Toute la Grèce, ou Ce que peut la Liberté

Toute la Grèce, ou Ce que peut la liberté, tableau patriotique, en un acte, en vers, paroles du C. J. [le Cousin Jacques, Louis-Abel Beffroy de Reigny], musique de Lemoyne, 16 nivôse an 2 [5 janvier 1794].

Opéra national

Titre :

Toute la Grèce, ou Ce que peut la liberté

Genre :

tableau patriotique

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

vers

Musique :

oui

Date de création :

16 nivôse an 2 (5 janvier 1794)

Théâtre ;

Théâtre de l’Opéra

Auteur(s) des paroles :

Cousin Jacques (Louis-Abel Beffroy de Reigny)

Compositeur(s) :

Jean-Baptiste Lemoyne

Almanach des Muses 1794 (qui donne pour titre De toute la Grèce)

Autre pièce républicaine où l'on reconnoît le même compositeur. [voir Miltiade à Maraton].

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Huet, an 2 :

Toute la Grèce, ou Ce que peut la liberté, tableau patriotique en un acte. Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Opéra National, le 16 nivôse. Eédié à la Nation et aux armées françaises. Paroles du C. J. Musique du C. Le Moyne.

Charles Monselet, les Oubliés et les dédaignés : figures de la fin du XVIIIe siècle, p. 211 considère cette brochure comme étant la deuxième édition. Il donne le contenu de la première page d’une première édition :

Première édition : « Toute la Grèce ou ce que peut la liberté, épisode civique en deux actes, fait exprès pour l'Opéra, reçu avec acclamation le 24 septembre dernier, pour y être représenté au plus tôt; ouvrage dédié à la Convention nationale, à la commune de Paris et aux sections de Guillaume Tell et de Bonne-Nouvelle, d'où sont les deux auteurs ; paroles du Cousin Jacques, musique de Lemoyne ; in-8. Paris, Froullé, an II. »

Réimpression de l'ancien Moniteur, tome XIX, Gazette nationale, ou le Moniteur universel, n° 121, 1er Pluviose, l'an 2e (lundi 20 janvier 1794, vieux style), p. 251 :

THEATRE DE L'OPÉRA.

L'opéra intitulé Toute la Grèce n'est annoncé par l'auteur que comme un tableau patriotique ; il serait donc injuste d'y chercher une fable dramatique, et de se plaindre de n'y en point trouver. Il n'a voulu présenter que le trait historique de toute la Grèce liguée contre Philippe de Macédoine, qui cherchait à l'asservir. Les vaisseaux sont dans le port, les ouvriers font retentir les ateliers et embrasent les forges ; les phalanges de douze villes principales arrivent au lieu du rendez-vous avec leurs bannières, portant chacune une devise républicaine ; jusqu'aux enfants qui ne croient pas que leur âge les dispense de servir la patrie et de mourir pour elle. Les femmes, impuissantes pour combattre, prouvent au moins leur patriotisme en sacrifiant leurs bijoux. Philippe envoie un ambassadeur ; on ne veut pas le recevoir. Il offre la paix, on n'en veut pas avec un roi ; et l'opéra finit par le cri unanime de toutes les villes liguées : la guerre ! la guerre !

Ce tableau a produit tout l'effet qu'on en devait attendre sur des cœurs républicains. La muse du Cousin Jacques, qui en est l'auteur, et qui s'était bornée jusqu'à ce jour à des essais comiques, a pris un plus grand essor et a parlé avec succès un langage plus énergique. Le compositeur a parfaitement secondé les intentions de l'auteur, et son talent connu (c'est le citoyen Lemoine) a su ajouter beaucoup d'intérêt à celui que le poëte a répandu dans tous les détails de cet ouvrage. L'exécution mérite aussi des éloges ; l'unanimité des sentiments donnait aux acteurs plus d'ensemble qu'à l'ordinaire, et l'on distinguait aisément sous des costumes grecs des Français animés du plus ardent amour de la liberté.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 5 (mai 1794), p. 255-261 :

[A œuvre patriotique, compte rendu patriotique : ce dont il faut rendre compte, c’est l’enthousiasme des Athéniens à défendre la patrie, à travers un spectacle grandiose, mobilisant des moyens importants, et dont le critique demande encore qu’ils soient augmentés (voir à la fin). Après un bref rappel du contexte historique, c’est la description du plateau, représentant le port du Pirée où tous s’affairent en chantant aux travaux préparant la guerre : vaisseaux, armes. La première scène décrite montre Démosthène encourageant tous ceux qui travaillent, puis les femmes viennent faire don de leurs bijoux. Les troupes défilent ensuite sous les ordres de Nicias. On annonce l’arrivée d’un ambassadeur de Philippe : faut-il le recevoir ? Démosthène se charge de l’entrevue, avec la promesse de ne pas céder aux exigences macédoniennes. La confrontation des deux adversaires est pleine de tension, et fait éclater la profonde différence entre le républicain et le serviteur d’un roi. La négociation tourne court, et tous les Athéniens s’apprêtent au combat.

