Trasime & Timagene

Trasime & Timagene, tragédie en cinq actes et en vers, de Dubuisson, 16 novembre 1791.

Théâtre du Marais.

La pièce a d’abord été jouée à Rouen en 1787 (même si la brochure donne la date de 1783).

Titre :

Trasime et Timagène

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

16 novembre 1791

Théâtre :

Théâtre du Marais

Auteur(s) des paroles :

Dubuisson

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Desenne, 1797 :

Trasime et Timagène, tragédie, Par M. Dubuisson. Représentée pour la première fois en 1783.

Mercure universel, tome IX, n° 261, du jeudi 17 novembre 1791, p. 270-271 :

[A part l’exposition, jugée confuse (« celni qui veut se rendre compte ainsi qu'aux autres, des beautés ou des défauts d'un ouvrage » et que ce travail fatigue beaucoup, c’est peut-être bien le critique avouant sa perplexité) et le meurtre de Memnon, « dont les motifs secrets et la haine cachée sont peut-être aussi développés trop tard », la pièce est jugée très réussie : « pensées puisées dans la nature », « vers très-énergiques », magnifique interprétation de M. Baptiste, tout cela a concouru au succès de la pièce.]

THEATRE DU MARAIS.

La première représentation de Trasime et Timagène a obtenu hier du succès. C’est un sujet d’invention. La scène se passe à Samos.

Timagène est fils de Sostrate, le roi légitime ; Trasime, le neveu de l'usurpateur qui a détrôné Sostrate. Timagène passe pour mort : ici l'action commence ; Trasime regrette un ami chéri. Ericie , nièce du roi des Lydiens, vient aux rives de Samos pour pleurer sur la tombe de Timagène, son amant ; elle veut emporter ses cendres ; mais Trasime s'y oppose. L'amitié dispute à l'amour ces restes précieux. (Cette scène est belle et neuve au théâtre.) Cependant Timagène revient à Samos, le bruit de sa mort est sa sûreté. Il veut enlever Ericie ou mourir sous le fer du tyran. Trasime éprouve à la fois les inquiétudes de l'amitié et les tourmens de l'amour ; il tremble pour les jours de Timagène, il brûle pour Ericie. On apprend que le tyran forme des soupçons sur le vaisseau qui a conduit Timagène. Trasime pour le soustraire aux regards, le conduit dans son palais avec son amante. Memnon, envoyé d'Hircan, afin de décourir le secret de Trasime, lui persuade que Timagéne s'est baigné dans le sang de son père. Trasime égaré par la fureur, trahit le secret de son ami. Memnon prévient le tyran. Timagène est plongé dans un cachot. Trasime vole à l’échaffaud à la place de son ami ; il est reconnu, le neveu du tyran va périr : ce dernier frémit, pardonne et accorde la grace de Timagène, qui recouvre avec la vie son ami et son épouse.

Cette tragédie offre des intentions dramatiques, des vers bien frappés, des scènes pathétiques ; peut-être l’exposition n’est-elle pas également claire pour tous les spectateurs, et fatigue-t-elle d'attention celni qui veut se rendre compte ainsi qu'aux autres, des beautés ou des défauts d'un ouvrage.

L'on a vivement applaudi des pensées puisées dans la nature et exprimées en vers très- énergiques. Nous desirerions que l'auteur sauvât au spectateur le meurtre de Memnon, dont les motifs secrets et la haine cachée sont peut-être aussi développés trop tard. Nous soumettons ces observations à l'auteur, M. Dubuisson, que l'on a demandé. M. Baptiste est venu le nommer ; cet acteur a saisi avec beaucoup d'habileté toutes les nuances du rôle difficile de Trasime : il raisonne profondément, et lorsqu'il faut déployer de l'ame, son foyer est brûlant. Les autres acteurs méritent d'être encouragés.

Réimpression de l’ancien Moniteur, tome dixième (Paris, 1843), Gazette nationale, ou le Moniteur universel, n° 331 du dimanche 27 novembre 1791, p. 475-476 :

[Une remarque nouvelle par rapport aux autres critiques : « le style de cette pièce est négligé. Les auteurs et le public s‘accoutument trop peut-être à sacrifier cette partie essentielle des ouvrages dramatiques, la seule qui puisse les faire lire et durer. »]

THÉATRE DU MARAIS.

On a donné avec succès, à ce théâtre, le emrcredi 15 novembre, la première représentation de Trasime et Timagène, tragédie nouvelle, de M. Dubuisson.

