakespear, et par l'impression profonde que produisait sur les théâtres de Londres l'apparition de l'ombre du père d'Hamlet, il a voulu essayer ce moyen extraordinaire sur la scène française. Mais tout ce qu'il dit en sa faveur, montre assez qu'il ne l'a employé qu'avec défiance, et malgré tout l'art qu'il a mis à préparer et à faire en quelque sorte attendre cet événement, en accumulant les oracles et en répandant sur toute sa pièce, une teinte de superstition religieuse, l'ombre de Ninus n'a jamais produit l'effet qu'il semblait s'en promettre. La première raison en est contre l'opinion de Voltaire lui-même, que cette apparition est à peu près inutile. Le crime est connu, et Ninias n'a pas besoin d'être excité à venger son père. La seconde, et peut-être la principale, c'est qu'elle a lieu en plein jour et au milieu d'une foule nombreuse. Nous ne sommes pas, même au dix-neuvième siècle, aussi éloignés qu'on pourrait le croire de la peur des revenants. J'en appelle à l'avidité avec laquelle nous avons accueilli les derniers romans anglais, et surtout le Moine, qui n'a jamais manqué de faire impression sur tous ceux qui l'ont lu dans une disposition d'esprit convenable à l'effet que voulait produire l'auteur. L'ombre de Ninias ferait illusion, si elle paraissait dans l'obscurité, et aux yeux du plus petit nombre de témoins. possible. Les idées de nuit, de silence, de solitude, se marient et se confondent dans la plupart des esprits avec celles de terreur et d'apparitions. Comment se persuader qu'un peuple immense, réuni pour une pompe solennelle, ait peur d'une ombre ?

Cette invraisemblance a paru encore plus sensible dans l'opéra que dans la tragédie. D'un côté, le spectacle y est encore plus pompeux et plus brillant ; de l'autre, le citoyen Desriaux a été obligé de retrancher la plupart des moyens préparatoires qu'avait employés Voltaire pour disposer les esprits à l'illusion. Malgré la flamme et surtout la fumée qui environnait Ninus, le rire s'est élevé quand il a paru.

Nous n'entrerons pas dans de grands détails sur les paroles de cet opéra. Il est aisé de voir que le poète a toujours été, comme c'est assez l'usage, dans la dépendance du musicien. Il s'est de plus imposé la tâche de suivre, autant qu'il pourrait, le plan de Voltaire, et même d'en conserver les vers. Cependant il a été obligé de réduire cinq actes à trois, et de supprimer une grande partie des développements. Exiger de la vraisemblance dans une pièce ainsi tronquée, ce serait être bien sévère, et on doit remercier l'auteur de n'être pas tout-à-fait inintelligible. Il y aurait aussi de la malignitë, et même de l'injustice, sans grand intérêt pour le lecteur, à. rapprocher les vers du C. Desriaux, de ceux de son modèle, lorsqu'il avoue lui-même que cette tâche était au dessus de ses moyens, et qu'il ne l'a remplie que comme forcé et contraint. On sait bien que la soudure est toujours moins précieuse que le métal dont elle rejoint les parties.

Le premier acte offre seul des changements remarquables. Le retour d'Arsace a fourni au C. Desríaux l`idée d'une marche triomphale, qui le termine d”une manière très-brillante. C'est Azéma elle-même, qui, à la téte d'un chœur de jeunes filles, fait les premiers préparatifs de la fête destinée à son amant. Pour une princesse du sang de Bélus, c'est peut-être pousser un peu loin la reconnaissance, et Voltaire au moins ne lui fait déclarer son amour que dans le tête-à-tête. Elle n'oublie pas surtout que son propre intérêt, que celui d'Arsace lui-même l'engage à ménager Assur, l'héritier et déja presque le maître de l'empire. Quand ce dernier lui propose de s'unir à elle pour confondre leurs droits- au trône, elle n'ose pas le refuser ouvertement ; elle se contente de dire qu'elle prendra un époux des mains de la reine. Le C. Desriaux-a cru devoir passer par-dessus tous ces ménagements, qui auraient retardé la marche rapide de son opéra. Il va directement au but ; Azéma et: Assur n'ont rien de caché l'un pour l'autre. La première avoue franchement, que son cœur a choisi Arsace pour époux ; et le second, avec la même sincérité annonce qu'il a un moyen sûr de prévenir cet hymen, en immolant son rival et sa maîtresse. On remarquera que ces confidences se font sur une place publique de Babylone. C'est aussi là que Sémiramis vient dévoiler son ame et se livrer aux remords qui la déchirent. C'est encore là que le grand prêtre Oroès vient annoncer, en présence de tout le peuple, la volonté des Dieux. A l'oracle obscur et ambigu que lui offrait la tragédie de Voltaire, le C. Desriaux, toujours grand, ami de la franchise et de la clarté, a substitué ces quatre vers, qui ne sauraient être équivoques pour Sémiramis surtout :