C’est ensuite la musique qui est décrite en des termes très flatteurs, même si l’ouverture pourrait mieux refléter l’ambiance de travail du port, et si la déclamation des airs de Démosthène et d’Eucharis pourrait être « plus sévèrement prosodiée ». L’analyse d’un air chanté par Eucharis est l’occasion de montrer l’accord profond entre les paroles et la musique : le critique propose de faire l’expérience de les faire déclamer par des acteurs, avant de les entendre chantées. Le compositeur a d’ailleurs recueilli les plus vifs applaudissements quand il a paru. Les acteurs sont également jugés très bons : « ils se sont tous surpassés ». Le compte rendu se termine par l’évocation des costumes et des décorations, « bien entendus ». Un regret : il faudrait que les troupes puissent mieux se déployer sur la scène, mais « c’est un inconvénient qu'il est facile de faire disparoître ».]

THÉATRE DE L'OPÉRA.

Toute la Grece, tableau patriotique, fait exprès pour l’opéra ; paroles du cousin Jacques, musique de Lemoine.

La Grece étoit attaquée de tous les côtés par Philippe de Macédoine ; mais Démosthenes lui restoit, & son énergique éloquence fit produire des prodiges aux Athéniens & à toute la Grece qui les imita. Persuadés que la force naît de l'union & du dévouement à la chose publique, les Athéniens mirent la plus grande activité dans leurs préparatifs militaires; & c'elt pour cela que l'auteur de la piece qui nous occupe, fait représenter par le théatre le Pyrée, port d'Athenes, où l'on voit des vaisseaux qu'on équippe, d'autres que l'on- finit de construire, plusieurs forges où l'on fait des. épées, des lances & des javelots, & un grand nombre d'ouvriers occupés à des ouvrages que le salut public a commandés. Ils chantent gaiement en chœur, pour ranimer leurs forces & leur activité.

Démosthenes vient encourager les ouvriers en leur promettant les plus prompts succès; & bientôt aussi la belle Eucharis & toutes les femmes & les filles d'Athenes viennent en leur présence faire hommage à la patrie de leurs bijoux, & de tout ce qu'elles ont de plus précieux. Ab ! s'écrie Eucharis:

            Qu'ils partent, nos guerriers ;
Qu'au prix de ces bijoux leur conquête s'assure ;
Leur main victorieuse, au-lieu d'autre parure,
        Ceindra nos fronts de leurs lauriers.

Alors les diverses phalanges de la Grece ayant chacune leur chef & leur enseigne à leur tête, arrivent au Pyrée par différentes rues d'Athenes. Nicias, qu'elles ont nommé généralissime, les harangue ; elles manifestent le plus ardent patriotisme; toutes les Athéniennes le partagent. On annonce un ambassadeur de Philippe ; Nicias & les phalanges refusent de l'écouter. Mais Démosthenes, qui doit le recevoir au nom de la république, se charge de lui répondre, pendant que les guerriers & que le peuple iront intéresser à leur cause les dieux protecteurs de la Grece. Allez, braves républicains, leur dit-il, allez, soyez tranquilles.

S'il demande la paix, nous la lui vendrons cher ;
Reposez-vous sur moi du soin de le réduire ;
        Ma réponse saura lui dire
    Qu'un peuple libre est toujours fier....
Mais si, sans coup férir, on peut sauver la Grece ,
Si le sort des humains toujours nous intéresse,
        Pourquoi verser du sang ! Pourquoi
        De nos freres risquer la vie ?....
        O belle humanité ! sans toi,
        Il n'est ni bonheur , ni patrie.'

Démarate, accompagné de quatre soldats macédoniens, vient trouver Démosthenes, & lui porter, au nom de Philippe, des paroles de paix. Mais le véhément orateur refuse de l'entendre, parce que Philippe a été l'agresseur. L'ambassadeur est outré ; tu le sais, dit-il à Démosthenes :

Philippe a sous ses lois des milliers de soldats....

DÉMOSTHENES.

La Grece a des milliers & de cœurs & de bras. ' ''

    DÉMARATE.

Il saura bien payer leur courage & leur vie....

DÉMOSTHENES.

Les Grecs, sans intérêt, mourront pour la patrie.

    DÉMARATE.

De se battre pour lui, tout leur fait une loi !....

DÉMOSTHENES.

On se bat mieux encor, quand on se bat pour soi,

    DÉMARATE.

Chaque riche, à son maitre, offrira sa fortune....

DÉMOSTHENES.