La scène est à Samos. Hircan a détrôné le père de Timagène ; et celui de Trasime est entré dans le parti de l’usurpateur. Les deux jeunes gens ont l’un pour l’autre une amitié si rare, dont l’antiquité seule nous offre des modèles ; Trasime n’a point combattu contre le père de son ami. Timagène passe pour avoir été tué avec son père : celui de Trasime a péri dans un combat. Hircan jouit du trône qu’il a usurpé ; le prince Trasime, son plus prochain héritier, doit l’occuper après lui.

Trasime s’est retiré de la cour ; il ne s’occupe qu’à pleurer son ami, auquel il a fait élever un magnifique tombeau. Ericie, jeune princesse de Lydie, amante de Timagène, vient le pleurer avec lui. Trasime en est vivement épris ; mais la mémoire de son ami triomphe encore de son amour qu’il a soin de cacher à la princesse. Tout-à-coup Timagène reparaît ; malgré le danger qu‘il court en se montrant à Samos, il revient chercher et enlever ce qu‘il aime. Trasime cache l‘amant et l‘amante dans son palais ; il s‘arrache le cœur en cédant Ericie : mais la sainte amitié l‘emporte, et il prépare tout lui-même pour leur départ. Cependant le scélérat Memnon, ministre du tyran de Samos, soupçonnant le retour de Timagène, vient faire une fausse confidence à Trasime ; il lui révèle que son père est mort assassiné de la main même de son ami ; le jeune homme furieux découvre, au milieu de ses emportements, que Timagène est caché dans son palais, et qu‘il va partir avec Ericie. Il se promet de venger son père, et d‘arracher la vie à son perfide ami. Celui-ci paraît ; il s’excuse d‘avoir donné à l‘amour les premiers moments de son arrivée à Samos ; il n‘a pas voulu d‘ailleurs réveiller trop tôt dans Trasime la douleur filiale; mais enfin, lui dit :

Ecoute-moi,je viens te parler de ton père.

Trasime ne tarde pas a être convaincu de l‘infâme imposture de Memnon, quand il reçoit des mains de Timogène une lettre écrite par son père à ses derniers moments. Le père monrant ècrit à son fils, que son ami, que Timagène a fait tous ses efforts pour le défendre, quoiqu’il fût. dans le parti contraire au sien :

                                            Ton père,
De ses derniers soupirs le fait dépositaire.

Trasime est désespéré d‘avoir cru son ami coupable, et de l‘avoir trahi. On vient arrêter Timagène ; Trasime tue le lâche Memnon.

Le cinquième acte se passe dans la prison où Timagène est enchaîné. Trasime vient s‘accuser d‘être son bourreau ; mais, en même temps, il conçoit le généreux dessein de le sauver, en se dévouant pour lui. On vient chercher Timagène pour le conduire au supplice ; le tyran a choisi la nuit pour cette exécution, afin qu'elle produisît moins de sensation sur Ie peuple. Trasime se voile la tête, et se livre à une garde étrangère qui venait prendre Timagène ; on le conduit à l‘échafaud ; c‘est sous la hache du bourreau qu‘il est reconnu. et qu'il déclare au tyran qu‘il va se percer à ses yeux, faire périr son héritier, le seul rejeton de sa race, s‘il n‘obtient la grâce de son ami. Le tyran vaincu cède à tant de générosité, et Trasime jouit du triple bonheur de conserver à son ami, la vie, le trône et sa maîtresse.

Les deux premiers actes de cette pièce sont froids, et ont produit peu d'effet ;mais les trois derniers ont été couverts de justes applaudissements. Ils sont remplis de situations touchantes, de sentiments sublimes, d‘expressions pathétiques ; cependant, en général, le style de cette pièce est négligé. Les auteurs et le public s‘accoutument trop peut-être à sacrifier cette partie essentielle des ouvrages dramatiques, la seule qui puisse les faire lire et durer.

M. Baptiste joue avec un talent supérieur le rôle de Trasime. Les deux décorations du palais et de la prison sont du plus bel effet. La pièce est mise au théâtre avec beaucoup de soin, et ne peut manquer d'avoir un succès soutenu.

Mercure de France, tome 141 (juilet à décembre 1791), n° 48, du samedi 26 novembre 1791, p. 127-129 :

[Critique prudente : la pièce a triomphé, mais le compte rendu relève tout de même des points négatifs, « pour la contexture, où l'on trouve plusieurs invraisemblances, […] pour le style, qui a paru en général fort négligé », tout en soulignant des points positifs, « une foule de beaux vers & de très-belles situations ». Le jugement porté sur le jeu de Baptiste est lui aussi positif, mais avec une nuance : le Théâtre du Marais n’est pas (encore ?) très bon pour la tragédie. Reste de la spécialisaiton des théâtres...]