« Vous fatiguez les Dieux par des vœux indiscrets ;
        « Mais songez à punir le crime.
        « C'est dans les murs de ce palais
        « Que vous trouverez la victime. »

Cependant Oroès craint encore de ne pas s'être expliqué assez clairement, il ajoute :

J'entends gronder la tempête....
Dieux vengeurs, qu'attendez-vous ?

(En désignant Sémiramis.)

Frappez, frappez, c'est sur sa tête
Que doit tomber votre courroux.

Voltaire, par le sens ambigu que présente son oracle, par les remords et la crédulité superstitieuse de Sémiramis, avait motivé la résolution qu'elle prend, quinze ans après la mort de Ninus, de former de nouveaux nœuds :

Babylone doit prendre une face nouvelle,
Quand d'un second hymen allumant le flambeau,
Mère trop malheureuse, épouse trop cruelle,
Tu calmeras Ninus au fond de sou tombeau.

Ces quatre vers ont encore l'avantage de préparer et de rendre plus vraisemblable la descente de Sémiramis dans la tombe de Ninus. Elle y est entraînée par la volonté des Dieux, plus encore que par le désir de sauver les jours de son fils. Comment en effet s'en serait-elle rapportée à sa faible main, si.elle ne s'était cru destinée par le ciel à punir Assur son complice ? Nous insistons sur ce changement fait par le C. Desriaux, parce qu'il n'était pas nécessaire, et qu'il détruit tout l'artifice et toute la vraisemblance du poème. Le reste de l'opéra est, aux développements près, qu'il a toujours fallu sacrifier, assez semblable dans sa marche à la tragédie.

Il est temps de nous occuper de ce qui fait véritablement le succès de ces sortes d'ouvrages ; de la musique, des ballets, des décorations. Le C. Catel, professeur au Conservatoire, a déployé un vrai talent dans cette composition, qui est son début. Il a saisi, en général, la couleur du sujet, et il paraît avoir fait une étude approfondie de son art.

L'ouverture a réuni tous les suffrages. Elle est pleine d'harmonie et d'effet ; et on y a surtout applaudi un Crescendo de basses. La fierté et l'amour sont très-bien exprimés dans l'air d'Azéma : Que l'éclat de votre naissance ; la terreur et les remords dans celui de Sémiramis : Sous L'effort d'un bras invisible. On a aussi distingué la marche triomphale d'Arsace ; le chœur des conspirateurs et celui des mages. Ces deux chœurs sont presque tout ce qu'il y a de remarquable dans le second et dans le troisième acte, fort inférieurs au premier. On pourrait reprocher au C. Catel d'être un peu monotone, de manquer d'originalité, et de se traîner peut-être trop servilement sur les traces des grands-maîtres. Mais une partie de ses défauts est due sans doute à la timidité du premier essai ; et les applaudissements mérités qu'a reçus le C. Catel, toutes les fois qu'il s'est abandonné à sa verve, doivent l'engager à prendre un:vol moins timide, et à compter davantage sur ses forces.

Les Ballets, dans le premier acte, ont eu le plus grand succès. Un pas de guerriers, exécuté avec autant de vigueur que de précision, par les CC. Millon, Branchu, Aumer, et Beaulieu, a rappelé le fameux pas des Sythes, d'Iphigénie en Tauride. La musique partage avec la danse l'honneur de cette comparaison. Si le ballet du troisième acte n'a pas été aussi goûté, c'est moins la faute du C. Gardel que celle du poète, qui aurait dû profiter de la liberté qu'ont les faiseurs d'opéras, de changer à volonté de .décorations, et ne pas offrir des danses à côté d'un tombeau. Il devrait être d'autant moins scrupuleux, que la scène change jusqu'à quatre fois, dans la tragédie de Voltaire.