Pour venger chez les Grecs la liberté commune,
Le pauvre devient riche.... aux yeux républicains,
Le salut de l'état embellit l'indigence,
        Le riche abjure son aisance,
Et le trésor public est dans toutes les mains !....
Si ton maître a de l'or, des bras, de la puissance,
Eh bien ! qu'il les emploie au bonheur des humains.
Les bons chefs ne sont rien que les dépositaires
Des biens dont on voit faire un trop indigne abus ;
Pour but, ils ont toujours le salut de leurs freres,
Pour puissance, la loi, pour trésor, des vrtnus.

A peine ces mots sont-ils achevés, que tous les guerriers reparoissent ; & sans faire attention à Démarate, ils jurent de n'entendre que le cri de la liberté, de souffrir mille morts plutôt que de se rendre, & de respecter, au sein de la victoire, l’humanité, la justice & les dieux.

Les Macédoniens se retirent ; & les Grecs indignés sortent en foule pour aller combattre.

La musique ne peut qu'ajouter à la réputation de Lemoine. L'ouverture est bien dessinée, & les motifs en sont bien agréables ; mais peut-être offre-t-elle un sens trop vague & indéterminé. Les différens travaux des ouvriers, la marche des phalanges grecques & leur départ, présentoient, ce nous semble, une foule d'objets à peindre & à annoncer dans l'ouverture, qui seroit alors venue se lier au premier chœur des ouvriers; il en auroit acquis un degré de plus d'énergie.

L'air de Démosthenes, Quand la patrie appelle, est d'une belle entente, & produit de l'effet, ainsi que tout ce rôle &celui d’Eucharis. Nous désirerions toutefois que leur déclamation fût plus sévèrement prosodiée. Mais un morceau digne des plus grands éloges, & qui a obtenu le plus brillant succès, est l'air d’Eucharis : Partez, partez, sauveurs de la patrie, & le chœur général qui le suit ; ils sont l'un & l'autre parfaitement dramatiques, & donnent une idée aussi avantageuse de la musique théatrale que du talent de M. Lemoine. Qu'on choisisse deux excellens acteurs, qu'on les prie de déclamer les paroles suivantes ; qu'on aille entendre ensuite la musique que' le compositeur y a adaptée, & l'éloge de cet artiste suivra de près l’expérience.

Eucharis aux phalanges.

Entre vos mains est notre destinée....

Les phalanges.

Dites plutôt votre succès...

Eucharis.

Souffririez-vous que la Grèce enchaînée...

Les phalanges.

Jamais, jamais !

Eucharis.

C'est de vous seuls qu'elle attend la victoire....

Les phalanges.

Elle l'aura.

Eucharis.

Ce beau triomphe:annoncé dans l'histoire....

Les phalanges.

Il le fera....

Eucharís.

A nos neveux servira de modelé.

Les phalanges.

Ils le suivront....

Eucharís.

Et tous les peuples qui naîtront.
Frappés d'un si beau zele....

Les phalanges, .

L'admireront, l'imiteronr.

Chœur général.

Oui nous vaincrons ;
Nous le jurons
Sur notre vie ;
Nous défendrons
Notre patrie, &c. ...

Nous avons voulu rapporter les paroles de ce morceau, afin que nos lecteurs, après les avoir lues, puissent se convaincre que l'enthousiasme qu'il a produit est dû, non-seulement à ce que la situation est vraiment intéressante, mais encore à ce que le musicien a senti qu'il ne pourroit être que froid, s'il ne s'efforçoit pas, en déclamant bien ce morceau, à le rendre dramatique. Heureusement il a fort bien réussi.

Il en est de même du chœur des enfans : Grece, nos foibles bras auront de la vigueur, & de celui qui termine la piece. Elle a obtenu beaucoup de succès ; aussi en a-t-on demandé l'auteur à grands cris. M. Lemoine, qui a paru, a été couvert d'applaudissemens. Il faut convenir aussi qu'elle a été jouée avec beaucoup de soin par MM. Laïs, Cheron, Rousseau, & Mme Maillard. Les nommer, c'est faire leur éloge ; mais il nous sera possible d'y ajouter encore quelque chose, en disant qu'ils se sont tous surpassés.

Les costumes & les décorations sont bien entendus. Il faudroit cependant que le Pyrée offrît un emplacement plus vaste : les douze légions pourroient alors se développer d'une maniere plus imposante. D'ailleurs ces légions doivent toutes arriver par différentes rues sur la scene. A la droite des acteurs, il y a un palais, dont la façade occupe trois chassis, & ne laisse pour l'entrée des légions qu'un seul plan de libre, celui qui se trouve entre lui & les forges. Plusieurs entrent cependant de ce côté ; & s'il en est qui paroissent sortir du portique de ce palais, il en est aussi qui semblent passer au travers des murs, pour arriver sur la scene. C’est un inconvénient qu'il est facile de faire disparoître.

(Journal des spectacles,)

Dans la base César, paroles du Cousin Jacques, musique de Jean-Baptiste Lemoyne. 32 représentations, du 5 janvier au 8 décembre 1794, à l'Opéra.

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