Le Théâtre du Marais vient d'obtenir un nouveau triomphe, & dans un genre où il a montré jusqu'ici des prétentions moins élevées. La Tragédie de Trasime & Timagene, qu'on y a donnée le Jeudi 16 de ce mois, a pleinement réussi.

La scène se passe à Samos. Deux partis se sont disputé le Trône. Hircan a été vainqueur du pere de Timagene, qui le lui disputait ; Timagene lui-même a été poursuivi par des assassins : on croit qu'il a succombé. Cette erreur le sauve. Trasime, ami intime de Timagene, & parent d'Hircan, n'a point voulu prendre de parti dans cette guerre civile où servait son pere. Il n’a voulu combattre ni contre son pere ni contre son ami. Inconsolable de la mort de ce dernier, il a cru recueillir sa cendre, & lui a fait élever un tombeau. Timagene était près d'épouser Ericie, Princesse Lydienne. En partageant la douleur de Trasime, elle lui inspire un violent amour, qu'il combat d'autant moins que la prétendue mort de son ami lui permet plus d'espoir. Cependant Timagene reparaît secrétement, & se confie à Trasime. Combats terribles entre l'amour & l'amitié. Hircan, qui savait très-bien que Timagene n'était pas mort, conçoit quelque soupçon de son arrivée. Il envoie chez Trasime un certain Memnon, vil & armbitieux scélérat, qui a conduit toute cette intrigue. Cè Memnon, pour irriter le cœur de Trasime contre son ami Timagene, lui persuade que ce Prince a tué son pere dans le combat. Trasime le croit, sans doute un peu trop légérement, & ne respirant que la vengeance, il déclare que Timagene est dans son palais. C'en est assez pour Memnon, qui prend les précautions nécessaires pour le faire arrêter. Mais ensuite, dans une très–belle scène, Timagene fait voir à Trasime, sans y être provoqué, que loin d'avoir assassiné son pere, il a fait tous ses efforts pour le sauver. Trasime, furieux contre lui-même et contre memnon, donne la mort à ce traître ; mais il ne peut le rencontrer qu'après que son ami est dans les fers d'Hircan. Il va s'accuser à lui dans sa prison. Il y est rencontré par Ericie, à qui Memnon, en mourant, a fait un nouveau mensonge en accusant Trasime de n'avoir vu qu'un rival dans son ami. Tout s'éclaircit; & Trasime, pour prouver sa candeur & ses remords , va se présenter lui-même au supplice en place de Timagene. Il est reconnu ; mais il obtient d'Hircan, qui l'aime & qui lui destine le Trône, la grace de son ami, en menaçant le Tyran de se percer à ses yeux.

Cette Piece n'est pas à l'abri de la critique, ni pour la contexture, où l'on trouve plusieurs invraisemblances, ni pour le style, qui a paru en général fort négligé. Mais nous n'insisterons pas sur des reproches qu'une seule représentation ne nous permettrait pas d'appuyer ni de discuter, nous ne remarquerons que ce qui a frappé davantage, comme une foule de beaux vers & de très-belles situations, dont l'Auteur a tiré grand parti. Cet Auteur est M. Dubuisson, le même à qui l'on doit le Drame lyrique de Zélia , dont nous parlions derniérement avec les éloges qu'il mérite.

M. Batiste, cet excellent Acteur comique, montre aussi un très-grand talent dans la Tragédie. Nous ne devons pas cependant dissimuler que ce genre n'est pas encore à ce Théâtre au niveau de la Comédie : il ne donne guere que des espérances ; mais on peut s'en rapporter au zele de l'Entrepreneur du soin de les justifier.

Les décorations ont paru très-belles, & les costumes aussi riches que bien soignés.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 1 (janvier 1792), p. 354-356 :

[Le critique a apprécié la pièce, comme le public « qui l’a applaudi[e] avec transport ». Il en souligne l’originalité : « le sujet en est entièrement d’imagination ». « Ce sujet heureux est traité avec beaucoup d'intérêt : il y a de l'action & du mouvement dans l'ouvrage », ce qui n’empêche pas qu’il suggère toute une série de modifications destinées à faire marcher l’action « avec plus de rapidité ».]