Par un hasard assez singulier, le premier acte, qui, sans contredit, est le plus défectueux, sous le rapport du poème, se trouve être celui où l'auteur de la musique, le maître des ballets, le décorateur ont le plus complètement réussi. On dirait qu'ils ont réuni leurs efforts pour venir au secours du C. Desriaux, et qu'ils se sont un peu reposés sur lui, ou plutôt sur Voltaire, dans les deux actes suivants. Rien de plus magnifique que la première décoration, quoi qu'on l'accuse d'être copiée d'après celle de Zoraïme et Zulmare. Celle du troisième, qui représente les jardins de Sémiramis, offre plus de brillant que de véritable grandeur. Les costumes sont très-riches et ont été dessinés avec un soin qui ne laisse rien à désirer.

La curiosité qu'inspiraient une pièce et une musique nouvelles, était encore excitée par le début du C. Roland, dans le rôle d'Arsace. Ce jeune acteur est élève du Conservatoire ; et a eu pour maître le C. Garat. Son organe, sans être très-étendu, est pur et flexible. Il joint à du goût,:à de la méthode, une très-belle prononciation, et avec un peu de complaisance de l'orchestre, il se fera toujours, parfaitement entendre. Son jeu est naturel et annonce de l'intelligence. II a été redemandé ainsi que les auteurs de la musique et des ballets, et tous trois ont été accueillis avec les plus vifs applaudissements.

Le Coup de fouet, ou revue de tous les théâtres de Paris, fin de l'an X. – 1802, p. 95-97 :

[L'« observateur impartial » qui rédige cette revue très critique des spectacles du temps s'en prend à la manie de l'arrangement des auteurs de son temps.]

Sémiramis : Desriaux, auteur de Démophon, a aussi arrangé le poëme de Sémiramis, d'après celui de Voltaire ; et dieu sait en quoi consiste cet arrangement !

Catel, professeur au conservatoire, a également arrangé la musique, mais, d'après lui-même, et on ne doit point lui en savoir beaucoup de gré, car s'il 1'eût arrangée d'après les productions des Sarti, des Mozart et des Paësiello, à-coup-sûr le public aurait goûté infiniment mieux cet arrangement.

Cette musique n'offre que du vent, de la confusion et du bruit, pas un seul air, pas un seul morceau d'ensemble qui soient dignes d'être cités. Les marches, mêmes, où Catel excelle particulièrement, sont extrêmement faibles : si les chœurs n'étaient point accompagnés de trombones, cimbales, tam-tam, etc., ils ne produiraient aucun effet.

Enfin, Sémiramis, tant vantée, est un ouvrage barbare, qui meritait le sort du Roi et le Laboureur, et qui est tout-à-fait indigne du superbe théâtre de l'Opéra.

L'auteur Desriaux n'aurait pas même eu le droit de demander grâce pour le poème de Voltaire, car il l'a tellement hâché, mutilé et travesti, qu'il l'a rendu à-peu-près méconnaissable.

Il est facile de juger, par cet apperçu, que le chant, au théâtre de l'Opéra, est bien inférieur à la danse ; que les meilleurs auteurs dédaignent de travailler pour ce spectacle, parce qu'ils n'y trouvent qu'une gloire stérile, et nullement conforme à leurs intérêts ; et enfin que l'administration actuelle est à-peu-près aussi vicieuse que celles, tour-à-tour, tant calomniées, de Devisme, Francæur et Bonel.

Porte-feuille français pour l'an XI (1803), quatrième année, p. 154 :

Sémiramis, tragédie lyrique en trois actes, paroles de Desriaux, musique de Catel, représentée le 14 floréal.

Tout le monde connaît Sémiramis, tragédie de Voltaire; c'est elle que Desriaux a transplantée sur la scène lyrique : soit respect, soit impossibilité de faire mieux, il a conservé la grande majorité des vers de son modèle, la marche est la même, et il faut convenir qu'il a prouvé une grande connaissance de l'art scénique dans les additions ou suppressions exigées par la localité.

Quant à la musique, elle est le premier pas d'un jeune homme de vingt-huit ans dans la carrière dramatique. Les critiques ont beaucoup écrit pour et contre cette musique. Son grand tort est d'avoir été trop prônée d'avance,et peut-être d'avoir obtenu, aux yeux de la direction de l'Opéra, la préférence sur celle de la Mort d'Adam de Lesueur, — Des décorations superbes. — Succès.

On trouve sur le site de la BNF https://antiquitebnf.hypotheses.org/10200 une très intéressante étude sur l’Antique Babylone à l’Opéra : les projets de tous les décors de Sémiramie de Catel enfin identifiés. de Marc-Henri Jordan et Jean-Michel Vinciguerra.

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