Le mercredi 16 novembre, on a donné, pour la premiere fois, Trasime & Timagene, tragédie en cinq actes, par M. Dubuisson.

Ce théatre avoit été distingué, dès son ouverture, par les talens de M. Baptiste, l'aîné, & de quelques autres acteurs. Mais jusqu'à présent les nouveautés n'y avoient pas été heureuses. La tragédie nouvelle a obtenu & a mérité du succès.

Le sujet en est entiérement d'imagination. Hircan a usurpé le trône de Samos, en en chassant Sostrate & son fils Timagene. Le premier a été massacré, & le second a échappé par la suite, aux fureurs du tyran. Cependant ce dernier, pour assurer ses projets, a publié la mort de Timagene ; il a même fait remettre un cadavre défiguré à Trasime, ami de ce jeune prince, qui lui a érigé un tombeau. Trasime est parent de l'usurpateur, quoique lié par l'amitié la plus intime au fils de Sostrate ; le trône doit lui appartenir après la mort du tyran ; mais son cœur généreux déteste ce bien, qu'il croit payé du sang de son ami. Cependant Timagene adoroit Ericie ; cette jeune princesse vient tous les jours pleurer sur son tombeau : Trasime ne la voit point avec indifférence, & persuadé que Timagene n'est plus, il se livre aux transports d'un amour violent, que Hircan lui-même doit couronner par l'hymen. Sur ces entrefaites, Timagene revient incognito. Ericie apprenant qu'un vaisseau a abordé à Samos, & que l'étranger qui le monte, doit repartir le même soir, veut fuir avec lui, en emportant l'urne sacrée qui contient les cendres de son amant. Trasime découvre ce projet, & Timagene les surprend tous deux se disputant l'urne où ils croient ses cendres renfermées (cette scene est vraiment dramatique). La joie de le revoir occasionne une espece de délire ; mais Trasime, qui adore Ericie, fait tous ses efforts pour retenir Timagene qui veut fuir avec elle. Cependant la vertu l'emportant, dans son cœur, sur l'amour, il consent à protéger sa suite, & le cache dans son palais. Alors Memnon, lâche confident d'Hircan, soupçonnant le retour de Timagene, vient débiter une fable à Trasime ; il lui dit que ce prince a eu la cruauté d'assassiner, de sa main, le pere- de son ami. Trasime, qui a la foiblesse de croire ce rapport infidele, dénonce l'asyle de Timagene, dans les transports de sa rage ; mais il ne tarde pas à sentir sa faute, quand une lettre de son pere, remise à lui-même par Timagene, lui apprend que ce jeune prince lui a fermé les yeux, & qu'il est digne de son amitié. Le repentir de Trasime ne peut sauver son ami, qui est plongé dans une obscure prison. Trasime immole Memnon à sa vengeance, & ne pouvant empêcher la mort de Timagene, que le tyran veut faire périr sur un échafaud au milieu de la nuit, il se décide à prendre sa place : couvert de son manteau, il va s'offrir à la hache du bourreau ; mais il est reconnu : le tyran lui-même, qui tremble pour ses jours, lui accorde la vie de son ami, & promet de l'adopter pour fils. Trasime, au comble de la joie, vient délivrer Timagène ; ce dernier épouse Ericie, & tous deux remercient Trasime des preuves qu'il leur a données de sa touchante amitié.

Ce sujet heureux est traité avec beaucoup d'intérêt : il y a de l'action & du mouvement dans l'ouvrage ; & si l'auteur veut en effacer quelques longueurs dans le premier acte & dans le quatrieme, nous ne doutons pas que le public, qui l'a applaudi avec transport, ne le voie rester avec plaisir au théatre. Le mensonge, dont se sert Memnon, pour tromper Trasime, a paru trop grossier ; on peut lui donner une plus grande apparence de vérité, soit par une fausse lettre, soit par tout autre moyen. Il faudroit aussi retrancher tout ce qui suit la sortie d'Ericie au quatrieme acte, & faire dire, au cinquieme, à Trasime, en quatre vers seulement, qu'il a puni Memnon de sa trahison, &c. Alors l'action marcheroit avec plus de rapidité. Quoi qu'il en soit, cette tragédie est estimable & du côté des développemens & du côté du style.

César : la pièce a été jouée en mars 1787 au théâtre de Rouen, avant sa création à Paris, le 16 novembre 1791 sur le théâtre du Marais. Elle y a été jouée 7 fois, jusqu'au 28 octobre 1792.

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